Rémy Estran-Fraioli - Scientific Climate Ratings (an EDHEC Venture): « Après des mois de travail, ce lancement marque une ambition claire : apporter des analyses et solutions concrètes aux secteurs de la finance et de l'assurance »
Dans cette interview, Rémy Estran-Fraioli, CEO de la nouvelle venture de l'EDHEC - la première agence de notation entièrement dédiée à la quantification de l'impact financier des risques climatiques - présente les origines du projet, sa mission et ses ambitions.
Quel sujet, jusqu’à présent non couvert, Scientific Climate Ratings (an EDHEC Venture), traite-t-elle au bénéfice des investisseurs et des fournisseurs d’indices & de données ?
Nous avons lancé Scientific Climate Ratings (an EDHEC Venture) (SCR) car, malgré l'accélération des risques climatiques, la plupart des décisions financières continuent de les ignorer ou de les considérer comme des préoccupations vagues et/ou non financières (1). Les infrastructures, en particulier, sont très exposées en raison de leur long cycle de vie et de leur dépendance à leur "bon état physique" pour assurer leur rentabilité. Cependant, les notations existantes sont souvent trop génériques, trop qualitatives ou déconnectées des indicateurs financiers (2).
Une partie du problème provient de l'écosystème ESG lui-même. Les fournisseurs ESG (et les scores qu'ils produisent) ont tendance à tout regrouper – gouvernance, questions sociales et facteurs environnementaux – le climat ne représentant qu'une petite partie du « E », qui est déjà en réalité seulement « un tiers » de l'ensemble. En conséquence, le climat est souvent mis de côté ou dilué, et son importance financière n'est pas correctement évaluée (3) (4).
Notre objectif est de combler cette lacune en traduisant la science du climat en notations prospectives et utiles à la prise de décision, notations qui quantifient la matérialité financière, conformément à l'esprit et à la culture de l'EDHEC Business School, qui s'intéresse à ces questions depuis de nombreuses années (5).
Nous ne nous contentons pas d'identifier les risques, nous quantifions leur coût potentiel dans le temps selon différents scénarios, offrant ainsi transparence et rigueur aux investisseurs, aux entreprises et aux pouvoirs publics. Nous avons commencé par analyser et noter plus de 6 000 actifs d'infrastructure dans 25 pays et 35 secteurs. En 2026, nous prévoyons d'élargir notre approche afin d'analyser l'importance financière des risques liés au climat pour plus de 5 000 grandes entreprises cotées en bourse à travers le monde.
Comment décririez-vous la spécificité de votre venture et sa mission ?
Tout d'abord, elle est ancrée dans l'EDHEC et son incroyable écosystème scientifique dans le domaine de la finance et de la finance climatique (6). Le lien intellectuel entre les différentes initiatives historiques que sont l'EDHEC Risk Institute et Scientific Beta, et désormais l'EDHEC Climate Institute (7) et l'EDHEC Infrastructure and Private Assets Research Institute (EIPA), est une force pour nous : nous sommes entourés de chercheurs et de conseillers et partageons nos efforts avec d'autres entités internes.
Cela nous permet d'agir rapidement et influence notre approche, ainsi une grande partie de notre travail, de nos outils et de nos notations sont accessibles à tous (8) – des données plus détaillées et une expertise plus approfondie pouvant être achetées par les professionnels et les investisseurs.
Notre contribution principale - par rapport aux autres acteurs du secteur - réside à la fois dans le périmètre couvert et le format proposé. Les scores ESG sont souvent généraux et combinent un large éventail d'éléments sociaux et de gouvernance qui affaiblissent la clarté du "signal climatique". Même les fournisseurs de données climatiques se limitent, la plupart du temps, à l'exposition aux risques ou aux estimations des émissions, sans établir de lien avec l'impact financier.
Nous faisons trois choses différemment.
Tout d'abord, nos notations se concentrent exclusivement sur le risque climatique et son impact financier. Nous proposons deux types de notations clés. La première, appelée « Potential Climate Exposure Ratings (PCER) », mesure l'exposition actuelle des entreprises aux risques climatiques futurs, sur la base du scénario le plus probable compte tenu des politiques mondiales actuelles. Ces notations PCER, disponibles en ligne, vont de A (le moins exposé) à G (le plus exposé), ce qui permet des comparaisons cohérentes. Le second type, appelé « Effective Climate Risk Ratings (ECRR) » va plus loin. Ces notations-ci intègrent des données climatiques dans des modèles d'évaluation financière afin d'estimer l'impact que pourraient avoir ces risques sur la valeur liquidative (NAV - Net Asset Value) d'une entreprise d'ici 2035 et 2050. Ces notations ECRR vont également de A à G et incluent une estimation en dollars de l'impact attendu, offrant ainsi aux parties prenantes un indicateur financier clair sur lequel s'appuyer.
Ensuite, contrairement aux modèles traditionnels de type « what-if » qui regardent uniquement des scénarios extrêmes tels que la neutralité carbone ou une catastrophe climatique, l'approche ECRR évalue un large éventail d'avenirs possibles, chacun avec des probabilités attribuées. Cela nous permet d'estimer les résultats financiers probables, et pas seulement les risques théoriques. Ce travail s'appuie notamment sur les recherches novatrices de Riccardo Rebonato, professeur à l'EDHEC, directeur de recherche et senior advisor à l'EDHEC Climate Institute, et de ses coauteurs (9).
Enfin, nous défendons le fait que le risque climatique ne se résume pas à l'exposition. Il dépend également de la vulnérabilité d'une entreprise et de sa capacité d'adaptation. C'est pourquoi nos notations prennent en compte les stratégies spécifiques des entreprises en matière de décarbonisation et de résilience, en s'appuyant sur la base de données ClimaTech de l'EDHEC Climate Institute (10). Pour chaque type d'infrastructure, cette base de données identifie les stratégies pertinentes et évalue leur efficacité, tant en termes de réduction des émissions que de limitation des dommages physiques. Cela permet de garantir que nos notations reflètent les efforts réels déployés pour gérer le risque climatique.
Pourriez-vous expliquer pourquoi vos notations son « fondées sur la science », et en quoi elles fournissent des orientations concrètes ?
« Fondées sur la science » (science-based) signifie que nos notations s'appuient sur des modèles climatiques évalués par le système de peer-reviewing, (ndlr: evalués par les pairs) sur des projections de risques mondialement reconnues, notamment celles du GIEC et de Copernicus, ainsi que sur des fonctions de dommages économiques largement utilisées et validées par la communauté académique. À l'aide de scénarios prospectifs issus du NGFS, nous traduisons les risques physiques et de transition en pertes financières attendues selon différents scénarios : transition ordonnée, transition désordonnée et absence de transition. Ces risques sont intégrés dans des cadres d'évaluation financière, ce qui garantit qu'ils sont reflétés avec précision dans la performance attendue des actifs.
Le projet ClimaTech (10) est un élément central de notre méthodologie. Cette base de données se distingue par la profondeur des recherches scientifiques et techniques sur lesquelles elle s'appuie. Elle rassemble les connaissances issues de plus de 240 sources, notamment des études universitaires, des articles techniques, des analyses sectorielles et des rapports spécialisés. Cette solide base factuelle garantit que nos ajustements liés aux stratégies de décarbonation et de résilience sont complets et fondés sur des données scientifiques.
En résumé, chaque étape de notre méthodologie, depuis les données climatiques prospectives jusqu'à la modélisation de scénarios, l'évaluation financière et l'ajustement des notations, repose sur des travaux scientifiques. Et ce n'est pas seulement une étiquette. Cela se reflète dans l'équipe elle-même : ainsi, tous les membres de notre direction sont titulaires d'un doctorat en finance ou en climatologie. Cela peut sembler anecdotique, mais dans un secteur parfois dominé par les opinions et le "bruit", nous pensons que cela a son importance. Cela souligne notre engagement en faveur de la rigueur analytique et de l'intégrité méthodologique.
Quelles tendances clés ressortent à ce stade de votre travail et auxquelles les investisseurs dans les infrastructures notamment devraient être particulièrement attentifs ?
Tout d'abord, il est clair que le risque climatique est très granulaire et spécifique à chaque actif. Deux infrastructures situées dans le même pays, voire dans la même ville ou la même rue, peuvent être exposées à des niveaux très différents. Des facteurs géographiques mineurs, tels que la proximité de l'eau, les systèmes de drainage locaux ou l'élévation du sol, peuvent entraîner des écarts significatifs en matière de risque physique, en particulier pour les aléas tels que les inondations. Cette variation s'observe non seulement d'un secteur à l'autre, mais aussi au sein d'une même catégorie d'actifs. Il ne suffit plus de dire que « les aéroports sont vulnérables » ou que « les ports sont exposés » : les spécificités dépendent de l'actif, de son emplacement et des conditions auxquelles il est confronté. C'est pourquoi une analyse scientifique au niveau des actifs est essentielle pour prendre des décisions éclairées.
Ensuite, le risque de transition va au-delà des émissions directes. Par exemple, les aéroports peuvent avoir une empreinte carbone opérationnelle relativement faible, certains étant même proches de zéro, mais ils restent très vulnérables aux changements systémiques (politiques climatiques, comportement des consommateurs, réglementations, etc.). Il est essentiel de comprendre l'exposition tout au long de la chaîne de valeur.
Enfin, la résilience peut être un facteur décisif (11). De nombreuses infrastructures ont déjà mis en place des mesures d'adaptation solides, telles que des digues, des murs de protection contre la mer, des dispositifs de défense contre les inondations ou des conceptions résistantes aux tempêtes, mais ces efforts sont souvent négligés dans les analyses financières actuelles. Nos notations abordent cette question en quantifiant à la fois les coûts de l'inaction et les avantages de l'adaptation, grâce à des estimations des pertes évitées dans différents scénarios climatiques. Cela permet aux investisseurs de mieux évaluer la valeur financière des stratégies de résilience, qui pourraient modifier considérablement les profils de risque dans les années à venir.
Ensemble, ces analyses soulignent la nécessité de dépasser les hypothèses générales au niveau sectoriel pour passer à des évaluations détaillées des risques climatiques au niveau des actifs.
Comment allez-vous mesurer votre impact sur l'évaluation financière, la gestion ou encore la transparence associée aux risques climatiques ?
L'idéal pour nous serait de pouvoir faire évoluer la norme du marché : passer du silence ou d'une reconnaissance vague du risque climatique à sa prise en compte systématique dans les prix (12).
Nous mesurerons notre impact de deux manières principales : dans quelle mesure nos notations sont adoptées, c'est-à-dire utilisées dans les décisions d'investissement, de prêt et de gestion des risques à travers le système financier ; à quelle fréquence nos analyses entraînent des changements concrets, tels que des investissements des émetteurs dans la résilience, l'amélioration de la publication d'informations ou la correction par le marché des risques mal évalués.
Nous surveillerons les signaux indiquant des changements de comportement et des résultats financiers, allant de l'amélioration des stratégies d'adaptation au climat à des variations des spreads de crédit ou des valorisations d'actifs qui reflètent des risques climatiques distincts.
En fin de compte, notre objectif est de créer un langage financier crédible pour les risques climatiques, aussi clair et intégré que le sont aujourd'hui les notations de crédit.
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Références
(1) https://climateinstitute.edhec.edu/climate-risk-and-equity-valuation-should-investors-worry
(2) https://www.edhec.edu/en/research-and-faculty/edhec-vox/climate-change-infrastructure-investors-aware-risk-while-failing-to-measure-it
(3) https://www.edhec.edu/en/research-and-faculty/edhec-vox/frederic-ducoulombier-edhec-risk-climate-double-materiality-serves-investors-and-civil-society
(4) https://www.edhec.edu/en/research-and-faculty/edhec-vox/nicolas-schneider-investors-industries-granular-information-physical-risk-impacts-better-adaptability
(5) https://www.edhec.edu/en/research-and-faculty/edhec-vox/noel-amenc-we-provide-finance-decision-makers-research-accurate-tools-concrete-solutions
(6) https://www.edhec.edu/en/research-and-faculty/edhec-vox/why-edhec-business-school-major-player-sustainable-finance
(7) https://www.edhec.edu/en/research-and-faculty/edhec-vox/introducing-edhec-climate-institute-new-interdisciplinary-hub-climate-research-action-schrapffer
(8) For exemple : https://scientificratings.com/map/
(9) https://climateinstitute.edhec.edu/publications/how-assign-probabilities-climate-scenarios
(10) https://climateinstitute.edhec.edu/climatech-project
(11) https://www.edhec.edu/en/news/edhec-infra-private-assets-contributes-key-insights-altercop29-resilience-and-adaptation
(12) https://www.thebanker.com/content/8540a433-c1b7-4f56-95ca-4f3d840f6f62