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Pourquoi le coût financier du dérèglement climatique est-il (largement) sous-estimé ?

Riccardo Rebonato , Professor
Lionel Melin , EDHEC Climate Institute Associate Researcher

Dans cet article, Riccardo Rebonato, professeur à l'EDHEC, directeur de recherche et senior advisor à l'EDHEC Climate Institute (ECI), revient sur un article novateur (1), coécrit avec Dherminder Kainth et Lionel Melin (ECI), dans lequel ils évaluent dans quelle mesure la valeur des actions mondiales peut être considérablement affectée à la fois par les dommages physiques causés par le climat et par les coûts de transition.

 

Temps de lecture :
18 Aoû 2025
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Les pertes en valeur des actions mondiales pourraient dépasser 40 % si aucune mesure n'est prise pour maîtriser le changement climatique. C'est la conclusion marquante d'un article intitulé « How Does Climate Risk Affect Global Equity Valuations ? A Novel Approach », que mes coauteurs et moi-même avons publié (1) dans le cadre de l'EDHEC Climate Institute.

 

En 2023, le Forum économique mondial avait estimé le coût du changement climatique entre 1 700 milliards et 3 100 milliards de dollars par an d'ici 2050 (2). Mais qu'en est-il de son impact sur la valeur boursière mondiale ? Et comment l'évaluer ?

 

Dans notre article (1), nous adaptons de manière innovante des techniques d'évaluation établies afin d'évaluer dans quelle mesure la valeur des actions mondiales peut être affectée à la fois par les dommages physiques causés par le climat et par les coûts de transition.

 

Ce sujet est important non seulement pour les investisseurs, mais aussi pour les autorités de surveillance prudentielle, qui doivent comprendre comment les actifs sensibles au climat peuvent se déprécier et, ce faisant, compromettre la liquidité et la solvabilité des établissements et menacer la stabilité financière.

 

L'impact inattendu du changement climatique

Quel serait donc l'impact du changement climatique sur les prix des actifs ? Pour répondre à cette (vaste) question, l'EDHEC Climate Institute a combiné des techniques d'évaluation des actions avec une version améliorée d'un modèle d'évaluation climatique intégré. L'objectif était d'estimer l'effet des dommages physiques liés au climat et des coûts de transition sur la valeur des actions mondiales.

 

L'étude révéle que l'impact des risques physiques sur la valorisation des actions mondiales peut être considérable. Cela est particulièrement vrai dans un monde proche des « points de basculement climatiques » (3), qui sont des seuils critiques dont le dépassement peut entraîner une forte augmentation des températures. Cependant, il n'est pas nécessaire que ces points de basculement soient proches pour que les actions subissent des pertes importantes.

 

La différence de valorisation des actions par rapport à un monde sans dommages climatiques dépend principalement de trois facteurs clés :

1. De l'agressivité de la politique de réduction des émissions (plus la réduction est lente, plus la réévaluation à la baisse est importante).

2. De la présence ou non de points de basculement proches. Pour rappel, un point de basculement est un seuil critique qui pourrait entraîner des changements importants et souvent irréversibles dans le système climatique.

3. De la mesure dans laquelle les banques centrales sont capables et disposées à baisser les taux en cas de difficultés économiques.

 

Cette évaluation repose sur une approche entièrement probabiliste, qui place l'incertitude économique et climatique au centre des préoccupations et tient compte à la fois des risques liés à la transition et des risques physiques, c'est-à-dire les dommages directs résultant d'un changement climatique non atténué.

 

Le résultat donne à réfléchir, même dans le cas de choix de modélisation prudents. La différence entre les valorisations boursières d'un monde sans dommages climatiques et d'un monde avec des dommages climatiques peut varier de moins de 10 % si des mesures rapides sont prises, à plus de 40 % dans le cas où aucune mesure n'est prise ou presque. En présence de points de basculement climatique, cet écart passe de moins de 10 % pour une réduction forte des émissions à plus de 50 % dans le cas d'une réduction très faible.

 

Il est intéressant de noter que, quels que soient les paramètres choisis, les politiques de réduction des émissions ont un impact très limité sur l'évaluation de la valorisation.

 

Une approche innovante

De plus en plus d'entreprises et d'institutions financières procèdent à des évaluations prospectives de leur exposition aux impacts potentiels du changement climatique. Par exemple, la conformité aux recommandations du Groupe de travail sur les informations financières liées au climat (TCFD) (4) exige(rait) la divulgation des impacts dans un scénario aligné sur l'Accord de Paris (réduction importante des émissions) et dans un scénario de statu quo (émissions élevées).

Les fournisseurs d'analyses destinés aux investisseurs proposent des outils permettant de traduire les évolutions climatiques caractérisant un scénario en indicateurs au niveau des actifs, tels que l'impact potentiel sur la valeur des actifs. En règle générale, ces outils fournissent une estimation unique pour l'indicateur, sur la base de la réalisation du scénario sélectionné.

 

Cependant, cette approche ne tient pas compte de l'incertitude considérable qui entoure le changement climatique et son impact (5). Certains investisseurs ont été critiqués pour avoir publié des analyses basées sur ces outils, qui suggéraient que leurs portefeuilles ne seraient que marginalement affectés, même dans des scénarios de températures élevées qui posent des défis existentiels à nos sociétés.

 

Il est temps de changer les outils d'analyse de scénarios et d'évaluation tenant compte du climat. À cette fin, ce travail de recherche a adopté une approche descendante, intégrant l'actualisation dépendante de l'état (une caractéristique souvent négligée dans l'évaluation) et l'analyse des coûts de transition et des dommages physiques. De cette manière, nous pouvons comprendre comment les niveaux d'activité économique, influencés par les impacts climatiques, affectent les taux d'intérêt.

 

Que pouvons-nous faire ?

Comme nous l'avons vu, des politiques solides de lutte contre le changement climatique, conformes à l'objectif de 2 °C fixé par l'Accord de Paris, pourraient limiter la réévaluation à la baisse des actions à 5-10 %. En revanche, si aucune mesure urgente n'est prise, même en l'absence de changements irréversibles, la correction de la valorisation des actions mondiales pourrait atteindre 40 %. Il convient de noter que les points de basculement exacerbent les chocs sur la valorisation des actions, mais ne sont pas nécessaires pour que des pertes substantielles sur les actions se produisent.

 

Le changement climatique a des répercussions importantes et diverses sur l'environnement. Il constitue également une source majeure de risques financiers. En enrichissant les scénarios climatiques, nous les rendons plus concrets et plus informatifs pour ceux qui orientent les investissements vers des projets et des technologies liés au climat. Il s'agit là d'un levier essentiel pour une gestion efficace du changement climatique.

 

Références

(1) How Does Climate Risk Affect Global Equity Valuations? A Novel Approach (2024) Riccardo Rebonato, Dherminder Kainth, Lionel Melin. EDHEC Climate Institute - https://climateinstitute.edhec.edu/publications/how-does-climate-risk-affect-global-equity-valuations-novel-approach

(2) Climate change is costing the world $16 million per hour (2023) World Economic Forum - https://www.weforum.org/stories/2023/10/climate-loss-and-damage-cost-16-million-per-hour/

(3) "Un point de basculement est un seuil qui, lorsqu'il est franchi, entraîne de grands changements, souvent irréversibles, qui modifient qualitativement l'état ou l'évolution d'un système" - https://fr.wikipedia.org/wiki/Points_de_basculement_dans_le_syst%C3%A8me_climatique

(4) Task Force on Climate-related Financial Disclosures - https://www.fsb-tcfd.org/

(5) Quels problèmes posent les scénarios climatiques, et comment les résoudre ? (2024) Riccardo Rebonato. The Conversation / EDHEC Vox - https://theconversation.com/quels-problemes-posent-les-scenarios-climatiques-et-comment-les-resoudre-234099

(6) The Paris Agreement, United Nations Climate Change - https://unfccc.int/process-and-meetings/the-paris-agreement

 

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