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4 questions à Pascale Taddei sur les enjeux et l'adoption de la comptabilité socio-environnementale en entreprise

Pascale Taddei Valenza , Associate Professor, Deputy Head of faculty - Accounting, Control and Law

La comptabilité socio-environnementale, en particulier le modèle "Comprehensive Accounting in Respect of Ecology" (CARE), permet aux entreprises de prendre des décisions plus responsables en intégrant des critères extra-financiers dans leur gestion. Pour mieux comprendre ce modèle et les défis de son adoption, découvrez l'interview de Pascale Taddei, Professeure associée à l'EDHEC, et autrice d'une thèse (1) sur le sujet.

Temps de lecture :
7 oct 2024
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La comptabilité est utilisée par les dirigeants pour prendre des décisions stratégiques pour l’avenir de l’entreprise. À mesure que les préoccupations environnementales et climatiques influencent la gestion des entreprises, la comptabilité environnementale devient de plus en plus importante. Mesurer l’impact écologique leur permet ainsi de favoriser des décisions plus responsables, non seulement pour leur avenir mais également pour celui de la planète.

 

C’est le rôle de la comptabilité socio-environnementale (CSE), et parmi elle, du modèle Comprehensive Accounting in Respect of Ecology (CARE).

 

Pour mieux comprendre cette innovation comptable et les enjeux de son adoption par les entreprises, nous avons interrogé Pascale Taddei, Professeur associée à l'EDHEC et autrice de la thèse “L'avenir de la comptabilité dans un monde en mutation : analyse des obstacles et des catalyseurs pour l'implementation d’un modele de comptabilite integrée, l’exemple du modèle CARE” (2024) à l’Université Paris Dauphine.

Comment le modèle CARE permet-il de compléter les pratiques comptables traditionnelles ?

Pascale Taddei Valenza: Le modèle comptable CARE (Comprehensive Accounting in Respect of Ecology), conçu en 2012 par Jacques Richard, est l’un des modèles de la comptabilité socio-environnementale (CSE). Il permet d'intégrer toutes les externalités positives et négatives dans l’évaluation des actifs et des passifs de l'entreprise, soit toutes les activités productives qui impactent l'environnement naturel et social. Il s’agit d’une innovation forte dans le monde comptable, là où la comptabilité classique se concentre uniquement sur le capital financier (2).

 

Des initiatives, comme celles menées en région PACA en collaboration avec des partenaires académiques tels qu’Agro Paris Tech, ont montré que le modèle CARE pourrait bien transformer la gestion des entreprises, en particulier pour les PME.

 

Cette vision plus complète de la comptabilité est primordiale dans un monde où les entreprises doivent prendre en compte leur empreinte écologique. Cependant, bien qu’il soit plus complet, ce modèle est également plus complexe.

 

Face aux bénéfices de cette méthode comptable innovante, comment est-elle adoptée par les entreprises et quels sont les principaux obstacles rencontrés ?

Le constat est clair, le modèle CARE est jusque-là peu répandu en entreprise. Pour plusieurs raisons, tout d’abord sa complexité, auquel s'ajoute un manque de ressources et la difficulté à percevoir le coût-bénéfice de cette approche, surtout pour les PME. De plus, au sein de nombreuses entreprises, les services financiers et RSE sont souvent séparés, ce qui complique davantage l'adoption de ce type de comptabilité intégrée.

 

Mais en réalité, la réticence au changement reste le frein principal à son adoption. La comptabilité évolue lentement et résiste souvent aux innovations, surtout lorsque celles-ci modifient profondément les méthodes traditionnelles.

 

Résultat, l’adoption du modèle comptable CARE dépend en premier lieu de la gouvernance de l’entreprise qui doit allouer des ressources humaines et financières à cette innovation.

 

N’y a t-il pas d’incitations académiques et gouvernementales pour favoriser son adoption ?

Bien que ce modèle bénéficie d’un soutien académique croissant et que certaines incitations gouvernementales existent, telles que les recommandations du CESE en 2017, son adoption reste lente (3) en l’absence de régulations strictes qui rendent son application obligatoire.

 

Il faudrait mettre en place davantage de bonnes pratiques qui joueraient le rôle de catalyseurs et permettraient d’encourager davantage son adoption. Ceci passe par la création de formations, l’engagement et le soutien actif de la direction notamment au niveau financier et RSE, ainsi que le réseautage et le partage de bonnes pratiques.

 

Quelles sont, selon vous, les perspectives futures pour le développement du modèle CARE ?

Le futur du modèle CARE est prometteur, mais son développement dépendra de plusieurs facteurs. D'une part, au niveau des régulations, avec notamment les normes CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) et des standards ESRS (European Sustainability Reporting Standards), qui pourraient encourager une adoption plus large. D'autre part, au sein du privé, avec la montée en compétence des services financiers qui commencent à mieux intégrer les questions de RSE.

 

Nous observons déjà certaines avancées grâce à des partenariats entre entreprises pionnières et acteurs institutionnels comme l’ADEME et le WWF. Ces collaborations laissent présager un avenir où le modèle CARE jouera un rôle de plus en plus central dans la gestion durable des entreprises.

 

Finalement, l’ouverture des entreprises aux principes fondamentaux des modèles de soutenabilité forte de manière générale plutôt que l’adoption d’un seul modèle serait sans doute un premier pas dans la bonne direction. À condition toutefois de commencer à mettre ces principes en pratique.

 

 

Références

(1) “L'avenir de la comptabilité dans un monde en mutation : analyse des obstacles et des catalyseurs pour l'implementation d’un modele de comptabilite integrée, l’exemple du modèle CARE”, Pascale Taddei Valenza (mars 2024). Executive PhD Université Paris Dauphine. Membres du jury : Frédérique Dejean (Professeur, Dauphine), Didier Bensadon (Professeur des universités, IAE Lyon) et Madina Rival (Professeure des universités, CNAM).

(2) La comptabilité entame sa mue socio-environnementale (2022) The Conversation. Stéphane Ouvrard, Pascal Barneto.

(3) Les entreprises face à la comptabilité socio-environnementale (2022) Alternatives économique. Clément Carn et Mathilde Pernias