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Executive Briefing : Au cœur de la crise, peut-on innover contre son gré ?

La crise que nous traversons contraint les entreprises à innover de façon impérieuse. Dans des circonstances sans précédent, marquées notamment par une quasi-généralisation du télétravail, les cadres…

Temps de lecture :
3 Juil 2020
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La crise que nous traversons contraint les entreprises à innover de façon impérieuse. Dans des circonstances sans précédent, marquées notamment par une quasi-généralisation du télétravail, les cadres dirigeants et chefs d’entreprise sont au défi : quelle vision et quelle posture adopter, pour impulser l’innovation parmi leurs équipes ? Une question de leadership qui en soulève une autre, plus générale : peut-on innover avec un pistolet sur la tempe ? Et si oui : comment ? 
Par Pierre d’Huy, consultant en management de l’innovation, fondateur de PH8 Innovation consulting et intervenant dans les parcours dirigeants d’EDHEC Executive Education.

 

Cette période particulière nous invite à penser l’innovation sous un angle nouveau. D’abord parce qu’elle est désormais une injonction absolue : dans un contexte de crise, il n’y a qu’en innovant qu’une entreprise peut espérer tirer son épingle du jeu. Ensuite parce que la crise a bousculé nos organisations et nos modes de travail, notamment avec un passage massif et forcé au télétravail. Quel discours d’innovation tenir alors que s’ouvre cette nouvelle ère ? Et si l’innovation permettait aussi de remotiver une équipe fraîchement déconfinée ? Pour innover et faire innover sous haute pression, les cadres dirigeants et chefs d’entreprise n’ont d’autre choix que de se saisir du sujet et de penser leur leadership en fonction.

 

4 postures à adopter pour innover en pleine tempête

Mon expérience de 30 ans comme consultant en management de l’innovation m’a permis d’identifier 4 postures à adopter pour faire face à une telle situation : ne pas paniquer, ne pas attendre, chercher de l’aide et s’investir.

 

        « Ne pas paniquer ! » est particulièrement essentiel car la crise que nous vivons dégrade la manière dont nous communiquons habituellement : elle est donc un terrain favorable à la panique. Et la panique a précisément quelque chose de contagieux, circulant à la manière d’un virus. Pour les dirigeants, mettre l’accent sur le sang-froid, l’empathie, le feedback, la compréhension mutuelle devient essentiel. Il s’agit de préparer soigneusement ses éléments de langages et de tomber d’accord sur une narration qui pourra être appropriée par l’ensemble des équipes. Sur ce point, l’intervention TED de Liv Boeree, datant de 2018, est passionnante : elle y explique qu’un mot aussi simple que « probablement » est interprété de manière très différente selon les individus. Pour rassurer face à l’adversité et « solidariser les ébranlés », choisir soigneusement ses mots s’impose donc – le langage ne doit pas s’improviser. « Ne pas paniquer » implique par ailleurs de poser clairement ce que l’on sait et ce que l’on ne sait pas, à l’image de ces cartes du XIXe siècle qui indiquaient « Mer ou terre inconnue » à l’endroit du Pôle Nord.

 

        « Ne pas attendre », c’est être capable de trier et prioriser pour accélérer. Nous connaissons tous les systèmes d’horizons qui établissent différents temps d’innovation pour l’entreprise. L’horizon 1 correspond au core business d’aujourd’hui. L’horizon 2 représente la croissance, ce qui est améliorable à moyen-terme. Et l’horizon 3 représente le futur. En temps de crise, il faut pouvoir identifier des individus et équipes qui peuvent se comporter en explorateurs, afin d’aller directement à l’horizon 3. Il s’agit de demander à des pilotes de devenir pilotes d’essai ! Leur objectif est d’agir sans tergiverser, pour construire l’avenir dans un environnement bouleversé.

 

        Innover, c’est aussi penser en termes de cocréation – d’où l’idée de « chercher de l’aide ». Pour cela, je préconise régulièrement un dérivé du célèbre brainstorming : le « Qui-est-ce-storming ». Le « Qui-est-ce-storming », c’est s’interroger non pas sur les idées mais sur les personnes dont on a besoin pour répondre à une problématique. Il s’agit de chercher des noms – donc de l’aide – plutôt que des réponses, et ce en interne comme en externe. L’une de nos plus grandes figures de leader, le Général de Gaulle, avait bien compris cette leçon, lui qui déclara à la suite du putsch des généraux : « Françaises, Français, aidez-moi ! ». Ne pas être capable de demander de l’aide à ses équipes, c’est révéler une faille grave, un manque de proximité avec elles.

 

        « S’investir », enfin. Car il est impossible de naviguer en pleine tempête avec un leadership de surface. À chaque dirigeant de s’interroger : suis-je crédible en homme ou femme providentiel·le ? Car même si vous ne l’êtes pas, vous n’avez pas le choix : il vous revient d’incarner cette figure vis-à-vis de vos équipes. S’autoriser psychologiquement cette posture est loin d’être évident. Mais c’est la condition pour être en mesure de recadrer l’impossible : car certains systèmes d’impossibilité ne sont tels que jusqu’au moment où on les définit autrement. C’est le célèbre « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait », de Mark Twain. S’investir, c’est aussi accompagner les équipes dans la reconstruction, tel un tuteur. Dans le champ du business, l’exemple de James Dyson est particulièrement éloquent : après avoir dépensé près de 500 millions de livres dans le développement d’un projet automobile de pointe (Dyson N526), il a décidé de tout arrêter. Mettre fin à un programme aussi lourd et ambitieux tout en réimpulsant de l’énergie et de la motivation parmi les équipes nécessite un leadership et une vision hors du commun.

 

Passer à l’action avec la règle des 3P : past, people process 
Dans un contexte où l’innovation n’est plus une option mais une obligation, trois notions deviennent particulièrement incontournables : past, people, process (le passé, les personnes, et les procédés). Indissociables, ces trois piliers se nourrissent les uns les autres.

 

        Le passé, d’abord. En matière d’innovation, connaître son passé ce n’est pas seulement être capable de dresser une liste d’inventions ou d’innovations historiques. C’est chercher à comprendre quelles structures, quels systèmes d’enchaînements, quels fonctionnements successifs ont permis d’aboutir à des innovations. Car les inventions sont connectées. Dans le secteur de l’aviation, les premiers vols des frères Wright sont à inscrire dans un immense système de connexions, reliant des gens qui ont eu des idées ou qui ont émis et testé des hypothèses. Le corolaire de cette idée, c’est que l’innovation se nourrit de transmission. Ce qui semble être un paradoxe est en réalité profondément opérant. Pour être résilient et avancer vers le futur il faut connaître l’histoire de son entreprise. « Transmettre pour innover », c’est tout l’objet de la médiologie, discipline inventée par Régis Debray, que nous explorons dans la revue Medium.

 

        Le deuxième pilier de l’innovation ce sont les personnes, et la nécessité de faire confiance à l‘intelligence collective. Aux leaders de réinventer les règles de l’innovation en sortant de la caricature du visionnaire solitaire et en créant, au contraire, un espace ou chaque « tranche de génie » de chacun puisse s’exprimer et contribuer à un génie collectif. Ce nouveau leadership est profondément humble. Il s’incarne notamment dans la figure du patron de Pixar, Ed Catmull. Son nom est peu connu, pourtant il est probablement l’un des plus grands génies du leadership de l’innovation : il a laissé la place à ses équipes et les a fait collaborer pour faire émerger un génie collectif.

 

        Enfin, il n’y a pas d’innovation sans process. Innover contre son gré est possible, à condition d’expliquer précisément comment cela va se passer – en établissant notamment une timeline claire. Ensuite, de nombreuses méthodologies sont possibles, du design thinking à l’open innovation, en passant par la crowd-sourced innovation, l’agile innovation… à chacun d’identifier la plus adaptée à son organisation et à la culture de son entreprise.

 

Toutes les crises portent en elles des opportunités – l’innovation en est une, à saisir d’urgence. Aux dirigeants de prendre du recul sur leur leadership pour mieux saisir cette chance, et passer enfin à l’action.

 

Cet article est adapté d’un webinar diffusé dans le cadre des Spotlight Webinars d’EDHEC Executive Education, une série de webinars gratuits conçus pour accompagner managers et dirigeant dans cette période de crise sans précédent.

Consulter aussi les articles:

Crise du covid-19 : quel impact sur les stratégies d’entreprise ?

Executive briefing – quelles leçons de management pouvons-nous tirer du confinement ?

 

 

 

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