L’Agora a reçu le climatologue Jean Jouzel
Jean Jouzel, un scientifique émérite et militant
Le paléoclimatologue Jean Jouzel est venu mardi 1er février à l’Auditorium Crédit Mutuel Nord Europe de l’EDHEC, sur le campus de Lille, pour répondre aux questions des étudiants de l’Agora sur le climat.
Scientifique de renom, Jean Jouzel est diplômé de l’Ecole supérieure de chimie industrielle de Lyon, docteur en sciences physiques et entre au CEA de Saclay en 1968. Il est nommé en 2002 vice-président du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) dont la mission est d’évaluer, à chacun de ses cycles, l'état des connaissances les plus avancées relatives au changement climatique.
Jean Jouzel a une volonté depuis toujours : faire en sorte que les travaux scientifiques deviennent compréhensibles pour le plus grand nombre. Mission réussie lors de cette conférence ouverte à tous et à toutes sur le Campus de l’EDHEC à Lille.
Les contributions de Jean Jouzel sont également militantes, à l’instar de ses publications ‘Le Climat : jeu dangereux : dernières nouvelles de la planète’ en 2007 ou de sa participation à la publication ‘Les Armes de la transition – l’intelligence collective au service de l’écologie’ en 2021.
La réalité du réchauffement climatique
La conférence a débuté par un billet d’humeur particulièrement poétique et percutant présenté par Charles Ruquet, étudiant en Master et membre de l’Agora, qui s’est exprimé à la première personne, dans le rôle de la planète Terre.
Les étudiantes Carla Michel et Manoelle Grenier en charge du débat sont allées directement au cœur du sujet en demandant à Jean Jouzel si nous avions assez conscience de la réalité du réchauffement climatique. Jean Jouzel a répondu par un rappel des 4 principaux enseignements du 6ème rapport du GIEC du 9 Août 2021 :
- Le réchauffement climatique que notre planète vit depuis le début du 20ème , à savoir une hausse de 1,1 degrés, est attribué entièrement aux activités humaines.
- Si nous ne faisons rien, c’est une hausse de 4 à 5 degrés à laquelle l’humanité devra se confronter. Pour Jean Jouzel ‘Ne rien faire n’est pas une solution’.
- Les événements extrêmes que nous vivons aujourd’hui correspondent à ce qui a été anticipé dans les rapports du GIEC depuis les années 2000. Jean Jouzel évoque les récentes canicules de plus de 50 degrés au Canada, les pluies torrentielles en Belgique et en Allemagne, les sécheresses et les cyclones intenses. Ces événements, liés aux activités humaines et associés au réchauffement de la planète vont devenir de plus en plus extrêmes.
- L’Accord de Paris a instauré une limitation, celle de ne pas dépasser les 2 degrés, voire 1,5 degrés de hausse de température moyenne, pour atteindre la neutralité carbone à horizon 2050 et éviter, entre autres, l’élévation du niveau de la mer ou la disparition des coraux. Pus de 80 pays ont annoncé suivre cet objectif, dont la France, l’Europe, les Etats-Unis, et la Chine pour 2060.
L'éducation et l’action des futurs professionnels
Pour le scientifique, « L’éducation est au cœur de la transition. Les jeunes sont davantage touchés par cette éducation environnementale, ils commencent à y être sensibilisés, de la primaire à la terminale. »
Une des nouvelles missions de l’Enseignement Supérieur est de former à la transition écologique au sens large. Cette mission s’applique également dans la formation continue pour toucher les générations qui ont moins été instruites à ce sujet.
Les étudiants ont posé des questions concernant la finance durable, enseignée notamment à l’EDHEC. Pour Jean Jouzel, il y a une réelle prise de conscience du secteur de la finance, ainsi que du secteur agricole, des assurances, de l’immobilier et des transports. Jean Jouzel observe une proportion croissante de personnes de ces secteurs impliquées dans la transition, et remarque que le défi se situe davantage dans l’engagement du reste de l’entreprise dans les prises de décisions stratégiques.
Jean Jouzel a précisé l’importance également des médias, des conférences, des débats, pour informer le plus grand nombre, mais également des cercles familiaux et amicaux. Le scientifique s’est adressé directement aux étudiants présents : « Collectivement, nous devrions prendre des mesures pour que votre génération puisse s’adapter au réchauffement climatique qui est désormais inéluctable. La seule façon qu’on ait de s’y adapter, c’est qu’il soit limité. Cela relève de la décision politique. Il faut viser une neutralité carbone à horizon 2050. C’est ce qui devrait vous occuper au cours des 30 prochaines années.»
L'action des états et des sphères privée et professionnelle
La communauté scientifique est écoutée et consultée par les gouvernements, mais pour Jean Jouzel ‘Il y a un fossé entre les objectifs affichés par les pays, et les réalités’.
Pour le scientifique, tout le monde à un rôle à jouer. En premier lieu, les états doivent se placer dans un cadre international et promouvoir des accords ambitieux. La mission est difficile, mais c’est au rôle de l’état de décliner ces accords en lois, en normes. « Un grand nombre de décisions importantes sont également à caractère régional. Il faut que les régions prennent à bras le corps les réalités du changement climatique. »
Il doit y avoir également une continuité entre la sphère privée et les activités professionnelles. Pour Jean Jouzel « Pas un secteur d’activité ne peut se dire ‘le réchauffement climatique, ce n’est pas mon problème’ ». Le scientifique a rappelé les principaux secteurs émetteurs : le transport, le logement, l’urbanisme et l’alimentation.
Le climatologue observe moins de climato scepticisme aujourd’hui, mais un manque crucial de solidarité internationale et le risque de laisser penser que les gouvernements sauront faire face aux catastrophes naturelles quand elles se présenteront.
Accords de Glasgow, de Kyoto, de Copenhague, de Paris : Jean Jouzel détaille dans cette conférence les échecs et les réussites de la communauté internationale pour atteindre l’objectif de neutralité carbone à 2050. ‘Je suis convaincu que celui [Etats-Unis, Europe, Chine ou Inde] qui prendra le leadership dans la lutte contre le réchauffement climatique, prendra aussi le leadership économique de cette planète.’
Jean Jouzel a répondu aux questions de l’Agora et du public concernant la période électorale actuelle : ‘‘J’ai le regret qu'il n’y ait pas eu pour l’instant beaucoup de débats autour de l’écologie au sens large." Et d'ajouter: ''Je pense que l’écologie doit faire partie de la stratégie de tous les partis’.
En conclusion, le climatologue a répondu aux questions techniques sur les énergies renouvelables, et sur le capitalisme en général : « Je crois en une croissance différente, et à l’innovation. Ce sont les inégalités inhérentes au capitalisme qui sont gênantes. La transition écologique sera sociale ou ne sera pas. Le capitalisme actuel ne prend pas en compte les externalités négatives […]. Il peut y avoir une non-croissance du PIB, sans une véritable décroissance de la qualité de vie et de la qualité des emplois : c’est ce qu’il faut atteindre selon moi. Il faut changer de comportement collectivement me semble-t-il.»
Une conférence d’utilité publique, rendue possible par le travail précis et documenté des étudiants de l’Agora, et un public concerné.
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