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Comment penser le changement climatique ?

Riccardo Rebonato , Professor

Dans cet article, initialement publié en anglais sur le blog de Cambridge University Press, Riccardo Rebonato (EDHEC, EDHEC-Risk Climate) s'appuie sur son dernier ouvrage pour "aider le profane intéressé par ces questions à tirer ses propres conclusions sur la manière dont nous devrions relever les défis politiques posés par le changement climatique".

Temps de lecture :
25 avr 2024
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Les citoyens curieux qui s'inquiètent de l'impact potentiel du réchauffement climatique sur leur vie et celle de leurs enfants sont assaillis d'informations et de recommandations hautement contradictoires.

Peu de gens doutent encore du fait que les températures mondiales augmentent effectivement, mais, au-delà de ce niveau minimal d'accord, il subsiste des points de vue contradictoires, et souvent virulents, sur pratiquement tous les autres aspects : s'agit-il d'un phénomène anthropique, quelle peut être la gravité de ses effets, est-il trop tard pour agir, devrions-nous nous concentrer davantage sur la réduction des émissions ou sur l'adaptation, sommes-nous vraiment dans une "urgence climatique", etc. ?

Dans ce livre, j'essaie de montrer que les outils analytiques fournis par la science économique peuvent aider le profane à tirer ses propres conclusions sur la manière dont nous devrions relever les défis politiques posés par le changement climatique.

 

Ce n'est pas une mince affaire. Pour des raisons légitimes, les non spécialistes ne font pas "confiance" à la science économique comme ils font confiance, par exemple, à la physique ou à la biologie. Pourtant, malgré toutes ses limites, l'économie est un outil non seulement utile, mais indispensable pour réfléchir à ce que nous devrions faire pour limiter le réchauffement de la planète.

En effet, au cœur du "problème du changement climatique" se trouvent au moins trois caractéristiques qui sont centrales dans l'analyse économique :

  • comment allouer les ressources rares de la manière la plus efficace possible ;
  • comment remédier à ce que l'on appelle la plus grande externalité négative de l'histoire de l'humanité (qui découle du fait que ceux qui souffrent des émissions de carbone ne peuvent pas négocier de compensation) ;
  • et comment surmonter le problème dit du "passager clandestin" (free rider).

Si l'on ne comprend pas ces trois caractéristiques du changement climatique, aucun progrès substantiel ne pourra être réalisé dans la lutte contre ce phénomène. Et, pour le meilleur et pour le pire, l'économie est la seule discipline qui aborde ces aspects de manière cohérente.

 

L'idée qu'un non spécialiste puisse examiner pratiquement la manière dont nous devrions lutter contre le changement climatique à travers le prisme de l'analyse économique est ambitieuse, mais possible. En effet, le problème comporte une composante factuelle (que je présente et sur laquelle il devrait y avoir peu de désaccord) et une composante éthique et de préférence, sur laquelle le lecteur peut exprimer son propre point de vue.

Le cadre économique que j'introduis (sans formules mathématiques) fournit la structure nécessaire pour aider tout un chacun à combiner ces aspects de manière cohérente. Mon objectif à cet égard n'est pas de donner aux lecteurs des réponses toutes faites, mais de leur fournir les outils analytiques nécessaires pour qu'ils puissent se faire une opinion de manière logique et cohérente.

 

Pour ce faire, j'utilise et discute la dernière génération de modèles dits "d'évaluation intégrée" (Integrated Assessment Models). Il s'agit des modèles utilisés par les économistes pour déterminer le plan d'action qui maximise le bien-être mondial en présence des dommages infligés par le changement climatique et des coûts que sa réduction implique.

Pour comprendre comment ces recommandations sont formulées, le lecteur est initié au concept d'utilité et à la manière dont les utilités peuvent rendre compte des préférences - en pratique, de la manière dont nous sommes amenés à faire des choix dans la vie de tous les jours.

 

Après avoir défriché ce terrain conceptuel, je poursuis avec les recommandations politiques que ces modèles proposent, et les différentes solutions offertes par chacun. Le fait de s'appuyer sur ces modèles pour orienter les politiques n'est pas sans susciter la controverse. En effet, ces modèles ont été sévèrement critiqués pour être trop réducteurs, pour suggérer un calendrier de baisse des émissions trop timide ou pour nécessiter, pour toute politique de réduction décisive, un "agent altruiste" idéalisé. Cela a pu être vrai pour les modèles de la première génération. Toutefois, des développements plus récents - qui intègrent des avancées en matière de modélisation que tout économiste reconnaîtrait comme souhaitables - montrent clairement qu'il n'est pas nécessaire d'être "infiniment altruiste" (comme l'exigeait la première approche de Stern) pour approuver des mesures de réduction rapides et décisives. Dans leur version moderne, les modèles d'évaluation intégrée montrent également que le "partage du fardeau climatique" par une combinaison de mesures de réduction et d'élimination du CO2 (comme l'impliquent pratiquement toutes les trajectoires du GIEC compatibles avec l'objectif de ne pas dépasser +1,5 à +2 °C de hausse des températures) est beaucoup plus efficace que la seule réduction : il est impératif de passer rapidement des combustibles fossiles aux sources d'énergie renouvelables, mais cela n'est ni suffisant, ni efficace.

 

Plus important encore, ces nouveaux modèles montrent que la limitation d'un réchauffement maximal de +1,5 à +2 °C à la fin du siècle, conformément à l'accord de Paris, n'est pas seulement un objectif ambitieux, mais aussi, pour des ensembles raisonnables de préférences, un objectif optimal. Le lecteur peut alors décider si ces préférences correspondent suffisamment à ses propres attitudes face au risque et à la volonté d'éviter des états extrêmes - "famine" versus "festin" (telles qu'elles peuvent être déduites d'autres comportements et choix observables) - pour approuver et faire siennes les conclusions du modèle.

 

Certes, l'approche économique du changement climatique n'aborde pas de manière satisfaisante de nombreux aspects importants du problème climatique (en premier lieu, le sort prévisible des populations les plus pauvres). Cependant, nous devrions tenir compte de ses recommandations en faveur d'une réduction rapide et décisive, précisément parce que l'approche employée pour les obtenir est réductrice - je veux dire par là que les considérations qui sont mal prises en compte ou ignorées par l'analyse coût-bénéfice, si elles étaient incluses d'une manière ou d'une autre, ne feraient que rendre la politique la plus souhaitable encore plus décisive.

 

Dans ce livre, je n'aborde pas seulement l'aspect théorique du problème, mais je traite d'une série de questions de mise en œuvre, telles que le choix entre la réduction et l'élimination du CO2, la question de savoir si la réduction ou, comme certains commentateurs l'ont suggéré, l'inversion de la trajectoire de la croissance économique est une option réaliste pour limiter le réchauffement climatique, ou le rôle des marchés et de la finance dans la transition verte. Et je le fais tout en conservant la perspective économique qui sous-tend le livre.

 

Nous remercions les éditeurs de Cambridge University Press de nous avoir autorisés à reproduire cet article, qui est disponible ici dans sa version originale en anglais.

 

Références:

How To Think About Climate Change - Insights from Economics for the Perplexed but Open-minded Citizen

Riccardo Rebonato, Professeur à l'EDHEC Professor, Directeur Scientifique et de programme à l'EDHEC-Risk Climate Impact Institute

Cambridge University Press - Janvier 2024, Hardback, ISBN: 9781009405003