Entretien avec Arnaud Billion « Le chercheur doit casser des verrous théoriques pour donner du sens à la compliance de l’IA »
Professeur associé en droit de l’informatique à l’EDHEC Business School et chercheur à l’EDHEC Augmented Law Institute, Arnaud Billion revient sur son parcours à la croisée du droit, de la recherche et de l’innovation technologique. À travers le programme de recherche « Compliance, intelligence artificielle et droit », il explore les conditions d’une gouvernance juridique et éthique de l’IA, et prépare le 5e Colloque PRESAJE 2026, dédié aux nouveaux modèles de responsabilité associés à l'IA.
Votre parcours croise la recherche académique, la pratique du droit et l’univers de l’innovation technologique. Quelles ont été les étapes déterminantes qui vous ont conduit à vous spécialiser dans le droit du numérique et de l’intelligence artificielle ?
Très marquante a été ma rencontre, lorsqu'il m'a recruté, avec Patrick Albert, un des pionniers de l'IA en France. Ensemble nous avons fondé un centre d'études collaboratives, qui apportait à la fois éminence scientifique et capacité d'interaction avec notre écosystème... un schéma, somme toute, très proche de celui d'EDHEC Augmented Law Institute. Mon travail sur le droit appliqué à l'IA provient de mon engagement dans l'IBM Academy of Technology et d'une discussion avec le directeur mondial du copyright de cette société, qui s'est montré enthousiaste au vu de mon projet de thèse. Ainsi, on peut dire que mon travail de recherche est né dans un environnement industriel.
Qu’est-ce qui vous a motivé à rejoindre l’EDHEC Business School en 2025 et à développer vos travaux de recherche au sein de l’EDHEC Augmented Law Institute ?
J'avais depuis quelques années une activité d'enseignement soutenue en particulier dans des écoles d'ingénieurs et des business schools. L'enseignement est rapidement devenu pour moi une seconde nature, avec ce défi : suis-je capable d'enseigner ce que je crois comprendre ? Comme un test de véridiction. J'ai reconnu dans l'équipe de Christophe Roquilly [ndlr directeur de l'EDHEC Augmented Law Institute] un esprit de coopération et de recherche au service d'une innovation juridique durable.
Vous portez le programme de recherche « Compliance, intelligence artificielle et droit » au sein de l’EDHEC Augmented Law Institute. Pouvez-vous nous en présenter la philosophie générale et les grandes orientations ?
Oui, il devient manifeste que le droit du numérique est devenu un facteur d'affirmation sur le plan géostratégique, en même temps qu'un principe d'organisation et que la dernière émergence d'une juridicité, presque post-moderne pourrait-on dire. Du côté de l'IA, il est passionnant de faire la part des narratifs et des principes technologiques. La rencontre de ces domaines constitue un véritable clash notionnel, qu'il est urgent d'éclairer pour que les entreprises et les citoyens puissent poser des choix conscients des réalités sous-jacentes.
En quoi ce programme contribue-t-il à faire dialoguer les mondes de la recherche, de la pratique juridique et de l’entreprise pour construire une approche partagée de la conformité numérique et de l’IA ?
Nous ne pouvons pas avancer en recherche sans une validation opérationnelle du terrain entrepreneurial ; d'autre part, tous ces développements doivent s'opérer sous le regard du législateur et du juge, appelant un véritable alignement démocratique et institutionnel. C'est donc un champ nécessairement ouvert.
Quelles perspectives ce programme ouvre-t-il pour repenser la place du juriste à l’ère de l’IA ?
L'IA vient comme un révélateur de l'avenir du juriste dans un monde outrancièrement mécanisé. Si nous voulons conserver des institutions vivantes, il nous faut dégager les conditions opérationnelles de validité des propositions juridiques, les conditions sous lesquelles des juristes compétents, loyaux et motivés pourront faire correctement leur travail.
Dans le cadre de ce programme de recherche, vous organisez, en janvier 2026, le 5e colloque PRESAJE “Faits de l’IA : quels droits de la responsabilité ?”. En quoi, cet événement peut-il contribuer à vos travaux ? Quels en sont les objectifs et les thématiques centrales ?
Nous avons sollicité une grande diversité de chercheurs de plusieurs disciplines et tâchons d'accompagner au long terme leur réflexion sur cette question. Nous allons particulièrement travailler les modèles de responsabilité juridique de l'IA, dans cette perspective opérationnelle puisque des praticiens participeront également aux travaux.
Ainsi donc, nous appuyant sur une description réaliste des faits (en n'oubliant pas les incidences systémiques de l'IA), sur l'environnement culturel et financier (puisque "IA" est un terme largement utilisé pour déclencher des mécanismes d'achat peu raisonnées) nous tâchons de mettre à plat les différentes manières dont se pose la question de la responsabilité. C'est un préalable nécessaire, pensons-nous au futurs travaux de la Commission européenne qui s'apprête à remettre sur le métier l'harmonisation même partielle de cette thématique.
Cet événement réunira magistrats, avocats, chercheurs et entreprises. Quels objectifs poursuivez-vous à travers lui : faire dialoguer ces différents acteurs, nourrir le débat public ou faire émerger des pistes concrètes pour une gouvernance juridique et éthique de la compliance de l’IA ?
Oui, tous ces aspects sont bien présents, mais je veux insister sur les pistes concrètes pour la compliance. Cette dernière à première vue semble être une accumulation d'exercices formels sans grande cohérence... mais je suis convaincu que notre incapacité à lui donner du sens est directement liée à un état de l'art de la recherche juridique, encore trop faible. Le chercheur doit d'urgence casser des verrous théoriques pour que la compliance de l'IA devienne un véritable outil stratégique au service d'une performance durable et d'une gouvernance démocratique.
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S’inscrire au Colloque « Faits de l’IA : quels droits de la responsabilité ? », le 9 janvier 2026 – 9h30 à 18h00, EDHEC Business School à Paris