Par Sylvie Deffayet, Directrice de la Chaire Leadership Development, EDHEC Business School
Parmi la masse de travaux académiques qui étudient le leadership sous toutes ses formes, il en existe une assez faible part qui sintéresse au followership. Il est vrai que le terme est peu attractif. Il sagit pourtant de comprendre ce qui se passe du point de vue du « follower ». Comment aborde-t-il/elle la relation dautorité ? comment reconnait-il de lautorité à son manager ou à toute personne représentant une autorité ? Les chercheurs en followership étudient donc les théories implicites du leadership, ces croyances personnelles, propres à chaque collaborateur, qui impactent tout autant la relation managériale que le style de leadership adopté par le manager. Examinons lune de ces paires de lunettes que sont nos modèles internes dautorité pour éprouver la pertinence de cette approche.
Rapports « insécurisés » à l’autorité
Nous navons na pas attendu lentreprise pour vivre des relations dautorité. Nous abordons donc nos premiers supérieurs hiérarchiques (et les suivants) avec des a priori, le plus souvent inconscients, sur ce que cette relation peut nous apporter ou pas.
Ces présupposés sont une synthèse réalisée à partir de nos premières relations dautorité. Lautorité et tous ceux qui lincarnent sont alors vécus, soit comme source de sécurité, de développement et dautonomie, soit comme source dinsécurité.
La psychologie clinique avec la théorie de lattachement (Bowlby, 1969), ainsi quune typologie plus récente appliquée au management (Kahn et Kram, 1994) permettent didentifier ces « modèles internes dautorité » chez chacun : parmi les personnes qui ont une théorie personnelle dite insécurisée, on trouve deux variantes :
- La croyance du collaborateur dépendant est que le titre et le statut ont une valeur très importante. Cest une personne qui met laccent sur la hiérarchie et les différences de statut, idéalise lautorité et ses représentants. Ce type de rapport à lautorité conduit à prendre peu dinitiatives et à préférer se raccrocher aux règles et rôles hiérarchiques. Il sagit dun profil particulièrement « obéissant », un collaborateur qui a tendance à saccrocher véritablement à la relation dautorité, cest-à-dire à son manager. Parce quil a besoin de beaucoup de proximité, il va vérifier régulièrement quil fait bien ce que lon attend de lui, quitte à parfois lasser le manager quand ce besoin est trop important.
- A lopposé, le collaborateur contredépendant a intégré la croyance quil ne peut avoir vraiment confiance dans laide des figures dautorité. Pour lui lautorité et ses représentants sont suspects et il faut sen méfier ; il rejette fréquemment les différences de statut et dénie limportance de la hiérarchie. Dans toute une vie professionnelle, il nest pas rare quaucun n+1 ne trouve grâce à ses yeux. Les managers trouvent ce profil de collaborateur plus difficile à « encadrer » et pour cause…. Limportant est de comprendre pour ces managers que leur qualités ou efforts de leader nest pas en cause : cest chez le follower que cela se passe.
Si ces deux premiers modèles sont une version « insécurisée » du rapport à lautorité, ils sont parfaitement solubles dans lentreprise. Simplement, le premier trouvera son bonheur dans des environnements où la hiérarchie et les règles sont présentes, alors que le second sarrangera très bien de modalités en « freelance » de la relation dencadrement (ce que permettent aisément les modes dorganisation par projet par exemple).
Développer la confiance
Pour le collaborateur interdépendant, lautorité managériale est une nécessité mais il a intériorisé la croyance que lautorité est un véritable processus déchange. Il a expérimenté des relations dautorité où les autres sont disponibles, apportant des réponses et de laide. Cela le rend confiant dans une forme dexploration intrépide du monde.
Ce collaborateur-là nhésite jamais à confier ses doutes, peurs, avis différents avec toute personne incarnant la hiérarchie dune entreprise car il est sûr dêtre bien accueilli et écouté (sans pour autant présumer de ce qui sera fait de ses avis bien sûr).
Bien sûr, il nexiste pas de modèle « pur » mais simplement des modèles dominants ; ceux-ci peuvent évoluer au contact de relations hiérarchiques « significatives ».
Nos recherches semblent indiquer que des réponses managériales inadéquates (ou « accidents dautorité ») peuvent être utilisés par les collaborateurs « insécurisés » pour renforcer leur croyance dans leurs modèles internes, alors quau contraire un management qui active linterdépendance tend à pousser ces modèles vers une version réellement développante pour lautonomie du collaborateur.
« Dis moi comment tu diriges, je te dirais comment tu obéis »
Pour le Self-Leadership, la manière dont nous accordons de la légitimité à lautre nous renseigne également sur la manière dexercer notre leadership ou notre autorité.
Le manager dépendant est souvent très soucieux de préserver à tout prix la relation et la proximité, quitte à sacrifier ou oublier des éléments plus objectifs liés à la tâche à accomplir. Cest en général un manager très humain et il le revendique.
Le manager contre-dépendant lui préfère investir très peu la relation (il y perdrait son indépendance) de sorte quil parait plus froid, voire un brin arrogant. On pourrait dire quil nest pas passionné par le lien, persuadé quon ne peut compter que sur soi-même.
Quant au manager interdépendant, il est celui qui est dans une posture daccueil et de confiance inconditionnelle dans lautre, dans une juste distance (ni trop loin ni trop proche), mais existe-t-il vraiment ?