Comment de nouveaux modèles dans l'enseignement supérieur pourraient (réellement) favoriser la transition écologique ?
Dans cet article, Thomas B. Long, professeur associé à l'EDHEC, et ses coauteurs, expliquent comment les établissements d'enseignement supérieur peuvent aller au-delà de la recherche et de l'éducation pour devenir des catalyseurs d'activités durables. Ils basent leurs réflexions, entre autres, sur l'initiative North Sea Sustainable Innovation Challenge (NSSIC).
Alors que nous continuons à franchir les limites planétaires et que la nécessité d'une transition "net positive" se fait de plus en plus pressante, l'attention se porte principalement sur les décideurs politiques, les entreprises et les start-ups technologiques. Ce sont les « suspects habituels », les principaux acteurs du changement dans le modèle standard. Mais ne négligeons-nous pas l'un des acteurs les plus discrets et les plus puissants de la transition vers la durabilité ?
Les acteurs de l'enseignement supérieur, c'est-à-dire les universités et les écoles de management, longtemps considérés comme des tours d'ivoire de l'éducation et du savoir, ont discrètement mais sûrement façonné un nouveau modèle au cours des dernières années, dans lequel ils deviennent des agents actifs du changement, en particulier dans les régions qui en ont le plus besoin.
Une étude récente co-rédigée par des chercheurs de l'EDHEC Business School, de l'Université libre de Bolzano-Bolzano et de l'Université internationale de Monaco met en lumière la manière dont ces institutions peuvent aller au-delà de la recherche et de l'éducation pour devenir des catalyseurs d'activités durables, grâce notamment à l'entrepreneuriat (1).
La "troisième mission" : les établissements d'enseignement supérieur, moteurs de la transformation
Traditionnellement, les universités et les écoles de management se sont concentrées sur deux missions fondamentales : la recherche et l'enseignement. Leur « troisième mission » est moins connue. Elle fait référence au rôle des établissements d'enseignement supérieur dans la promotion d'un impact sociétal au-delà du monde universitaire, en s'engageant auprès de la société et en reliant les besoins de l'économie, des communautés et des territoires locaux.
S'appuyant sur cette idée, un mouvement croissant développe actuellement un modèle élargi de cette troisième mission, qui promeut non seulement l'entrepreneuriat en général, mais aussi un entrepreneuriat qui respecte et régénère les écosystèmes locaux et enrichit les communautés.
Le fait que les universités et les écoles soutiennent et encouragent l'entrepreneuriat n'est pas nouveau. Cependant, l'attention croissante accordée au développement régional et aux contextes plus complexes témoigne du potentiel de ces nouveaux modèles.
Par exemple, dans le cadre de nos recherches, nous avons exploré le potentiel de ce nouveau modèle dans la région de la mer du Nord, qui couvre un ensemble de zones naturelles protégées et culturellement sensibles. Cela inclut la mer des Wadden, un site classé au patrimoine mondial, où la biodiversité, le patrimoine culturel et les moyens de subsistance ruraux doivent être soigneusement équilibrés. Cette région souffre d'investissements inégaux, de l'exode des jeunes générations et des menaces climatiques. Elle abrite également des communautés très fières, qui peuvent être réticentes aux interventions descendantes, ce qui rend d'autant plus importants les acteurs ancrés dans le territoire et sensibles à leur environnement. C'est dans ce contexte qu'est intervenue la « troisième mission » de l'université.
Notre recherche documente le « North Sea Sustainable Innovation Challenge » (NSSIC) (2), un programme de soutien mené par l'université, qui a travaillé avec des entrepreneurs locaux pour développer des idées business régénératrices, allant du tourisme durable à l'agriculture à faible impact. Au-delà du financement ou du mentorat, le programme a créé un espace où les idées pouvaient mûrir, être remises en question et gagner en légitimité.
Les institutions comme connecteurs, pas seulement comme créateurs
L'une des conclusions les plus marquantes est que les participants ont déclaré que l'université ne se contentait pas d'enseigner, mais qu'elle aidait à ouvrir des portes. Dans les communautés côtières très soudées, il n'est pas facile d'entrer en contact avec les décideurs, les autorités publiques ou les groupes de conservation. Mais les universités sont souvent considérées comme des intermédiaires neutres et légitimes, capables de mettre en relation les talents entrepreneuriaux avec les autorités locales et la société civile.
En d'autres termes, l'université devient un facilitateur, qui encourage l'innovation locale (au « niveau micro »), tout en influençant les institutions établies, telles que les autorités locales et les entreprises existantes (« niveau secteur »), et en répondant à des pressions ou des tendances plus larges, telles que le changement climatique (« niveau paysage »).
Du greenwashing à la vérification sur le terrain
Alors que de nombreuses entreprises s'empressent de peaufiner leurs références écologiques, des initiatives telles que le NSSIC constituent un contrepoids puissant au greenwashing. Il ne s'agit pas de programmes sophistiqués de compensation carbone conçus pour les tableaux de bord ESG, mais souvent d'initiatives plus locales, plus connectées, ancrées dans la communauté et l'écologie.
En fait, l'un des participants a choisi d'abandonner son idée après que les autorités locales lui ont fait remarquer qu'elle pourrait faire plus de mal que de bien. Être prêt à dire non au nom du bien-être à long terme est une leçon importante dans les efforts visant à développer la durabilité.
Brian van Es, étudiant en master au Campus Fryslân, est un exemple de réussite. Il a utilisé le programme pour présenter et lancer une entreprise d'éco-comptabilité afin d'aider les petites entreprises locales à s'y retrouver dans le paysage complexe des labels écologiques, des financements et des pratiques de développement durable. Combinant son expérience en comptabilité et son expertise en entrepreneuriat durable, Brian souhaitait devenir un guichet unique pour les entrepreneurs cherchant à gérer des entreprises à la fois rentables et respectueuses de l'environnement.
Bien que de nombreuses institutions se soient déjà sérieusement engagées à intégrer la durabilité dans leurs activités et leur pédagogie, y compris celles auxquelles les auteurs sont affiliés, cette étude offre un aperçu de la manière dont elles pourraient aller encore plus loin.
Imaginez un modèle dans lequel les universités et les écoles de management ne se contentent pas de façonner l'avenir de la stratégie, de la finance et de l'entrepreneuriat, mais coordonnent activement leurs actions avec les gouvernements locaux, les groupes de citoyens et les communautés marginalisées de leur région et de toute l'Europe. Imaginez qu'elles jouent un rôle fédérateur dans l'action climatique régionale, au lieu de se contenter de l'analyser.
Par exemple, le lancement récent par l'EDHEC du Centre for Net Positive Business (3) et du Centre for Responsible Entrepreneurship (4) marque une évolution significative dans cette direction. Ces centres vont au-delà des mesures traditionnelles de la réussite universitaire et intègrent activement la pensée positive nette et l'innovation responsable dans l'ADN de l'enseignement et du soutien à l'entrepreneuriat et à l'innovation.
Dernières réflexions
À une époque où les objectifs climatiques sont en train de s'effriter et où la confiance dans les institutions est ébranlée, les universités et les écoles de management peuvent sembler être des "héros" improbables. Mais grâce à leurs racines profondes, leur capital de connaissances, leurs réseaux riches et leur pouvoir de mobilisation, elles pourraient bien être la force la plus radicale dont nous disposons.
La transition vers la durabilité ne se fera pas uniquement grâce à des applications ou à des compensations. Elle sera le fruit de réseaux de solidarité, de coordination et de courage, et de plus en plus, d'organisations prêtes à s'engager dans les multiples défis du monde.
Références
(1) Buzzao, G., Long, T. B., & Argade, P. (2025). Sustainable entrepreneurship support programs in nature-protected areas: How universities third mission aids sustainability transitions. Business Strategy and the Environment, 34(2), 1643–1668. https://doi.org/10.1002/bse.4050
(2) Long et al. (2022) White Paper - https://www.waddensea-worldheritage.org/sites/default/files/2022_Innovation%20challenge%20white%20paper.pdf
(3) See the EDHEC Centre for Net Positive Business - https://www.edhec.edu/en/research-and-faculty/centres-and-chairs/edhec-centre-for-net-positive-business
(4) See the EDHEC Centre for Responsible Entrepreneurship - https://www.edhec.edu/en/research-and-faculty/centres-and-chairs/edhec-centre-for-responsible-entrepreneurship
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