Introduction - Arnaud Chéron / Pierre Courtioux
Arnaud Chéron et Pierre Courtioux
Pôle de recherche en économie de l’EDHEC Business School
Aujourd’hui, les jeunes demeurent largement exclus de l’emploi. S’il est essentiel de moderniser la régulation de notre marché du travail, cela doit aller de pair avec une réforme plus large de notre modèle social. Ceci passe par une refonte de notre système d’éducation initiale et de formation tout au long de la vie, mais aussi par une nouvelle donne en matière de sécurité sociale professionnelle, via notamment des politiques publiques de régulation du marché du logement adaptées. Enfin, il faut également être très vigilant sur le financement de ce modèle social afin d’assurer une répartition équitable des efforts fiscaux réalisés tout au long de la vie.
Partie 1 : L'enseignement : Une Machine à reproduire ?
2. Pierre Courtioux
Partant d’une situation moyenne pour la génération née en 1970, il apparaît tout d’abord que les personnes d’origine populaire ont un taux d’accès à l’enseignement supérieur deux fois moins élevé, tandis que ceux d’origine sociale supérieure ont un taux d’accès deux fois plus élevé. Les diplômés d’origine populaire sont sous-représentés à tous les niveaux de diplôme tandis que les diplômés d’origine sociale supérieure sont surreprésentés à tous les niveaux de diplôme, mais plus fortement encore au niveau bac +5.
Écoles d’ingénieurs : 20 fois plus d’élèves d’origine sociale supérieure que d’origine sociale populaire
Ce différentiel d’accès est encore plus marqué lorsque l’on s’intéresse aux Grandes Écoles, de commerce ou d’ingénieurs. Et il s’avère que cette différence s’est même accentuée au cours du temps. Lorsque l’on compare les taux d’accès des générations 1970 et 1980, le taux d’accès aux écoles d’ingénieurs des élèves d’origine sociale supérieure est 20 fois plus élevé que ceux d’origine sociale populaire (8% contre 0,4% pour la génération 1980). Du point de vue de l’équité fiscale, ce phénomène est préoccupant dans la mesure où les formations les plus coûteuses pour la collectivité se trouvent au niveau Bac+5.
3. Pierre Courtioux
Pour les individus de la génération 1970, la dépense publique moyenne par diplômé du supérieur s’élève annuellement à 20 383 €, dépense qui ne concerne que 32,2% des individus de la génération. De manière générale, les élèves des écoles sont mieux dotés que les étudiants des universités (si l’on excepte les cycles les plus longs) : la dépense publique au niveau Bac+5 est ainsi près de 8 fois plus élevée pour les élèves de « très grandes écoles d’ingénieurs » que pour les diplômés universitaires. On obtient en revanche un niveau de dépenses comparables pour les études de médecine, supérieures à 100 000 €.
L’État dépense en moyenne 50% de plus pour les diplômés d’origine sociale supérieure que pour les diplômés d’origine sociale populaire
L’étude de Gregoir [2008] complète ce diagnostic en évaluant les inégalités de dépenses publiques selon l’origine sociale. Globalement, il en résulte que pour les diplômés d’origine sociale supérieure, la dépense publique moyenne est environ 50% plus élevée que celle dont bénéficient en moyenne les diplômés d’origine sociale populaire. Ceci traduit évidemment l’accès plus important des premiers aux filières les plus coûteuses, et se surajoute au sous-accès des étudiants d’origine populaire à l’enseignement supérieur. Un argument généralement avancé pour relativiser les inégalités générées par cette hétérogénéité d’investissement consiste à arguer du fait qu’un diplômé du supérieur au sortir de ses études trouve facilement un travail avec un bon niveau de salaire, et que le niveau de prélèvement obligatoire auquel il est soumis compense largement ces investissements initiaux de la collectivité. Selon Courtioux [2011], cet argument s’avère très peu probant dans le cas français.
En effet, pour 15% des diplômés du supérieur, le montant des impôts collectés tout au long de leur vie ne couvre pas la dépense publique de formation initiale (compte tenu de son coût d’opportunité) ; pour les écoles d’ingénieurs ce taux atteint 22% et est un peu plus élevé pour les très grandes écoles d’ingénieurs. Du point de vue de l’équité fiscale intra-générationnelle et indépendamment de l’origine sociale, il y a une déconnexion entre la contribution fiscale des diplômés et les subventions directes dont ils ont bénéficié.
Partie 2 : Le prêt à remboursement contingent : La juste dette ?
4. Pierre Courtioux
Il semble intéressant de réfléchir à un nouveau mode de financement susceptible à la fois de véritablement permettre un accès plus équitable à l’enseignement du supérieur, mais aussi de renforcer dans un deuxième temps, grâce aux marges financières dégagées, le financement de filières qui constituent aujourd’hui le « parent pauvre » du système ; même si pour cela il faut accepter des droits d’inscription plus importants au travers d’un engagement à rembourser une partie de la dépense publique initiale d’éducation supérieure.
Sortir du mythe de « l’Université gratuite »
Le principe des prêts à remboursement contingent (PARC) est simple. Les étudiants empruntent une certaine somme pour financer leurs études. Durant la période de remboursement, c’est-à-dire après leur entrée sur le marché du travail, les annuités ne sont effectivement versées par l’ancien étudiant que si son revenu courant est supérieur à un certain seuil. Dans le cas contraire, la dette continue de courir. Ceci constitue une forme d’assurance garantie par l’État, en cas d’absence de rendement de la formation suivie. Ce principe général peut donner lieu à des mises en œuvre très différentes, sur lesquelles nous reviendrons. Il peut aller de pair avec une refonte des droits d’inscription et une modulation de la part collective et de la part individuelle des coûts de formation, précisément en fonction du type de formation suivie et de ses rendements anticipés sur le marché du travail.
Par rapport à la situation actuelle en France, les mérites d’un système de financement par prêts contingents sont multiples :
- En étant offert à tous, il ne permet certes pas de traiter toutes les dimensions de la question de l’égalité des chances d’accès à l’enseignement supérieur qui se joue à des âges plus précoces ou en développant des voies d’accès parallèles, mais il traite de manière égale les potentiels candidats.
- En offrant uniformément une assurance partielle en cas de moindre succès ou d’échec, le PARC permet de réduire l’influence de la situation financière familiale sur la décision d’entamer ou de poursuivre des études supérieures.
- En allant de pair avec une refonte des tarifs d’inscription (part privée du coût de formation supporté par le jeune via le prêt, avec garantie par l’État), il permet progressivement de dégager des ressources supplémentaires pour renforcer ou élargir le champ de financement des formations supérieures.
- En affichant le coût global de la formation, il permet de rendre visible l’effort collectif consenti et d’en partager les gains. L’étudiant est de ce fait d’autant plus enclin à produire un effort personnel pour assimiler son savoir qu’il prend en compte la dette contractée avant de s’engager.
Enfin, le système des prêts contingents permet d’avoir une action en cas de migration du diplômé. Ce dernier demeure en effet redevable de sa contribution même si la collectivité ne profite pas des externalités auxquelles il peut contribuer.
5 raisons pour mettre en place des PARCS
- La possibilité de généraliser plus facilement ce type d’arrangement financier qu’un système de bourse ou d’accès gratuit à l’enseignement supérieur.
- Permettre l’accès à l’enseignement supérieur pour les enfants des familles les plus défavorisées.
- Favoriser l’accès à des carrières moins bien rémunérées mais socialement utiles.
- Dégager des ressources supplémentaires pour le financement de l’enseignement du supérieur.
- Mettre en place une structure de financement moins régressive.
Les PARC à l’international, ça dit quoi ?
Sur la base des travaux de Courtioux [2014], il est possible de dresser un rapide panorama des expériences internationales d’introduction de PARC. Leur mise en place a en effet déjà eu lieu dans plusieurs pays assez différents, notamment : l’Australie, le Chili, les États-Unis, la Nouvelle-Zélande, la République sud-africaine, le Royaume-Uni, la Suède et la Thaïlande. La diversité des PARC renvoie à différents leviers. En effet, l’État peut gérer seul ce dispositif ou le garantir auprès d’instituts de crédit ; l’accès au dispositif peut être restreint ou non par une condition de revenu des parents ; l’emprunt peut financer les droits d’inscriptions et/ou des frais de vie, en totalité ou en partie ; il peut être contracté à taux zéro ou au taux du marché ; mais surtout, le seuil du revenu courant au-delà duquel les annuités sont dues est variable, et le montant des annuités dues en fonction du revenu courant peut être plus ou moins progressif. Ces raisons se recoupent souvent en partie et l’accent porté par les décideurs publics sur l’un ou l’autre de ces points dépend des problèmes nationaux particuliers, des enjeux politiques, que la mise en place des PARC a pour objectif de résoudre ou d’atténuer.
Développer des PARC constitue alors un moyen d’élargir l’accès à l’enseignement supérieur en garantissant aux institutions qui font l’avance (il peut alors s’agir de l’État, de banques commerciales, ou des établissements d’enseignement supérieur eux-mêmes) qu’ils recouvreront une partie importante de leur mise. L’insistance sur ce critère a par exemple présidé au choix de développer des PARC en Afrique du Sud.
Dans ce cas sud-africain, le principal objectif était de pallier la contrainte de crédit des étudiants et de contenir les dépenses publiques. L’objectif est alors d’obtenir rapidement un retour sur investissement de l’éducation des premières générations afin de disposer de fonds pour investir dans les générations suivantes. Ces considérations ont également contribué à l’introduction de nouvelles formes de PARC aux États-Unis dans le cadre de la réforme du programme de prêts directs Staffords lancée par l’administration Clinton en 1993. Il s’agissait alors d’introduire une option de conversion des prêts étudiants traditionnels en PARC.
Lorsque le financement de l’enseignement supérieur repose largement sur les fonds publics, la mise en place de PARC constitue un moyen de l’accroître : les PARC et une revalorisation des droits d’inscription sont introduits conjointement. Tel a été le cas en Australie notamment, où en 1989 les droits d’inscriptions ont été rétablis (ils avaient été supprimés en 1973) en étant dès lors associés à un PARC. La mise en place de ces prêts s’inscrivait alors dans le cadre d’une réforme plus générale de l’enseignement supérieur. L’objectif du gouvernement australien était d’augmenter le nombre de diplômés tout en contenant l’augmentation des prélèvements obligatoires. Par ailleurs, le ministre chargé des réformes était convaincu du caractère régressif des dépenses publiques pour l’enseignement supérieur (les étudiants issus des milieux les plus défavorisés, accédant moins à l’enseignement supérieur, bénéficiaient moins des dépenses collectives en faveur de l’éducation tertiaire).
Situations variées, bilans contrastés
Si les expériences de mise en place de PARC sont multiples, il convient également de noter que les dispositifs ont connu des succès divers, étant parfois largement amendés ou abandonnés. Pour apprécier les succès et échecs relatifs des expériences étrangères, il faut conserver à l’esprit que ces dispositifs n’avaient pas les mêmes objectifs dans les différents pays.
Dans les systèmes où il existe des droits d’inscription préalablement à la mise en place de PARC, on peut arguer que le succès de ces derniers se mesure à l’augmentation de la part des étudiants d’origine modeste qui s’engagent dans les études supérieures et plus généralement du nombre de personnes qui poursuivent leurs études dans le supérieur en s’appuyant sur ce dispositif. De ce point de vue, l’expérience américaine apparaît comme un échec relatif : le nombre d’étudiants ayant choisi une option de type PARC pour leur prêt est resté très faible. Les raisons invoquées pour cet échec tiennent essentiellement à des problèmes de conception du dispositif qui le rendent peu attrayant du point de vue des étudiants, ces derniers ayant fait le choix de conserver des prêts « classiques ».
Dans le cas des pays qui quittent un système gratuit ou quasi-gratuit de l’enseignement supérieur, la mise en place de PARC est généralement considérée comme un succès, même si le cas récent de l’Angleterre, qui a connu une forte hausse des droits d’inscription, peut conduire à nuancer cette appréciation. La principale réussite se mesure à l’aune des ressources financières collectées sur le long terme. En effet, dans le court terme, c’est le prêteur (généralement l’État) qui fait l’avance. Du fait de l’ancienneté de son dispositif de PARC, l’Australie constitue une référence intéressante : la collecte de ressources supplémentaires est généralement considérée comme un succès. De plus, en Australie, le succès des PARC a plutôt mené à un approfondissement de son principe avec la réforme de 1997. Celle-ci a conduit à différencier les droits d’inscription selon les filières. Dans la mesure où, on l’a vu, les coûts réels de l’éducation varient selon les filières, différencier les droits d’inscription selon les diplômes peut constituer un objectif, et ce d’autant plus que ceux-ci peuvent conduire à des différences importantes en termes de trajectoire salariale : si les études scientifiques coûtent plus cher et sont mieux valorisées sur le marché du travail, il peut être plus « équitable » de faire participer davantage ces diplômés au financement de l’enseignement supérieur.
Un PARC à la française ?
Sur le principe précisément, le contrat d’enseignement supérieur « prôné » par l’EDHEC est un contrat tripartite entre l’établissement d’enseignement supérieur, la collectivité et l’étudiant. Ce contrat spécifierait le niveau des investissements publics dont a bénéficié le diplômé, ce que l’individu doit à la collectivité (les droits d’inscription), et les conditions de paiement de ces droits. Afin de réduire les problèmes d’équité fiscale identifiés précédemment, l’EDHEC propose que le montant dû par l’étudiant à la collectivité soit défini en ligne avec le montant des subventions publiques dont il a bénéficié. Cette augmentation substantielle des droits d’inscription doit tenir compte de la capacité contributive effective des anciens diplômés ; rappelons du reste que durant la période de remboursement, c’est-à-dire après l’entrée des jeunes diplômés sur le marché du travail, ceux-ci ne versent effectivement les annuités que si leur revenu courant dépasse un certain seuil. La proposition de l’EDHEC prévoit que l’État garde la main sur l’affectation des ressources entre les établissements publics et donc sur une partie importante des dépenses de formation. À titre illustratif, nous discutons ici la version de Courtioux et Gregoir [2012], reposant sur un scénario particulier (voir Courtioux [2009] pour une évaluation basée sur 5 scenarii distincts), sur laquelle se fonde la proposition de l’EDHEC. La spécification du contrat d’enseignement supérieur tient compte du fait que la formation supérieure d’un individu bénéficie en partie à l’ensemble de la collectivité (les externalités positives). Cette part est très difficile à estimer ; elle est fixée par Courtioux et Gregoir [2012] de manière indicative à environ 25% des retours sur l’investissement éducatif. C’est pourquoi l’EDHEC propose dans cette évaluation de référence que la part des investissements publics dans la formation supérieure remboursable par l’étudiant soit fixée à 75% du coût de la formation en question. Par ailleurs, l’EDHEC suppose un taux d’intérêt nul pour ce PARC. Au moment de l’inscription, l’étudiant emprunte auprès de l’État à hauteur de 75% du coût de la formation, avec un remboursement ultérieur sans intérêt, fonction d’un barème de revenus.
Le calcul du PARC
Dans l’évaluation ici présentée, un mode de calcul des annuités assez progressif est retenu (tableau 2.5), avec un seuil de déclenchement au premier quartile de salaire (12 804 € nets annuels) : à titre d’exemple, pour un salaire de 12 900 € net proche du Smic annuel, l’annuité de remboursement se fixerait à 4,8 €, pour un salaire de 16 608 € l’annuité serait de 190 € ; pour un salaire de 22 404 € l’annuité serait de 770 € ; pour un salaire de 30 792 € l’annuité serait de 2 638 € ; enfin, pour un salaire de 38 400 € l’annuité serait de 5 880 €.
Source : simulation GAMEO (Courtioux et Gregoir [2012])
L’implémentation de ce dispositif permettrait non seulement d’assurer une plus grande équité fiscale, pourrait favoriser l’égalité d’accès à l’enseignement du supérieur, mais serait aussi susceptible de générer des ressources financières additionnelles à mesure que les remboursements interviendront. Les simulations du modèle GAMEO, toujours à partir de la génération 1970, mettent en évidence qu’il existe un gain financier potentiel significatif. Nous pensons que ce gain pourrait être redéployé par l’État vers les formations qu’il juge prioritaire.
Du fait de sa structure de remboursement particulière qui s’appuie sur l’ensemble du cycle de vie des individus, la montée en charge d’un tel dispositif est relativement longue, et s’étend sur environ 30 ans d’après nos estimations. Mais in fine, d’après le champ de notre évaluation et une dépense annuelle de 5,7 milliards d’€, 4,9 milliards seraient collectés via les remboursements en régime stationnaire, et 1 milliard dès la dixième année de mise en œuvre du dispositif.
Partie 3 : Le Marché du Travail : Pauvre Jeunesse
2. Chéron
La question de l’insertion des jeunes sur le marché du travail constitue un problème structurel auquel sont confrontés tous les pays : phénomène de congestion à l’entrée, problème de révélation d’information sur les compétences, insuffisance (par définition) de capital humain spécifique concourant à des sorties de l’emploi plus fréquentes, etc… Sa sévérité est néanmoins extrêmement variable d’un pays à l’autre, et il nous semble que les différences institutionnelles, en particulier s’agissant de la protection des emplois, constituent un facteur explicatif de premier ordre. Finalement, c’est une question essentielle, notamment parce que l’expérience d’un épisode de chômage important à la sortie du système de formation initiale peut avoir des effets permanents sur les trajectoires individuelles sur le marché du travail.
La protection des emplois recouvre différentes dimensions liées aux critères de mise en place, mais aussi aux modalités et coûts de rupture des contrats de travail, qu’il s’agisse de contrats permanents ou temporaires (contrainte des procédures, délais de préavis, indemnités, possibilité de recours, modalités de recours et de renouvellement des contrats à durée déterminée). L’OCDE propose plusieurs indicateurs permettant de synthétiser ces différentes dimensions, et ainsi de classer sur une même échelle les pays selon la rigueur de la protection des emplois proposée. On peut ainsi reprendre, pour un panel de pays d’intérêt, deux des classifications retenues, avec des valeurs actualisées en 2013. Concernant la protection des travailleurs sur les contrats réguliers dans le cas de licenciements individuels ou collectifs, on obtient la hiérarchie suivante : États-Unis 1.17, Canada 1.51, Royaume Uni 1.59, Danemark 2.32, Espagne 2.36, Suède 2.52, France 2.82, Allemagne 2.84, Italie 2.89 (sur une échelle allant de 0 à une valeur maximale de 2.99 pour la Belgique). S’agissant de la régulation des contrats temporaires (contrats à durée déterminée ou contrats intérimaires dans le cas de la France), on obtient une hiérarchie assez proche, mais avec des disparités plus importantes : Canada 0.21, États-Unis 0.33, Royaume Uni 0.54, Suède 1.17, Allemagne 1.75, Danemark 1.79, Italie 2.71, Espagne 3.17, France 3.75.
En France, la protection des emplois sur les CDI reste plus élevée que la moyenne
On le voit, tous types de contrats confondus, les pays anglo-saxons offrent le plus bas niveau de protection des emplois. Dans le cas de la France, il est tout d’abord intéressant de noter que la protection des emplois sur les contrats de type CDI (contrat à durée indéterminée) reste plus élevée que la moyenne. Plus précisément, le dernier rapport de l’OCDE sur le sujet souligne que « l’évaluation de la difficulté à licencier » y est approximativement trois fois plus élevée que celle mesurée dans les pays anglo-saxons, soit encore supérieure d’environ 50% à la moyenne OCDE.
Au bilan, en raison de cette plus grande difficulté à licencier, le marché du travail français présente deux caractéristiques importantes :
- Il peut être qualifié de dual, avec 85% des embauches qui se font via des CDD, alors que du fait d’une importante rotation sur ces contrats, le stock d’emplois en CDD dépasse tout juste les 10% de l’emploi total ;
- Les flux de créations et destructions d’emplois sont faibles : sur longue période, la probabilité mensuelle de trouver un emploi en France a été évaluée à 7,7% et celle de le perdre à 0,7%, alors qu’aux États-Unis par exemple ces chiffres sont respectivement de 56,5% et 3,6%. De ce point de vue, il y a une vraie différence entre les pays anglo-saxons et les pays d’Europe continentale comme l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne, qui présentent des chiffres voisins des nôtres1.
1. Voir « Unemployment Dynamics in the OECD », NBER Working Paper #14617, par Michael Elsby, Bart Hobijn et Aysegul Sahin.
Plus les coûts de licenciements – ou plus généralement la protection des emplois – sont importants, moins il y a de destructions d’emplois, mais moins il y a aussi de créations d’emplois : les difficultés et coûts à licencier sont en effet anticipés rationnellement par les employeurs et peuvent conduire ces derniers à y réfléchir « à deux fois » avant de s’engager dans un processus d’embauche. Ce diagnostic n’est pas nouveau et conduit globalement à une réduction globale des flux sur le marché du travail2.
2. Ce point a notamment été mis en avant par Olivier Blanchard et Jean Tirole dans un rapport pour le Conseil d’Analyse Économique en 2003.
La France se caractérise de plus par un effet de seuil important dans le coût de séparation dès lors que le salarié est basculé d’un CDD vers un CDI. Ceci se traduit par une faible probabilité de pérennisation des CDD en CDI, et la combinaison de cet effet de seuil avec les dispositions réglementaires restrictives en matière de renouvellement des CDD conduit à générer des flux de sorties de l’emploi en CDD importants : les fins de CDD en France constituent ainsi les trois quarts des sorties de l’emploi observées, là où les licenciements comptent pour moins de 10%. Et au passage, les jeunes, par définition en situation de primo insertion sur le marché du travail, sont les premiers touchés : la part des emplois en CDD est ainsi environ 4 fois plus élevée pour les 20-24 ans que pour les 25-49 ans.
Au-delà de cela, la protection des emplois a donc nécessairement des effets ambigus sur les stocks d’emploi et de chômage agrégés, confirmés notamment par des études macro-économétriques comme celle réalisée à un niveau international par Bassanini et Duval en 2006 pour le compte de l’OCDE3. Il apparaît notamment que la rigueur de la protection de l’emploi n’a pas d’effet significatif sur le niveau de l’emploi des 25-54 ans, contrairement au degré de générosité de l’assurance chômage ou à l’ampleur de la fiscalité du travail qui tous deux pèsent sur l’emploi de cette catégorie de travailleurs.
3. « The determinants of unemployment across OECD countries: reassessing the role of policies and institutions », OECD Economic Studies, OECD Publishing, 2006 (1), p. 7-86.
L’insertion des jeunes paye le prix de la protection offerte aux plus âgés
La protection des emplois a un impact différencié tout au long du cycle de vie. Elle est particulièrement favorable aux individus en fin de carrière, c’est-à-dire aux seniors. La retraite constitue du point de vue de l’employeur une possibilité de se séparer du salarié sans coût. Aussi les entreprises tendent-elles à patienter plutôt que de payer le coût d’un licenciement, et ce d’autant plus que le salarié est proche de la retraite. Pour autant, une protection limitée peut suffire à induire cet arbitrage et favoriser le maintien en emploi de ces salariés.
Chéron, Hairault et Langot [2011] montrent ainsi qu’à mesure que le salarié se rapproche de la retraite, la décision de son maintien en place devient de plus en plus sensible aux coûts de licenciement. En ce sens, l’emploi des seniors peut largement bénéficier d’une protection des emplois élevée. Pour autant, le premier déterminant de l’emploi des seniors reste la distance à l’âge de la retraite ; le relèvement significatif de l’emploi des seniors ces dix dernières années, évoqué dans la première partie de cet opuscule, suggère qu’il est peu opportun de concevoir une protection des emplois fondée sur leur situation.
Chéron, Hairault et Langot [2011] soulignent également l’intérêt, dans une perspective d’optimalité, de mettre en œuvre une protection des emplois décroissante en fin de carrière. Toutes choses égales par ailleurs, l’anticipation de moindres coûts de licenciement dans le futur peut conduire certaines entreprises à maintenir en place certains de leurs travailleurs (typiquement de plus de 50 ans), sachant que retarder la séparation est une source d’économie. In fine, le départ à la retraite du travailleur constitue un moyen de se séparer sans coût dudit employé.
4. Chéron [2010] évalue par exemple quantitativement l’intérêt de réduire la protection de l’emploi pour les travailleurs de 58 ans et plus à hauteur de 25% du coût total moyen d’un licenciement.
Avant même de savoir si l’emploi va durer deux, cinq ou dix ans, la question posée est celle de l’accès au premier contrat…
Du point de vue des jeunes, l’analyse est radicalement différente. L’arbitrage inter-temporel mentionné ci-dessus est nécessairement absent, puisqu’il n’y a pas cette perspective de séparation sans coût. En revanche, la problématique essentielle pour cette catégorie d’individus est celle du premier emploi, c’est-à-dire de l’embauche. S’agissant de l’emploi des jeunes, on notera donc que l’incidence d’une réforme sur les destructions d’emplois est reléguée au second plan au regard de l’impact induit sur les créations d’emplois : avant même de savoir si l’emploi va durer deux, cinq ou dix ans, la question posée est celle de l’accès au premier contrat. En d’autres termes, la statistique d’emploi pour cette classe d’âge dépend essentiellement de la probabilité d’embauche, et ne renvoie que dans un deuxième temps à la stabilité des emplois. Dans la phase d’insertion à la sortie du système éducatif qui concerne les jeunes, l’incidence des institutions sur les créations (destructions) est relativement plus (moins) prégnante que pour les adultes. Chéron [2011] propose un certain nombre d’éléments statistiques en appui de cette thèse.
En définitive, les enjeux autour de la réforme de la protection des emplois semblent être de premier ordre concernant l’insertion des jeunes. Et nous aurons l’occasion de le souligner : l’introduction d’une certaine flexibilité dans cet objectif peut d’autant plus facilement être acceptée que ce mouvement est accompagné d’une sécurisation de l’accès au logement pour les jeunes travailleurs.
Ces dernières années, l’Italie et l’Espagne, qui partagent à la fois des niveaux de protection de l’emploi et des statistiques de chômage des jeunes comparables aux nôtres, ont refondu en profondeur leur système de protection des emplois. La France a pour sa part choisi de le réformer à la marge, « par touches successives ». Les quatre dernières réformes se sont inscrites dans une logique similaire et sont intervenues au cours d’une période où des gouvernements de couleurs politiques différentes se sont succédé.
Les réformes du marché du travail en France
Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, le renoncement au contrat unique à droits progressifs a laissé place à la loi du 25 juin 2008 sur la modernisation du marché du travail. Cette loi a principalement introduit, en sus de la démission et du licenciement, une possibilité de rupture conventionnelle du contrat de travail, « à l’amiable », destinée à assouplir le processus de séparation et sécuriser son coût du point de vue de l’employeur. L’objectif affiché est de limiter les possibilités de contestations ultérieures, quitte à accepter un coût plus élevé, mais certain. En l’occurrence, l’indemnité conventionnelle de rupture s’avère dans les faits en moyenne deux fois plus élevée que l’indemnité de licenciement. Ce nouvel « outil » a d’ailleurs connu un certain succès, puisque les ruptures conventionnelles représentent environ 20% des fins de CDI. Depuis 2008, on a ainsi noté une diminution de près de 25% du nombre de recours auprès du Conseil de Prud’hommes. Toutefois, un récent rapport du ministère des Finances souligne qu’il demeure une « judiciarisation » importante des licenciements : 30% des licenciements induisent un recours par le salarié, seuls 5,5% sont résolus à l’issue de la procédure de conciliation, et 60% des décisions prises en 1ère instance ont donné lieu à un appel. Ceci se traduit notamment par une durée des procédures de 15 mois en moyenne en 2012 (contre 12 mois en 2004).
Sous la présidence de François Hollande, la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi a accentué l’assouplissement et la sécurisation renforcée des ruptures de CDI, tout en introduisant un renchérissement du recours aux CDD, ainsi que de nouveaux droits aux salariés. Cette loi propose d’aller plus loin que la possibilité de rupture à l’amiable, en instaurant notamment une possibilité de conciliation prud’homale en cas de litige au sujet d’un licenciement, avec une grille (indicative) précisant les coûts pour l’entreprise allant de 2 mois de salaire à 14 mois pour les salariés ayant le plus d’ancienneté.
La loi Macron de 2014 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques s’est pour sa part intéressée au cadre législatif entourant les licenciements économiques collectifs. Les mesures proposées s’inscrivent dans la perspective d’une plus grande souplesse accordée à l’employeur dans la mise en œuvre de ces licenciements (libre choix du périmètre des critères d’ordre de licenciement, pas de contrôle administratif pour des licenciements de moins de 10 personnes en 30 jours…).
La loi El Khomri, adoptée en juillet 2016, n’a finalement que peu fait bouger les lignes en matière de protection des emplois (de rupture des CDI). In fine, la définition d’un périmètre élargi des motifs de licenciement économique a néanmoins été retenue : les difficultés susceptibles de justifier un licenciement économique sont précisées (baisse de commandes, chiffres d’affaires, dégradation trésorerie…) de façon à donner plus de clarté aux règles applicables. Pourtant, dans la version « beta » du projet de loi, l’établissement d’un barème des indemnités prud’homales, supposée s’appliquer automatiquement, était également proposé. Ce barème ne fut donné qu’à titre indicatif ; il est pourtant essentiel pour sécuriser les coûts associés aux ruptures de contrats pour l’employeur. Dans une certaine mesure, la loi El Khomri constitue certainement un acte (en partie) manqué. Pour autant, la poursuite de ce mouvement de flexisécurisation du marché du travail reste envisageable, et il nous semble qu’il pourrait être d’autant plus facilement accepté par les jeunes, premiers bénéficiaires en termes d’emplois, que de nouvelles garanties seraient offertes en matière d’accès au logement.
* L’Allemagne, dès le milieu des années 2000 avec les réformes Hartz, a fait le choix de réformer en profondeur la régulation de son marché du travail, mais plus particulièrement sur le volet de l’assurance chômage. La question de la protection des emplois est apparue moins centrale, certainement parce que les Allemands présentent des statistiques élogieuses en termes de taux chômage des jeunes, en lien avec un dispositif de formation initiale où l’apprentissage est très largement valorisé. Le cas du Danemark est également intéressant, puisqu’il partage avec l’Allemagne un système d’apprentissage particulièrement efficace, auquel s’ajoute une protection des emplois moindre qui profitent à l’emploi des jeunes.
** Par exemple, pour le 9ème décile, le montant de l’indemnité conventionnelle en 2009 atteignait près de 19000 euros contre 8200 euros pour l’indemnité de licenciement (chiffres DARES).
Partie 4 : Logement contre flexibilité, un bon deal ?
ARNAUD CHERON - 06
S’il nous semble que la poursuite du mouvement de réforme du contrat de travail constitue un enjeu majeur pour l’emploi des jeunes, on peut s’interroger sur les raisons de son rejet collectif, notamment par les jeunes. Nous souhaitons ici souligner qu’une partie des réticences trouve sa source dans la régulation du marché du logement ; cette analyse repose sur les travaux de Decreuse et van Ypersele [2016]. La réforme des contrats de travail passe par une réforme conjointe du marché locatif.
La protection nécessaire des locataires contre les risques inhérents au marché locatif s’exerce en effet le plus souvent au détriment du propriétaire. Celui-ci devient plus méfiant et exige du locataire un contrat de travail très protégé. Les locataires potentiels sont alors porteurs de cette demande et expriment à leur tour un désir exacerbé pour des emplois protégés.
La régulation du marché locatif engendre une demande sociale pour des emplois protégés, et ce au détriment de l’emploi, de l’emploi stable et de l’émancipation des jeunes. Cette demande sociale de protection des emplois repose sur le comportement des propriétaires confrontés à la nécessité d’évaluer le risque de défaut d’un candidat à la location. L’acte de louer n’est pas un acte marchand anodin. Il s’agit d’acquérir un bien durable pour une durée limitée. Il y a donc échange temporaire des droits de propriété effectifs : si le propriétaire garde juridiquement la propriété du bien, il ne peut pénétrer dans le logement et n’a pas de droit regard sur son ameublement pendant la durée du bail. Bien entendu, cet échange temporaire est conditionné au règlement du loyer par le locataire.
Le poids d’un défaut de paiement du loyer est supporté par le propriétaire, ce dernier se trouvant de facto assureur contre différents risques de revenu encourus par le locataire. C’est ici qu’intervient la régulation. En cas de défaut, le propriétaire peut poursuivre le locataire pour recouvrir les impayés de loyer et récupérer le logement. Comme l’exécution du droit est empreinte de formalisme procédural, les démarches juridiques sont longues, incertaines et coûteuses. Les propriétaires désirent donc les éviter. C’est pourquoi ils trient les candidats à la location.
Pour louer, mieux vaut avoir un emploi protégé…
Dans le cas d’une population jeune, quelles sont les caractéristiques prisées par les propriétaires ? Ceux-ci ne disposent que de peu de renseignements sur les candidats. Le contrat de travail est ici très utile car il véhicule deux types d’informations :
ARNAUD CHERON - 04
- D’une part, une personne en CDI est moins exposée au risque de licenciement car le travailleur est protégé par son contrat. Or, la probabilité de défaut augmente fortement lors d’un épisode de chômage. En réduisant la fréquence de survenue de tels épisodes, le CDI diminue directement le risque de défaut (Decreuse et van Ypersele [2011]).
- D’autre part, la sélection dans le CDI constitue un présage favorable quant aux caractéristiques du salarié (Bonleu, Decreuse, et van Ypersele [2016]). L’employeur et le propriétaire sont en effet confrontés à un problème similaire, à savoir évaluer la faculté du candidat à bien se comporter dans une relation de long terme, qu’il s’agisse d’un emploi ou d’une location. Or l’employeur joue en premier. En offrant un CDI plutôt qu’un CDD, il certifie en quelque sorte le candidat à la location, muni d’un signal positif sur sa qualité.
Ces deux mécanismes reposent sur le fait qu’un CDI entraîne des coûts importants pour l’employeur en cas de licenciement. Cela le conduit à délayer une éventuelle décision de licenciement, et à sélectionner davantage ses collaborateurs. Un candidat doté d’un CDI signale alors une très faible propension à faire défaut sur le loyer. Les propriétaires sont davantage confiants, ce qui stimule l’offre locative.
L’assurance locative idéale
La solution consiste à proposer une assurance sociale contre le défaut de paiement du loyer. Il s’agit de transférer la gestion du risque de défaut par le propriétaire vers la collectivité. Ainsi couvert contre les incidents de paiement, le propriétaire devrait se montrer moins exigeant vis-à-vis du contrat de travail, réduisant alors la demande collective pour des emplois protégés.
Les assurances existantes
La Garantie « Loca-Pass », financée par « Action Logement » (ex 1% logement), couvre jusqu’à 9 mois d’impayés. Mais elle ne s’applique que dans le cas d’un logement conventionné APL ou ANAH appartenant à un bailleur personne morale. Dans les autres cas, la Garantie Risques Locatifs s’appliquait jusqu’en début d’année 2016. Il s’agissait d’une garantie souscrite par le propriétaire et vendue par des compagnies d’assurance. Elle était en partie financée par Action Logement. Il fallait disposer de revenus suffisants à caractère permanent, les allocations sociales faisant partie du calcul des revenus.
Une Garantie Universelle des Loyers (GUL) a été instaurée par la loi Accès au Logement et un Urbanisme Rénové (loi ALUR dite aussi loi Duflot). Elle a été votée par l’Assemblée nationale, mais le décret d’application n’est jamais paru. Dans le projet initial, la GUL consistait en une assurance publique universelle obligatoire couvrant les loyers impayés avec maintien d’un fichier de mauvais payeurs. Le recouvrement des loyers impayés était à la charge de l’organisme gérant la GUL. Dans le projet voté, la garantie est devenue facultative et différentes restrictions ont été apportées : le taux d’effort des ménages (le rapport entre le loyer et les revenus du ménage) est limité à 40%, l’assurance couvre au maximum 18 mois d’impayés, le montant de la garantie est plafonné au loyer médian du quartier. Et plus de fichier de mauvais payeurs. La GUL souffrait de deux travers liés l’un à l’autre : l’incertitude de son coût et celle de son financement. Le coût de la GUL a fait l’objet d’évaluations controversées. On évoque un montant annuel entre 400 millions et 3 milliards d’euros suivant le taux d’effort limite retenu, la prise en compte du risque moral et l’éventuelle consolidation des dépenses pour le décideur public. Le chiffre le plus souvent avancé est de 900 millions d’euros. Ce coût devait initialement être pris en charge par une taxe de 2% sur l’ensemble des loyers ; mais des solutions alternatives suscitaient un certain intérêt, principalement le financement par le budget du ministère du Logement ou par Action Logement.
La garantie Visale est disponible depuis le mois de février 2016, enterrant ainsi la GUL. Il s’agit d’une assurance locative facultative. La garantie couvre la totalité des loyers impayés sur la durée du bail ; elle ne couvre aucun autre risque locatif, comme par exemple les dégradations occasionnées au logement. Les individus éligibles sont l’ensemble des moins de trente ans et les salariés plus âgés en emploi précaire (c’est-à-dire hors CDI confirmé). Le loyer ne doit pas excéder 1300 euros en province et 1500 euros à Paris. Le taux d’effort maximal peut aller jusqu’à 50%, et doit être compris entre 30 et 50% pour les individus en CDI. Le coût estimé de la Visale tourne autour de 300 millions d’euros, soit le tiers du coût estimé de la GUL. C’est ce qui explique pourquoi elle a rapidement eu les faveurs du gouvernement. Cependant, comme dans le cas de la GUL, l’estimation de ce coût est très incertaine dans la mesure où les effets de risque moral sont mal appréciés. En particulier, le risque de collusion entre le propriétaire et le locataire pour la fixation d’un loyer trop élevé, synonyme de défaut rationnel et de paiement du loyer par l’assureur public.
L’assurance doit être réservée aux personnes en emploi : Premièrement, l’assurance locative doit être réservée aux personnes en emploi. La GUL (du moins dans le projet initial) comme la Visale obéissent en effet à des missions contradictoires. Une mission d’assurance d’abord, où il s’agit de couvrir des locataires et des propriétaires contre des risques probabilisables ex ante. Mais aussi une mission de redistribution, où il s’agit de permettre à des ménages en situation économique très défavorable d’accéder au parc locatif privé. C’est pourquoi la GUL comme son prédécesseur la GRL mettaient sur un pied d’égalité les salariés précaires et les personnes sans emploi. Un principe de politique économique simple veut que l’on dispose d’autant d’instruments que l’on se donne d’objectifs . En l’occurrence, le but premier de l’assurance locative est de permettre à des populations aux contrats de travail moins protégés que les autres de passer la sélection du propriétaire. Il semble dès lors essentiel de se concentrer sur ce public, sans affaiblir sa situation en le rendant équivalent aux ménages sans emploi.
Une assurance obligatoire : Deuxièmement, l’assurance doit être obligatoire parmi la population ciblée. L’idée est ici d’éviter un phénomène d’anti-sélection caractérisé par la fuite des bons risques et la surreprésentation progressive des mauvais risques. Certes, les assurés ne paient pas directement pour la couverture dont ils bénéficient. Donc le phénomène semble a priori limité. Cependant, le recours à la couverture se fait sur une base volontaire. L’acte de candidater pour la couverture est ainsi porteur d’un signal sur la qualité du candidat. Il est possible que ce signal soit neutre, mais il est également possible que le signal soit négatif : l’acte de candidater révèle l’appartenance à un sous-groupe de personnes particulièrement exposées au risque de défaut. Si l’assurance n’était pas obligatoire, le danger serait alors que les individus en CDI choisissent largement de ne pas recourir à la garantie, stigmatisant davantage la population en CDD.
Le traitement juridique des conflits avec les garantis doit être mené par une entité indépendante : Il s’agit ici d’éviter un conflit d’intérêt spécifique à la qualité publique de l’assureur. Cet assureur public a pour devoir de gérer correctement l’assurance dont il a la charge. Mais il doit également aider les ménages les plus fragiles, notamment lorsque ceux-ci traversent une mauvaise passe. Le risque est alors que l’assureur public délaye les procédures juridiques. C’est en particulier le cas des procédures de recouvrement des impayés et d’éviction. L’idée est donc de transférer automatiquement la poursuite du locataire qui ne paye pas le loyer à une entité indépendante d’Action Logement. Cette entité serait rémunérée sur la base de son aptitude à récupérer les impayés, lui donnant ainsi toutes les incitations pour permettre au propriétaire de récupérer rapidement son logement, oublier le locataire indésirable, et passer au locataire suivant. Bien entendu, les ménages ainsi traités ne doivent pas être abandonnés par l’État. Leur dossier sera donc traité par les services compétents au même titre que les autres ménages en difficulté de logement. Deux observations sont ici nécessaires.
D’une part, il n’y a pas de raison de donner aux bénéficiaires de la Visale un traitement différencié des autres ménages dans une situation socio-économique similaire. Un ménage qui ne paye pas durablement son loyer n’a pas vocation à rester dans le logement, en particulier une fois le bail écoulé. D’autre part, on pourrait se demander quel est l’intérêt pour les finances publiques d’évincer de façon coûteuse des ménages du parc privé pour les reloger dans le parc social. Ce n’est pas le sujet : le problème ici est de faire comprendre à des propriétaires réticents que tout sera fait en cas de défaut de loyer pour qu’ils récupèrent les pleins droits de propriété sur leur logement.
En définitive, il nous semble donc qu’il est possible d’aller plus loin dans la réforme du marché locatif. La Visale peut être améliorée en la restreignant à un public en emploi, en la rendant obligatoire parmi les éligibles, et en confiant le recouvrement des impayés et l’éventuelle procédure d’expulsion à une entité indépendante. L’assurance locative doit aller de pair avec d’autres mesures débridant l’offre locative et déjà discutées ailleurs (voir Trannoy et Wasmer [2013] et Decreuse [2015]) : stimulation du foncier, extension des motifs de fin de bail, développement des accords à l’amiable en cas de litige. Enfin, concernant les ménages jeunes les plus défavorisés, aux plus faibles revenus et pour qui l’accès au logement dans le secteur privé semble particulièrement délicat, le parc de logements sociaux peut prendre le relai. Nous allons toutefois le voir, la régulation du parc HLM mériterait également d’être revue par souci de cohérence avec cet objectif.
HLM : à réformer !
Les modalités d’accès au parc de logements sociaux peuvent également constituer un outil mobilisable par la puissance publique pour accompagner cette insertion des jeunes, notamment les plus défavorisés. Afin qu’il puisse répondre à cet objectif, il semble néanmoins important de revoir sensiblement les dispositifs en vigueur. Nous faisons ici état des travaux de Maury [2016].
Le logement HLM en France
En France, la part des logements sociaux* dans l’ensemble du parc était de 18,74% en 2014 (source : Parc Insee-SOeS), soit 5 397 000 logements loués. Il s’agit donc d’un secteur relativement important dont la part est stable depuis une dizaine d’années et même en légère hausse depuis le début des années 1980 (où elle était de l’ordre de 16%). Dans ce secteur, les bailleurs sociaux reçoivent de l’État des avantages en échange desquels ils doivent proposer des loyers inférieurs à ceux du secteur privé. L’accès au logement social pour le ménage se fait sous conditions de ressources, ces conditions variant avec la nature du logement social (montant des aides versées au bailleur, localisation du logement et composition de la famille).
* Dans cette étude, nous incluons à la fois les HLM et les logements sociaux non HLM (ceux détenus par l’État, les collectivités locales ou des organismes publics non HLM) dans notre définition des logements sociaux. Par la suite, nous parlerons souvent de logement HLM par commodité (les HLM représentent plus de 80% des logements sociaux).
Selon diverses études, le fait de résider en HLM (ou dans le secteur social non HLM) permet à des ménages aux revenus modestes ou moyens d’améliorer nettement leurs conditions de vie et de logement. À qualité de logement comparable, les loyers sociaux sont inférieurs à ceux du secteur libre de près de 50%. Cet écart varie beaucoup avec la taille du logement et sa localisation, tout en restant toujours significatif. L’aide implicite dont bénéficient les locataires HLM varie avec la situation financière, mais reste, là encore, toujours significative (ces aides représentent 25% des revenus environ dans le premier quartile de revenus et 10% environ dans le dernier quartile).
Si l’impact positif du dispositif HLM pour ceux qui y résident est bien établi, plusieurs études ont souligné des dysfonctionnements, notamment dans le mode d’attribution des HLM. À partir de quatre vagues de l’Enquête Nationale Logement (notamment celle de 2013), nous serons amenés à plus particulièrement pointer du doigt un dysfonctionnement majeur, à savoir la faiblesse de la mobilité résidentielle dans le parc de logements sociaux, conduisant à freiner l’accès des jeunes ménages à ce type de logements.
Un parc HLM qui ne joue pas son rôle pour des jeunes ménages directement concernés par la hausse du chômage
Si la situation sociale et économique des occupants du parc HLM s’est dégradée en France (hausse du taux de chômage, difficultés à payer les loyers), tous les ménages résidant dans le parc HLM ne sont pas affectés de manière homogène. Une part importante des jeunes ménages, récemment installés en HLM, est concernée par cette précarisation : la hausse du taux de chômage est nettement plus forte pour eux et leurs revenus sont sensiblement inférieurs à ceux de ménages plus âgés ou résidant hors du parc locatif social. Le fait de bénéficier de loyers en dessous de ceux du marché et donc de pouvoir réduire nettement leur taux d’effort semble donc indispensable pour ces jeunes ménages. Or, s’il est à noter que ces ménages récemment installés (disons depuis moins de 10 ans) représentent encore plus de la moitié du parc HLM, la fraction de ménages installés de longue date dans le parc HLM a augmenté, sous l’effet d’une forte baisse des taux de mobilité résidentielle : près d’un quart des ménages locataires HLM occupent leur logement depuis au moins 20 ans en 2013. Cette catégorie de ménages, plus âgés, bénéficie de logements plus spacieux et d’une situation professionnelle relativement stable, souvent meilleure qu’une majorité de ménages locataires dans le privé.
Ce problème d’hétérogénéité des profils des ménages vivant en HLM et d’une présence de ménages « anciens occupants » relativement favorisés semble s’être accru en 2013 : on l’a mis en évidence, les taux de sortie du parc HLM n’ont jamais été aussi bas depuis 20 ans. En dépit des efforts de construction de nouveaux logements, la conséquence directe de cette baisse du taux de sortie est une baisse marquée du taux d’entrée dans le parc HLM. Ceci concerne en premier lieu les jeunes ménages qui résident aujourd’hui dans le parc locatif privé « classique » ou en sous-location. Pour cette catégorie de ménages, concernée directement par la hausse du chômage, le parc HLM ne joue donc pas son rôle d’amortisseur social.
Pour remédier à ces difficultés, la principale mesure politique actuellement en vigueur est le Supplément de Loyer de Solidarité (SLS). Le locataire doit transmettre à son bailleur social son avis d’imposition tous les ans. Si le revenu fiscal de référence du ménage dépasse les plafonds de ressources (qui dépendent de la composition du ménage, de la localisation du logement et de la nature du logement HLM) de plus de 20%, alors il doit payer le SLS. Ce système devrait permettre de compenser l’écart de loyer entre logement social et logement privé. Cependant, d’après nos estimations issues de l’ENL 2013, un nombre extrêmement faible de ménages paye en réalité le SLS : seulement 2,50% des ménages en HLM payaient le SLS en 2002 ; ils étaient 2,60% en 2013. Ces taux très bas peuvent s’expliquer par des plafonds de ressources pour l’attribution d’un logement social relativement élevés. Ainsi, hors Île-de-France, ces plafonds annuels vont de 21 562€ en PLA-I (Prêt Locatif Aidé d’Intégration, logement « très social ») à 54 586€ en PLI (Prêt Locatif Intermédiaire) pour un couple avec 2 enfants. Ces plafonds montent respectivement à 29 763€ et 89 602€ à Paris et dans les communes limitrophes de la capitale. Selon les chiffres fournis dans le PLF 2009, le pourcentage de ménages français éligibles aux logements financés en PLA-I est de 28,4%. Il est de 84,8% en PLI. Si nous tenons compte du fait que le SLS n’est dû que si les revenus du ménage dépassent ces plafonds d’au moins 20%, nous comprenons qu’une faible fraction des ménages paye effectivement le SLS.
Par ailleurs, même lorsqu’il est acquitté, le SLS ne réduit pas complètement l’écart avec un loyer de marché. Son mode de calcul est complexe (il dépend de la surface habitable du logement et de coefficients de dépassement du plafond de ressources). En outre, le loyer incluant le SLS ne doit pas dépasser un quart des ressources du ménage. À partir des données de l’ENL 2013, Maury [2016, EDHEC PP] a réalisé une estimation hédonique des loyers (privés et sociaux réunis). Le principe de cette estimation est de décomposer le loyer d’un logement en fonction de ses caractéristiques : surface, nombre de pièces, présence de salles de bain, balcon, cave, parking, localisation (département, taille de l’aire urbaine) : en travaillant avec les loyers bruts (hors charges, hors aides), il apparaît que les loyers dans le privé sont supérieurs de 49,25% aux loyers HLM (hors SLS). Au sein du parc social, les loyers incluant le SLS ne sont supérieurs que de 21,74% à ceux des loyers hors SLS. Ainsi, le SLS, quoique significatif, ne réduit l’écart privé/social que de 45% environ. Il n’est donc pas pleinement incitatif : beaucoup de ménages préfèrent s’en acquitter plutôt que de déménager hors du parc HLM.
Compte tenu de ces limites du système de SLS, il semble important d’envisager d’autres mesures pour faciliter la mobilité résidentielle à l’entrée et à la sortie du parc HLM, les jeunes ménages pouvant en être les premiers bénéficiaires.
HLM : place aux jeunes !
Une mesure moins drastique que la première pourrait consister à baisser les plafonds de ressources pour le paiement du SLS au-delà d’une certaine durée d’occupation. Ainsi, avec le système en vigueur, chaque ménage doit s’acquitter du paiement du SLS si son revenu dépasse les plafonds de 20%. Nous pourrions imaginer qu’après 10 ans d’occupation du logement HLM, le SLS doive être payé si le revenu dépasse les plafonds, et qu’au-delà de 20 ans d’occupation, il soit payé si le revenu atteint 90% des plafonds.
Une première mesure pourrait consister à revenir sur la nature indéterminée de la durée du bail dans le logement social. Par exemple, le contrat de bail pourrait spécifier une durée allant de 9 à 15 ans en fonction de la taille du logement et de sa localisation. Les baux pour les petits logements (moins de 50 m²) situés en zone tendue (Paris et commune limitrophes par exemple) pourraient être signés pour 9 ans (soit la durée d’un bail classique renouvelé deux fois) et ceux pour les grands logements situés en zone moins tendue (Grande Couronne par exemple) pourraient être signés pour 15 ans. À la fin du bail, le ménage doit quitter le logement qui accueillera un nouveau ménage. Durant le bail, le ménage aura pu bénéficier de loyers avantageux lui offrant une réelle protection contre l’incertitude professionnelle. Au-delà de 10 à 15 ans d’occupation, nos résultats montrent que cette incertitude a considérablement baissé. Un dispositif de renouvellement du bail, quand celui-ci arrive à maturité, pour les ménages en grande difficulté financière pourrait être mis en place. Cependant pour que le système ne soit pas vidé de son sens, il faudrait que ce renouvellement de bail soit basé sur des plafonds de ressources sensiblement plus bas que ceux en vigueur pour l’attribution d’un logement social.
En définitive, il y a donc un véritable enjeu à redonner de la mobilité résidentielle dans le parc HLM, principalement dans un souci de faciliter l’accès au logement pour les jeunes les plus défavorisés, et accompagner leur insertion dans la vie active. On l’a vu, il existe des outils à disposition finalement assez simples à mettre en œuvre, mais ceci nécessite une réelle prise de conscience collective et politique de cet enjeu.