La relance se fera avec les jeunes diplômés ou ne se fera pas
Geneviève Houriet Segard, Directrice Carrières et NewGen Talent Centre et Manuelle Malot, Docteur en démographie économique, Responsable d’études à l’EDHEC NewGen Talent Centre traitent dans un article initialement publié sur The Conversation de la relance économique et de l'opportunité des jeunes diplômés.
Si certaines entreprises ont profité de la stupeur dans laquelle notre monde est plongé pour poursuivre, voire accélérer, leurs recrutements, une majorité plus attentiste ont gelé leurs embauches et décalé leurs décisions à la rentrée de septembre ou au premier janvier… autant dire aux calendes grecques pour un jeune diplômé forcément impatient.
Le marché de l’emploi, très favorable aux jeunes diplômés depuis quelques années, a fait de l’attraction, la fidélisation et l’engagement des talents, l’une des préoccupations majeures des dirigeants. Les entreprises ont déployé depuis près de 10 ans des moyens considérables pour recruter des candidats de valeur.
L’incertitude économique règne aujourd’hui, mais sur le plan démographique rien n’a changé : l’enseignement supérieur ne forme pas suffisamment de diplômés pour répondre aux besoins de fonctionnement des économies mondiales.
En outre, les politiques de « stop-and-go » dans le recrutement ont démontré leurs faiblesses à long terme. Les entreprises n’ont donc pas intérêt à freiner leurs relations avec les établissements d’éducation supérieure ni à stopper leurs embauches.
Accompagner la quête de sens des jeunes
Certes, en se contractant, le marché de l’emploi va résoudre en partie la question de l’attractivité et de la fidélisation des jeunes cadres dans les entreprises, mais la problématique de l’engagement en sera inversement plus aiguë :
- les jeunes diplômés qui auraient l’impression d’avoir eu moins de latitude pour choisir leur employeur, pourraient ne pas être autant engagés dans leurs missions, surtout si leurs attentes d’impact et d’utilité sociale ne sont pas satisfaites ;
- les aspirations de ces jeunes vont rester les mêmes, voire vont se renforcer, et recruter en période tendue ne devrait pas exonérer les entreprises d’une réflexion sur leur rôle sociétal au-delà de la simple marche de leurs affaires.
Sur les cinq dernières années, l’attrait des grandes entreprises a chuté indiquant avant tout une désaffection pour la complexité que représentent ces types d’organisations. L’engouement pour les startups, mais plus encore pour les PME (petites et moyennes entreprises) des structures à taille humaine, traduit le désir de nos jeunes de mieux mesurer l’impact de leur travail, de se sentir plus collaborateurs et acteurs que salariés.
La volonté des jeunes d’être utile, d’avoir de l’influence dans l’entreprise, de participer aux décisions, d’avoir de l’impact, de faire la différence est une chance pour les entreprises, quelle que soit leur taille.
Ce besoin d’utilité a été renforcé en ce printemps confiné par des diplômés dont le souci de ne pas occuper de « bullshit jobs » (« boulots à la con ») a été parfois mis en sourdine par des périodes de chômage partiel mal vécues.
Car loin du stéréotype d’une jeune génération qui serait « désenchantée » par l’entreprise, 87 % des étudiants en management en ont une vision positive et font confiance à la puissance d’action de l’entreprise pour changer le monde. Ils y font d’ailleurs souvent plus confiance qu’au pouvoir politique.
Aujourd’hui, on demande à l’entreprise d’être pourvoyeuse de sens, à la place des autres pourvoyeurs – école, armée, Église, politique – qui ont été un peu effacés.
L’entreprise est considérée par les jeunes comme un moteur d’innovations, mais c’est surtout pour eux le lieu d’une aventure collective qui permet de se dépasser. Et c’est là, la chance de la relance…
La sincérité de l’engagement en question
Mais si l’entreprise leur semble passionnante, ouverte, collaborative, c’est aussi sans naïveté qu’ils la jugent : elle n’est pas toujours juste, souvent complexe et verticale.
Elle leur semble le reflet d’un monde ancien, une organisation compliquée, trop hiérarchisée, contraignante sans que ces éléments soient toujours gages d’efficacité, de performance collective, ou d’épanouissement individuel.
D’ailleurs, 61 % des jeunes générations pensent que l’entreprise est amenée à se transformer en profondeur, notamment sur les thèmes des relations au travail, de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) et de la façon de traiter les problèmes.
Les jeunes avaient, avant ce printemps, un engagement sincère, mais parfois éphémère à l’entreprise avec une durée du premier poste ne dépassant que rarement 2 ans.
Si la crise diminue le risque d’un engagement éphémère, ce dernier peut se révéler moins sincère. C’est bien là le challenge du management de demain : cultiver l’engagement des jeunes collaborateurs autour de valeurs et d’un objectif partagés.
Pour cette nouvelle génération, réussir ne se limite plus à rester fidèle à son entreprise (seulement 3 % le pensent), mais à être en cohérence avec ses valeurs (58 %) et son ambition (16 %).
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La crise économique n’exonèrera donc pas les entreprises de la question du sens pour les jeunes générations. Dans leurs critères de choix pour s’engager dans une entreprise, arrivent en tête la diversité et l’inclusion, suivi de la responsabilité sociétale et environnementale.
Par ailleurs, le manque de contribution à l’intérêt général est l’une des plus fortes déceptions des jeunes salariés dans leur premier poste.
À situation inédite… opportunité inédite
Les nouvelles générations qui intègrent le monde du travail ont déjà commencé à changer quelques règles du jeu pour un modèle d’affaires plus durable.
On peut citer le « Manifeste étudiant pour un réveil écologique », initiative emblématique de cette génération, signé par plus de 32 000 étudiants de l’enseignement supérieur et dont les questionnements publics ont abouti aux réponses de 54 dirigeants de grandes entreprises sur leur démarche de responsabilité sociétale.
Les entreprises ne sont pas inactives face à cet appel à transformation : réduction du nombre d’échelons hiérarchiques pour Schneider Electric, intégration d’éléments extra financiers dans la rémunération des dirigeants pour Danone et le Crédit Agricole, etc.
Dans la loi Pacte, au-delà de l’intégration de la dimension RSE dans l’objet social de l’entreprise, la possibilité d’inscription d’une raison d’être spécifique dans ses statuts lui permet de préciser son projet collectif de long terme en tenant compte de l’ensemble de ses parties prenantes.
Ainsi, l’invitation de la loi Pacte à redéfinir la place de l’entreprise dans la société et les aspirations des nouvelles générations pour un monde économique durable ont semé les graines pour favoriser l’émergence d’un nouveau type de management que la crise actuelle peut accélérer.
Depuis quelques années on théorisait sur le monde « VUCA » – volatile, incertain, complexe et ambigu – sans imaginer à quel point le printemps 2020 nous donnerait l’occasion de le pratiquer. Les entreprises recherchaient l’agilité organisationnelle et on sait aujourd’hui que ce n’est plus suffisant.
Certains pensent que ce virus change les règles du jeu. Surtout, il donne aux dirigeants l’occasion d’agir.
C’est un moment difficile, mais créateur d’opportunités de changement : pour les décideurs et les entreprises, c’est l’occasion de privilégier l’utilité sociale pour initier un modèle d’affaire durable et ne pas opposer la logique de rendement à la responsabilité sociétale. Recruter des jeunes diplômés reste en ce moment le plus sûr moyen d’y parvenir.
Cet article est copublié avec The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.