Explore & master
   |
EDHEC Vox
 |
Recherche

Les administrateurs externes apportent-ils une valeur ajoutée aux entreprises familiales privées ?

Yan Du , University of Antwerp

Le conseil d'administration le plus performant auquel j'ai participé est celui dans lequel je siège actuellement. Il s'agit d'une entreprise familiale composée de quatre administrateurs externes, de deux actionnaires familiaux et du PDG. (Jim McHugh---Directeur du groupe Southworth International, Inc. et Kennebec Technologies, Inc.)

Temps de lecture :
15 fév 2018
Partager

Les entreprises familiales ont tendance à être réticentes à recruter des administrateurs externes en raison de leur culture particulière. Leur vision à long terme et l'attachement émotionnel important de la famille propriétaire à l'entreprise peuvent souvent entrer en conflit avec les perspectives des personnes extérieures. Toutefois, aujourd'hui, de nombreuses entreprises familiales privées intègrent des administrateurs externes à leur conseil d'administration. Pourquoi donc une entreprise familiale privée souhaiterait-elle recruter un membre extérieur à son conseil d'administration ?

Les entreprises familiales sont de plus en plus conscientes des risques auxquels elles sont confrontées. Nombre d'entre elles ne parviennent pas à transmettre l'entreprise à la deuxième génération et la plupart ne survivent pas au-delà de deux générations. Une mauvaise gestion opérationnelle, l'absence de normes de gouvernance, les conflits familiaux et une attitude conservatrice face à la prise de risque ne sont que quelques-unes des raisons de leur échec.

Contributions des administrateurs externes aux entreprises familiales

Aujourd'hui, la pratique consistant à inclure des administrateurs externes dans les entreprises familiales privées est largement recommandée par les codes de gouvernance d'entreprise pour les sociétés privées (par exemple, le Code Buysse en Belgique ; Corporate Governance Guidance and Principles for Unlisted Companies au Royaume-Uni ; Guidelines for improving Corporate Governance of unlisted companies en Finlande). Les partisans de cette approche font valoir que les administrateurs externes apportent de nouvelles connaissances et de nouveaux réseaux, fournissent des conseils impartiaux et garantissent la crédibilité de l'entreprise.

Malgré la contribution potentielle des administrateurs externes, toutes les entreprises familiales ne bénéficient pas de la nomination d'administrateurs externes. Dans leur étude sur les entreprises familiales privées, Cabrera-Suárez et Martín-Santana constatent que la présence d'administrateurs externes nuit même à la rentabilité de l'entreprise. La question se pose donc de savoir quand et dans quelles conditions les administrateurs externes apportent une valeur ajoutée aux entreprises familiales privées. Selon Forbes et Milliken, les conseils d'administration sont des groupes décisionnels, et ils sont plus efficaces lorsque les membres du groupe (administrateurs) interagissent les uns avec les autres pour remplir le rôle d'administrateur. Cristina Bettinelli, dans son étude de 90 entreprises familiales italiennes, a constaté que les conseils d'administration sont plus efficaces lorsque les objectifs des administrateurs externes et internes sont alignés, lorsque le PDG est disposé à écouter le conseil d'administration et lorsque les administrateurs externes participent activement aux activités du conseil d'administration.

Le besoin d'informations spécifiques à l'entreprise familiale

Outre leur engagement actif, les administrateurs externes ont besoin d'informations spécifiques à l'entreprise pour s'acquitter correctement de leur mission. Sans ces informations, les administrateurs externes ne peuvent ni remettre en question les actions de la direction, ni donner des conseils utiles.

Pourtant, les entreprises familiales privées sont largement laissées à elles-mêmes en ce qui concerne la divulgation d'informations. Contrairement aux entreprises cotées en bourse qui subissent la pression d'actionnaires activistes, les entreprises familiales privées sont flexibles dans la divulgation au public d'informations spécifiques à l'entreprise.

Les entreprises familiales privées sont-elles disposées à partager des informations spécifiques à l'entreprise avec des administrateurs externes ? Plusieurs scandales de gouvernance d'entreprise dans des entreprises familiales, de Parmalat en Italie à Takata Corp. au Japon, en passant par The News Corporation aux États-Unis, suggèrent que le partage d'informations n'est pas automatique.

Le principal problème de nombreuses entreprises familiales privées est que l'ajout d'administrateurs externes les conduit à une plus grande discrétion : les familles propriétaires préfèrent garder le contrôle, protéger leur vie privée et n'aiment pas exposer leurs conflits à des personnes extérieures. Pour ces raisons, elles ont du mal à faire confiance aux administrateurs externes.

Un récent travail de recherche[1]

u Family Business Center de l'EDHEC étudie la manière dont les administrateurs externes peuvent apporter une valeur ajoutée aux entreprises familiales privées. Des données d'enquête ont été recueillies auprès de 421 entreprises familiales privées en Belgique. Les résultats montrent que les entreprises familiales privées divulguent moins d'informations en présence d'administrateurs externes que les entreprises privées non familiales. Cela nous amène à nous interroger sur le bien-fondé de la présence d'administrateurs externes au conseil d'administration des entreprises familiales privées, comme le recommandent les codes de gouvernance d'entreprise.

Il est intéressant de noter qu'environ 25 % des entreprises familiales privées interrogées dans le cadre de notre enquête ont répondu qu'elles ne divulguaient jamais d'informations non financières (par exemple, des informations sur la stratégie, les marchés de produits, les processus internes et l'innovation) au conseil d'administration. Seules les informations financières sont divulguées au conseil d'administration, comme l'exige la loi. Dans ces entreprises, le conseil d'administration n'est donc qu'un simple tampon mis en place pour satisfaire à l'obligation légale. En fait, la nomination d'administrateurs externes dans ces entreprises ne sert qu'à mettre de l'ordre dans la maison.

Comment les actionnaires familiaux acquièrent-ils des informations et discutent-ils des questions stratégiques avec les dirigeants ? Ils le font de manière informelle. Les discussions dans la cuisine ou lors des fêtes de Noël sont des exemples d'occasions où ils sont informés.

Malgré le manque d'information dans de nombreuses entreprises familiales privées, les dirigeants des entreprises les plus performantes de l'enquête adoptent une attitude ouverte et honnête et font des efforts conscients pour informer le conseil d'administration.

Dans l'ensemble, pour les entreprises familiales qui souhaitent profiter de l'expertise des administrateurs externes, il ne suffit pas de les nommer au conseil d'administration sans leur fournir d'informations spécifiques à l'entreprise. Les familles qui contrôlent l'entreprise doivent être confiantes et prêtes à partager l'information.

Les entreprises familiales privées attirant de plus en plus l'attention, il est nécessaire de disposer d'un système de gouvernance structuré visant à inciter les administrateurs externes à échanger des idées avec la direction, à exprimer des points de vue différents et à instaurer un climat de confiance entre les administrateurs et les dirigeants. Un engagement global des familles propriétaires à utiliser activement le conseil d'administration dans la prise de décisions stratégiques est la condition préalable à une bonne gouvernance d'entreprise.

Références citées

Bettinelli, C. (2011). Boards of directors in family firms: An exploratory study of structure and group process. Family Business Review, 24: 151-169.

Cabrera-Suárez, M. K. and Martin-Santana, J. D. (2015). Board composition and performance in Spanish non-listed family firms: The influence of type of directors and CEO duality. BRQ Business Research Quarterly, 18, 213-229.

Forbes, D.P. & Milliken, F.J. (1999). Cognition and corporate governance: Understanding boards of directors as strategic decision-making groups. Academy of Management Review, 24: 489-505.

 


[1] Il s'agit d'un projet de recherche commun avec Yan Du, Lorraine Uhlaner (EDHEC Business School) et Ann Jorissen (Université d'Anvers), avec le soutien financier de l'Agence flamande pour l'innovation par la science et la technologie (IWT).