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L'obligation de diligence raisonnable des entreprises dans l'union européenne : un pas en avant prometteur pour les entreprises

Björn Fasterling , Professor

Face au manque d'intégration du devoir de diligence raisonnable dans les opérations régulières des entreprises. La Commission européenne a annoncé un projet de loi...

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21 juin 2021
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Les affaires, c’est l’affaire des entreprises, et on ne peut rien y faire. Eh bien, pas toutà fait. Ce n’est pas le cas lorsque les activités commerciales contribuent à la destruction de l’environnement, promeuvent les violations des droits de l’homme ou déstabilisent les gouvernements démocratiques légitimes. Le mois de juin 2021 marque le 10 e anniversaire de l’adoption à l’unanimité par le Conseil des droits de l’homme des Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme (UNGP), qui ont fait du devoir de diligence raisonnable un moyen pour les entreprises de concrétiser leurs responsabilités sociales en matière de respect des droits de l’homme. Le devoir de diligence raisonnable en matière des droits de l’Homme signifie essentiellement qu’une entreprise doit prendre toutes les mesures nécessaires, adéquates et efficaces pour identifier et évaluer leurs effets négatifs réels et potentiels sur les droits de l’Homme dans l’ensemble de ses chaînes de valeur ; prévenir, atténuer ou mettre fin à ces incidences ; suivre et surveiller l’efficacité des actions qu’elle a entreprises ; et être redevable de ses actions devant la population. En outre, les entreprises sont tenues de remédier aux préjudices qui ont eu lieu. Les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales ont intégré le concept de devoir de diligence raisonnable des Nations Unies et élargi la portée de cette dernière à d’autres questions telles que la protection de l’environnement et la lutte contre la corruption.

Un projet de législation européenne

Bien que les UNGP et leur intégration dans les directives de l’OCDE représentent une avancée majeure dans les efforts visant à prévenir et à remédier aux abus liés au monde des affaires, ces instruments restent des normes extra-juridiques. De plus, malgré le bon accueil que leur ont fait les entreprises, seules quelques-unes ont pris des mesures concrètes pour intégrer le devoir de diligence raisonnable dans leurs opérations régulières. Face à des résultats aussi décevants, certains pays ont introduit une législation rendant obligatoire le devoir de diligence raisonnable, comme la France avec la loi relative au devoir de diligence raisonnable (loi du 27 mars 2017 relative au devoir de diligence raisonnable des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre) ou le « Lieferkettengesetz » allemand qui devrait entrer en vigueur en 2023.

C’est maintenant l’Union européenne qui va entrer dans l’arène. La Commission européenne a annoncé un projet de loi pour cet été. La Commission doit examiner un texte ambitieux relatif au devoir de diligence raisonnable qui a été proposé par le Parlement européen en amont. En mars 2021, ce texte a été soutenu par une large majorité – la résolution du Parlement a été adoptée par 504 voix contre 79, avec 112 abstentions. Au vu de la majorité considérable s’étant exprimé en faveur de l’obligation de diligence raisonnable, la Commission européenne a clairement pour mission de proposer une loi qui imposerait aux entreprises de s’acquitter d’une obligation de diligence raisonnable. Elle ne peut se permettre de faire des compromis quant à l’application des obligations de diligence raisonnable par le biais de sanctions adéquates, d’obligation de responsabilité civile et de contrôle étatique. Par conséquent, le projet de loi doit aller plus loin que les législations allemande et française, qui, à mon avis, souffrent de la faiblesse de leurs dispositions d’application. Toutefois, il se pourrait bien que la Commission doive rédiger un texte qui s’écarte légèrement de la proposition du Parlement européen, ce dernier ayant été fortement inspiré par les Nations unies.

Questions de sécurité juridique

Les critiques à l’encontre du texte du Parlement européen, pour la plupart, ne contestaient pas l’idée de l’obligation de diligence raisonnable, mais plutôt sa mise en application. Rappelons que les sanctions, initialement présentes dans la loi française sur le devoir de diligence raisonnable, ont été écartées par le Conseil constitutionnel français pour des raisons de sécurité juridique : pour que leurs violations soient punies par la justice, les obligations doivent être précisément définies. Aujourd’hui, des critiques similaires sont formulées contre le texte européen, notamment par le European Company Law Experts Group dans son commentaire du 19 avril 2021. Cette objection révèle les difficultés de la transposition des normes d’inspiration idéaliste en matière de devoir de diligence raisonnable telles que les principes de l’ONU dans le droit général. La force de ces dernières réside dans la souplesse et le pragmatisme de ses concepts opérationnels, qu’illustrent bien des termes comme « utiliser l’effet de levier », « intégrer les conclusions », « directement liés » ou « impact négatif sur les droits de l’Homme ». Bien que ces concepts fournissent une méthode suffisamment claire pour piloter le devoir de diligence raisonnable, ils ne sont pas assez précis au regard du droit public. Un devoir de diligence raisonnable qui figure dans un texte à caractère idéaliste est une méthode de gestion des risques exclusivement tournée vers l’avenir, alors que dans le cadre juridique, l’obligation de diligence raisonnable est d’une tout autre nature. En effet, elle devient dans ce cas-là une règle par rapport à laquelle l’exécution des obligations est appréciée au moyen d’une évaluation a posteriori des faits en vue d’imputer les conséquences juridiques de tout manquement à celles-ci. Pour relever ce défi, la proposition du Parlement de l’UE utilise plusieurs solutions de contournement, grâce à plusieurs annexes permettant de déterminer la portée précise de la responsabilité, par exemple. De toute évidence, le principe de sécurité juridique exige que les obligations soient formulées précisément, à défaut de quoi leur effet juridique est nul. Le problème est qu’une fois que ces concepts sont plus étroitement cernés, ils risquent de ne plus être des outils opérationnels flexibles et pragmatiques, utiles à la gestion, ce qui faisait tout leur intérêt. Si l’obligation n’est pas appuyée la culture d’entreprise et n’est pas suffisamment prise au sérieux par la direction d’une entreprise, l’obligation de diligence raisonnable de l’entreprise pourrait au contraire devenir trop normative et épaissir les couches bureaucratiques, ce qui irait à l’encontre du but recherché. C’est la raison pour laquelle les organes législatifs doivent être très prudents lorsqu’ils réglementent les systèmes de contrôle de gestion, comme le devoir de diligence raisonnable. L’obligation de diligence raisonnable doit, d’une part, demeurer suffisamment souple pour qu’un système de diligence raisonnable puisse être adapté à la taille d’une entreprise, aux modèles d’entreprise et au secteur industriel. D’autre part, l’obligation doit être accompagnée d’un mécanisme punitif qui fait peser sur les entreprises une responsabilité réelle pour les obliger à établir des processus de diligence raisonnable efficaces.

Une opportunité pour les entreprises

Il ne fait aucun doute que l’introduction du devoir de diligence raisonnable sera coûteuse, tant pour les entreprises que pour l’État. Néanmoins, les injonctions présentent des avantages indéniables s’agissant de créer des conditions de concurrence équitables. En outre, pour s’acquitter de leur obligation de diligence raisonnable, les entreprises devront concevoir de nouveaux processus de gestion et établir de nouvelles structures de gouvernance qui pourraient se traduire par une expansion de leurs capacités analytiques. Par exemple, les réglementations existantes relatives au devoir de diligence raisonnable en vigueur dans l’Union Européenne (les réglementations dites « Bois » et « Minerais de conflit ») imposent aux entreprises la consolidation ou le développement de systèmes d’information leur permettant d’accroître leur connaissance des chaînes de valeur dans lesquelles elles œuvrent. Lorsque le droit prescrit la diligence raisonnable, la mobilisation des technologies et des nouvelles méthodes de gouvernance, comme la traçabilité scientifique des produits ou les registres distribués, deviennent des solutions plus intéressantes. De plus, les législations relatives au devoir de diligence raisonnable exigent généralement que les entreprises se rapprochent des parties prenantes qui pourraient subir les conséquences de leurs activités. Un dialogue régulier avec les parties prenantes et la prise en compte de leurs avis rendue possible par les dispositifs de résolution de litiges des entreprises permettent aux entreprises d’apporter une solution en amont à un problème potentiellement grave lié à ses activités commerciales, bien avant qu’il ne dégénère en vif antagonisme, voire en crise. 

Je dirais même que l’introduction d’une obligation de diligence raisonnable dans l’UE marquerait un tournant historique dans la manière dont le droit accompagne le progrès des entreprises. Jusqu’aujourd’hui, le droit privé avait tendance à aider les propriétaires d’entreprises à s’assurer de la pleine jouissance de la richesse générée par l’activité commerciale, tout en les dédouanant des responsabilités vis-à-vis des risques de préjudices potentiels pour les personnes et l’environnement découlant de ces activités. Cet état de fait tient essentiellement au régime de responsabilité limitée et du droit contractuel, qui ont tous deux encouragé les entreprises à adopter une stratégie de délégation et à créer des montages de groupe élaborés. Si ces méthodes ont protégé les propriétaires des risques, elles ont également déresponsabilisé les entreprises quant à la situation des chaînes de valeur de leurs produits et services. Un régime d’obligation de diligence raisonnable à l’échelle de l’UE exigerait des entreprises qu’elles prennent en compte les risques de préjudice, dont elles se sont lavé les mains par le passé. En d’autres termes, le risque de préjudice s’imposerait comme une préoccupation opérationnelle d’importance stratégique pour le monde des affaires. La prévention du risque deviendrait une activité de gestion on ne peut plus régulière. Cela serait le salut de tous, y compris des entreprises.

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