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Spotlight – Pratiques managériales : comment la pensée paradoxale permet un leadership agile

Camille Pradies, PhD enseigne un concept encore relativement récent mais passionnant à l’aune des questions de leadership et d’agilité organisationnelle. Dans cet article, elle explique en quoi il s’agit d’une manière de réfléchir innovante qui facilite la prise de décision et comment la pensée paradoxale fait évoluer les pratiques managériales. 

Temps de lecture :
7 déc 2021

Parmi les nombreux intervenants de l' Executive Master Business & Management, Camille Pradies, PhD., enseigne aux participants un concept encore relativement récent mais passionnant à l’aune des questions de leadership et d’agilité organisationnelle : la pensée paradoxale. Qu’est-ce que cette expression renferme et en quoi s’agit-il d’une manière de réfléchir innovante facilitant la prise de décision ? Comment la pensée paradoxale fait-elle évoluer les pratiques managériales et renforce-t-elle le leadership ? Camille Pradies nous explique tout.

 

Le leadership est un terme tellement employé qu’il peut être galvaudé. De quoi parle-ton exactement, qu’entend-on nous par leadership ?

Prof Camille Pradies, EDHEC

Camille Pradies : L’acception du terme a beaucoup évolué avec le temps et la recherche. Au début, le leadership était un trait de personnalité et il s’exprimait au travers d’attributs que l’on pourrait définir comme des attributs de genre masculin : la taille, la masculinité, l’extraversion, etc. Aujourd’hui, on s’intéresse plus au processus d’influence, c’est-à-dire à l’interaction entre un leader et des followers. La définition que propose Peter Northouse (Leadership – Theory and Practice, Sage, 2015) est celle que je recommande : "un processus par lequel un ou plusieurs individus influencent un groupe d’individus en but d’atteindre un but commun."

Bien définir le leadership est d’ailleurs essentiel pour en percevoir tous les possibles ; si c’est un "jeu d’influence", il laisse la porte ouverte à de très nombreux comportements pour atteindre son objectif.

 

A quels types de comportements et pratiques managériales pensez-vous ?

Pour exercer au mieux son leadership, le manager peut choisir des comportements et processus variés, comme donner des objectifs motivants et ambitieux, faire preuve d’empathie, inviter à réfléchir "out of the box". Mais au-delà de cette palette de comportements, il faut comprendre que le leadership se situe à l’intersection d’une situation particulière, avec des individus particuliers et le leader. Cette situation particulière exige de l’agilité : le leader doit pouvoir jongler avec tous les comportements. C’est là que la pensée paradoxale est un outil essentiel.

 

Qu’est-ce que la pensée paradoxale ?

C’est une manière de se poser les questions différemment. Encore faut-il identifier les paradoxes… Nous avons tendance à envisager nos choix comme des bons ou des mauvais choix, sous un angle qui nous fait voir nos options comme contradictoires. Parmi les pratiques managériales, un manager peut, par exemple, se demander s’il doit être empathique envers ses équipes ou "au contraire" mettre l’accent sur la productivité. A titre individuel, il est courant de se demander si on veut performer dans son travail ou être un parent attentif. D’autres peuvent être tiraillés entre le besoin d’être authentique et alignés avec leurs valeurs d’un côté, et le fait de jouer le jeu politique pour évoluer. Ce sont des paradoxes. Selon la définition de Smith et Lewis élaborée en 2011, un paradoxe doit répondre à 3 critères : ce sont des éléments contradictoires, interreliés et qui persistent dans le temps. J’utilise souvent la métaphore de la respiration : l’inspiration et l’expiration sont des éléments contradictoires, interreliés et persistants – on espère ! Cette comparaison permet déjà d’entrevoir l’intérêt de la pensée paradoxale : il ne viendrait à l’idée de personne de se passer de l’un ou de l’autre. C’est donc qu’il peut exister une solution dans laquelle "inspiration" et "expiration" coexistent.

 

La pensée paradoxale est-elle une volonté de ne rien abandonner ?

La comparaison avec la respiration s’arrête là. La pensée paradoxale nous permet simplement de poser le problème différemment. Ce n’est pas A ou B, mais plutôt chercher ce qui dans A et dans B m’est essentiel et comment faire pour les préserver, les atteindre, les développer.

Prenons l’exemple d’un comité stratégique qui veut, d’ici 5 ans, libérer l’entreprise, comme cela se fait beaucoup en ce moment, c’est-à-dire donner de l’agilité, de l’autonomie aux collaborateurs. En se centrant sur ce changement, cette entreprise risque d’oublier, ou même d’identifier comme un problème, ce qui a fait son succès dans le passé, à savoir sa structure, sa hiérarchie. Si on voit la structure comme un problème et l’autonomie comme la solution, on a une vision resserrée des choses et on peut imaginer que cette solution ne tiendra qu’un temps, avec des burn outs à la clé et des équipes qui ne savent plus qui fait quoi. La théorie des paradoxes nous enseigne à ne pas voir un problème et une solution, mais un paradoxe à gérer et donc prendre les éléments qui sont bénéfiques à la fois dans la hiérarchie et dans la libération.

 

Alors c’est une forme de compromis ?

En réalité, la pensée paradoxale nous invite à aller au-delà du compromis car on va chercher à atteindre A et B et à optimiser les deux options. Par exemple, un manager peut décider de constituer une équipe A et une équipe B chargées chacune de creuser leur sujet sans compromis justement. La pensée paradoxale est en réalité un moyen d’éviter les consensus mous.

 

Comment peut-on la mettre en place et adapter ses pratiques managériales ?

Il existe des techniques que j’enseigne à mes étudiants dans le cadre du Cycle Supérieur de Management, la formation diplômante pour manager d’EDHEC Executive Education. Par exemple, la technique d’intégration consiste à écrire de manière aléatoire sur une feuille de papier ce que nous apporte chacun des deux éléments contradictoires identifiés. Il faut ensuite retravailler les éléments tangibles et les négations afin d’avoir une liste la plus précise possible de ce dont on a vraiment besoin, de ce qui compte vraiment pour nous. La troisième étape consiste à donner un score de 1 à 5 à chacun de ces items, et de ne conserver au final que les top scores : en regardant les critères les plus importants, on peut commencer à se demander quelles options s’offrent à nous. On peut "intégrer" – trouver une solution qui intègre les paradoxes – ou "séparer" – opter pour des solutions complémentaires. Par exemple, si parmi mes critères importants j’ai identifié que j’avais besoin de me réaliser en créant mon entreprise et que je voulais garantir à ma famille une sécurité financière, je peux "intégrer" grâce à l’intrapreneuriat ou "séparer" en demandant un 4/5 pour dégager un jour par semaine à mon projet entrepreneurial.

 

En quoi la pensée paradoxale sert-elle le leadership ?

Comme nous l’avons vu, la pensée paradoxale permet d’ouvrir sa créativité, de réfléchir différemment, d’avoir des idées pour trouver de nouvelles solutions. Cette capacité intellectuelle est une forme d’agilité aujourd’hui plus que jamais fondamentale, une évolution profonde de la pensée et des pratiques managériales. Elle est très rassurante pour les équipes, parce que face à un problème qui semble insoluble, le leader a des solutions et les moyens de les expliquer, de les défendre. Parce qu’il aura posé les idées et scoré les critères, il sera convaincant. C’est le propre du leadership.

Par ailleurs, pratiquer la pensée paradoxale permet de prendre conscience qu’il y a de la valeur dans ce que les autres pensent. Cette méthodologie peut devenir une philosophie au service du management : au sein d’un collectif, une personne qui pratique la pensée paradoxale peut facilement faire le lien et aider à alterner entre les solutions d’intégration et de séparation.

 

Existe-t-il des profils plus à l’aise avec la pensée paradoxale ?

La recherche montre en effet que nous ne sommes pas tous égaux et que certains profils, certaines cultures même, comme la culture asiatique fondée sur les équilibres des forces comme le yin et yang, sont plus ouverte à la pensée paradoxale. Mais tout le monde peut apprendre, développer cette façon de penser et faire évoluer ses pratiques managériales. Cela se travaille, à travers de nombreux exercices, mais c’est tout à fait accessible. Il ne faut simplement jamais oublier qu’on gère un paradoxe mais qu’on ne le résout pas !

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