Les réseaux sociaux d’entreprise : une ressource inexploitée ?

Une nouvelle forme de partage des connaissances : une clé du succès organisationnel

La contribution et le partage des connaissances sont des ressources inestimables pour le succès d'une organisation, surtout dans un environnement concurrentiel. Dans un récent article (1) Mohamed Hedi Charki et ses co-auteurs, Nabila Boukef et Mustapha Cheikh-Ammar, explorent comment les contributions de connaissances non liées au travail sur les RSE peuvent stimuler celles liées au travail. En s'appuyant sur la théorie de l'échange social, les auteurs montrent que cette forme originale de contribution à la connaissance est associée à la contribution à la connaissance liée au travail.

Les auteurs proposent également un modèle mettant en avant le rôle important joué par l'entreprise lorsqu’elle offre un contexte qui favorise d’une part un sentiment de sécurité psychologique permettant de s'exprimer librement, et d’autre part un climat organisationnel favorable au bien-être des collaborateurs et des collaboratrices.

L'article indique qu'il est nécessaire de mettre en valeur le domaine extra-professionnel des réseaux sociaux d'entreprise en le considérant comme un terrain favorable capable de générer une réelle connaissance et non pas seulement des simples posts et des commentaires ordinaires. Ainsi, pour que les réseaux sociaux d’entreprise soient réellement efficaces, il est crucial de dépasser les aspects purement techniques et de se concentrer sur les dimensions culturelles et humaines. Le soutien perçu et la sécurité psychologique des salariés sont des éléments essentiels pour encourager le passage de la contribution hors travail à la contribution liée au travail.

Lorsqu’un climat de confiance est créé, les collaborateurs se sentent redevables à leurs entreprises de partager leurs connaissances professionnelles sur les RSE au titre d’une reconnaissance de leur avoir donné la possibilité de partager leurs connaissances extra-professionnelles.

Les recherches (2) montrent que les initiatives traditionnelles de gestion des connaissances n'ont pas toujours donné les résultats escomptés. En ouvrant la possibilité de contribution à tous les collaborateurs, indépendamment de leur poste ou de leur domaine, les entreprises peuvent mieux exploiter les capacités collectives de leurs équipes.

Est-ce que Slack ou Teams peuvent changer la culture d’entreprise ?

Mohamed Hedi Charki indique en parallèle que les réseaux sociaux d'entreprise reflètent dans de larges proportions la culture organisationnelle (3). Selon lui, il n'est pas suffisant de se limiter à une perspective statistique pour se prononcer sur l'efficacité des réseaux sociaux. En effet, la grande majorité des entreprises développent des mesures de performance de ces réseaux à travers le compte du nombre de contributions et de commentaires périodiques. Toutefois, cette approche peut refléter uniquement la partie émergée de l'iceberg.

À titre d'exemple, Mohamed Hedi Charki souligne qu’il n'est pas possible d'espérer que les réseaux sociaux d'entreprise suscitent une attitude innovante et/ou des idées novatrices s'ils sont utilisés pour communiquer sur les idées innovantes une fois qu’elles ont été mises en œuvre. Les entreprises tirent le meilleur des réseaux sociaux d'entreprise lorsque les collaborateurs sont impliqués dès la phase de la génération d'idées. C'est à ce niveau que les réseaux sociaux d'entreprise permettent de détecter les savoirs et savoir-faire souvent cachés du fait de la structure d'entreprise qui ne permet pas un partage ouvert et en amont des opportunités et des projets en cours.

Paradoxalement, une entreprise peut mettre à la disposition de ses collaborateurs et collaboratrices une plateforme de réseau social d'entreprise qui est bien développée sur le plan technologique. Toutefois, sur cette plateforme, se retrouveront ceux et celles qui sont déjà bien positionnés dans le réseau social hors ligne et qui utilisent le réseau social d'entreprise essentiellement pour refléter leurs positions et réalisations hors ligne.

L'entreprise peut également utiliser le réseau social d'entreprise dans le cadre de la phase de l'élaboration et du développement de l'idée. Le chercheur donne l'exemple, cité par Adam Grant (4) dans son livre « Originals », de l'entreprise Pixar qui implique tous ses salariés afin de se prononcer sur l'originalité des scénarios des films en amont.

L'avenir des entreprises repose clairement l'innovation et les réseaux sociaux d'entreprise peuvent jouer un grand rôle à condition que l'entreprise ne les regarde pas comme une simple application, mais plutôt comme une opportunité exceptionnelle pour encourager l'expression d'idées créatrices en amont dans un cadre de sécurité psychologique et de libre expression où les managers valorisent les idées des contributeurs(contributrices).

Références

(1) Boukef, Nabila, Mohamed Hédi Charki, and Mustapha Cheikh‐Ammar. "Bridging the gap between work‐and nonwork‐related knowledge contributions on enterprise social media: The role of the employee-employer relationship." Information Systems Journal (2024). https://doi.org/10.1111/isj.12500

(2) Wang, Sheng, and Raymond A. Noe. "Knowledge sharing: A review and directions for future research." Human resource management review 20.2 (2010): 115-131. https://doi.org/10.1016/j.hrmr.2009.10.001

(3) "Social Media and the Inlaying, Infixing, and Annealing of Cultural Toolkits During Cultural Change". Mohamed Hédi Charki and Nabila Boukef (2023). Academy of Management Proceedings. https://doi.org/10.5465/AMPROC.2023.11538abstract

(4) Grant, A. 2017. Originals: How non-conformists move the world. Penguin. https://www.penguin.co.uk/books/431359/originals-by-adam-grant-foreword-by-sheryl-sandberg/9780753556993