L'essor de l'entrepreneuriat Latino aux États-Unis

Les données recueillies au cours des deux dernières décennies indiquent que les immigrants latinos des États-Unis créent des entreprises à un rythme deux fois supérieur à celui de la population générale (2). En fait, les Latinos affichent des taux de création d'entreprises remarquablement plus élevés que n'importe quel autre groupe, devenant ainsi une force motrice de la croissance des petites entreprises du pays. Ces résultats s'inscrivent dans une réalité plus large, qui est documentée dans un rapport récemment publié sur la « force économique » des Latinos aux États-Unis (3). Si cette communauté était un pays, elle représenterait le cinquième PIB du monde et la deuxième économie à la croissance la plus rapide (2017-2022), derrière la Chine !

Bien que la plupart des activités entrepreneuriales des Latinos soient encore concentrées dans les communautés d'implantation traditionnelles (par exemple, au Texas, en Californie, en Floride), les petites communautés du Midwest deviennent de plus en plus des portes d'entrée pour les entrepreneurs latino-américains. Ce constat est conforme à plusieurs autres études qui montrent que les immigrants contribuent de manière significative à l'économie des comtés non métropolitains (4).

Cela nous amène à nous demander ce qui caractérise exactement l'entrepreneuriat latino. Ces entrepreneurs sont confrontés aux mêmes obstacles que tous les entrepreneurs, notamment un accès limité aux ressources financières et aux ressources clés. En outre, ils peuvent être confrontés à d'autres obstacles sociaux, culturels et économiques, tels que le manque d'acculturation dans les communautés où ils opèrent, la maîtrise limitée de la langue, l'accès à des réseaux clés, entre autres.

Un article à paraître (1) de Maria Figueroa-Armijos, Professeure associée à l'EDHEC, et Corinne Valdivia, Professeure Doane à l'université du Missouri, inclus dans l'ouvrage « Entrepreneurial Ecosystems : Growth, Sustainability and Global Impact » édité par les professeurs I. Melchor-Duran et A. Villegas, cherche à explorer les facteurs individuels et écosystémiques qui déterminent l'activité entrepreneuriale chez les Latinos aux États-Unis.

L'essor des entreprises détenues par des Latino-américains

Les Latinos sont des personnes dont le pays d'origine est le Mexique, Porto Rico, Cuba ou un autre pays hispanique ou latino. Selon la National Association for Latino Community Asset Builders (NALCAB), l'activité entrepreneuriale des Latinos a augmenté de manière significative au cours des deux dernières décennies (5), dépassant les taux de croissance de tous les autres groupes éthniques. En fait, sur la seule période 1996-2016, le taux d'activité entrepreneuriale des Latinos a augmenté d'environ 50 %.

Quels sont les facteurs qui peuvent expliquer l'essor des entreprises appartenant à des Latino-américains ? L'étude menée par Maria Figueroa-Armijos et Corinne Valdivia a tenté de répondre à cette question (4). Les auteurs ont utilisé des données originales recueillies auprès de trois communautés cibles aux États-Unis et ont constaté que la dynamique sous-jacente de l'entrepreneuriat latino se distingue du concept général de l'entrepreneuriat.

Premièrement, la plupart des Latinos aux États-Unis sont des migrants économiques, « ceux qui se déplacent d'un lieu de travail et de résidence à un autre [...] principalement en raison de leurs propres opportunités économiques » (Chiswick, 2008, p. 64). Les tendances historiques indiquent que les minorités ethniques pourraient être plus enclines à s'engager dans l'auto-emploi et la propriété d'entreprise que les groupes majoritaires qui jouissent des privilèges de l'inclusion sociale et des opportunités d'emploi. Cela explique pourquoi les nouvelles communautés d'implantation, telles que Raleigh-Durham en Caroline du Nord, connaissent à la fois des taux de croissance démographique et des taux d'entreprenariat plus élevés au sein des populations latinos.

L'entrepreneuriat offre également aux immigrants, y compris aux Latinos, un levier permettant de surmonter la discrimination et les obstacles tels que le manque de ressources. Il est perçu comme un moyen de viser voire d'atteindre l'autonomie personnelle, la liberté économique, l'autosuffisance et l'intégration dans la société américaine.

D'autres études, comme celle menée par Robles et Cordero-Guzman (6), suggèrent également que les obstacles au marché du travail poussent les Latinos à l'auto-emploi. Ils créent des entreprises en raison de leurs faibles niveaux de maîtrise de l'anglais et de leurs résultats scolaires, qui limitent leur "éligibilité" aux quelques emplois disponibles.

Le développement de l'entreprise comme stratégie de subsistance

L'étude de Figueroa-Armijos et Valdivia a révélé que les Latinos considèrent l'entrepreneuriat comme une stratégie clé pour s'intégrer dans la société américaine. Étant donné qu'ils n'ont pas accès aux ressources essentielles dont bénéficient les autres entrepreneurs et qu'ils ne maîtrisent pas l'anglais, les Latinos utilisent l'entrepreneuriat comme moyen de s'établir sur le marché du travail et dans l'activité économique des communautés où ils s'installent, tout en contribuant à la renaissance des petites communautés.

En général, l'activité entrepreneuriale des minorités est considérée comme un mécanisme permettant de surmonter la pauvreté et les disparités raciales et d'exploiter le potentiel entrepreneurial d'une région. En fait, des études indiquent que les immigrants, en particulier les personnes hautement qualifiées, contribuent de manière significative à l'économie des comtés non métropolitains (3).

L'étude a également révélé que la principale motivation des entrepreneurs latinos pour créer une entreprise dans l'une ou l'autre de ces communautés était leur « propre initiative » (72 %). Il convient de souligner que, par rapport aux non-entrepreneurs, les entrepreneurs avaient un niveau d'acculturation ou d'intégration plus élevé dans les communautés où ils se sont installés, ce qui confirme que l'entrepreneuriat est une stratégie d'intégration dans la société américaine.

Un autre résultat intéressant est que les entrepreneurs perçoivent un bien-être plus élevé, ainsi que moins de discrimination, de racisme et de pressions linguistiques. Ils se sentent également plus à l'aise dans les interactions sociales au sein des communautés où ils s'installent.

Acculturation : la relation entre la culture et l'esprit d'entreprise

L'acculturation peut être définie comme le processus de connaissance ou d'adoption d'une culture différente de la nôtre. En conséquence, existe-t-il un lien entre l'acculturation et l'esprit d'entreprise des Latino-Américains ?

Les résultats de cette étude indiquent qu'environ 40 % des entrepreneurs de l'échantillon étaient biculturels (le niveau le plus élevé d'acculturation ou d'intégration), contre 19 % des Latino-Américains non entrepreneurs qui étaient biculturels dans la même communauté. Ces résultats indiquent clairement que l'entrepreneuriat favorise une meilleure intégration des Latinos et que les individus biculturels sont plus susceptibles de s'engager dans une activité entrepreneuriale.

D'autres travaux, comme « Chicano entrepreneurship in rural California » de B.V Calo (7), ont mis en évidence des relations directes entre l'emploi indépendant des Latino-Américains et un niveau d'éducation plus élevé, une meilleure maîtrise de l'anglais et une expérience professionnelle supplémentaire.

En conclusion

Tous les cinq ans, un million de nouvelles entreprises appartenant à des Latinos sont créées aux États-Unis. D'ici 2060, les Latinos représenteront un tiers de la population américaine. Cette situation appelle une attention et une action politiques plus fortes.

Malgré les contraintes liées au capital, à la culture et aux ressources du marché, les entrepreneurs latinos sont de plus en plus présents dans les économies et les communautés où ils s'installent. Cela souligne l 'importance de comprendre les conditions qui soutiennent leurs activités, ainsi que les caractéristiques spécifiques qui différencient les entrepreneurs latinos des non-entrepreneurs latinos.

De nombreuses études suggèrent que la propriété d'une entreprise est une stratégie permettant de surmonter les désavantages sur le marché du travail. Le nombre croissant d'entreprises appartenant à des Latino-américains nous montre que l'entrepreneuriat peut également être un moyen de renforcer l'intégration sociale et d'atteindre des niveaux plus élevés de bien-être et d'accomplissement personnel.

Ce constat nous montre également que tout le monde bénéficie d'une économie inclusive qui encourage l'innovation et la réussite de tous les entrepreneurs.

Références

(1) Entrepreneurship and enterprise development in new settlement communities: Insights for Latino entrepreneurship policy in times of change (2024). Maria Figueroa-Armijos, Corinne Valdivia. NOVA Science Publishers, USA, December 2024

(2) Department of Commerce, 2010

(3) The 2024 Official LDC U.S. Latino GDP Report, 7th Annual Edition - https://latinodonorcollaborative.org/reports/the-2024-official-ldc-u-s-latino-gdp/

(4) Parmi d'autres études sur ce sujet:

New Data Analysis: Immigrants Driving Opportunity, Prosperity in the U.S., Including in Swing States (2024). American Immigration Council - https://www.americanimmigrationcouncil.org/news/new-data-immigrants-driving-prosperity-in-united-states-2022

How Immigrants Contribute to Developing Countries' Economies (2018) OECD - https://www.oecd-ilibrary.org/development/how-immigrants-contribute-to-developing-countries-economies_9789264288737-en

(5) Latino Entrepreneurship Growth (2019) National Association for Latino Community Asset Builders (NALCAB). Guest Blog by Rogelio Sáenz, Ph.D.- https://nalcab.org/latino-entrepreneurship-growth/

(6) Robles, B. J., & Cordero-Guzmán, H. (2007). Latino Self-Employment and Entrepreneurship in the United States: An Overview of the Literature and Data Sources. The ANNALS of the American Academy of Political and Social Science, 613(1), 18-31. https://doi.org/10.1177/0002716207303541

(7) Chicano entrepreneurship in rural California: An empirical analysis (1995). Calo, Bea Violanda. University of California, Davis ProQuest Dissertations & Theses, 1995. 9543905. https://www.proquest.com/openview/46a971ea1cafbe6502486c9c3459fcfd/