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Comprendre pourquoi les consommateurs pourraient choisir le luxe circulaire

Arne De Keyser , Professor

Dans cet article, Arne De Keyser, professeur à l'EDHEC, présente ses dernières recherches (1) sur les raisons pour et les moyens par lesquels les consommateurs pourraient être incités par l'industrie du luxe à "valider" des démarches de circularité.

Temps de lecture :
21 oct 2025
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L'industrie de la mode est responsable d'environ 2 à 8 % des émissions mondiales de carbone (2) et figure parmi les plus gros consommateurs d'eau au monde, ce qui en fait l'un des secteurs les plus polluants. De plus en plus de voix s'élèvent pour demander à cette industrie de prendre des mesures significatives afin de réduire son empreinte carbone, y compris dans le secteur de la mode de luxe, où la circularité pourrait faire partie de la solution.

Mais comment sensibiliser les consommateurs aux principes de l'économie circulaire dans l'industrie du luxe, alors que ces deux termes peuvent sembler à première vue antinomiques ? Arne De Keyser (EDHEC) et ses coauteurs* partagent dans cette article leurs principales réflexions (1).

 

L'engagement des consommateurs : la voie vers le luxe circulaire

While there is broad consensus that consumption is a key driver of climate change, transitioning to a more circular economy remains a central challenge for the fashion industry in general. The latter has been criticized for being wasteful and unsustainable, often associated with overproduction - estimates suggest that between 80 and 150 billion garments (3) are made yearly, of which 10-40% remain unsold (4), rapid trend cycles, and significant resource consumption. Events like fashion weeks have also drawn scrutiny due to their large carbon footprints and environmental impact.

S'il existe un large consensus sur le fait que la consommation est un facteur clé du changement climatique, la transition vers une économie plus circulaire reste un défi majeur pour l'industrie de la mode en général. Cette dernière a été critiquée pour son gaspillage et son caractère non durable, souvent associés à la surproduction - selon les estimations, entre 80 et 150 milliards de vêtements (3) sont fabriqués chaque année, dont 10 à 40 % restent invendus (4) -, à des cycles de tendance rapides et à une consommation problématique de ressources. Des événements tels que les semaines de la mode ont également fait l'objet d'une attention particulière en raison de leur empreinte carbone élevée et de leur impact sur l'environnement.

 

Si l'on se concentre sur l'industrie de la mode de luxe, le concept de luxe circulaire apparaît rapidement comme une option présentant un potentiel éthique et durable certain. Certaines maisons de luxe et certains détaillants ont commencé à prendre des mesures en faveur de la circularité et de la durabilité. Par exemple, en 2021, la maison de mode italienne Valentino est devenue la première grande marque à lancer un programme de rachat et de revente d'articles Valentino d'occasion dans certaines boutiques. De même, des détaillants tels que Neiman Marcus et Nordstrom se sont associés à la Fondation Ellen MacArthur pour faire avancer les initiatives en matière de mode circulaire. Au-delà des programmes de revente et de reprise, plusieurs marques expérimentent également des matériaux plus durables, notamment le cuir végétalien et les emballages recyclés.

 

Cependant, une véritable percée dans le domaine de la mode circulaire dépend de l'engagement des consommateurs (1), qui peut être défini comme la motivation intrinsèque des consommateurs à adopter le luxe circulaire, tant sur le plan des attitudes que des comportements.

 

Concilier durabilité et luxe

À certains égards, la durabilité remet en question le luxe traditionnel (5). Par exemple, l'utilisation de matériaux recyclés ou alternatifs peut amener certains consommateurs à s'interroger sur la qualité ou le caractère unique d'un produit. Cela s'explique en partie par le fait que le luxe est depuis longtemps associé à la rareté, au savoir-faire artisanal et à l'exclusivité.

Plus précisément, la promotion de la durabilité peut amener les consommateurs à penser que les produits de luxe perdent leur exclusivité, ce qui les conduit à percevoir ces produits comme moins luxueux.

 

Dans le même temps, les préoccupations relatives à l'éthique et à la durabilité dans le secteur du luxe semblent s'intensifier. Par exemple, les milléniaux et les jeunes consommateurs sont plus enclins que les générations précédentes à considérer le luxe comme incompatible avec la durabilité (6), même si cela ne les empêche pas nécessairement d'acheter des produits de luxe. Une récente enquête (7) a révélé que sept acheteurs de produits de luxe sur dix en Europe (six sur dix aux États-Unis) considèrent que l'adoption de politiques de luxe durables est très importante ou assez importante.

 

Les étapes vers un luxe circulaire

Cette recherche d'Arne De Keyser et de ses co-auteurs montre que l'engagement des consommateurs envers le luxe circulaire peut se manifester de plusieurs façons. 

Plus précisément, sur la base d'une série d'entretiens approfondis avec des consommateurs de luxe circulaire, trois types différents de parcours d'engagement ont été identifiés : les parcours sensibles au prix (le prix étant le facteur le plus important qui motive les consommateurs à acheter des articles de luxe d'occasion), les parcours axés sur l'unicité (l'achat d'articles de luxe d'occasion comme moyen pour les clients d'affirmer leur style de vie) et les parcours axés sur la durabilité (l'achat d'articles de luxe d'occasion motivé par le souci de l'impact de la mode sur l'environnement et la fierté qui en découle).

 

Ces parcours ne sont pas nécessairement statiques. Ils peuvent évoluer au fil du temps, reflétant la nature dynamique de l'engagement des consommateurs envers le luxe circulaire.

En effet, les motivations initiales (telles que l'accessibilité financière ou le désir d'unicité) peuvent s'étendre à des préoccupations plus altruistes, les consommateurs accordant de plus en plus d'importance aux aspects durables de leurs achats. Ceux qui s'intéressent d'abord au luxe circulaire pour des raisons économiques déclarent souvent développer au fil du temps un engagement plus profond en faveur de la durabilité, transformant progressivement leur parcours d'engagement. Au lieu d'avoir "honte" du luxe circulaire, comme c'est le cas au début lorsqu'ils s'engagent dans un parcours motivé par le prix, ils commencent à se sentir fiers et capables de s'intégrer lorsqu'ils achètent des articles de luxe d'occasion.

 

Les multiples raisons de la circularité dans la consommation de luxe

Ce papier de recherche montre qu'il existe diverses raisons qui poussent les consommateurs à s'intéresser aux produits de luxe d'occasion. Les marques de luxe qui souhaitent adopter des pratiques plus durables doivent en prendre conscience et comprendre que si la durabilité est un facteur important, elle n'est pas toujours la principale motivation des consommateurs. Les marques doivent plutôt adapter leurs stratégies marketing afin de répondre à un éventail plus large de motivations des consommateurs, telles que l'accessibilité financière ou le désir de posséder des articles vintage uniques.

 

La nature dynamique des parcours d'engagement implique également que les motivations des consommateurs peuvent évoluer au fil du temps, en particulier à mesure qu'ils se familiarisent avec les pratiques circulaires du luxe. Par conséquent, les marques de luxe doivent développer des pratiques et des stratégies qui non seulement répondent aux motivations initiales, mais orientent également les consommateurs vers des mentalités plus axées sur la durabilité. En aidant les consommateurs à dépasser la consommation basée sur le statut social pour prendre en compte les impacts sociétaux plus larges de leurs achats, les marques peuvent jouer un rôle central dans la promotion de modes de consommation plus responsables.

 

Comme l'a dit la créatrice de mode Stella McCartney : « Nous pensons que l'avenir de la mode est circulaire : il sera réparateur et régénérateur par nature, et les vêtements que nous aimons ne finiront jamais à la poubelle. » (8) Dans les années à venir, cette vision devrait devenir plus qu'un simple idéal. Elle commence déjà à transformer l'industrie du luxe et de la mode.

 

* Jonas Holmqvist (Kedge Business School), Charlène Berger (Total Energies) et Katrien Verleye (Ghent University)

 

Références

(1) Holmqvist, J., Berger, C., De Keyser, A. and Verleye, K. (2025), Luxury in the Circular Economy: An Engagement Journey Perspective. J Consumer Behav, 24: 1486-1497 - https://doi.org/10.1002/cb.2460

(2) UN Alliance aims to put fashion on path to sustainability (2018) - https://unece.org/forestry/press/un-alliance-aims-put-fashion-path-sustainability

(3) Md Shamsuzzaman, Mazed Islam, Md. Abdullah Al. Mamun, Rishad Rayyaan, Kazi Sowrov, Saniyat Islam, Abu Sadat Muhammed Sayem, Fashion and textile waste management in the circular economy: A systematic review, Cleaner Waste Systems, Volume 11, 2025, 100268 - https://doi.org/10.1016/j.clwas.2025.100268

(4) WGSN x OC&C Report: Doing more with less - https://lp.wgsn.com/WGSN-OCC-Report.html

(5) Marie-Cécile Cervellon (EDHEC): “In this turbulent period, brands are compelled to reconsider what “luxury” truly means” (2025), EDHEC Vox - https://www.edhec.edu/en/research-and-faculty/edhec-vox/marie-cecile-cervellon-turbulent-period-brands-compelled-reconsider-what-luxury-truly-means

(6) Kapferer, JN., Michaut-Denizeau, A. Are millennials really more sensitive to sustainable luxury? A cross-generational international comparison of sustainability consciousness when buying luxury. J Brand Manag 27, 35–47 (2020) - https://doi.org/10.1057/s41262-019-00165-7

(7) Kantar x Altiant study: The new aspirations of young luxury customers (April 2025) - https://luxus-plus.com/en/kantar-x-altiant-study-the-new-aspirations-of-young-luxury-customers/

(8) Stella Mc Cartney - https://www.stellamccartney.com/gb/en/sustainability/circularity-2.html

 

 

Photo by Harper Sunday via Unsplash