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Des catastrophes climatiques au risque systémique : le rôle des prêts syndiqués

Xing Huan , Associate Professor

Un prêt syndiqué (syndicated loan) est proposé par un groupe de prêteurs qui s'associent pour accorder un crédit à un emprunteur de taille conséquente. Il s'agit d'un outil essentiel de la finance moderne. Dans cet article EDHEC Vox, Xing Huan, professeur associé, présente son dernier travail de recherche (1) sur le sujet, dans lequel il examine comment les chocs climatiques se répercutent sur ce type de prêts.

Temps de lecture :
12 Aoû 2025
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Le changement climatique n'est pas seulement une menace hypothétique, c'est désormais une crise mondiale aux conséquences immédiates. Selon le Forum économique mondial (2), l'échec de l'action climatique, les phénomènes météorologiques extrêmes tels que les incendies et les ouragans, ainsi que les dommages environnementaux causés par les activités humaines figurent parmi les risques les plus probables et les plus graves auxquels le monde sera confronté au cours de la prochaine décennie .

 

Si les conséquences économiques du changement climatique ont fait l'objet d'une attention particulière, les chercheurs et les praticiens du financement climatique sont confrontés à un défi majeur : le manque de méthodologies permettant de mesurer de manière fiable les risques climatiques et de promouvoir une évaluation efficace de l'impact du changement climatique sur la stabilité financière (3, 4).

 

Notre récent article examine comment les chocs climatiques se répercutent sur le système financier (1). Nous constatons que les prêts syndiqués (5) constituent un canal de transmission essentiel, exposant les banques à des risques climatiques qui amplifient l'instabilité financière tant individuelle que systémique.

 

 

Mesurer le risque climatique au niveau des États et des banques

Pour quantifier l'exposition au risque climatique, nous relions les données sur les catastrophes liées au climat aux registres des prêts syndiqués afin de mesurer comment les banques acquièrent un risque climatique à travers leurs portefeuilles de prêts. Dans le cadre de cette initiative, nous développons deux séries d'indicateurs de risque climatique au niveau des États et des banques.

 

Côté États, nous construisons un indice de risque climatique à partir des données de la base de données « Billion-Dollar Weather and Climate Disasters » de la NOAA. Cet indice intègre des indicateurs clés tels que les pertes financières, le nombre de décès et la fréquence des phénomènes météorologiques extrêmes.

 

Côté banques, nous calculons l'exposition au risque climatique au niveau bancaire en évaluant la proportion des prêts syndiqués d'une banque alloués à des entreprises situées dans des États à haut risque. Nous faisons la distinction entre les prêts interétatiques, qui reflètent le risque lié aux prêts accordés à des entreprises situées dans d'autres États, et les prêts intraétatiques, qui mesurent l'exposition liée aux prêts accordés dans l'État d'origine d'une banque. L'accent que nous mettons sur les prêts interétatiques souligne la manière dont les chocs climatiques se propagent à travers les réseaux financiers plutôt que de rester confinés aux économies locales.

 

 

Les prêts syndiqués comme canal de transmission des chocs climatiques

Les événements climatiques extrêmes et imprévisibles ne nuisent pas seulement aux victimes directes, mais créent également des répercussions qui menacent l'ensemble du système financier. Lorsque les banques accordent des prêts syndiqués à des entreprises opérant dans des zones exposées aux catastrophes, elles s'exposent à des chocs climatiques susceptibles d'augmenter considérablement leur exposition au risque.

 

Si les entreprises emprunteuses connaissent des difficultés financières en raison d'une catastrophe liée au climat, leur capacité à rembourser leurs prêts diminue, et cet effet se répercute sur l'ensemble du réseau des banques ayant participé au prêt syndiqué. Si plusieurs emprunteurs des régions touchées se trouvent simultanément en défaut de paiement, l'instabilité financière qui en résulte peut s'étendre au-delà des établissements individuels et dégénérer en une crise économique plus générale.

 

En nous concentrant sur les prêts syndiqués, nous montrons que les banques sont exposées au risque climatique non seulement par leur implantation géographique immédiate, mais aussi par l'empreinte géographique de leurs portefeuilles de prêts.

Nos résultats indiquent une forte corrélation entre l'exposition des prêts syndiqués aux chocs climatiques et l'augmentation du risque financier. Lorsque l'exposition au risque climatique via les prêts syndiqués augmente d'un écart-type, les indicateurs de risque financier des banques se détériorent de manière généralisée. Le déficit marginal attendu, qui mesure la perte moyenne qu'une banque peut s'attendre à subir dans des scénarios extrêmes, augmente de 14,7 % à court terme et de 1,3 % à long terme. De même, la valeur à risque, qui correspond à la perte maximale probable qu'une banque pourrait subir, augmente considérablement.

 

L'étude révèle également que la contribution au risque systémique, c'est-à-dire la mesure dans laquelle les difficultés d'une banque peuvent déstabiliser l'ensemble du système financier, devient plus prononcée lorsque l'exposition au risque climatique est accrue. En d'autres termes, les banques qui participent à des prêts syndiqués dans des régions vulnérables au climat sont plus sensibles à l'instabilité financière.

 

 

Réaction des banques : réactive plutôt que proactive

Au-delà de l'évaluation des risques, notre étude examine également la manière dont les banques réagissent aux chocs climatiques. Les résultats révèlent que les banques ont tendance à réagir de manière défensive : après avoir subi des pertes financières dues à des catastrophes climatiques, elles réduisent leurs activités de prêt et augmentent leurs provisions pour pertes sur prêts. Cette tendance suggère que, si les banques reconnaissent les risques climatiques, elles ne réagissent généralement qu'après avoir subi des pertes financières, plutôt que d'intégrer de manière proactive ces risques dans leurs processus décisionnels.

 

Il est intéressant de noter que toutes les banques ne sont pas également vulnérables. Certaines institutions font preuve d'une plus grande résilience, soit grâce à leurs stratégies de gestion financière à long terme, soit grâce à leur capacité à absorber les chocs financiers. Les banques disposant de réserves de capital plus solides ont tendance à être moins touchées par les chocs climatiques, car elles ont la capacité financière d'amortir les pertes imprévues. De même, les banques dont la rentabilité est plus élevée semblent bénéficier d'un tampon naturel qui les aide à mieux résister aux difficultés financières liées au climat.

 

Ces conclusions soulignent l'importance de la résilience financière pour atténuer les risques liés au climat et suggèrent que les banques devraient adopter une approche plus prospective en intégrant des indicateurs de risque climatique dans leurs stratégies de gestion des risques.

 

 

Conséquences pour la réglementation financière

Les implications de nos recherches dépassent le cadre des banques individuelles et s'étendent à la surveillance réglementaire au sens large, soulignant que les risques climatiques s'accumulent dans les bilans des banques alors que les examens prudentiels montrent que celles-ci ne sont pas bien préparées – pourtant, les régulateurs ont été lents à intégrer ces risques dans les exigences minimales de fonds propres (6).

 

Nos résultats soulignent l'urgence de réaliser des tests de résistance au climat dans le cadre des évaluations de la stabilité financière, car les cadres actuels ne permettent pas de saisir pleinement les effets en cascade des chocs climatiques sur les marchés financiers.

 

Les régulateurs doivent intégrer le risque climatique dans leur surveillance macroprudentielle afin de prévenir les crises potentielles, tandis que les banques devraient ajuster la tarification des risques en intégrant l'exposition au risque climatique dans leurs modèles d'évaluation des prêts. De nombreuses institutions financières ne tiennent compte des risques climatiques qu'après coup, plutôt que de manière proactive, ce qui souligne la nécessité de mettre en place des stratégies de tarification qui renforcent la résilience et préviennent les déficits de fonds propres.

 

En outre, la stabilité financière dépend de solides réserves de fonds propres et d'une rentabilité avérée, en particulier pour les banques fortement exposées aux régions vulnérables au climat, afin de leur permettre de mieux absorber les chocs liés au climat.

 

 

Un appel à l'action

La principale conclusion de notre étude est que le changement climatique n'est pas seulement un problème environnemental, mais aussi une menace financière qui nécessite une action immédiate. Les banques, les régulateurs et les décideurs politiques doivent intégrer les mesures relatives aux risques climatiques dans leurs décisions financières afin de garantir la stabilité financière à long terme.

 

Ces conclusions renforcent l'importance d'une approche proactive, qui donne la priorité à une évaluation rigoureuse des risques climatiques, à une surveillance réglementaire et à des réserves financières plus solides. L'instabilité financière liée au climat n'est pas un risque abstrait pour l'avenir, elle est déjà une réalité, et le secteur financier doit agir dès maintenant pour en atténuer les conséquences.

 

Références

1. Conlon, T., Ding, R., Huan, X., & Zhang, Z. (2024). Climate risk and financial stability: evidence from syndicated lending. European Journal of Finance, 30(17), 2001-2031. https://doi.org/10.1080/1351847X.2024.2343111

2. World Economic Forum (2025). The Global Risks Report 2025. https://reports.weforum.org/docs/WEF_Global_Risks_Report_2025.pdf

3. Bank for International Settlements. (2022). The regulatory response to climate risks: Some challenges. https://www.bis.org/fsi/fsibriefs16.pdf

4. Battiston, S., Dafermos, Y., & Monasterolo, I. (2021). Climate risks and financial stability. Journal of Financial Stability, 54, 100867. https://doi.org/10.1016/j.jfs.2021.100867

5. A syndicated loan is offered by a group of lenders who work together to provide credit to a large borrower. The borrower can be a corporation, an individual project, or a government. Each lender in the syndicate contributes part of the loan amount, and they all share in the lending risk. https://corporatefinanceinstitute.com/resources/commercial-lending/syndicated-loan/

6. Van Tilburg, R., Grünewald, S., Schoenmaker, D., & Boot, A. (2022). Climate risks are real and need to become part of bank capital regulation. VoxEU. https://cepr.org/voxeu/columns/climate-risks-are-real-and-need-become-part-bank-capital-regulation

 

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