Conférences
Découvrir les interventions des membres de la Chaire et de ses invité‧es portant sur les thématiques de diversité et d'inclusion.
LES INTERVENTIONS DE LA CHAIRE
Hager Jemel-Fornetty, directrice de la chaire Diversité & Inclusion, est intervenue lors d'une table ronde au Sénat, le 18 décembre 2025, dans le cadre des travaux de la Délégation aux droits des femmes relatifs à la "Place des femmes dans l'univers du jeu vidéo".
Hager Jemel-Fornetty, directrice de la Chaire Diversité & Inclusion, était l'invitée de l'épisode « Peut-on mesurer la diversité en entreprise?» de la série de podcasts « Diversité des origines en entreprise » proposée par Big Bloom et Impact Tank.
Invitée par Yvan Gatignon, qui a animé la discussion, elle a pu échanger avec Aïssatou Touré, consultante Diversité et Inclusion chez Mixity et Carine Mira, post-doctorante à CY Cergy Paris Université et rédactrice du groupe de travail d’IMPACT TANK.
Yvan Gatignon
Bonjour à toutes et tous, peut-on mesurer la diversité en entreprise ? Dans le cadre du cycle de podcast que Big Bloom organise avec Impact Tank, j'ai le plaisir de recevoir cette semaine trois spécialistes du sujet. Carine Mira, qui est chercheuse à la CY Université, Aïssatou Touré, qui est consultante chez Mixity, un cabinet de conseil qui aide les entreprises à mettre en place des politiques diversité, et Hager Jemel-Fornetty, qui est professeur et directrice de la chaire Diversité & Inclusion à l'EDHEC Business School. Contrairement aux idées reçues, la loi autorise à mesurer la diversité des salarié.es. Il suffit de prendre quelques précautions que mes invités exposent dans cet épisode. Elles nous partagent leurs convictions que la plupart des entreprises sont sincères dans leur volonté de combattre les discriminations. Elles le font non seulement pour se conformer à la loi mais surtout car elles savent que c'est un levier de performance. Mais comment s'y prendre ? Vous le saurez en écoutant mon échange avec Carine Mira, Aïssatou Touré et Hager Jemel-Fornetty.
Yvan Gatignon
Bonjour à toutes et à tous, bienvenue sur ce nouvel épisode du podcast By Doing Good, le podcast de l'innovation sociale raconté par celles et ceux qui la font. Et cette semaine, celles et ceux qui la font, c'est Aïssatou Touré. Bonjour Aïssatou.
Aïssatou Touré
Bonjour Yvan, bonjour à toutes et tous.
Yvan Gatignon
Tu es consultante diversité et inclusion chez Mixity. Tu vas nous expliquer qu'est-ce que c'est que Mixity, qu'est-ce que tu y fais et quelle est toi ta lecture de ce sujet qui nous réunit aujourd'hui : « Peut-on mesurer la diversité en entreprise ? ».
Avec toi, on a autour de la table Carine Mira. Bonjour Carine.
Carine Mira
Bonjour.
Yvan Gatignon
Carine, tu es post-doctorante, voilà, donc une dimension un peu recherche, tu es à la CY University et puis rédactrice du groupe de travail d'Impact Tank, qui est notre partenaire sur cette série de podcasts.
Et puis, on a le plaisir d'accueillir ainsi avec nous, Hager, Hager Jemel-Fornetty, donc tu es directrice à la chaire diversité inclusion de l'EDHEC Business School, c'est bien ça Hager ?
Hager Jemel-Fornetty
Exactement, merci beaucoup de m'accueillir autour de vous pour ce podcast.
Yvan Gatignon
C'est un plaisir pour nous. On est ensemble pour une demi-heure, trois quarts d'heure à peu près, et on va discuter ensemble de ce sujet qui n'est pas simple et peut-être un peu clivant. J'ai entendu des avis assez tranchés sur la question. Peut-on mesurer la diversité en entreprise ? Doit-on mesurer la diversité en entreprise ? De manière générale, est-ce qu'on doit mesurer la diversité ? Et si on le fait, à quoi ça sert ? Est-ce qu'on est encore dans les principes républicains d'égalité lorsqu'on mesure la diversité ? Je vais commencer par toi, Carine, si tu veux bien. Quelle est, toi, ta lecture de ce sujet, s'il te plaît ?
Carine Mira
Moi, j'ai quand même réfléchi avant de venir, et je me suis dit qu'en fait, ce sujet, il se décomposait en, d'abord, qu'est-ce que c'est ? et de quoi on parle quand on parle de diversité ? Ensuite, comment on fait pour mesurer ? donc en gros, quels sont les indicateurs qu'on utilise.
Et après, concrètement, quels sont les cadres légaux et moraux et éthiques qui se posent quand on affronte ce genre de sujet ? Et puis en fait, moi ce sujet je l'ai abordé parce que dans un temps passé, j'étais co-autrice de la fresque de la diversité. Et dans ce titre-là, je pense que toutes les questions ont été posées parce que la fresque de la diversité, bon moi je n'étais pas d'accord… Je pensais que ça devait s'appeler la fresque des diversités parce qu'il y en a beaucoup plus qu'une et qu'une fois qu'on dit le mot diversité, finalement on ne définit pas grand chose.
Yvan Gatignon
D'accord. On va faire un premier tour de table et puis je reviendrai bien sûr à toi Carine. Aïssatou, j'ai dit en deux mots ce que tu faisais, mais je veux bien que tu nous expliques un petit peu plus quel est ton métier.
Aïssatou Touré
Avec grand plaisir, en tout cas je suis ravie d'être avec vous toutes et tous cet après-midi pour parler un petit peu plus de ce que je fais et comment est-ce qu'on le fait. Je suis consultante senior diversité et inclusion chez Mixity. Et chez Mixity, on est la première solution digitale qui a eu l'ambition d'allier finalement la tech à l'innovation sociale, avec pour objectif d'accompagner les organisations, donc il s'agisse d'écoles, d'entreprises, à mesurer, donc on est totalement dans le sujet du jour, leur maturité vis-à-vis des actions diversité et inclusion qu'elles mènent. Donc on a une conviction assez forte, donc j'aurai l'occasion de parler tout à l'heure, mais l'objectif chez Mixity c'est vraiment de donner du concret et d'illustrer les engagements des organisations sur ces questions de diversité au pluriel comme l'a dit Carine et d'inclusion.
Yvan Gatignon
Super, j'ai hâte que tu nous expliques effectivement pourquoi une entreprise doit se lancer dans ce genre de travail et surtout comment le faire. J'imagine que tu as aussi des exemples à partager et je serais ravi de les entendre. Et puis toi, Hager, donc toi tu t'occupes, donc toi tu es dans une business school?
Hager Jemel-Fornetty
Exactement.
Yvan Gatignon
Et alors qu'est-ce que tu fais toi à l à l'EDHEC ?
Hager Jemel-Fornetty
Alors, je fais deux choses. Moi, je suis professeure de management. Et depuis 2016, nous avons créé une chaire qui s'appelle Diversité & inclusion, qui est dédiée à cette thématique. Pourquoi ? Parce que nous avons constaté qu'il y a beaucoup de retard en France sur ces questions, qu'il y a beaucoup d'incompréhension, qu'il y a un grand gap entre ce que savent les entreprises, les milieux professionnels et l'avancement de la recherche. Et donc, on s'est dit, on va contribuer à rendre justement cette connaissance plus connue, plus vulgarisée et qu'elle ne fasse pas peur, au contraire, qu'elle donne des clés aux managers, aux futurs managers que nous avons notamment chez nous, nos étudiants, et voir comment on peut construire ensemble un monde plus inclusif, plus respectueux.
Donc voilà, notre objectif, c'est vraiment d'utiliser notre expertise académique et notre expérience de terrain, parce qu'on travaille avec beaucoup d'entreprises, pour penser et mettre en œuvre des nouvelles méthodes, imaginer des outils et même faire progresser, pourquoi pas, c'est notre but, l'inclusion et l'équité.
Et donc, pour ça, on travaille aussi beaucoup avec nos étudiants, parce qu'on se dit que nous sommes justement dans cette position, où nous avons de jeunes étudiants et étudiantes qui, demain, seront des professionnels. Et nous travaillons beaucoup avec eux, nous travaillons aussi beaucoup avec des entreprises, et nous participons, dans la mesure du possible, à des podcasts, à des sommets, pour justement amener cette parole le plus loin possible.
Yvan Gatignon
Donc si je comprends bien, il y a deux volets dans ce que tu décris, Hager. Il y a à la fois un travail d'évangélisation et un travail avec l'externe, on va dire les entreprises, mais j'imagine que vous travaillez aussi sur la diversité de vos étudiants, n'est-ce pas ?
Hager Jemel-Fornetty
Alors exactement, nous travaillons sur la diversité de nos étudiants et notamment la diversité sociale. Et nous travaillons aussi sur la formation de nos étudiants à la diversité. Donc, c'est deux aspects complémentaires et différents. Nous avons des programmes qui visent justement à améliorer la diversité sociale. Nous savons très bien que dans les grandes écoles telles que l'EDHEC et d'autres, il y a un manque de diversité dû à beaucoup de choses, à une histoire scolaire, à des sélections petit à petit. Et nous essayons de faire face avec des programmes de bourse, avec des programmes de tutorat. Dès le lycée, on va voir des étudiants dans le lycée, on les met dans des programmes de tutorat. Mais une fois qu'ils sont chez nous et elles sont chez nous, on travaille aussi avec eux à les ouvrir vers qu'est-ce que ça veut dire être inclusif et puis qu'est-ce que ça veut dire être inclusif, et puis qu'est-ce que ça veut dire la diversité, parce qu'elle est plurielle, comme exactement l'a dit Carine au tout début.
Yvan Gatignon
Et comment ils reçoivent ce message-là, les étudiants ? Est-ce que tu dirais qu'aujourd'hui, alors on le voit dans la perception qu'on a de la société française, et puis les élections en sont finalement un bon thermomètre, le sujet de la diversité, il n'est pas monolithique, et parfois même un peu clivant. Les étudiants que vous avez à l'EDHEC, j'imagine qu'il y a aussi ce questionnement, cette fracture. Est-ce que tu le perçois toi ?
Hager Jemel-Fornetty
Oui, bien sûr. C'est un sujet qui n'est pas facile à aborder, ni à recevoir parce qu'on a chacune et chacun une opinion dessus. Il y a aussi, disons-le, une couche politique par rapport à comment on perçoit la société, les autres, la réussite, les réussites. Et là, évidemment, nous nous arrivons avec des convictions, parce que c'est ça qui est le plus important, mais nous arrivons aussi avec des faits. En fait, l'expérience que j'ai accumulée depuis maintenant plus de 20 ans dans l'enseignement supérieur, c'est qu'avec une diversité d'opinions, une hétérogénéité, et heureusement qu'on en a une hétérogénéité, j'espère que tout le monde ne pense pas comme moi, la seule chose qui peut faire avancer le débat, c'est d'arriver avec des faits et de montrer ce qui se passe en société, dans notre société, ce qu’il ce passe dans les entreprises, avec des cas réels, avec aussi des conséquences en montrant vraiment que ce ne sont pas juste des délires de quelques personnes qui ont envie d’amener ce sujet à être réel alors qu'il ne l'est pas, à amener ce sujet de manière très concrète. Et une fois qu'on voit que le sujet est concret, on travaille beaucoup avec des cas réels, avec des entreprises qui nous amènent leurs cas, on travaille avec elles, et en partant d'un cas réel, et là on va ensemble essayer de comprendre. Et nous, on favorise le débat. La façon avec laquelle on travaille sur la diversité et l’inclusion avec nos étudiants, c'est vraiment de les amener à débattre. Et nous, on ne veut pas être les sachants et les seuls sachants. C'est que nous, on arrive avec un savoir, mais on les amène surtout à débattre, nous dire pourquoi ils sont d'accord, pourquoi ils ne sont pas d'accord.
Et c'est en échangeant avec eux et en amenant petit à petit notre connaissance, nos analyses, parce que nous, nous avons eu la chance de réfléchir dessus, que nous avons à avoir petit à petit des convictions et des graines qui sont semées.
Yvan Gatignon
Merci beaucoup, Hager, pour ça. Je reviens, Carine, un peu au travail que tu citais, un travail de recherche… dans le cours des recherches que tu as menées sur ce sujet de la diversité, la mesure de la diversité. C'est quoi les enseignements principaux auxquels tu arrives et est-ce qu'il y a des choses qui t'ont surprise dans les résultats auxquels tu arrives ?
Carine Mira
Alors oui, beaucoup de choses. Déjà moi j'ai commencé le sujet mais ça fait un peu écho à ce que Hager disait juste avant. Moi j'ai commencé à aborder le sujet parlant de l'égalité des chances du côté très éducation pour ensuite arriver à tout ce qui est diversité et donc quel est le monde qu'on construit tous ensemble, ou moi j'espère tous ensemble, de manière très inclusive. Je pense que ce qui m'a le plus étonnée c'était l'étendue, le nombre de sujets qui pouvaient se rencontrer/ Et je parlais de diversité au pluriel, en fait c'est vraiment essentiel et toutes ces diversités, donc toutes ces finalement en creux c'est un peu les questions des discriminations, elles se renforcent les unes les autres et en fait ça crée une espèce d'intersectionnalité de la discrimination.
Et en fait en prenant un seul petit bout de la lorgnette, ce que j'ai commencé par faire, parce qu'il faut bien commencer quelque part, en fait on se rend compte qu'on tire une pelote et que la pelote elle est immense. Et moi je pense que c'est l'étendue qui m'a vraiment un peu surprise et je me suis dit comment on fait concrètement pour s'en sortir ?
Yvan Gatignon
Tu nous donnes un exemple Carine, quand tu dis tu dis détendu, à quoi tu penses ?
Carine Mira
Ce que je connais le mieux, c'est le système éducatif français. Mais en fait, j'ai commencé à regarder le milieu social d'origine. Donc en gros, quelle est la fonction des parents ? Et puis après, je me suis dit oui, effectivement, dans les études supérieures, quand on est en CPGE, il y a très peu, je crois que c'est 6 % d'enfants d'ouvriers. Et puis, j'ai commencé à regarder ça. Et puis après, je me suis rendu compte qu'il y avait la question territoriale qui rentrait en jeu. Et donc, après il y avait la question de la diversité territoriale et comment on fait pour la mesurer ? je ne sais pas non plus. Et puis après il y avait le sujet, ben finalement peut-être qu'il y a le genre qui rentre en jeu et puis finalement peut-être qu'il y a l'ethnie qui rentre en jeu mais alors là vraiment c'est très... bon j'imagine qu'on va en parler mais c'est quand même un vrai sujet l'origine ethnique en termes de mesures. Puis après il y a tout ce qui est religieux, il y en a vraiment beaucoup qui s'additionnent les unes aux autres et finalement on se retrouve avec un espèce d'ensemble de diversité qui devrait vivre ensemble et qui ne le font pas. Pas particulièrement... C'est un auteur qui parlait du ghetto, mais en fait le ghetto c'était surtout parce que les gens non divers, donc la norme, s'en allaient des quartiers et laissaient tous ces gens divers au même endroit qui finissait par être la majorité du monde. C'était vraiment un sujet qui a été pour moi très dense à appréhender et je pense que c'est ça qui m'a surpris.
Et l'autre élément qui m'a beaucoup surpris, c'est que finalement la question des diversités, elle est assez proche de celle des discriminations. Et en fait, potentiellement, on est toujours un peu le privilégié ou le discriminé d'une situation. Et un peu ce double positionnement à toujours adopter. Je pense que c'est un peu ça qui m'a un peu...
Yvan Gatignon
On sent que tu es portée et passionnée par le sujet. Est-ce que tu peux nous rappeler, si tu l'as en tête, Carine, qu'est-ce qu'on a le droit de faire et qu'est-ce qu'on n'a pas le droit de faire en France sur la mesure de la diversité ?
Carine Mira
Alors, il y a des cadres légaux, donc typiquement le RGPD, le Règlement Général pour la Protection des Données, qui encadre vraiment bien tout ce qu'on a le droit de mesurer. Ce règlement, en fait, il est assez strict et il permet vraiment de protéger l'individualité des personnes et qu'il y ait moins de dérives possibles. Ce qu'on a donc le droit de faire c'est beaucoup d'anonymes, donc on peut, ça c'est assez facile à demander mais ça demande de l'autodéclaratif qui contient beaucoup de biais potentiels puisqu'on se positionne toujours dans un milieu social en fonction de sa perception de son propre milieu social.
Yvan Gatignon
Donc ça veut dire qu'on prie sur l'origine ethnique, tout ça ? si c'est anonyme et que la personne veut répondre à ta question, c'est OK ?
Carine Mira
Oui, si c'est anonyme, et que vraiment c'est anonyme et qu'il n'y a pas de moyen de retrouver son identité. Donc par exemple, l'adresse IP ou l'adresse mail pour s'identifier, ce n'est pas bon.
Yvan Gatignon
OK, d'accord.
Carine Mira
Ou alors il faut faire... Et donc là, il y a ce cadre-là qui est le moins contraignant finalement, mais il y a aussi des possibilités un peu plus larges en demandant, en passant par les DPO, délégués protection des données dans les entreprises, qui sont là pour garantir un peu le droit et ce qu'on fait dans les entreprises et donc qui viennent instruire des notices RGPD, qui viennent donner un cadre et qui font en sorte qu'on ne puisse pas déroger de l'utilisation des données particulières.
Yvan Gatignon
Je te pose la question, et on reviendra après avec Aïssatou, parce que c'est un des grandes objections qu'on entend souvent en entreprise, c'est « oui, j'aimerais bien travailler sur la diversité, mais en fait, je n'ai pas le droit, parce que je ne peux pas mesurer, donc je n'ai pas de thermomètre, et donc, voilà, qu'est-ce que je peux faire si je n'ai pas de thermomètre ? » Et mon patron, il me demande d'avoir des résultats, mais si je ne peux pas les quantifier, je ne peux pas les montrer, et donc, à la fin de l'année, je n'ai pas ma promotion. Enfin, il y a quand même un truc où la mesure de la diversité, c'est quand même un élément clé pour travailler dessus.
Donc, ce que tu montres aussi, Carine, c'est que penser qu'on ne peut pas mesurer la diversité, c'est faux. Déjà, en fait, ce n'est pas tout à fait vrai. Il y a des choses qui peuvent être faites.
Carine Mira
Après, je pense qu'à Aïssatou, c'est mieux que moi. Comment ça marche concrètement. Mais oui, pour moi, c'est faux.
Yvan Gatignon
Alors, à Aïssatou, comment ça marche concrètement ? Voilà tu as la parole.
Aïssatou Touré
On y arrive sur le concret. Alors, chez Mixity, on a une conviction, mais je pense qu'on partage toutes et tous là en discutant, c'est qu'effectivement, ce qui n'est pas mesuré ne peut pas progresser. Et on le sait et on le dit sur plein de sujets, que ce soit sur la question environnementale, notamment sur le plan écologique. Et finalement, quand on parle aujourd'hui de pratiques inclusives, quand on parle d'inclusion et donc forcément des diversités, on est un peu plus frileux. En fait, on peut le faire et c'est pour ça que Mixity est né il y a bientôt cinq ans, en se disant finalement, mais comment montrer ces engagements concrets, comment mettre des chiffres derrière des pratiques, si finalement on ne va jamais regarder dans le détail ce qui est fait. Et c'est vrai que quand on a commencé nous l'aventure Mixity, il n'existait pas encore d'outil de mesure. Alors ce qu'on fait chez Mixity très concrètement, c'est qu'on fait des photographies à un instant T des pratiques de l'entreprise et aussi des données qui existent sur le sujet qu'on a le droit de mesurer en France. Donc on travaille en France à l'international mais là on va surtout parler du contexte français, de ce que fait l'organisation sur ce sujet. Et notre objectif c'est vraiment que l'organisation ait son point de départ, son état des lieux, et que fonction de ça, elles puissent progresser. Parce que sur ces sujets-là, finalement, ce qui va être important, c'est de se dire, voilà l'état des lieux, voici peut-être les pratiques qui vont favoriser de façon inconsciente les inégalités, ou à contrario, les bonnes pratiques qui vont permettre, voilà, vraiment de favoriser l'inclusion, et ensuite de les partager à l'ensemble des organisations. L'objectif, ce n'est pas qu'une entreprise fasse tout très bien toute seule, mais c'est qu'on ait des milliers d'entreprises aujourd'hui pour les millions, milliards de salariés que nous sommes qui puissent travailler en étant, comme on dit, sur ces questions de diversité et inclusion, au maximum de leur potentiel et qui viennent avec leur full self dans les organisations. Et donc, ce qu'on fait chez Mixity, c'est qu'on a développé du coup un référentiel qui permet d'aller derrière, mettre des scores concrets sur chacune des actions qui sont mises en place par l'entreprise. Et plus que la diversité, moi j'insiste là-dessus parce que finalement ce qui va être intéressant, ce n’est pas toujours de mesurer la diversité, en tout cas c'est mon avis, mais ça va être de mesurer les pratiques ou l'impact des pratiques inclusives. La diversité elle existe un peu partout, là on est trois, on est tous très différentes et différents, mais ce qui va être intéressant, c'est de se dire, fonction de nos différences, comment est-ce qu'on a accès à différents postes, à différentes pratiques, au sein d'une organisation ? Voilà. C'est vraiment aujourd'hui la conviction et la manière de faire qu'on porte auprès de nos entreprises, en tout cas celles qu'on accompagne.
Yvan Gatignon
J'aimerais bien que tu nous racontes une mission dont tu es particulièrement fière, si c'est possible, qu'on se représente un petit peu ce que ça veut dire si possible en citant le nom de l'entreprise. Mais voilà qu'on se dise bah moi je suis je suis dirigeant d'entreprise, j'ai envie de mettre plus de diversité dans mon corps social ; je fais appel à mixity il se passe quoi ?
Aïssatou Touré
Moi je vais te partager l'exemple d'un groupe d'entreprises, je ne vais même pas te parler d'une seule entreprise, mais d'un groupe d'entreprises qui aujourd'hui est porté par un club qui s'appelle le Club Keshow et qui réunit des salariés d'entreprises afro-descendants, afro-européens, qui ont des origines africaines, soit de par leurs parents, soit eux-mêmes, et qui aujourd'hui travaillent au sein de grandes entreprises françaises.
Le Club Keshow y réunit des entreprises comme Deloitte, comme Airbus, comme EY, comme le groupe AFD. Et en fait, cette organisation, ce collectif d'entreprises a souhaité aborder une thématique qui n'est pas la plus simple aujourd'hui en France, qui est celle de la diversité ethnique et de la manière dont ça a impacté les trajectoires professionnelles. Et donc, on est venu nous voir en disant, mais alors déjà qu'est-ce qu'on a droit de faire sur le sujet ? Est-ce qu'on a droit de mesurer aujourd'hui les origines ethniques ?
On a dit oui, on a le droit et Carine le disait très bien en étant aussi sur des modalités de ressenti d'appartenance. Et en fait l'objectif de façon particulière dans le cadre de l'étude qu'on est en train de mener avec ce club, c'est de se dire comment est-ce que ces origines ethniques influencent positivement ou non les trajectoires professionnelles ? Et donc là on rentre dans de la data, on rentre sur quelque chose de très concret où finalement l'objectif ça ne va pas simplement être de dire « voilà j'ai de la diversité dans mes équipes » mais c'est de dire « cette diversité ethnique où est-ce que je la retrouve dans l’organisation ? ». Est-ce qu'à compétence égale je vais aussi bien la retrouver aux échelons les plus élevés de l'organisation ? ou plutôt à un certain niveau de façon très marquée. Et fonction de ça, de pouvoir déterminer des actions correctives, si nécessaire, pour que chacun et chacune, encore une fois, dans l'organisation, quelle que soit, là en l'occurrence son origine ethnique, ait accès aux mêmes possibilités d'évolution au sein de l'organisation.
Donc voilà, ça c'est une très belle mission qu'on est en train de mener, et dont je suis très fière, parce que c'est un sujet qui n'est pas facile aujourd'hui à aborder en tout cas en France et au sein des entreprises, souvent par méconnaissance de la loi et aussi parce qu'on a une histoire en France qui fait que ces questions effectivement d'origine ethnique et de mesure des origines ethniques est rendu complexe. Et puis en parallèle, voilà parce qu'on a des entreprises qui se disent « on y va », on va mettre peut-être le doigt dans quelque chose qui ne va pas être simple. On va peut-être aussi identifier des pratiques qu'on imaginait meilleures et qui ne le sont pas encore. Mais en tout cas, on a la volonté d'y aller. Donc voilà, ça c'est par exemple une mission dont je suis très fière.
Yvan Gatignon
Très chouette exemple. Hager, au sein de la chaire Diversité et Inclusion de l'EDHEC, vous avez j'imagine des entreprises partenaires. Moi, ce qui m'intéresse, c'est de savoir déjà à quoi ça ressemble, les entreprises qui s'engagent aujourd'hui sur ce travail universitaire aussi, autour de la chaire diversité et inclusion, et surtout, qu'est-ce qu'elles en attendent ? Pourquoi est-ce qu'une entreprise, aujourd'hui, de ce que tu observes, souhaite s'engager avec un acteur comme l'EDHEC, pour travailler sur le sujet de la diversité et de l’inclusion ?
Hager Jemel-Fornetty
Alors souvent c'est la taille de l'entreprise qui amène un engagement dans notre chaire et dans ce type de chaires. C'est pas notre souhait mais en fait c'est tout simplement une question de taille critique, une taille de nombre de personnes qui travaillent sur certains sujets. Dans des plus petites entreprises, c'est très compliqué d'avoir des ressources qui réfléchissent à ces sujets et des ressources qu'on met pour qu'une chaire puisse fonctionner. Donc, on est plutôt dans de grandes entreprises. Il y en a qui ont été citées par mes collègues tout à l'heure. Il y en a qui veulent être connues, il y en a qui veulent travailler avec nous sans l'être. Ce qui veut dire qu'elles ne cherchent pas toutes forcément à briller à travers une chaire. Et ça, c'est une bonne nouvelle pour les entreprises qui le font.
Ça veut dire, parce que depuis tout à l'heure, on tourne autour d'une même question, c'est la complexité de ce sujet. C'est un sujet qui est à la fois émergent en France, aux Etats-Unis, dans les pays anglo-saxons, on y pense, on y travaille depuis plusieurs dizaines d'années et c'est plus décomplexé, c'est beaucoup plus concret. Vous l'avez très bien dit en France, ça contredit beaucoup de principes républicains, on ne sait pas qu'est-ce qu'on peut mesurer, qu'est-ce qu'on ne peut pas mesurer. Et comment faire pour parler de ce sujet sans heurter telle personne, sans paraître de droite ou de gauche, voyez, c'est pour ça que c'est compliqué. Comment parler des religions alors que voilà, on est un pays laïque ? Et donc, elles cherchent, je pense, aussi à avoir des clés, à avoir des bonnes pratiques et à s'entourer de personnes qui peuvent les aider dans leur analyse, leur réflexion.
Et je pense que c'est premièrement ce qu'elles viennent chercher. D'autres aussi viennent tout simplement pour vraiment aider à ce que ces thèmes évoluent dans le milieu de la recherche parce qu’il y a des convictions ; il y a des femmes et des hommes très convaincu.es dans des entreprises contrairement à ce que certaines et certains peuvent croire et qui savent que nous avons besoin de moyens, nous avons besoin de terrain pour que ces thèmes soit mieux compris. Et pour tout simplement faire évoluer le savoir, il y en a qui sont 100% motivés par cet aspect-là. Donc, il y a une diversité.
Disons-le aussi clairement, nous sommes aussi une école de commerce, donc nous avons des étudiants qui sont très recherchés sur le marché et nous avons beaucoup d'entreprises qui arrivent parce qu'elles veulent rencontrer nos étudiants à travers un thème, qui est un thème intéressant, de plusieurs points de vue, qui peut améliorer leur attractivité, et qui peut aussi montrer aux étudiants - il y a quand même beaucoup de sincérité, il n'y a pas que de la « diversity washing » parmi les entreprises et ce qui se passe - et c'est un moyen pour elles en travaillant avec nous sur des cas ; par exemple nous avons un séminaire qui s'appelle « Tremplin Diversité & Inclusion », où on a 700 étudiants qui travaillent sur des cas amenés par des entreprises, et là, les entreprises savent que c'est le moment de montrer aux étudiants comment elles se posent des questions réelles, concrètes, même liées au business, en étant des questions de diversité et inclusion. Et ça permet de créer ce lien et aussi de repérer parmi nos étudiants qui pourraient être des futurs employés.
Vous savez, il y a cet aspect-là aussi dans les partenariats entreprises. Donc, il y a une diversité de motivations. Et pour moi, il n'y a pas une motivation qui est bonne ou mauvaise tant que nous faisons avancer et progresser justement la connaissance, mais surtout les comportements. Parce qu'en fait, c'est une chose de savoir, après c'est une autre chose d'amener des comportements à changer. Et nous, justement, nous nous sommes donnés comme mission de participer à changer les représentations pour ensuite changer les comportements.
Donc voilà, les entreprises sont au courant, elles viennent pour toutes ces raisons et nous, nous en profitons le plus possible pour les mettre en face de nos étudiants et aussi en les mettant face de nos étudiants et en travaillant avec elles sur des études faire progresser aussi leurs propres pratiques.
Yvan Gatignon
Est-ce que tu dirais, Hager, que ce qui va motiver l'entreprise… est ce que ça relève plutôt de la marque employeur ? Est-ce que ça relève plutôt du marketing ? Parce que c'est une entreprise qui fait du B to C, qui s'adresse à des clients potentiels qui sont eux-mêmes divers ? Ou est-ce que tu dirais que finalement c'est plus un sujet de culture de l'entreprise, voire peut-être même de la personnalité du dirigeant ? C'est-à-dire que finalement on a toujours un peu l'image que, oui bien sûr L’Oréal est engagé pour la diversité, c'est évident… il suffit juste de regarder leurs clients et c'est clair qu'ils ont tout intérêt… Alors que dans le monde industriel, c'est moins évident. Peut-être que chez airbus, peut-être que voilà… Peut-être que chez Vallourec, c'est moins évident… Enfin est ce que c'est ça qui va faire la différence, le secteur activité ? Ou est-ce que finalement toi, tu observes que tu as des entreprises qui le font parce que elles y croient tout simplement ? Parce que c'est leur culture qui fait ça et peut-être qu'à la tête elles ont des personnes convaincues ?
Heger Jemel-Fornetty
Alors il y a une diversité d'entrées dans ce sujet, de ce que je vois dans mon expérience, et Aïssatou, Carine nous diront aussi comment elles observent ça.
Souvent, dans ce type de grandes entreprises, vous savez, nous ne sommes pas dans des ONG, nous ne sommes pas dans des associations, il y a des actionnaires derrière, donc il y a une question de profit. Donc il y a plusieurs entrées. Il y a une entrée qui est parfois liée au business et ça peut être, comme vous l'avez dit, clairement lié au client, etc. Ils se rendent compte qu'il y a un aspect important, une diversité, et que pour s'adresser à cette diversité, il faut aussi changer son vocabulaire, sa grille d'analyse et sa façon d'être perçu.
Il y a aussi parfois des entrées où il y a un conflit, un grand conflit, et qui est médiatisé, et qui peut amener l'image d'entreprise d'être écornée, ou être même, je pense à un cas où ça a commencé vraiment avec une class action aux États-Unis. Et de là, il y a une conscience qu'il y a un risque opérationnel, un risque d'image, et qui peut se traduire en risque financier et il y a une prise de conscience. Et en commençant à travailler sur ce sujet, les convictions se forgent et petit à petit, en commençant à être sur la défensive, on devient vraiment une entreprise qui travaille de manière sérieuse et sincère sur ces sujets.
Bien sûr qu'il y a aussi, dans certaines entreprises… « tout le monde le fait, donc pourquoi pas nous ? on ne peut pas rester les derniers à le faire. ». Ça, on le voit aussi. Et en fait, malheureusement, le manque de conviction finit par vite se savoir, se sentir, surtout quand on a cette expertise sur le sujet. Et même quand on ne l'a pas, je vois même nos étudiants et nos étudiantes, ils en ont conscience très rapidement. Donc moi, si j'ai un conseil à donner aux entreprises, c'est de ne jamais entrer sur ce sujet s'il n'y a pas de vraie conviction, s'il n'y a pas une vraie exemplarité au niveau de la direction générale, au niveau des cadres de l'entreprise, au niveau de leurs pratiques, parce que sinon, ça devient très fragile et le discours est très, très vite déconstruit. La marque employeur, vous l'avez citée, je l'ai dit, c'est aussi une motivation, surtout que les générations actuelles, tout ce qui est sociétal et social est beaucoup plus important pour elles et eux, heureusement, que des générations qui sont passées avant en entreprise. Donc, il y a une adaptation avec des demandes sociales.
Yvan Gatignon
Ok. Carine, je te laisse réagir sur ce qui vient d'être dit. Peut-être moi, la question que je me pose qui est : plus globalement la place de l'entreprise. Est-ce que c'est vraiment le job finalement de l'entreprise de travailler sur le lien social, la diversité ? Est-ce que l'entreprise a un supplétif des pouvoirs sociaux, des pouvoirs publics qui sont un peu défaillants sur le sujet ? Ou est-ce qu'il y a un intérêt intrinsèque propre à l'entreprise à travailler là-dessus ?
Carine Mira
Oui, alors moi j'avais aussi, pardon, mais j'y ai pensé pendant que j'en reparlais, donc un peu une question et un peu un rebondissement, voilà. Je me dis aussi, peut-être, que ces dernières années, il y a quand même eu beaucoup de travaux qui visaient à ouvrir un peu plus les grandes écoles, à ouvrir un peu plus toutes les universités. Et donc, il y a un peu plus de diversité sociale dans les grandes écoles et donc, nécessairement, dans les formés à la fin. Et donc, potentiellement, il y a aussi un sujet où l'entreprise, elle a été un peu… Oui, elle a dû se saisir du sujet parce qu'en fait, il fallait aussi recruter des gens qui étaient formés.
Il y a eu beaucoup... Là où j'ai fait mon contrat en CIFRE, c'est une fondation d'entreprises dans un grand cabinet d'audits et de conseil. En fait, il y avait aussi une pénurie de talents et donc il a fallu ouvrir un peu les viviers et aller recruter un peu plus largement que dans les viviers habituels globalement. Et donc potentiellement, en fait, il y a aussi plus de ces personnes qui incarnent la diversité, qui sont formées, et donc on peut plus aller les recruter. Et donc, potentiellement, il y a aussi le sujet de l'intégration. Donc, on est un peu obligé de se poser des questions quand, je ne sais pas, moi, je suis une femme, si jamais dans tous les supports de marketing et de communication, on ne parle qu'aux hommes, je vais beaucoup moins me sentir concernée, beaucoup moins me sentir intégrée dans l'entreprise.
Potentiellement, il y a aussi ça qui s'est un peu joué, et dans ce cas, c'est un mouvement positif, finalement de se dire que la diversité et les diversités ont progressé dans tous les champs avant, donc dans le secondaire, dans le supérieur, et donc ensuite c'est forcément à l'entreprise de s'adapter et de se questionner en tout cas sur tous ces sujets-là.
Hum et, Hager, je ne sais pas si tu veux réagir tout de suite ?
Hager Jemel-Fornetty
Alors, oui, je ne voulais pas t'interrompre, merci Carine. Alors bien sûr qu'il y a ces aspects-là, mais heureusement, fort heureusement que nous avons une plus grande diversité dans nos écoles qu'il y a 40, 50 ans ou même encore 20 ans.
Ceci est dû à beaucoup, beaucoup de choses… Parce qu'évidemment, il y a plus de moyens financiers, les banques prêtent plus, les fondations donnent, les écoles comme les nôtres ont des fondations, nous donnons des bourses, mais aussi parce qu'il y a un travail de fond de plusieurs associations qui essayent d'amener des étudiants et des élèves d'origine sociale modeste vers justement des horizons qui n'étaient pas considérés comme les leurs.
Donc il y a beaucoup, beaucoup de progrès sur ce sujet. Et bien évidemment, le fait qu'il y ait de la diversité parmi nos élèves amène à ce qu'il y ait plus de diversité en entreprise.
Et ça, on en parle sans en parler beaucoup, c'est-à-dire dans les travaux sociologiques ou aussi dans les travaux, même dans les gouvernements successifs, on a une attention sur la diversité sociale dans les écoles par exemple, comme si tout d'un coup, quand on arrive en entreprise, ça se dissout. Le problème, c'est que ça ne disparaît pas. Des étudiants et des étudiantes d'origine modeste qui arrivent dans des écoles comme les nôtres et bien qu'ils puissent avoir des beaux diplômes, ne sont jamais forcément, on va dire, sur le même piédestal, ou ils n'ont pas les mêmes ressources que les autres… notamment en termes de, vous savez, c'est difficile de définir la diversité, notamment parce qu'il y a une partie objective et une partie subjective, et la partie subjective, ça tient à comment nous on se perçoit, comment sont nos parents, le capital social, vous savez, le capital relationnel. Et donc, forcément, amener des étudiants et des étudiantes en entreprise, ça amène cette diversité directement en entreprise. Beaucoup plus surtout dans des postes… parce qu'il y a toujours eu de la diversité partout, mais il y a un plafond de verre, vous savez, pas que pour les femmes, on en parle pour les femmes, mais le plafond de verre, c'est pour beaucoup de catégories sociales. Et maintenant, on a des cadres qui sont plus divers et heureusement. Donc peut-être et vous avez raison Carine, que ça, ça amène les entreprises à s'interroger plus, parce qu'il y a au sein des entreprises plus de diversité à plusieurs niveaux. On n'a pas uniquement les employés ou les ouvriers qui sont beaucoup plus forcément de cette catégorie, de cette ethnie, et les cadres dirigeants d'une telle catégorie. Donc forcément, ça crée encore plus de questionnements et ça amène plus de demandes de comprendre et des politiques… Je suis d'accord avec vous, effectivement.
Yvan Gatignon
Merci. Aïssatou, je reviens aussi à toi sur ce que tu racontais sur tes missions en entreprise. Moi, ce qui m'intéresse, c'est de comprendre les obstacles… Qu’est-ce qui… on peut avoir plein de bonne volonté en se disant « oui, j'aimerais bien, moi je suis DRH d'une boîte, j'aimerais bien que mon entreprise soit plus diverse, etc. »… Qu'est-ce que tu leur dis à tes clients, à quoi ils doivent s'attendre en termes d’obstacles ? Qu'est-ce qui va rendre la tâche difficile ?
Aïssatou Touré
C'est une très bonne question. Et en fait, dès lors qu'on est sur des questions d'accompagnement au changement, des obstacles sont divers et variés. Mais je reviens juste, moi aussi, je fais un petit retour en arrière sur la question que tu posais et que je trouvais intéressante et à laquelle Hager a commencé à répondre sur justement le rôle de l'entreprise dans la nécessité de travailler sur ces questions de diversité et d'inclusion. L'entreprise est finalement l'un des derniers lieux dans la société où on se retrouve avec toutes nos diversités. Et donc, avec toutes nos diversités, avec tout ce qu'on est toutes et tous, et donc forcément avec la nécessité derrière de devoir composer avec des personnes qui viennent d'horizons différents, qui, en fonction de ces horizons différents, ont rencontré des situations plus ou moins facilitées, facilitantes dans leur vie professionnelle. Et finalement, si l'organisation, l'entreprise veut pouvoir bien fonctionner d'un point de vue business, elle est obligée de s'occuper de ces questions de diversité et de pratiques inclusives. Parce que c'est aussi au service de, derrière de son bon fonctionnement, et de la capacité à mettre en mouvement et la capacité à faire en sorte que plusieurs personnes puissent travailler ensemble dans l'objectif, les objectifs stratégiques qu'elle s'est fixée. Donc je reviens là-dessus, mais finalement, en tout cas, c'est une conviction qu'on porte. Il y a aussi une nécessité parce que c'est un espace où, de toute façon, les diversités sont présentes. Et donc l'objectif de l'organisation, c'est aussi de faire en sorte que ça fonctionne.
Après, une fois qu'on s'est dit ça, les obstacles, ils sont nombreux parce qu'en fait, ce qu'on fait quand on travaille sur ces questions de pratiques inclusives et donc de favorisation des diversités, c'est de l'accompagnement au changement. Hager le disait très bien tout à l'heure, parmi les étudiants, dans tout ce qui est fait, on sème des graines. Ce qu'on fait, nous, c'est de les faire, en tout cas, ce qu'on essaye de faire, une fois que les étudiants sont passés dans les organisations, c'est de faire pousser des beaux arbres. Sauf que ça ne se fait pas du jour au lendemain. Donc, ça veut aussi dire qu'on rencontre parfois des frictions parce qu'on vient se faire confronter des points de vue qui sont différents et qui nécessitent aussi des changements de comportement. C'est vraiment ça l'objectif final quand on travaille sur ces questions de diversité et d'inclusion. Et ce que je dis, moi, assez régulièrement, en tout cas aux entreprises que j'accompagne, c'est que d'une part, effectivement, et Hager l'a très bien dit et Carine l'a répété, c'est que l'authenticité et la sincérité sont extrêmement importants pour pouvoir avancer sur ces sujets.
Et aussi, que même si on est dans une société où tout va très vite, on est quand même sur des politiques de petits pas. Alors, on aimerait que ça aille très vite, parce que je pense qu'il n'est supportable pour personne d'avoir des sociétés ou des organisations inégalitaires qui, malheureusement, reproduisent ce qu'on peut voir par ailleurs. Mais on est quand même sur des politiques de petits pas, parce qu'on est dans des changements de comportement. Et ça, qu'on le veuille ou non, ça prend du temps donc ça c'est quelque chose que je dis que je dis et que je martèle auprès des entreprises que j'accompagne, c'est qu'en fait tout ce qui est mis en place et les activités ne pourront être des one shot ; et qu'il va falloir que ce soit des activités, des actions qui soient répétées dans le temps, qui soient aussi répétées par rapport aux valeurs et aux philosophies qu'elle porte parce que parce que voilà on est on est dans du travail de très longue haleine. Donc finalement, ce que je dis ne diffère pas de n'importe quel professionnel qui accompagne au changement, c'est simplement qu'on l'applique à ces questions de diversité et d'inclusion.
Yvan Gatignon
Et comment réagissent les gens en charge du recrutement des entreprises ? Quand ils vous voient débarquer, est-ce qu'ils se disent « aïe aïe aïe, il va falloir que je justifie tout ce que je fais », ou est-ce qu'ils vous voient comme des alliés ? Ça ne me paraît pas complètement évident quand même...
Aïssatou Touré
Ça n'est pas évident. Je ne veux décourager personne, mais de toute façon, ça n'est pas évident. Mais en fait, on a aussi beaucoup d'entreprises qui ont envie d'y aller. Et pour, par exemple, les professionnels du recrutement, je prends la question du handicap, qui est effectivement l'une des diversités, où on a aujourd'hui, par exemple, qui est effectivement l'une des diversités où on a aujourd'hui, donc en France, une obligation d'emploi et un certain nombre d'organisations qui, moi, souvent m'ont dit « mais nous, on veut recruter des personnes en situation de handicap, mais on n'y arrive pas ». Et finalement, en tout cas dans la réflexion qu'on a avec eux, dans l'accompagnement qu'on a avec eux, l'idée c'est aussi un peu d'inverser la charge, entre guillemets, de la responsabilité en disant « mais qu'est-ce que vous, en tant qu'organisation, vous faites pour donner envie à une personne en situation de handicap de vous rejoindre ? Qu'est-ce qui est valorisé dans votre processus de recrutement qui me permettrait à moi, si je suis en situation de handicap, de me dire, dans cette entreprise, ma situation de santé va être prise en compte ? ». Et donc ça, déjà, ça vient un peu titiller nos partenaires du recrutement au sein des organisations qui vont aller commencer à chercher, finalement, dans leurs offres d'emploi, qu'est-ce qui donne à voir que finalement l'état de santé est aussi quelque chose qui est pris en compte pour des aménagements de situation de travail si c'est nécessaire. Ensuite, comment est-ce qu'on parle par exemple du handicap déjà au sein de l'entreprise pour pouvoir se dire qu'aujourd'hui c'est quelque chose qu'on peut accompagner au sein de l'organisation. Et finalement, ce sont un ensemble de bonnes pratiques qu'on va venir disséquer avec les partenaires du recrutement et qui, petit à petit, ils vont implémenter. Donc, généralement, on est plutôt vu comme des alliés. En tout cas, c'est ce que j'aimerais dire.
Et après, la deuxième étape, c'est plutôt comment est-ce qu'on installe dans le temps et comment est-ce qu'on s'assure que finalement, à tous les échelons d'entreprise, toutes les personnes, là on parle du recrutement, toutes les personnes qui participent à ce travail-là vont être au fait de nos bonnes pratiques ? C'est souvent ça la difficulté, ce n'est pas tant d'imaginer et d'avoir l'idée, c'est vraiment de l'implémenter et de s'assurer qu'après tout le monde en ait connaissance.
Yvan Gatignon
Carine, je te laisse réagir aussi.
Carine Mira
En fait, tu me posais tout à l'heure la question de pourquoi est-ce que l'entreprise se lance dans le sujet, et puis à Aïssatou, ça résidait beaucoup à ce que tu disais, finalement c'est des petits gestes à répéter. Mais en fait, moi je me dis, mais pourquoi elle n'irait pas ?
Plutôt à l'envers de pourquoi elle irait, c'est plutôt pourquoi elle n'irait pas ? Factuellement, la société française, elle évolue. Je pense que je n'invente pas la poudre en disant ça. Et donc en fait, on doit tous prendre le sujet à bras le corps.
Hier, je participais à un atelier sur la fresque du climat, et il parlait du triangle de l'inaction. « Non, ce n'est pas mon rôle, c'est celui de l'entreprise ». « Non, quand on est l'entreprise, non, ce n'est pas mon rôle, c'est celui de l'État ». Et quand on est l'État : « non, ce n'est pas mon rôle, c'est celui des citoyens ». Non, en fait, c'est pour tout le monde.
Je trouve que vraiment, le sujet, en plus, il est complexe, il est plein de choses, mais il est tellement riche et tellement intéressant que je ne vois pas... Enfin, oui, pourquoi pas, en fait ?
Yvan Gatignon
Pourquoi pas ? C'est vrai, finalement. Bon, après, c'est vrai que les entreprises, elles ont toujours des questions d'arbitrage en termes de temps et de moyens, mais tu as tout à fait raison, Carine. La société change, l'entreprise doit tout simplement s'adapter à ça, et il faut le faire, et il faut le faire à la vitesse du changement de la société en tant que telle, parce que la société change vite aussi.
On arrive au terme de cet échange. Je vais vous demander un dernier conseil. Voilà. Si vous vous adressez à un dirigeant, qu'il soit public ou privé, et que vous avez envie de le convaincre de se lancer dans une démarche autour de la diversité, qu'est-ce que vous lui dites ? Pourquoi est-ce qu'il faut y aller ? Et vous avez droit à un conseil. Oui, je sais, c'est difficile.
Une seule bonne raison pour y aller.
Hager Jemel-Fornetty
Je peux me lancer ? Moi, je rebondis sur une remarque très intéressante faite par Aïssatou au début, où elle s'est dit, effectivement c'est difficile de mesurer la diversité et ne restant pas focalisé sur mesurer, c'est pas le premier sujet…
Moi je dirais à un dirigeant ou à une dirigeante qui se soucie de ça, c’est plutôt de se soucier de l’inclusion, tout en se souciant de la diversité, c'est-à-dire qu'il y ait une représentation de plusieurs types de personnes, âge, sexe, origine, etc. Mais surtout de se dire, est-ce que ces personnes, et le mieux c'est de leur poser la question, est-ce que ces personnes se sentent valorisées, se sentent respectées telles qu’elles sont, quelque que soit leur identité, d’où elles viennent, ce qu'elles représentent, quelle que soit leur sexualité, quel que soit leur handicap, que sais-je. Et pourquoi, si on veut, parce qu'évidemment pour moi c'est une question de respect et d'éthique, mais je suis très consciente que ça ne suffit pas, mais soyons même, adoptant une démarche instrumentale et disant, pensez-vous que des partenaires, des collaborateurs et des collaboratrices puissent être engagé.es et donner le meilleur d'elles et d'eux-mêmes dans un climat qui n'est pas inclusif, qui ne les reconnaît pas, qui ne leur donne pas les mêmes chances et qui ne leur offre pas une sécurité psychologique ?
Sincèrement, la réponse est non. Toutes les études le montrent et le bon sens le montre. Donc voilà déjà une bonne raison de s'engager.
Yvan Gatignon
Merci Hager. Qui prend la suite ? Allez vas-y Aïssatou.
Aïssatou Touré
Je vais prendre la suite dans ce cas-là et ça va être très complémentaire de ce qu'a dit Hager. Aujourd'hui je pense, en tout cas c'est vraiment la conviction qu'on a chez Mixity et qu'on partage avec les organisations qu'on accompagne, c'est que l'inclusion n'est plus une option. Ce n'est plus une option, donc lancez-vous, finalement, restez un peu sur le quai. Le train va partir sans vous. On a effectivement des jeunes professionnels qui arrivent. En fait, je n'aime pas tant parler de jeunes professionnels, on a des professionnels aujourd'hui au sein des organisations qui ont envie de pouvoir travailler dans les meilleures conditions possibles. Et parmi les meilleures conditions possibles pour être en capacité de faire évoluer la société ou en tout cas l'entreprise dans laquelle elle travaille, elles ont besoin d'être effectivement reconnues dans ce qu'elles sont et acceptées pour cela. Donc lancez-vous parce qu'effectivement ce sont des actions que vous faites et qui seront au bénéfice de votre raison d'être en tant qu'entreprise. Alors, on en a moins parlé, mais ça fait aussi partie de la responsabilité d'une entreprise aujourd'hui d'exercer, de travailler sur ces sujets-là. Donc, allez-y et allez-y avant d'y être obligé.
Voilà, ce serait un peu mon message, parce que je suis sûre. Oui, et parce que je suis sûre que...
Yvan Gatignon
C'est important de rappeler qu'il y a aussi un cadre légal, effectivement, et que...
Aïssatou Touré
Exactement, effectivement. Exactement. Et en parallèle de ça, il y a plein d'organisations aujourd'hui, et c'est ce qui est aussi intéressant, qui nous disent « Mais nous, on ne fait rien sur ces sujets. » Et finalement, quand on va creuser, on voit de très belles pratiques qui ont aussi tout intérêt à être partagées au plus grand nombre d'entreprises. Et voilà aussi d'être dans un cercle vertueux par rapport à ça. Donc, lancez-vous. On n'attend que vous.
Yvan Gatignon
Merci, Aïssatou. Carine, c'est à toi.
Carine Mira
C'est un peu dur de passer après mais l'avantage c'est qu'elles ont déjà balayer le champ...non moi je pense que mon dernier conseil ce serait juste de se souvenir de l'objectif et de se dire qu'en fait sont construits une société qui est plus inclusive et qui est plus joyeuse et qui est plus, je ne sais pas, chouette pour tout le monde en ce moment et non juste se souvenir de l'objectif et peut-être que ça avancera.
Yvan Gatignon
Ok, et bien on fait ça. Ensemble, construisons une société plus chouette. Eh bien, merci Carine, merci Aïssatou, et merci Hager. Bonne fin de journée.
Merci. Merci beaucoup.
Et voilà, c'était By Doing Good, le podcast de l'innovation sociale raconté par ceux qui la font. Merci pour votre écoute. J'espère que cet échange vous aura inspiré et donné envie, vous aussi, de vous engager pour l'innovation sociale.
Si c'est le cas, n'hésitez pas à vous abonner et à mettre 5 étoiles sur Spotify ou Apple Podcast. Rendez-vous sur www.bigbloom.org pour découvrir tous nos prochains hackathons solidaires à venir. Voilà, je vous dis à la semaine prochaine.
Hager Jemel-Fornetty, directrice de la Chaire Diversité & Inclusion, a participé aux Assises de la Parité 2023, dont l'EDHEC est partenaire. À cette occasion, la Chaire a lancé le premier test pour mesurer l’inclusion dans les jeux vidéo intitulé Test for D&I in Gaming. Hager Jemel-Fornetty a présenté en avant première les premiers résultats du test appliqué à 51 jeux vidéo.
[Musique]
Bonjour à toutes et à tous, je suis ravie de présenter en avant-première cette étude que nous avons menée avec des collègues de l'EDHEC sur les jeux vidéo, et surtout à quel point ces jeux sont paritaires. On peut aussi poser la question : à quel point ces jeux sont sexistes ? À quel point ces jeux déforment l’image des femmes, mais des hommes aussi ?
Alors, pourquoi s'intéresser aux jeux vidéo rapidement ? Parce que les jeux vidéo, c'est vraiment parmi, aujourd'hui, les médias les plus influents. Et nous avons, l'année dernière, nous nous sommes posé la question avec une collègue qui est gameuse, mais qui est aussi directrice d'un master et professeure de marketing : « à quel point les jeux représentent de manière égale les femmes et les hommes ? »
Et on a regardé les jeux à scénario. On a fait un test : on a pris deux scripts de jeu, on les a passés au crible, et on s'est rendu compte, au moins sur ces deux jeux là, que ce n'était pas le cas. On a fait déjà un premier constat, une première petite publication scientifique, et aussi sur « The Convresation ». Mais après ça, ça nous a donné la puce à l'oreille. On s'est dit : on va étudier beaucoup plus de jeux.
Et on a scrapé le script de 51 jeux, qui sont des jeux vraiment — ce qu'on appelle des best-sellers — qui sont beaucoup, beaucoup utilisés dans le monde. Ce qu'il faut savoir, c'est que les jeux vidéo ont été érigés comme un dixième art en 2006 par le ministère de la Culture. C'est certain : c'est un art, c'est magnifique, et ça a une influence ultime aujourd'hui.
Aujourd’hui ce produit culturel dépasse largement, largement toutes les autres productions en termes d'audiences, de chiffres d'affaires, de productions — aussi bien le cinéma, la télévision, la musique. En 2023, on sait qu'aujourd'hui, au moins, il y a 3,3 milliards de personnes sur la planète, selon des dernières projections qui viennent de sortir. C'est même plus : c'est 3,75, ce qui fait qu'aujourd'hui, on estime à 47 % des personnes du monde entier qui jouent aux jeux vidéo.
Donc, ça a une influence sur nos représentations, sur nos comportements. Et bien sûr, ça ne va pas uniquement dans l'univers du jeu : tout ça va toucher l'entreprise, va toucher l'école. Et on a regardé aussi : est-ce que les femmes jouent autant que les hommes ? En attendant, on pensait que non. La réponse est : oui. Et on regarde selon les tranches d'âge, c'est la même chose.
Ça, ce ne sont pas nos statistiques, ce sont des études statistiques de Statista ? Ce qui montre que ce ne sont pas des jeux faits pour les hommes. Enfin, ce sont des jeux pour les femmes et les hommes. Et surtout, ce sont des jeux qui influencent la société. Et il n'est plus acceptable aujourd'hui d'avoir des jeux qui sont sexistes ou non paritaires.
Alors, ce qu'on peut déjà observer, c'est que l'industrie du jeu vidéo met déjà surtout en valeur les joueurs, alors qu'on vient de voir que les joueuses jouent aussi autant, presque, que les joueurs. Les développeurs sont beaucoup plus nombreux que les développeuses. Ça peut nous donner une indication de pourquoi, justement, il y a un "male gaze" dans ces jeux vidéo : un regard masculin.
Mais aussi, quand on regarde les personnages maintenant — et c'est ça l'intérêt de notre étude — c'est : comment on perçoit les personnages ? — On voit que les personnages féminins sont regardés différemment. Elles ont souvent des rôles passifs ou moins importants, moins inspirants.
Donc, la question qu'on s'est posée, c'est : est-ce que vraiment les jeux vidéo sont sexistes ? Qu'est-ce qu'on a fait ? On a fait la même chose que ce qu'on a testé l'année dernière sur deux jeux. On a pris 51 jeux parmi les plus vendus — ce que je disais — on a regardé les scripts, on les a analysés un par un. On a téléchargé des scripts entre 1991 et 2022 pour voir s'il y a une évolution positive.
Et surtout, on a décidé de leur appliquer un test. Je ne sais pas si des personnes dans la salle ont déjà entendu parler du test de Bechdel qui existe depuis les années 70 pour évaluer les œuvres cinématographiques — que ce soit des séries et des films essentiellement — avec trois questions, où on se dit : est-ce qu'elles passent le test ou pas ?
Nous, avec les jeux vidéo, on a posé plus exactement cinq questions :
- La première : est-ce qu'il y a autant de personnages féminins que de personnages masculins qui parlent ? Parce qu'on peut les trouver, mais qui n'ont pas de rôle.
- Deuxièmement : est-ce qu'il y a autant de personnages féminins que de personnages masculins nommés ? C'est-à-dire : ils ont une existence légitime, on les reconnaît, ce ne sont pas justement des décors qui, de temps en temps, disent un mot.
- Troisième question : les personnages féminins et masculins ont-ils un temps de parole équivalent ?
- Quatrième question : peut-on incarner autant de personnages féminins que masculins ? Pour les gamers et les gameuses, vous savez que dans les jeux à scénario — ce qu’on appelle les role playing games — on peut incarner un joueur ou une joueuse. Et donc, la question s’est posée.
- Cinquième question : concerne les métiers et les statuts de ces personnages. Est-ce qu’ils sont attribués vraiment de manière équivalente entre les personnages féminins et les personnages masculins ?
Alors, je ne vais pas garder le suspense longtemps. Je vais commencer par donner des réponses, question par question. Alors, le graphique parle de lui-même. Quand on regarde la répartition des personnages féminins et masculins, ça n’a rien à voir avec ce qui existe sur la planète. Puisque, comme vous le savez toutes — c’est pas un scoop — nous sommes les femmes, nous faisons, nous composons 50 % des personnes qui sont sur cette planète. Et dans les jeux vidéo, c’est pas le cas : ça se réduit à 20 %.
Les personnages féminins fondent. Alors, on regarde aussi l’évolution. Il y a une petite évolution, mais on ne peut pas dire que c’est vraiment une évolution très, vraiment énorme. Et donc, il y a énormément de choses à faire. Il y a donc... la réponse pour le test, c’est non pour les 51 jeux. Parce que là, ce que vous voyez, c’est une moyenne pour les 51 scripts. Mais quand on passe au crible, jeu par jeu... la réponse est non.
Alors, il y a un best and worst, on a tenu à les mettre. Mais bon, c’est histoire de... L’idée, c’est pas de stigmatiser des jeux. Mais voilà : celui où il y a le plus de personnages féminins, c’est celui qui se retrouve avec 48 % [Village]. Et celui qui est le pire, c’est Assassin’s Creed, où c’est 4 % uniquement de personnages féminins. Donc là, on est vraiment dans une planète où les femmes disparaissent.
Deuxième question : est-ce qu’il y a autant de personnages féminins que masculins nommés ? La réponse est non. On est à 24 % de personnages nommés. Les femmes sont invisibilisées, voilà, pour ainsi dire.
Alors, il y a une chose positive : c’est que là, il y a deux jeux qui passent le test. Deux sur 51. Donc, il y a quand même une légère croissance, un accroissement de la proportion des femmes nommées, qui parlent dans le jeu. Mais on n’est pas encore à une parité, loin s’en faut. Alors, nous avons un jeu qui tire quand même son épingle du jeu, avec 55 % des personnages féminins nommés [GodWar]. Mais toujours un qui est très, très, très mauvais sur ce même test : c’est Assassin’s Creed, avec 6 % des femmes qui parlent, qui sont nommées.
Alors je continue parce qu’il faut qu’on fasse le plus rapidement possible. Alors est-ce que les femmes et les hommes ont… Est-ce que les personnages féminins et masculins un temps de parole égal, équivalent. La réponse c’est encore non. Et là c’est pour 46 jeux sur 51 et quand on regarde la moyenne on est à 21 % de temps de parole qui est accordé aux personnages féminins. Donc, elles n’ont pas la voix qui porte. Elles n’ont pas la même existence. C’est dommage pour ces personnages féminins, on espère quand même que ce n’est pas le même sort pour les femmes dans la société. Mais ce qu’on vient d’écouter là nous montre quand même le contraire. Juste avant je fais toujours puisque c’est un test le best et le worst. Alors on a quand même un best, mais je ne vais pas m’étaler, c’est une histoire à part, c’est Tomb Raider, qui est à part . Mais parce que le personnage qui est le personnage principal, c’est une femme. Et juste pour l’histoire, ça n’a pas été choisi parce que c’est une femme parce qu’à l’époque, quand ils ont écrit le scénario, ça devait être un personnage masculin. Ils ont changé au dernier moment parce qu’ils avaient peur d’être accusés de plagiat par rapport à une autre œuvre cinématographique. Donc, ils ont glissé une femme. Ça leur a sauvé la peau, et c’est comme ça qu’on se retrouve avec une femme qui parle plus que les hommes. Et sinon, ça aurait été un homme. Merci la peur du plagiat !
Sinon, Assassin’s Creed, je suis désolée, j’ai rien vraiment contre Assassin’s Creed... enfin si, maintenant, depuis que je fais cette étude. Mais alors, les personnages féminins parlent 3 % du temps. Elles... vraiment, les pauvres, n’arrivent pas à parler. Elles n’ont pas encore appris à parler dans ce jeu.
Alors, quatrième question : peut-on incarner autant de personnages féminins que masculins ? La réponse est, je pense, sans vraiment suspense : non. Et encore, c’est 30 % de personnages féminins qui peuvent être incarnés. C’est un petit leurre. Je vous explique rapidement pourquoi : parce qu’en fait, parfois, maintenant, on trouve dans certains jeux un personnage qui est playable, qui est jouable, mais pas sur tout le scénario du jeu — pendant 2-3 minutes. Mais on l’a mis quand même comme “oui”, c’est-à-dire il a coché, fait la case “oui”.
On a mis... la prochaine question, ça sera : est-ce qu’on peut l’incarner autant de temps ? Et là, on serait encore plus faible que 30 %. Mais voilà, encore une fois, il y a — dans ce sac pour cette question-là — 33 jeux qui arrivent à passer le test. Il y en a quand même où c’est pas le cas. C’est ça aussi qu’il faut retenir.
Maintenant, comment on se représente les femmes, aussi, c’est intéressant de voir : de quel métier, quel statut les femmes ont ? Est-ce que c’est équivalent ? Elles peuvent être ce qu’elles veulent, et ils peuvent être ce qu’ils veulent, ces personnages féminins et masculins ? Non. On leur applique les stéréotypes qu’on a dans la société. Il faut que chacun reste dans son rôle, s’il vous plaît.
Donc, les hommes, où est-ce qu’ils sont à votre avis ? Ben, c’est des guerriers. C’est des guerriers, c’est des chars à canon. Malheureusement pour eux, je suis vraiment pas contente pour les hommes. Je ne les... voilà, pour ça, je ne me mettrai pas forcément à cette place. J’aimerai que chacun puisse prendre — et chacune — la place qu’il ou elle a envie. Si une femme a envie d’être guerrière, qu’elle le soit !
Mais non, c’est en particulier les hommes : 55 % des hommes doivent aller à la guerre. Bon, voilà, ça, rien de nouveau. Les femmes, quand même, elles commencent à être guerrières aussi, mais... second rôle : 25 %.
Quand on est dans le surnaturel, alors là, il y a plus de femmes. Il y a plus de femmes diaboliques, plus de femmes qui sont magiciennes, sorcières... incroyable ! Heureusement qu’il n’y a plus la chasse aux sorcières aujourd’hui, sinon... voilà, on aurait de grands procès.
Alors, leader : il y a... chez les masculins, les personnages masculins. Chez les femmes, les leaders n’existent pas. Alors moi, qui fais des cours de leadership, là, dès que je m’inquiète, je me dis : il va falloir que j’aille faire des cours de leadership. Je leur explique que le leadership n’est pas une question de femme ou d’homme. Bon ben, j’irai les voir — et gratuitement, sans problème.
En tout cas, aujourd’hui, les leaders n’existent pas quand il s’agit de personnages féminins dans les jeux vidéo.
Alors, les personnages subalternes, par contre... ouh, ça, ça existe ! Alors, qu’est-ce que les personnages subalternes ? C’est... ça veut dire : une courtisane, une prostituée, la femme de... voilà, toutes celles qui n’existent pas par elles-mêmes, et qui sont... voilà, et qui n’ont pas de voix. Ça, ça existe énormément : 11 %.
L’aristocratie : bon, il y a des femmes. Il faut bien qu’il y ait des femmes de dans l’aristocratie. Et voilà, je ne continue pas jusqu’au bout. Mais ce que je voulais vous montrer, c’est que les métiers, les statuts sont très stéréotypés.
Et maintenant, quelques questions rapidement, avant que je passe la main et le micro.
Si on appliquait ces questions au monde professionnel... tic tac... qu’est-ce que ça va donner ? Les mêmes questions. On ne va pas y répondre, parce que je n’ai pas encore fait l’étude. Enfin, il y en a d’autres qui l’ont faite pour moi. Mais chacun et chacune d’entre vous, quand je pose cette question, ferme les yeux si vous le souhaitez, et se dit : est-ce que nos entreprises passent le test ?
Je pense pas. Mais allons-y :
- Y a-t-il autant de femmes et d’hommes qui s’expriment, qui ont de l’influence dans nos entreprises aujourd’hui ? Moi, en tout cas, selon ce que j’observe : non.
- Y a-t-il autant de femmes et d’hommes qui sont reconnus, qui sont visibilisés, qui sont nommés, qui ont une voix dans une entreprise ? Malheureusement... bien sûr, je ne suis pas en train de dire “non” partout, mais en majorité : non.
- Troisième question : est-ce que les femmes et les hommes ont un temps de parole équivalent pendant les réunions, pendant la vie des entreprises ? Une... est-ce que leur voix pèse ? De manière minoritaire et marginale ? Je pense.
- Peut-on incarner tous les rôles ? Est-ce qu’on trouve de manière équivalente des femmes à tous les niveaux des entreprises, dans tous les secteurs, réparties de manière égale ? Souvent, on trouve 50 % dans des entreprises, tous salariés. Par contre, plus on monte, plus ça se raréfie. Ça s’appelle le plafond de verre.
- Cinquième question : est-ce que les métiers, les statuts sont attribués de manière équivalente ? Malheureusement, ce n’est pas encore le cas. Il y a encore des métiers très genrés. Et on le voit aujourd’hui dès l’accès à l’école, dès l’accès aux études : c’est très genré. Malheureusement, ça continue avec la nouvelle réforme du bac, qui n’a pas fait du bien aux femmes, où il y en a moins qui font des mathématiques. Et on revient de plus en plus à des choses très genrées.
Donc, l’idée de cette étude, c’est juste qu’on ouvre les yeux quand on voit ce qui nous influence : cette culture qui nous met encore plus dans des stéréotypes, et qui pèse sur nos comportements et nos représentations.
Merci beaucoup de votre écoute.
[Applaudissements]
Hager Jemel-Fornetty, directrice de la Chaire Diversité & Inclusion, a participé aux Assises de la Parité 2023, dont l'EDHEC est partenaire. À cette occasion, Hager Jemel-Fornetty était l'invitée d'une table-ronde sur la parité et le leadership.
Christina Balanos
Je vous propose de faire un tour d’horizon des convictions, des engagements de personnes, d’institutions publiques, de personnes du privé, d’entreprises privées, et qui œuvrent pour un leadership plus paritaire.
J’invite à me rejoindre sur scène nos chers intervenants : Karine Berger, Isabelle Couturet, Francesca Faure, Hager Jemel Fornetti, Christine Nalchatjian et Catherine Sueur.
Bienvenue mesdames !
On ne peut pas descendre mon tabouret, donc j’ai l’air plus grande. En fait, je ne suis absolument pas plus grande que vous, je vous le dis tout de suite.
Mesdames, pour vous présenter, je vais démarrer peut-être du bout.
Je vais démarrer avec vous, Isabelle. Isabelle Couturet, vous êtes présidente de Seiko Watch Europe.
J’enchaîne. À votre droite, nous avons Christine Nalchatjian, coach, conférencière, passionnée par l’éducation, la transformation digitale et le leadership féminin. Et vous avez aussi un job dans la vie active. En plus, vous êtes dans la vie active, et vous avez un job en tant que directrice commerciale chez Coursera. Justement, ça fait très bien le lien.
J’enchaîne. À votre droite, nous avons Francesca Faure. Vous êtes VP, Supply Chain et Service Client France chez Coca-Cola Europacific Partners. Pour ceux qui ne connaissent pas, c’est l’embouteilleur de Coca-Cola.
Je continue. À votre droite, Hager Jemel Fornetti, professeure de management et leadership, directrice de la chaire Diversité et Inclusion à l’EDHEC Business School.
Je continue. À votre droite, Catherine... pardon, Karine Berger. Vous étiez là, pardon... pas Karine, pardon, excusez-moi. Et Catherine Sueur, cheffe de service de l’Inspection générale des finances. On est chez vous, en fait, clairement. Et toutes les deux, voilà, exactement.
Et enfin, last but not least comme on dit, Karine Berger, secrétaire générale en charge des finances et des ressources humaines à l’INSEE.
Merci d’avoir accepté notre invitation.
Et pour ce panel, nous allons démarrer par un état des lieux. Un état des lieux avec vous, Hager, à l’EDHEC. Vous formez notamment les cadres de demain, les leaders, les cadres de demain.
Qu’est-ce que vous avez remarqué en ce qui concerne les aspirations, les projections de carrière entre les femmes et les hommes en école de commerce ?
Hager Jemel
Alors, je ne vais pas vous décevoir. Ce qu’on a remarqué, c’est que, avant même que les femmes et les hommes qui nous rejoignent mettent les pieds chez nous, ils ont — et elles ont — des aspirations genrées. C’est un constat qu’on dresse avec une étude qu’on mène avec des étudiants de deuxième année, prépa à la fin de l’année, juste avant de faire les concours et d’intégrer une de nos grandes écoles. Et ce qu’on se rend compte, c’est que les femmes répondantes vont plus se situer sur des métiers en salariat. Elles ont besoin, voilà, de sécurité d’emploi, elles sont moins dans le risque. Elles vont aussi se positionner sur des entreprises où elles vont privilégier les conditions de travail favorables, par rapport à une bonne entente, le climat — ce qui est le cadet des soucis des hommes. Ils sont 6 % à mettre ça dans leurs priorités.
Et ensuite, concernant les métiers, ça, avant même qu’on leur présente vraiment les métiers, ils arrivent. Les filles, sans surprise : marketing en premier. Alors, je suis vraiment une amie du marketing, j’ai rien contre le marketing. En revanche, c’est très étonnant que, voilà, les femmes se placent — c’est leur premier choix. Les hommes seront 1/4 à imaginer une carrière en marketing.
Un autre exemple : l’événementiel. Ça va attirer 40 % à peu près des femmes.
Les hommes, c’est vraiment en dessous de 10 %. Et les jeunes hommes, ils vont tout de suite dire : « Moi, ce qui m’intéresse, c’est les institutions bancaires, c’est l’industrie. »
Voilà ce que je vous disais, que je ne vous décevrai pas. C’est vraiment ça. C’est très enraciné : voilà, le service pour les femmes, et puis voilà… et l’argent — je tiens à préciser ça — les hommes, c’est leur priorité. Il faut être bien payé et vite grimper dans les échelons. Les femmes, elles vont mettre avant la flexibilité, etc. Déjà, donc, elles se projettent. C’est comme ça qu’on les fabrique, qu’on les conditionne, qu’on les socialise comme des futures mères qui vont s’occuper d’eux. Et donc, avant même d’être mère de famille — elles ne le seront peut-être pas — elles choisissent déjà des métiers qui vont favoriser du Care. Voilà, on est dans le care. Et les hommes, c’est vraiment les pourvoyeurs de fonds. Ils se positionnent déjà comme ça.
Donc, sans surprise, quand on arrive à la fin, on a des femmes qui se positionnent moins bien, que ce soit en termes de salaire. Alors, ce n’est pas flagrant à la sortie des écoles — j’ai vu les chiffres ce matin. À la sortie des écoles, on ne devrait avoir aucun écart, c’est-à-dire : ils ont et elles ont la même expérience, le même diplôme. Et en les écoles d’ingénieurs, on est déjà à 3 000 à peu près d’euros d’écart. Aucune autre explication à part le genre. Et à la sortie, pour les écoles de commerce, ça peut aller jusqu’à 6 000 d’écart, ce qui est énorme dès la sortie. Donc, le seul facteur qui explique, c’est le genre.
Donc voilà. Donc, juste, je profite de cette salle pour dire : mesdames et messieurs qui vous occupez des ressources humaines et de recruter les jeunes de demain, même quand une femme accepte un salaire plus faible, il faudrait lui dire : « Non, vous méritez mieux. »
Parce que ce n’est pas parce qu’on accepte moins qu’on doit être payé moins. Ce n’est pas éthique.
Christina Balanos
C’est bien, ça démarre bien. Je crois qu’on peut l’applaudir !
[Applaudissements]
Et à l’inverse, mesdames, allez-y et demandez beaucoup.
[Question dans la salle]
Alors, on va garder… C’est un très bon sujet, bien sûr, bien sûr. Mais on pourrait parler pendant des heures, et on a un temps limité. Et de toute façon, effectivement, c’est dans les deux sens.
Il y a un pas à faire les uns vers les autres également. On va continuer maintenant avec un état des lieux chiffrés des cadres et comités de direction dans le privé et dans le public. Quelques éléments Karine Berger.
Karine Berger
Oui, alors à l’INSEE on suit les questions d’égalités femmes hommes du point de vue statistiques c’est notre métier. Pour ceux que ça intéresse Femmes et hommes l’égalité en question est l’ouvrage de référence. Vous trouverez des statistiques qui sont totalement cohérentes avec ce que vous [Hager Jemel] venez de dire. Aujourd’hui on a fait des efforts énormes dans les conseils d’administrations, en revanche sur les emplois de direction, sur les COMEX, on a une définition très précise des employés de direction. Alors on regarde par âge.
Jusqu’à 30 ans il y a des employés de direction puisqu’il y a notamment des indépendants tout simplement. On a une position des femmes assez importante, a peu près 40 %. Quand on arrive entre 30 ans et 50 ans alors là la position des femmes, le nombre de femmes sur les emplois de direction chute à un peu plus de 30 %. Et si on a plus de 50 ans c’est fini, on est en dessous des 20 % d’emplois de direction occupés par des plus de 50 ans.
Alors évidemment la corrélation est parfaitement à l’inverse sur les écarts de salaires, c’est-à-dire que quand on arrive dans la zone des plus de 50 ans qui occupe des emplois de direction on a déjà plus que 20 % de femmes et les salaires des femmes sont 25% en dessous de ceux des hommes et ça c'est la situation d'aujourd'hui. Avec malgré tout quand même, comme ça a été dit par la ministre précédemment, plusieurs années d'impact qu'on espérait avoir lié au fait d'imposer la présence de femmes en conseil d'administration.
La réalité c'est qu'aujourd'hui, la présence des femmes en conseil d'administration n'a pas eu une influence immédiate, ou en tout cas suffisante, pour faire bouger les lignes sur l'occupation des emplois de direction. Et par conséquent évidemment dans la dynamique qui pourrait se créer pour la suite.
Christina Balanos
Merci on va rentrer encore plus dans les détails, et on va parler d'un livre d'un livre que vous avez écrit Christine Nalchatjian. Comme je le disais tout à l'heure vous êtes également auteure, et ce livre c'est the leadership Revolution, qui est paru en avril, tout à fait de cette année. En quoi il consiste en quelques mots, puisque c'est en plein cœur de notre sujet, et pourquoi vous avez décidé de vous lancer dans cette aventure, en quelques mots en quelques mots.
Christine Nalchatjian
Bonsoir, je vais dire en deux mots, c'est pour les aider à pêcher justement, c'est pour l’apprendre. Moi j'ai travaillé pendant 17 ans dans la tech, dans beaucoup d'entreprises américaines, je continue encore d'ailleurs c'est pas terminé. Et honnêtement j’ai jamais, je me suis jamais posé la question en tant que femme, à la rigueur de par ma culture, parce que je suis pas né en France, je suis née en Arménie, j'ai fait un petit voyage après l'Arménie et puis maintenant je suis en France depuis 17 ans et je me suis jamais dit je suis une femme j'ai pas le droit, ou on me laisse pas faire. Je me suis dit je suis une arménienne je peux pas faire ça, je peux pas faire ça, donc j’allais pas rajouter non plus la femme là-dessus.
Donc un moment on en est arrivé là où je me suis dit, ok ben j'ai évolué dans la tech, je pense que globalement j’ai su négocier, pas toujours, j’ai su avancer, pas toujours. Néanmoins j'ai appris tous les jours, et je trouve qu'aujourd'hui il y a des personnes qui font en sorte qu'il y a beaucoup de ressources de disponibles. Il y a des lois et puis de l'autre côté, ben nous les femmes on vous les femmes, et même les hommes, on ne va pas, on n'avance pas toujours, on ose pas, on se met des barrières, donc un moment il faut y aller. D'où le livre, c'est le moment où il faut profiter de toutes les ressources existantes, il faut aller regarder où il y a beaucoup plus de rôles modèles, il y a beaucoup plus d'opportunités, finalement beaucoup de choses dépendent de nous, et ben on y va qu'est-ce qui nous empêche.
Christina Balanos
Et vous l'avez écrit ce livre super qu’on recommande chaudement.
Christine Nalchatjian
Et je suis pas la seule, il y a 16 autres femmes qui témoignent dedans, donc j'ai pas la prétention de dire que je sais tout.
Christina Balanos
Merci beaucoup, je reviendrai vers vous pour en savoir plus sur ce livre également. On va voir maintenant comment se traduit la vision d'un leadership paritaire à la fois dans le public d'abord, et puis dans le privé. Je vais démarrer par vous Catherine Sueur. Il y a eu une réforme de la haute fonction publique, et comment, on voudrait savoir comment elle impacte l'inspection générale des finances. Ça peut intéresser certaines d'entre nous, et en plus c'est un milieu qu'on connaît peu finalement.
Catherine Sueur
Oui, alors l'inspection générale des finances, au-delà du ministère des Finances qui vous accueillent aujourd'hui, c'est un service un peu particulier au sein de l'État, qui a vocation à faire des missions pour le compte du gouvernement, pour le ministre, pour la première ministre, quand ils se posent une question. Donc une sorte de cabinet de conseil en stratégie interne à l'Etat, et surtout, et ce qui est intéressant dans la question qui nous anime aujourd'hui, c'est que c'est un service qui a pendant longtemps été exclusivement masculin, c'est un service qui recrutait à la sortie de l'ENA, et pourtant il faut attendre 1980, alors que L’ENA a été créée en 1945, pour qu'une femme ose aller à l'Inspection générale des finances en sortant de l'ENA.
Et pendant effectivement des années des années il y a eu que des hommes inspecteur des finances et très peu d'inspectrice des finances. D’ailleurs moi je rentrais à l'Inspection générale des finances en 2003, et on était deux femmes parmi l’effectif les plus jeunes à l'Inspection générale des finances, sur une cinquantaine de personnes. Et du coup la question c'est comment dans ces bastions un peu du, où il y a très peu de femmes, ces lieux qui représente aussi le pouvoir, parce que l'Inspection générale des finances c'est à la fois un endroit où on conseille, et on travaille pour le gouvernement. Mais c'est aussi une sorte de filière de haut potentiel pour les hauts fonctionnaires, comment on travaille pour changer cette image et c'est effectivement assez long.
Aujourd'hui dans l'effectif junior de l'Inspection générale des finances, on a 40% de femmes. Donc on a progressé par rapport au moment où moi je suis arrivé on devait être 5%, on savait même notre numéro, c'est-à-dire que moi j'étais la vingtième inspectrice des finances de l'histoire. Donc c'est vraiment, on savait quand on arrivait on disait : « mais toi tu es la 20ème » etc. Et maintenant elles ne savent plus, donc je considère que c'est un bon indicateur, c'est à dire que les jeunes femmes qui rejoignent un l’inspection générale ne savent plus quel numéro c'est.
Mais la question c'est qu'est-ce qu'on fait, comment on arrive à avancer sur ce sujet-là, et alors moi il y a plusieurs choses qui me tiennent à cœur. Et je pense que cet événement fait partie, c'est d'abord il faut mettre le sujet à l'ordre du jour, et je pense que ce que vous avez partagé en termes d'études, que Karine a partagé en termes de constat, c'est qu'il faut vraiment le dire et dire et redire les choses. C'est-à-dire que moi aujourd'hui je dirige un service dans lequel 40% de l'effectif junior est féminin, et 15% de l'effectif plus seniors c'est à dire qu'effectivement après 50 ans j'ai plus d'inspectrice générale des finances.
Donc il faut vraiment faire un constat, mettre le sujet à l'ordre du jour, sans m'emparer etc. Et après il faut agir, et c'est pas très simple, il faut mettre des plans d'action en place. Moi je pense qu'il y a quand même deux choses qui sont extrêmement importantes : la première c'est travailler sur les conditions de travail entendu au sens large. C'est-à-dire que à la fois il faut faire en sorte que les femmes et les hommes, dans un univers professionnel se sentent à l'aise, et moi j'ai toujours tendance à dire que ces politiques d'égalité professionnelle elles sont utiles aussi parce qu'on se pose toutes les questions RH.
Finalement la question c'est pas tellement de recruter aussi des femmes, mais c'est de faire en sorte qu'on ait un univers professionnel dans lequel tout le monde se sent à l'aise, et en particulier je pense qu'il y a un truc qui est, je l'ai probablement fait là à l'instant, c'est dans l'univers professionnel, dans les conditions de travail. C’est faire attention à la prise de parole des hommes et des femmes. Mais quelque chose qui est toujours très très frappant, quand on est dans des réunions et on le vit avec Karine, à Bercy on est très souvent dans des réunions avec des hommes et des femmes. Plus souvent de beaucoup d'hommes, moins de femmes, il faut vraiment, vraiment faire en sorte que les femmes prennent la parole dans ses collectifs là.
Et vraiment moi en tant que chef du service j'essaie toujours, quand on a une réunion de faire en sorte que d'être attentive aux signaux. C'est à dire que les hommes vont tout de suite lever la main, dire un truc sans réfléchir, et vous allez avoir toujours une femme dans un coin qui voilà, il faut essayer de capter son regard et lui dire : « et toi qu'est-ce que tu veux dire ». Pour aller vers les femmes, il y a une autre chose qui est très frappante, c'est aussi à quel point les femmes on a le don, et même dans des endroits comme l’inspection générale des finances, de minimiser ce qu'on fait.
C’est à dire que on arrive, et on dit : « au fait j'ai une petite question à te poser, sur ce petit dossier que je suis en train de traiter ». Voilà, donc non, vous avez des dossiers à faire, vous les traitez, vous avez un problème qui nécessite d'être résolu, et donc je pense que tout cet environnement professionnel là, il faut être extrêmement attentif. Et puis après il y a une deuxième chose sur lequel moi je travaille, c'est les viviers, et c'est pas sans lien avec ce que disait la ministre sur l'enseignement professionnel, mais à l'autre bout du spectre. C'est comment on fait en sorte d'aller chercher des femmes pour exercer ces métiers de direction.
C'est à dire que on fait toutes le constat qu'il y a pas assez de femmes, qui exercent des emplois de direction, il y a pas assez de femmes inspectrice des finances, donc comment on va aller chercher, comment on incarne ces fonctions là, comment on va voir là encore des femmes pour leur donner envie. Donc nous à l'Inspection générale des finances on a créé un réseau qui s'appelle « woman at IGF » et on a organisé un événement avec toutes les inspectrices des Finances. Ce qui est bien c'est comme on est pas encore très très nombreuses, j’arrive à toutes les réunir, elles sont toutes vivantes, et on est allé chercher des prospects. Non mais on est allé chercher des prospects pour essayer de faire en sorte d'aller vraiment chercher des étudiants, aller chercher des jeunes professionnels pour leur expliquer ce qu'on fait, et leur donner envie, et ça je pense que ce travail sur les viviers, sur la diffusion effectivement de toutes les offres d'emploi, c'est quelque chose d'extrêmement important. Mais j'ai peut-être été trop longue pardon.
Christina Balanos
Non mais c'est très bien, du coup vous avez abordé le lancement d'un réseau, vous avez abordé aussi le fait que vous veillez à ce que les personnes soient, en tout cas prennent la parole. Vous prêtez une attention particulière, et il y a aussi si j'ai bien compris, un recrutement également, une structuration d'un réseau ouvert.
Catherine Sueur
Oui tout à fait en fait, à l'inspection générale des finances, un service comme beaucoup de cabinets de conseils, où on a un fort turnover. Parce que c'est bien de faire du conseil et de dire aux gens faudrait faire comme si, il faudrait faire comme ça. Mais c'est bien aussi après d'aller dans la vie dans d'avoir des fonctions plus opérationnelle. Donc moi j'ai effectivement beaucoup de campagne de recrutement a peu près 3 ou 4 par an selon les cas selon les postes d'inspecteur des finances, d'inspecteur adjoint ou de Data scientist. Et du coup à chaque fois j'essaie de bien diffuser ces offres d'emploi d'aller. Karine peut en témoigner d'ailleurs, j'espère, je lui envoie une offre d'emploi : « n'hésite pas » j'essaie effectivement de m'adresser au réseau de femmes en leur disant : « si vous voulez diffuser ça » parce que je pense que c'est vraiment une question de transparence.
Et c'est pareil avec les emplois de direction c'est que il faut les mettre dans le privé il faut vraiment toujours être transparent et dire ces postes-là sont disponibles, il faut aller chercher des femmes, pour qu’elles candidate.
Christina Balanos
Mais ce que je comprends c'est que vous travaillez en réseau également, donc ça c'est plutôt une bonne chose. Vous recommander des profils entre vous, super merci beaucoup. Je vais enchaîner avec vous Isabelle
[Applaudissements légers]
Allez-y allez-y si vous avez envie d'applaudir.
[Applaudissements]
bien sûr le réseau s'est fait aussi en interne donc c'est parfait. Isabelle Couturet, alors vous, vous infusez, finalement vous incarnez également ce leadership, en tout cas qui tend vers le paritaire. Qu'est-ce que c'est pour vous ? Comment on fait pour atteindre un leadership paritaire ? approchez bien votre micro.
Isabelle Couturet
Atteindre un leadership paitaire c'est commencer, c'est commencer très tôt dans l'organisation. Je rejoins tout à fait les différentes intervenantes, les lois Copé-Zimmermann ont énormément aidé en termes de gouvernance. Même si travaillant pour une entreprise japonaise il y a encore beaucoup de travail en dehors de de nos frontières puisque ces lois n'existent pas dans toutes les cultures et toutes les organisations internationales. Pour autant moi ce que je vois aujourd'hui, c'est que l'amélioration sur des postes de direction est encore faible, même dans des milieux a priori, le luxe on pourrait penser que c'est réussi. Non c'est pas réussi les postes sont principalement occupés par des femmes à des postes de marketing, je rejoins tout ce qui a été dit jusque-là.
Donc aujourd'hui ce que l'on fait, moi je commence à peine, j'ai envie de dire, je n'ai pas vécu les difficultés comme ce que vous disiez, et j'ai une conscience assez tardive du fait que j'avais, de par ma position, la parole qui m'était donnée. Donc prendre la parole, ça fait partie de la première action que j'ai décidé de tout simplement, parler de manière transparente ouverte des problématiques diverses et variées que vous avez tout abordé juste avant moi, qu'elle soit le salaire, qu'elle soit des différences d'accessibilité à certains métiers, parce que les études leur ont pas été ouvertes, parce qu'en effet les écoles d'ingénieurs ben ferme d'une certaine manière leur porte, par un accueil qui est pas toujours extrêmement cordial des profils féminins.
Donc ce que moi j'ai décidé de faire déjà c'est parler. C'est utiliser la parole de la présidente de société que je suis, c'est de dire que certaines choses ne sont pas aujourd'hui acceptables, elles ne le sont pas, elles ne l'ont jamais été, elles le sont encore moins aujourd'hui, et qu'on va pas pouvoir tout légiférer, donc il faut agir. Je crois, une dont on a un peu parlé la formation pour moi, elle est essentielle, bien évidemment les écoles de commerce super, ma fille est en école de commerce. Moi j'ai pas eu ce parcours là, je crois à la formation, plutôt à l'accueil des jeunes en stage, on en a un petit peu parlé, la ministre en a parlé, l'alternance évidemment.
En effet la question je ne me la pose même pas, mais homme femme, pour moi il y a pas de question, on doit accueillir toutes les diversités, donc je crois à la multiculturalité, à la diversité. Intégrer des stagiaires c'est fatiguant, on en parlait avec mes collaborateurs tout à l'heure, c'est long parfois on n'a pas les ordinateurs, on a même plus de place dans les bureaux, on sait pas comment on va faire. Mais accueillir des jeunes, nous on a un réseau de boutiques et de revendeurs à accueillir des jeunes, pour découvrir les métiers.
Parce que par exemple ça va vous paraître fou, mais je n'ai pas je crois, que j'en ai deux en Allemagne on n'a pas de vendeur terrain, de commerciaux, donc c'est fou quand même, on vend un produit pourtant qui est acheté aussi bien par des femmes que par des hommes. On n'a pas de commerciaux alors parce que c'est sans doute très tôt, les mères ont peur de voir…
Christina Balanos
De commerciaux, de commercial femmes vous voulez dire ?
Isabelle Couturet
Oui, on a pas, les équipes de vente sont extrêmement masculines, pour toutes les raisons que vous avez évoqué avant. Il faut il faut prendre une voiture, les mamans doivent inculquer très tôt le fait que c'est pas un métier pour une femme, etc. etc. Donc je rejoins tout ce qui a été dit. Il faut absolument, redonner en adaptant peut-être le poste, en rassurant, oui il est possible d'être maman et de faire ses métiers là. En accompagnant, mais il faut le faire très très très tôt. Pour moi on a agi en haut super, j'en suis voilà, j'en suis sans doute une des conséquences. Mais on agit pas assez tôt dans les organisations… Donc formation, inclusivité. Moi je suis contente de votre parcours, parce que la diversité des cultures aussi qui entraînent des discussions assez étonnantes, parce que quand on intègre des cultures différentes, on voit que la France c'est pas au cœur de tout quand même. Et qui a plein de jolis exemples à apporter dans nos organisations. Voilà donc moi j'ai eu plein d'exemples dans les deux sens où on a intégré une horlogère, un assistant de direction, une contrôleuse financière, et ça c'est important. Et de le faire tôt dans les organisations.
Christina Balanos
Ce que j'entends aussi c'est que, c'est pas ce que vous m'avez partagé, c'est que la parité c'est pas qu'une affaire de de loi, c'est pas une affaire aussi de poste de direction, c'est bien ça ?
Isabelle Couturet
C'est exactement ça, c'est que je pense même, alors je suis désolée de dire ça, parce que cette loi elle était nécessaire. J'ai même l'impression qu'aujourd'hui ça stigmatise un peu trop le problème, ça fatigue ces messieurs, et nous aussi. On a on a envie aujourd'hui que le débat se soit de l'engagement personnel, et que ce soit pas nécessairement légiférer. Les différences de salaire, je vous rejoins, j'aime beaucoup ce que vous avez dit, c'est à nous aussi de dire à nos DRH : « non n'accepte pas que ce profil là s'est peut-être pas battu pour son salaire, mais pourquoi gagnerait-il moins qu'un profil identique ? » J'aime beaucoup et je reprendrai cet exemple dès demain matin, parce qu'en effet on a encore ce côté on se bat moins. Voilà mais je dois dire une chose qui m'est arrivée à plusieurs reprises, donc moi je suis allée négocier j'ai pas toujours réussi, parce que face à moi il y avait une queue pas possible d'hommes qui attendait mon poste, et ça n'a pas été simple ça, n'a pas toujours été simple.
Une femme du public
Et bien il faut partir
Isabelle Couturet
Et ben je suis partie plein de fois non non mais je vous rejoins.
Femme du public
Leur dire si vous commencez pas à me parler sérieusement , vous me parlez pas.
Christina Balanos
On va vous faire monter sur scène madame.
Isabelle Couturet
Non mais c'est sûr on doit durcir un peu notre parole, et malheureusement c'est pas nécessairement ma nature.
Christina Balanos
La persévérance est de mise aussi, c’est le fait d’insister et de revenir à la charge, de refaire.
Isabelle Couturet
Ouais mais c’est fatiguant, il faut avoir la force d’aller demander, redemander. Et voilà mais il faut le faire on se doit de le faire.
Christina Balanos
Et par rapport aux actions juste très rapidement ce que vous disiez tout à l'heure, et peut-être que c'était pas forcément très très clair. C'est que vous avez aussi la possibilité dans les deux sens quand on parle de parité, c'est dans les deux sens. Vous avez donné la possibilité à des postes comme des exécutives assistantes d'avoir un homme finalement.
Isabelle Couturet
Oui et ça a surpris tout le monde et pour autant je pense que c'est nécessaire de regarder la parité dans les deux sens et de ne pas faire l'erreur d'un seul coup de féminiser tous les postes ou au contraire d'interdire l'accès à aux hommes et c'est comme ça qu'on y arrivera. C’est en dehors des lois, et c'est en dehors des stéréotypes qu'on s'est vu imposées, depuis notre enfance et c'est important. Et je reviens sur la diversité, l'ouverture d'esprit et pour moi c'est essentiel. Et je dois dire ça fonctionne, ce que je voudrais dire c'est que ça fonctionne, on a par cette diversité, des résolutions de problématiques beaucoup plus rapide parce que c'est ces échanges-là qui créeront la résolution de problèmes qui parfois paraissent complexe et qui d'un seul coup sont d'une simplicité absolue derrière un café où tout le monde va échanger.
Je crois aussi au management parfois moins organisés, et aux discussions ouvertes entre les équipes, et pour ça il faut de la diversité.
Christina Balanos
Je vais continuer avec vous Francesca Faure. La parité et le leadership ce sont des sujets que et bien CCEP porte depuis plusieurs années. Comment ça se traduit en fait chez vous ?
Francesca Faure
Exactement en parler de persévérance, donc chez Coca-Cola ce sont des sujets de longue date. Ce sont des sujets qui marquent, ce sont des sujets qui font partie au-delà de notre stratégie, et au-delà de stratégie RH, ce sont des sujets qui font partie de notre ADN, et de notre culture. Mais vraiment à tous les niveaux de l'entreprise, et effectivement ça marche, donc ça marche puisque ce sont des sujets qui portent l'engagement, ce sont des sujets qui nous le voyons au quotidien, sont forces de performance aussi, il faut pas l'oublier.
Ce sont des sujets qui font de l'attractivité au sein de l'entreprise, et nous sommes très fiers aujourd'hui en France le comité de direction c'est 46% de femmes, au-delà du comité direction c'est 47% de manager et des postes au-delà des managers, par contre il est vrai que dans certaines fonctions c'est plus complexe, c'est une réalité aussi, je suis moi-même responsable donc Supply Chain, ce sont les usines, on parle de l'industriel, ce sont des gens sur le terrain, ce sont aussi des fonctions centrales, et là oui la parité c'est un vrai sujet. La parité nous le traitons au quotidien, avec nos ambassadeurs, nous le traitons au quotidien avec des réseaux de femmes. Mais au-delà des réseaux de femmes puisqu'on parle beaucoup de diversité d'inclusions, tout à fait d'accord avec vous la diversité l'inclusion sont aussi des forces incroyables d'engagement au-delà de la simple parité. Et aujourd'hui c'est des vecteurs vraiment d'engagement, portant de la valeur au sein de nos sites.
Christina Balanos
J’allais demander comment ça se passe ?
Francesca Faure
Une vraie complexité puisqu’aujourd’hui, dans mon équipe directe il y a 50% de femmes, donc je suis très contente. Nous avons aussi une directrice d'usine, ce n'est pas courant, ce n'est pas facile, mais c'est vraiment aussi à des rôles modèles, et de montrer que c'est possible, et ça marche, et au-delà de toutes les complexités que cela veut dire, je pense que c'est extrêmement important aussi de montrer que à plein de jeunes filles, qui débutent leur carrière, que oui avec de la persévérance, avec un peu de push par moment, avec de l'ambition aussi. On peut y arriver, on y arrive avec succès
[Applaudissements]
C’est bien on applaudit, c'est bien vous avez encore beaucoup d'énergie, ce qui nous plaît beaucoup, c'est très bien ça porte. Je vais juste revenir quelques instants vers vous Isabelle mais en vraiment, en très rapide parce que je vois le temps qui tourne et comment on a encore quelques mots qu'est-ce qui permet un leadership paritaire ? C'est quoi votre leitmotiv en quelques mots.
Isabelle Couturet
Mon leitmotiv je l’ai un peu exprimé déjà mais c'est vraiment, pour moi, c'est vraiment foncer, au sens ne pas hésiter à faire tomber des barrières, au travers de tous les outils qui sont autour de nous. Mais une fois de plus je vais redire ce que j'ai dit tout à l'heure, c'est vraiment pour moi commencer très tôt par l'intégration de profil de talent, et les intégrer dans toute l'organisation à tous les niveaux donc pour moi c'est mon leitmotiv. C'est ne pas se poser de de questions et commencer très tôt, c'est trop tard quand on en arrive à utiliser des lois Copé Zimmermann sur une gouvernance d'entreprise. Je suis désolé de dire ça c'est trop tard. C'est avant il faut les apprendre c'est trop tard.
Christina Balanos
C’est déjà bien ça a quand même fait progresser…
Isabelle Couturet
Nan mais c’est trop tard pour nous, c'est un début. Mais c'est c'est pas par là qu'il faut commencer. Donc moi je crois profondément au fait de commencer très très tôt et on a aussi un rôle, on est peut-être toutes par par maman papa maman dans la salle, c'est commencer avec nos enfants, à leur donner une force. Pour pour aller intégrer des écoles d'ingénieur, intégrer des métiers, qui ne le sont absolument pas destinés.
Christina Balanos
Francesca je reviens à vous comment vous voyez le futur. Vous parliez de challenge, visiblement chez vous également, comment vous voyez le futur chez CCOP ?
Francesca Faure
Alors je rejoins ce que vous avez dit, je pense qu'il faut commencer très tôt, donc c'est ce que nous faisons en allant voir les collèges, les lycéens, les stages, en parlant de nos métiers, je pense qu'il faut expliquer ce que c'est qu'aujourd'hui les nouvelles technologies, que ce soit les technologies informatiques, que ce soit les technologies industrielles, ce sont des métiers d'expertise, et les femmes sont en général très bonnes. Il faut expliquer nos métiers, expliquer aussi les carrières possibles, et ne pas se mettre de frein, et dire aux femmes, aux filles, aux jeunes filles, qui ne faut pas se mettre de frein que c'est possible, et je pense que ça prend beaucoup de temps, beaucoup d'énergie, mais ça vaut tout à fait la peine, et ça ça crée de l'engagement au sein de l'entreprise.
C'est aussi très important en fait quand on arrive à attirer des talents, quand on arrive à attirer, avoir la parité, à attirer des jeunes talents, en fait l'engagement ce n'est pas seulement pour eux, mais c'est toute l'entreprise qui se sent happer par cette dynamique. Et en fait j'en reviens c'est aussi pour la performance, c'est aussi pour l'attractivité, c'est très important.
Christina Balanos
Et développe l'innovation et le bien-être pour toutes et tous.
Francesca Faure
Exactement.
Christina Balanos
Quels sont, Karim, quels sont les métiers de demain qui feront le leadership économique du futur. Vous qui avez une vision avec des chiffres, si vous en avez là-dessus, ou en tout cas des des métiers, qui peuvent peut-être intéresser des changements de carrière potentiellement, qui sait.
Karine Berger
Je vais mettre les pieds dans le plat sur un sujet qui a pas encore été totalement abordé. Aujourd'hui, demain, ceux qui dirigeront l'économie, le monde, c'est ceux qui sont issus des sciences, des ingénieurs, de la data, de l'informatique. C'est là que ça se joue, c'est là que ça se joue maintenant, c'est là que ça se joue demain. Or c'est justement là où des erreurs sont commises, ont été commises, sur la place des femmes. On est toutes d'accord pour dire que la prise de conscience elle doit être culturelle. La réalité, et Catherine qui est à côté de moi qui est issue de la même école que moi, c'est une école de mathématiques, c'est École Polytechnique.
On est revenu en l'espace de trois ans à la situation il y a 25 ans. A la situation, la simple réforme du bac, nous a renvoyé, sur la place des femmes, en math sup, en math spé, sur l'ensemble de la filière ingénieur numérique, à la situation d'il y a 25 ans. Donc, aujourd'hui, la prise de conscience culturelle, elle n'y est pas sur les métiers qui vont décider de l'avenir de la France, et du monde et notamment les métiers informatiques, c'est pas difficile, c'est aussi genre que chauffeur de camions, de camions. La place des femmes dans l'informatique, et notamment l'informatique de pointe, c'est aussi faible que dans le métier de chauffeur de camions routier. Donc non seulement on n'y est pas, sur les métiers qui encore une fois dicteront demain à la dynamique économique et le leadership, mais en plus, aujourd'hui, nous avons collectivement commis l’erreur de donner l'impression qu'il n'y avait pas de sujet là-dessus. Il y a un sujet, et je suis parfaitement d'accord avec tout ce qui a été dit, c'est à chacune et à chacun d'entre nous de s'y atteler.
Il n'est plus acceptable, il n'est plus acceptable, que les femmes dans les domaines scientifiques, mathématiques, au collège, au lycée. Ça commence en primaire, l’INSEE a montré que ça commence à en primaire. En primaire, au collège, au lycée, soit traitée différemment par le monde de l'éducation, que les garçons ce n'est plus acceptable.
[Applaudissements]
Et aujourd'hui c'est ce qui se passe, et c'est ce qui fera que pour l'instant, on est assez mal parti sur le leadership féminin, en matière de sciences, de mathématiques, d'ingénieur, et d'informatique de demain.
Christina Balanos
Une conviction très affirmée. Absolument. Ah j'ai justement parfaite transition puisque vous venez de parler de leadership féminin. On l'entend souvent ce mot : « leadership », cette expression « leadership féminin » mais est-ce que ça existe vraiment ?
Hager Jemel
Alors je vais vous décevoir cette fois. Non ça n'existe pas, pour moi, et c'est pas que pour moi, je parle de science. C'est à dire les sciences sociales, la psychologie, notamment qui étudie le leadership, a montré cent, mille fois qu'il n'y a pas de leadership féminin et de leadership masculin. Il y a un leadership point.
Alors qu’on résiste au leadership des femmes, à l'autorité des femmes oui, que les femmes soient socialisées différemment, on l’a répété 50 fois oui, qu’on est des attentes différentes des femmes quand elles sont en position de leadership et des hommes en position oui. Mais est-ce qu'en a des comportements différents : oui quand on essaie de se conduire selon son stéréotype. On projette des choses sur les femmes et les hommes, nous imposons des injonctions aux femmes et aux hommes et certaines et certains finissent par se comporter comme on pense qu'il faut se comporter. En revanche il n'y a pas un comportement de leadership qui soit impossible pour un homme ou une femme.
Le leadership voilà parfois on parle de physique, pour faire la différence entre les femmes et les hommes et cette domination. Alors j'aimerais bien voir dans cette salle : est-ce que en position leadership on porte de grosses caisses, non voilà donc le physique n’explique pas et on est d'accord qu'il y a des femmes aussi costauds, heureusement. Est-ce que on a besoin de courir plus quand on est dans les couloirs quand on est un homme qu'une femme, non voilà, vous avais compris l'anecdote.
Donc ce qu'il y a c'est que il y a des femmes, qui parfois sont aussi bloquées quand on est une femme et on est assertive et on a de l'autorité parfois c'est mal pris. On est, quand on est remis à sa place une deux fois, alors les femmes essaient de – pour certaines – de se conformer à leur stéréotypes, comme parfois les hommes qui montrent une bienveillance, ou qui ne veulent pas un certain type de poste, et qui privilégie d'autres activités ou tout simplement un équilibre, on les regarde comme des des personnes « molles ». Donc voilà vous avez compris ma réponse, il n'y a pas de différents leadership, et si je reviens à tout à l'heure. Pour moi qu'est-ce qu'ils faut en tant que leadership : un regard neutre. Quand on regarde une personne, on arrête de regarder une femme ou un homme, une personne qui va avoir des enfants ou pas. Tout le monde a les mêmes fonctions et peut faire les mêmes choses en société et en entreprise
Christina Balanos
Et bien est-ce que vous partagez juste en un mot : oui, non, mesdames, ce propos de : « non, pas de leadership féminin »
Isabelle Couturet
Non moi je partage pleinement, après je pense que quelqu'un l'a dit tout à l'heure, ces stéréotypes ils existent, et il faut pas non plus voiler la face, et je pense qu'il est important comme vous le disiez à un moment donné, de donner la parole aux femmes d'être attentive, de de faire attention à toutes ces équipes qu'ils soient jeunes, jeunes cadre qu'il soit, qu'ils intègrent des comités de direction, que la parole leur soit donnée et que quand on voit des comportements qui pourraient nuire à ce développements-là, on soit attentive. Et moi je l'étais pas suffisamment, je laissais passer des petits mots, des petites choses, puis un moment donné je me suis dit : « mais non c'est pas normal ce que j'entends » et je me suis mise de plus en plus à réagir et à dire : « non », « non je n'accepte pas ce que tu viens de dire les mots ne sont pas adaptés », « mais c'est rien » . « Si, c'est important » et pour tout vous raconter et il y a parfois, c'est une situation qui m'a amenée à ce constat là, que je n'avais pas noté. C’est-à-dire quelqu'un qui a été au-delà, peut-être de ce que l'on aurait pu penser. Donc je crois qu'on doit se battre une fois de plus, on en a encore tout à l'heure ça on levait un peu le ton, mais je crois qu'il faut qu'on lève le ton, et qu'on impose notre parole, pour que pour qu'on ait cette prise de conscience.
Christina Balanos
Ce sont des convictions, c'est pas le ton, c'est des convictions c'est très bien d'avoir des convictions, c'est super, affirmez !
Isabelle Couturet
Je pense qu’il faut en tant que femme porter une parole forte.
Catherine Sueur
Mais c’est pas une conviction non plus, c’est des faits, c'est à dire que aujourd'hui les stéréotypes. Aujourd'hui effectivement, le fait que les petites filles soient pas traitées comme un petit garçon en CP, c'est pas une conviction de Karine, c'est des faits, c'est une réalité. Non mais c'est important de revenir là-dessus, c'est à dire que aujourd'hui on est très très en retard. Moi je sais pas très bien de ce que je pense des lois etc., mais ce qui est, je pense qu'elles sont nécessaires, et en réalité moi il y a 25 ans, quand il y a eu la première loi sur la parité en politique, moi je me suis battue avec ma mère, qui est pourtant prof de maths en universitaire etc. En lui disant : « mais c'est une insulte à ma génération parce que finalement on va arriver naturellement à ce que les femmes aient autant de place que les hommes » et à l'époque j'avais 20 ans. Mais 25 ans plus tard je pense qu'il faut faire ses lois, et qu'il faut être beaucoup plus contraignant, et parce que on y arrive pas, on y arrive pas, et que les stéréotypes sont encore extrêmement forts. Et que du coup moi je crois que la seule chose qu'il faut faire, c'est se dire chaque soir : « qu'est-ce que j'ai fait aujourd'hui pour faire progresser l'égalité professionnelle ? » Si on attend trop avant de répondre à cette question, ça veut dire qu'on a pas fait assez.
Francesca Faure
Et c'est pour ça je pense qu’on disait que c'était un parcours en fait. On doit s'y atteler au quotidien, et ne pas laisser tomber. En fait comme je vous disais chez Coca-Cola c'est un sujet qu'on porte depuis plusieurs années, mais ce n'est pas fini. Il y a encore une route très longue et c'est pour ça que je pense effectivement que, il ne faut rien lâcher puisque les acquis d'un jour malheureusement, peuvent vite être oublié, et il faut aussi se battre au quotidien et continuer voilà.
Isabelle Couturet
Juste ajouter une petite chose il ne faut rien laisser passer, parce que moi dans le groupe dans lequel je travaille on a nommé des femmes, on s'est dit c'est bon, c'est gagné, j'ai fait le job. Mais si on les accompagne pas derrière, et si on ne porte pas cette parole de parité, ça ne sert à rien. On a fait, on a l'impression, on s’est dédouané du problème. J'ai nommé des femmes, non, derrière il faut les accompagner, parce qu'elles ont besoin pour toutes les raisons que l'on vient de dire, elles ont besoin d'accompagnement. Je rejoins ce qui a été dit c'est au quotidien, on ne doit plus se taire, il faut parler, il faut accompagner.
Christina Balanos
Allez je donne une dernière question très rapide, mais juste en un mot, que diriez-vous à des femmes qui souhaitent accéder à des postes de leaders, de dirigeants ? Quels conseils donneriez-vous ? Je démarre par Christine, en trois mots allez trois mots parce que ça fait longtemps qu'on vous a pas entendu parler.
Christine Nalchatjian
Moi j'ai le droit trois mois alors je vais vous donner les trois choses les plus importantes. Il faut clairement travailler son état d'esprit et il faut travailler ses compétences hard skills et soft skills et il faut absolument travailler son réseau c'est ce qu'on fait ici aujourd'hui je pense que l'effet on le connaît toutes. Les chiffres on les connaît toutes il faut maintenant s'y mettre et travailler donc on y va.
Christina Balanos
Il y a plus qu'à
Christine Nalchatjian
Il y a plus qu'à
Karine Berger
Ne pas croire que le monde vous fera un cadeau.
Christina Balanos
C'est très clair Catherine
Catherine Sueur
Il faut être avoir confiance en soi, il ne faut pas douter, vraiment faut pas douter.
Hager Jemel
Je suis d’accord avec tout ça, j’ajouterai quelque chose qui est pas souvent dit : choisissez vraiment consciemment votre partenaire pour pouvoir aller au bout de vos rêves. Moi je le dis à mes étudiantes.
[Applaudissements]
Christina Balanos
Très bonne remarque. Francesca.
Francesca Faure
Moi je dirai oses, osez ! Osez, et ne pas se contraindre, de se mettre ses propres barrières.
Christina Balanos
Et pour Isabelle.
Isabelle Couturet
Je vais dire un peu la même chose mais avec d'autres mots, je dirais ne jamais avoir peur de rien.
Christina Balanos
Bravo merci beaucoup mesdames.
[Applaudissements]
[Musique]
Lucille Desjonquères
Les assises de la parité, cette année sont donc sous le thème de la transformation. Transformation parce que nous sommes dans un monde qui bouge, dans un monde où on ne peut absolument pas exclure 52% de la population, je veux parler des femmes. On voit que la parité c'est un sujet qui peut avoir un effet domino sur tout un ensemble de sujets économiques, n'oublions pas que la parité c'est surtout encore et toujours de la performance.
[Musique]
Isabelle Rome
La parité est aujourd'hui un objectif à atteindre et pas une option. Cette égalité elle doit se décliner dans toutes les sphères de la société, il est important que l'entreprise adhère à ce pacte et je remercie toutes les entreprises ici présentes de s'inscrire dans cette direction.
Stéphane Viry
Quand on arrive au sein de ces assises on sent qu'il y a de l'échange, il y a de la confrontation d'idées. Je souhaiterais vraiment que dans les mois à venir le dialogue social porte sur ce sujet-là.
Gabriela Ramos
C'est pas seulement une question morale d’humanité et de solidarit, c'est une question de profitabilité, les entreprises qui ont plus de femmes en top sont plus profitables sont plus innovantes.
[Musique]
Marie-Pierre Rixain
Je crois que c'est important que nous ayons régulièrement des rendez-vous qui soit l'initiative de réseau, d'entreprises, d'institutions publiques, pour conjuguer nos bonnes pratiques et avoir une vision pour demain.
Arthur Dreyfuss
Ça donne des idées, des idées qui vont nous permettre demain d'avoir un fonctionnement complètement paritaire. Paritaire dans les recrutements, paritaires dans les effectifs, paritaires dans les responsabilités
Céline Calvez
Je trouve que les Assises de la Parité de manière très intense elles vont aborder toutes les transformations encore nécessaires et donc même pour les intervenants c'est toujours un appel et un rappel de ce qui est important.
Pascal Gentil
C'est vraiment de faire prendre conscience que la place de la femme n'est pas suffisamment respectée, évidemment dans le milieu de l'entreprise, mais dans le milieu sportif et c'est important que dans ces lieux de pouvoir la parole des femmes soit entendue.
Véronique Gronner
C'est un sujet sociétal et le fait que les ministères économiques et financiers puissent accueillir ce bel événement, je trouve que c'était fantastique.
Elisabeth Moreno
Les femmes ont du talent, elles ont des compétences, elles ont des capacités et en ces temps de mutation extrêmement importants, il faut leur donner la place qu'elle mérite. vous avez vu les intervenants, la qualité, l'ambition, l'engouement qu'il y a sur ce sujet et bien cette impulsion elle doit être nationale et c'est tout ce que j'ai vu dans ce magnifique sommet.
[Musique]
Mark Wyatt
Tremplin de startups c'est une compétition de startups, bien évidemment c'est pour soutenir de parité dans l'entrepreneuriat, chacun avait un coup de cœur mais on a réussi à faire émerger les gagnants de des grandes qualités.
Basma Sadani
Je viens de gagner le meilleur des prix je crois c'est le coup de cœur du jury. Je pense que les retombées, au niveau de la visibilité en tout cas, seront très intéressant.
Amaury Salette
Je pense que ça va nous apporter pas mal de choses, de la visibilité, notamment auprès des financeurs, de fonds d'investissement, de business angels.
Marion Désert
En fait l'objectif majeur c'est de mettre en valeur aussi notre entreprise, montrer qu'on est engagé à la fois sur le plan environnemental, mais aussi c'est une notion sociale et donc ça c'est important.
[Musique]
Sanda Esquiva-Hesse
Je crois qu'il y a une très belle participation, j'espère que ça va avoir de l'impact. Surtout que ça va donner des idées. Si j'avais un dernier message c'est engagez-vous, c'est pour vous, c'est pour tout le monde et c'est pour les générations à venir.
Mathieu Gabai
Les assises de la parité 2023 ont été assez exceptionnels à tous les niveaux et ce n'est que le début puisque l'association International Women’s Forum va, à la suite de ces assises de la parité, tout au long de l'année, continuer à accompagner ces entreprises et ces institutions pour aller plus loin en matière de parité.
[Musique]
[Voix d’homme]
Parce qu'il n'est jamais trop tôt pour lutter contre les inégalités.
[Voix de femme]
Parce que le monde change et que les femmes aussi en sont les architectes.
[Voix d’homme]
Parce que nous avons besoin de modèles inspirants pour atteindre les objectifs de parité.
[Voix de femme]
Pour que ce sujet n'en soit plus jamais un.
[Voix d’homme]
Pour réussir cette transformation,
[Voix de femme]
il nous faut de l'ambition
[Voix d’homme]
sur tous les sujets qui comptent,
[Voix de femme]
c’est à nous d’agir.
[Musique]
Le congé de paternité et d'accueil de l'enfant
PATH, le podcast qui questionne le bien être des parents et futurs parents au travail.
[Musique]
Journaliste de PATH
Nous l'avons constaté dans l'épisode précédent, environ un père sur dix est touché par la dépression du postpartum. Maria Melchior, épidémiologiste et directeur de recherche à l'Inserm, a mené un travail de recherche sur l'impact du congé paternité sur la dépression du postpartum des pères. Nous sommes allés à sa rencontre.
Maria Melchior
Donc, c'est le travail d'une étudiante en thèse qui s'appelle Catherine Barry, qui mène sa thèse sur les liens entre différentes formes de politique familiale et la santé mentale des parents et des enfants. Et nous nous sommes intéressés au congé paternité parce que d'abord, on sait que les congés parentaux sont plutôt bénéfiques pour la santé des parents. On a aussi de plus en plus de données montrant que certes, les femmes ont une probabilité plus élevée de déprimer après la naissance d'un enfant, mais ça arrive aussi chez les pères. Et quand ça arrive chez les pères, il y a des répercussions négatives sur les femmes, sur les enfants. Enfin voilà, il y a une espèce de cercle un peu compliqué qui peut se mettre en place. Or, on comprend encore assez peu, assez mal, les facteurs qui peuvent être associés à la dépression des pères, alors à la fois les facteurs de risque, mais aussi les facteurs protecteurs.
Journaliste de PATH
Quels ont été les résultats de ces recherches ?
Maria
On a observé dans cette étude qu'environ 5% des pères étaient en effet déprimés deux mois après la naissance de leur enfant. Les données sont basées sur les données de la Cohorte Elfe, qui est une étude qui a recruté 18 000 enfants nés en France en 2011 à travers tout le pays et qui est une étude représentative des enfants nés cette année là en France. Donc, on a observé que 5 % des pères avaient des symptômes de dépression deux mois après la naissance de leur enfant et qu'environ 70 % des pères avaient pris un congé paternité à cette date ou comptaient le prendre, ce qui correspond aux estimations nationales. Et donc, par rapport aux pères qui n'avaient pas pris de congé paternité, ceux qui avaient pris un congé paternité avaient une probabilité d'être déprimés réduite de près de 25 %, ce qui est assez important. Ce sont des petits chiffres, il n'y a que 5 % des pères qui sont déprimés, mais malgré toute la différence relative entre ceux qui prennent un congé paternité et ceux qui n'en prennent pas est assez importante.
Journaliste de PATH
Et on parle d'un congé paternité de combien de temps à ce moment là ?
Maria
Alors, c'était en 2011, donc c'est un congé paternité de deux semaines. Et puis évidemment, les pères qui prennent un congé paternité sont différents de ceux qui n'en prennent pas, pour plein de raisons différentes, liées à leur emploi, à leur situation familiale, etc. Donc ces résultats sont obtenus en prenant en compte tous les facteurs qui peuvent influer sur la prise de congé paternité.
Journaliste de PATH
Quelles sont les conclusions de ce travail de recherche ?
Maria
Les conclusions, c'est que tout d'abord, il faut s'intéresser à la santé mentale des deux parents et le plus possible inclure les pères dans les évaluations qui portent sur ce qui se passe au moment de la naissance et après, parce que les pères sont importants. [RIRE de la Journaliste] Ce qui est important aussi, c'est que clairement, les politiques familiales qui soutiennent les familles au moment de la naissance de leur enfant, mais aussi à plus long terme, sont aussi importantes. Et là, il y a tout un corpus de recherches qui commence à être maintenant très étayé, qui montrent que ce n'est pas pareil de laisser les gens se débrouiller ou de les soutenir à la fois sur le plan financier, mais aussi sur le plan des congés qui leur permettent d'accueillir l'arrivée d'un enfant qui est bien sûr une source de joie et de bonheur, mais qui chamboule pas mal la vie des gens, qui peut être une source de stress, de conflits au sein du couple, etc. Et qu'il faut absolument que les gens aient le temps et la possibilité de pouvoir s'adapter à cette nouvelle situation.
Journaliste de PATH
Et quelles sont les perspectives de ce travail ? Est ce que des nouvelles études vont voir le jour prochainement ?
Maria
Oui, bien sûr. Dans la Cohorte Elfe, tout d'abord, ce qu'on va pouvoir étudier, c'est le lien entre le congé paternité des pères et la possibilité qu'il y ait un effet sur le développement des enfants. Parce qu'en fait, c'est tout un enchaînement. C'est à dire que si, grâce au congé paternité, les pères vont mieux, on sait par d'autres études qu'ils s'impliquent plus aussi auprès de l'enfant et au sein du couple et au sein de la famille. Donc, ils sont plus présents, s'occupent plus des tâches domestiques, etc. Ce sont des éléments qui pourraient avoir des effets positifs pour à la fois le développement psychomodeur des enfants très tôt, mais aussi leur bien être émotionnel à plus long terme. Donc ça, c'est quelque chose qu'on va pouvoir vérifier à partir des données d'Elfe. Et puis, ce qu'on aimerait savoir maintenant que la durée du congé paternité a été prolongée à un mois en 2021, on aimerait savoir si cet allongement de la durée du congé paternité confère des bénéfices aux parents. Et donc, on réfléchit aussi avec d'autres collègues à un projet pour essayer de comparer ce qui se passe avant et après le changement de cadre.
[Musique]
Journaliste de PATH
Depuis le 1ᵉʳ juillet 2021, le congé de paternité et d'accueil de l'enfant est passé de 14 à 28 jours, dont sept obligatoires. Concrètement, que nous dit cette loi ? Élise Fabing, avocate spécialiste en droit du travail, nous informe.
Élise Fabing
Le congé deuxième parent a été allongé à compter du 1ᵉʳ juillet 2021, de 11 à 25 jours et auxquels on ajoute les trois jours obligatoires du congé de naissance. Donc ça fait 28 jours. Ces jours de congé peuvent être pris dans le délai de six mois à compter de la naissance de l'enfant, en continu ou en plusieurs périodes, et en cas de naissance multiple, le congé second parent est de 35 jours au total en comptabilisant le congé de naissance initial. Donc, le congé second parent, il est applicable que le second parent soit un homme ou une femme, et ça, c'est important de le dire, non binaire, fonctionnaire, travailleur indépendant, salarié. Et, pour en bénéficier, le second parent, il doit consommer au minimum sept jours en continu immédiatement après la naissance de l'enfant, soit trois jours de congé naissance suivis de quatre jours du congé second parent sur le quota des 25 jours. Et il doit prévenir son employeur au moins un mois à l'avance de la date prévue de la naissance. Donc ça, c'est à prendre en considération aussi. Et le congé second parent et d'accueil de l'enfant, il est pris en charge par la Sécurité sociale et l'indemnisation du congé second parent est alignée sur celle du congé maternité.
Journaliste de PATH
Est ce que l'employeur a le droit de refuser un congé deuxième parent ?
Élise
Non, il n'a pas le droit. C'est un congé qui ne peut pas être refusé par l'employeur. Néanmoins, dans les faits, il y a le droit et il y a la pratique. Moi, j'ai beaucoup de pères qui n'osent pas prendre ce congé second parent ou à qui on a fait comprendre que ce serait extrêmement mal vu de prendre ce congé second parent, donc ils ne le prennent pas. Parce que la pression, parce que la discrimination à la parentalité aussi, parce que quand on vient d'avoir un enfant, on doit montrer qu'on est incroyable, qu'on est toujours aussi performant et que surtout, ça ne change rien. C'est vrai que moi, je suis très pro congé deuxième parent d'égal durée, parce que je pense que c'est un bon moyen de réduire les inégalités femmes hommes, mais ça, c'est un autre débat. Et souvent, on m'oppose que oui, c'est la femme qui souffre après l'accouchement, que c'est elle qui met au monde. Mais justement, justement, ne la laissez pas seule.
Journaliste de PATH
Que risquent les employeurs s'ils respectent pas ? Enfin, s'ils refusent ?
Élise
Il y a des sanctions liées à la discrimination parentale, je suppose. Et puis, on pourrait dire aussi que cela relève du harcèlement discriminatoire. Après, c'est trop nouveau pour qu'il y ait encore vraiment beaucoup de recul jurisprudentiel là dessus. Et je n'ai pas eu de sujet encore sur ce volet là. Ce que j'ai vu, c'était des hommes qui négociaient à leur départ parce qu'ils commençaient à être écœurés par leurs conditions de travail. Et un des déclics pour certains a été qu'on leur refuse le congé paternité mais un refus évidemment pas écrit, improuvable, etc. Et puis, si vous voulez, c'était une pression pour ne pas le prendre plus qu'un refus. Donc, on a négocié dès le départ et on a mis ce fait là en avant. Concernant le congé paternité, il y a une sanction qui est prévue de 1 500 € en cas de refus de l'employeur d'accorder ce congé paternité. Ce qui n'est pas grand chose, ce n'est pas très, très dissuasif. Mais en tout cas, je n'ai jamais vu de cas où ça arrivait de façon explicite. C'était plus une pression pour que le père ne prenne pas le congé.
[Musique]
Journaliste de PATH
En juin 2020, un collectif de pairs s'était monté pour écrire une tribune réclamant l'allongement du congé deuxième parent, publié sur le Huffington Post. Mais pourquoi la présence du coparent est elle importante à la naissance d'un enfant ? Pascal Van Hoorne, papa de jumeaux, conférencier sur les sujets autour de la parentalité et l'équilibre de vie et co signataire de La Tribune, nous en parle.
Pascal Van Hoorne
Ce congé paternité, il existait dans sa forme actuelle depuis très longtemps et il n'avait pas du tout évolué, alors que globalement, la société, elle a largement évolué. Les aspirations des pères, des mères, évidemment, ont beaucoup bougé sur le sujet. Et il y a également une impulsion donnée par l'Europe, puisqu'il y a une directive européenne qui date de 2019 pour demander aux pays membres de l'Union européenne d'avoir un congé paternité de minimum dix jours. La France en y était, mais on était juste à ce qui a été demandé par l'Europe. Du coup, quand même, bonne élève, la France s'est dit « Il faut qu'on fasse plus. » Sauf que ça bougeait pas. Et donc, effectivement, on a réuni un collectif de papas, de papas engagés. On est dix papas engagés sur ce sujet et on s'est dit « Il faut remettre la lumière sur ce congé paternité, congé second parent. » On a coécrit une tribune qu'on a diffusée en exclusivité sur le Huffington Post. Avec cette tribune, on a fait également un appel au témoignage et on en a reçu plus de 500 en cinq jours, donc très conséquents et c'était très riche d'enseignements. L'idée, c'était vraiment de se dire « Non, le congé paternité, il faut qu'il augmente. Nous, on demandait un mois minimum. On était sur hashtag #UnMoisMinimum. » Pourquoi un mois ? Parce qu'on aurait pu demander plus ? Parce qu'on s'est dit que la société n'était pas encore complètement prête et que si on demandait tout de suite deux mois, trois mois, quatre mois, ça risquait plutôt de faire un blocage que l'inverse. Ce qu'on voulait, c'était déjà qu'il y ait un premier pas. Parce que, encore une fois, moi, je crois beaucoup aux petits pas qui permettent d'avancer progressivement dans une société. D'où ce congé paternité effectivement de un mois qu'on a demandé. La petite blague, c'est qu'on a eu le mois le plus court de l'année puisqu'on a eu 28 jours. On a eu le mois de février puisqu'on en a un mois, on a eu 28 jours. Mais effectivement, c'est déjà pas mal. Après, ça reste une loi et tout l'enjeu aujourd'hui, c'est de l'accompagner pour qu'il soit réellement pris par les nouveaux papas. Ce qui est très intéressant dans ces témoignages, c'est qu'on voit qu'il y a déjà une forte inégalité sociale sur le congé paternité en fonction de plein de choses, en fonction de l'éducation, en fonction du territoire géographique et en fonction de ce qu'on appelle les CSP, les catégories sociaux professionnelles.
Et qu'en gros, finalement, les catégories qui prennent le plus le congé paternité, c'est ce qu'on appelle la classe moyenne. Mais par contre, là où on est, où le congé paternité était bien moins pris, c'était pour les populations plus aisées ou à l'inverse, moins aisées. Pour des raisons évidemment complètement différentes. Pour les raisons plus aisées, il y a un vrai frein psychologique qui est de dire « Mais non, ça va nuire à ma carrière professionnelle » parce qu'on sait culturellement, les hommes se surinvestissent dans le monde du travail et donc pour la population CSP+, non, je ne peux pas, je suis hyper engagé dans mon boulot. Et pour à l'inverse, les catégories socio professionnelles un peu moins aisés, il y avait cette idée de dire « Non, j'ai peur. » On a beaucoup eu comme témoignage cette notion d'auto censure et de peur du jugement. « J'ai peur de la façon dont ça va être perçu par mes boss, par mes managers. J'ai peur de la façon dont ça va être perçu par mes collègues. » Et donc, du coup, je ne n'ose pas. Je ne n'ose pas. Une de nos motivations de notre engagement sur l'augmentation de la durée du congé paternité, c'était d'impacter sur l'égalité entre les femmes et les hommes.
On le sait aujourd'hui, les femmes gagnent en moyenne 20% de moins que les hommes pour le même job et à compétences égales. L'écart de rémunération tend à diminuer très faiblement. Ce qui est intéressant de regarder au delà de ce chiffre, c'est à quel moment le décrochage de rémunération se fait. Le décrochage de rémunération se fait au moment où la jeune professionnelle devient maman. D'un seul coup, au niveau des entreprises, elle est semble t il perçue comme un peu moins professionnelle. Le décrochage de rémunération se fait à ce moment là. Nous, notre conviction, c'est de se dire si on change le regard de la société sur la paternité, le fameux risque maternité se transforme en risque parentalité, qui est portée aussi bien par les femmes que par les hommes, ce n'est plus un risque, c'est un fait juste à prendre en compte, à intégrer et donc, une diminution de l'inégalité entre les femmes et les hommes. Nous venons d'échanger sur l'inégalité entre les femmes et les hommes sur la dimension salariale, mais il n'y a pas que ça. On sait aussi que la majorité, 53 %, des femmes diminuent leur temps de travail après la naissance de l'enfant et descend à 80 %, alors qu'il n'y a qu'un père sur neuf qui diminue son activité professionnelle.
Ça, c'est un vrai risque. Si on rajoute une autre dimension dans l'équation qui est les divorces, les séparations, un couple sur trois divorce, dans la première année de l'enfant et un sur deux en général. Forcément, pour la maman qui est passée à 80 %, risque de précarisation sur l'instant et sur la durée. On connaît la théorie des pots de yaourt peut être haute vecteur, à mon sens d'égalité sur le congé paternité, c'est ce qu'on appelle la fameuse charge mentale et la gestion au quotidien. Pareil, les études le disent, plus de 70% des tâches domestiques et familiales sont gérées par les femmes. On a cru que ça allait évoluer suite à la crise du Covid et les confinements et malheureusement, ça n'a absolument pas bougé d'un pouce. On peut imaginer qu'avec les nouvelles générations, ça change, parce que les nouvelles générations ont quand même, semble t il, une sensibilité différente sur le sujet, à voir si ça va être traduit quand ils ne deviennent parents, mais aujourd'hui, ça n'a pas changé. Avoir un père qui est impliqué dès la première mois de naissance de l'enfant, tout simplement, c'est créer une nouvelle dynamique de couple.
C'est créer une nouvelle dynamique de couple qui permet de moins abîmer le couple et donc, justement, de favoriser les égalités et notamment, effectivement, les égalités sur la notion des tâches domestiques. C'est à dire que le père, il comprend ce que c'est une journée entière avec un bébé et que oui, peut être que le soir, il n'y a pas vraiment le temps d'avoir un appartement ou une maison qui est super clean, d'avoir un super repas qui est posé sur la table, non, parce qu'en fait, on n'arrête pas sur les premiers jours, semaines et mois de l'enfant, et même après d'ailleurs. Donc effectivement, le père qui est vraiment engagé pendant ces 28 jours là et qui est très présent, il le voit, il le constate et donc forcément, il est plus compréhensible derrière. C'est toujours la différence entre la théorie et la pratique. C'est bien d'intellectualiser les choses, mais c'est vraiment quand, encore une fois, on met les mains dedans qu'on comprend la situation. On peut imaginer également, en termes d'égalité, que les impacts sur la durée. C'est à dire que, on ne parle pas des premières semaines, mais encore une fois, l'idée, c'est que ça lance une dynamique, donc ça se poursuive ainsi au sein du foyer.
Et donc les enfants, quand ils vont grandir, ils ont devant leurs yeux un modèle égalitaire. Donc, on peut imaginer que quand ils deviendront à leur tour parents, ou en tout cas quand ils seront en couple, ils reproduiront ce modèle égalitaire qu'ils ont pu voir une fois enfants. C'est vraiment cette idée de se dire « Impacté dès la naissance de l'enfant », c'est contribuer à une société plus juste et plus égalitaire sur l'instant, mais sur dans 20 ans, sur dans 30 ans.
Journaliste de PATH
Qu'attendent les pairs de la génération Y en matière d'équilibre, vie pro, vie perso ?
Pascal
C'est très intéressant de voir que la nouvelle génération, pour eux, la notion d'équilibre, ce n'est pas un besoin. Ça, c'est la génération des 30, 40 ans pour qui ça a été un nouveau besoin qui a émergé. La génération aujourd'hui qui a 20 ans, ils ne sont pas encore parents, mais ils le seront dans dix ans, ce n'est pas un besoin, c'est un fait posé, implacable, non négociable. Et donc, il n'y a pas le choix. Aujourd'hui, les organisations, entreprises, collectivités, peu importe, associations, elles sont obligées de prendre en compte ce besoin d'équilibre de la nouvelle génération. Ils le souhaitent parce qu'ils souhaitent un vrai épanouissement. Ils ont aussi une relation au travail qui est différente. Il n'y a pas de temps à dire est ce que c'est bien, ce n'est pas bien. C'est juste un fait qui doit être pris en compte et notamment, effectivement, la parentalité est un sujet.
Journaliste de PATH
Comment peut on intégrer sereinement le congé paternité dans la vie d'une entreprise ?
Pascal
L'intégration du congé paternité en entreprise, elle est essentielle. Encore une fois, le congé paternité, c'est une loi comme toute loi, ça s'accompagne. Et là, en plus, on parle d'une loi qui impacte un changement culturel, sociétal. On parle quand même de redessiner un modèle patriarcal qui existe depuis des siècles et des siècles. Les entreprises, elles ont un rôle majeur à jouer sur le sujet de la parentalité et de la paternité. Juste un chiffre. 83% des salariés sont parents. On s'adresse quand même à la très grosse majorité de ces salariés. On est parents d'un petit enfant, mais aussi d'un ado. On n'est pas parents juste sur les premières semaines. C'est ce dont on parle, mais c'est effectivement sur toute la durée. Les entreprises se doivent d’intégrer ce congé paternité. Ça passe par plein de façons différentes, il y a plein d'actions. Il y a un premier sujet qui est la notion d'information et de sensibilisation. Les études le montrent. Aujourd'hui, les pères qui prennent peu ou pas leur congé paternité, c'est parce qu'ils manquent d'informations sur le sujet. Ils ne savent pas forcément qu'ils y ont droit, comment ça fonctionne. Ils n'apprennent pas forcément les bonnes notions en termes d'indemnisation.
Le congé paternité est plutôt bien indemnisé. Donc, il y a une première action à mettre en œuvre par les entreprises qui est de sensibiliser les collaborateurs. Ça peut prendre plein de formes différentes. Ça peut prendre la forme de conférences, ça peut prendre la forme d'ateliers, ça peut prendre la forme de formation. Il y a aussi toute une action à mener au niveau des managers. Les managers et les RH, mais les managers, c'est ceux qui sont en direct. En fait, la paternité, mais la maternité, c'est la même chose, à la base, c'est quand même plutôt une bonne nouvelle. Et aujourd'hui, il y a beaucoup de gens qui ont peur de l'annoncer. C'est quand même un truc un peu bizarre. C'est une bonne nouvelle et on a peur de l'aborder au niveau de son entreprise. Et donc, effectivement, le manager, il a un rôle clé sur le sujet. La première des choses, c'est d'accueillir la nouvelle du congé paternité avec bienveillance et après, d'encourager le collaborateur à dire « Tu ne prends pas que tes sept jours, tu prends tes 28 jours. » Pour ceux là, ça s'anticipe. Un congé paternité comme un congé maternité, ce n'est pas une maladie.
Ce n'est pas « on ne se casse pas la cheville et on ne peut plus venir au boulot. Non, il y a neuf mois de grossesse, donc on peut l'anticiper. Moi, j'encourage toujours les entreprises à dire « préparons ensemble ce congé paternité. » En gros, on attend les trois mois, quatre mois de grossesse pour l'annoncer. Et puis, à partir du quatrième, cinq mois grand max, on l'annonce et donc on prépare ensemble un plan d'action. Quand je dis « ensemble », c'est parce que moi, je crois beaucoup à l'idée de la co responsabilité. T'as le manager, mais t'as le collaborateur. Et comment, ensemble, on prépare un plan d'action pour anticiper cette absence dans un mois. En vrai, quand on y regarde de près, c'est très chouette parce que ça fait du transfert de compétences au niveau de l'équipe. Ça génère de la solidarité et je crois qu'on en a un peu besoin dans notre monde aujourd'hui. Ça génère plein de choses très positives au niveau managérial et au niveau de l'équipe, il y a aussi un autre point, c'est l'exemplarité. Ça veut dire que, que ça soit dans les managers ou que ça soit dans le comité de direction, c'est important que ces hommes la, qui deviennent papa prennent leur congé paternité, parce que ça libère.
Si le boss l'a fait, ça veut dire que moi, je peux le faire. L'exemplarité, c'est ce par quoi un modèle sociétal évolue. C'est quand on a ce qu'on appelle des « role models », donc des femmes, des hommes inspirants, engagés, qui s'impliquent et qui osent faire des choses. Quand on fait quelque chose pour soi, je dis toujours ça, quand on fait quelque chose pour soi, on le fait pour les autres. Ça a forcément un impact.
[Musique]
Journaliste de PATH
Pour comprendre pourquoi certains pères et coparents ont du mal à recourir aux congés de paternité et d'accueil de l'enfant, la Chaire Diversité et Inclusion de l'EDHEC a réalisé une enquête auprès de plus de 780 personnes. Hager Jemel-Fornetty, directrice de cette chaire, nous en dit plus.
Hager Jemel-Fornetty
Nous avons décidé de mener cette étude depuis longtemps, mais la mise en œuvre a été un peu plus longue. D'abord, nous avons, à l'occasion de certaines études sur l'égalité femmes hommes, été frappés par le récit de plusieurs femmes qui disent qu' à partir du moment où elles ont annoncé leur grossesse, où elles ont accouché. Leur avenir dans l'entreprise, leur carrière a connu une stagnation. Il y a eu un avant et un après et la stagnation, c'est aussi bien au niveau des promotions, aussi au niveau des salaires. Et nous nous sommes interrogés par rapport à ce phénomène qui est beaucoup plus important qu'on ne le pensait. Et une des choses qui nous a été suggérées et auxquelles on a pensées, c'est que si on en est là, c'est parce qu'il y a une inégalité au niveau de la parentalité qui amène toujours les femmes à être considérées comme le parent qui va prendre en charge l'enfant, qui va s'en occuper naturellement et donc qui va privilégier la vie familiale par rapport à sa vie professionnelle. Nous avons donc fait le constat que, aussi, certains pères souhaitaient vivre cette parentalité, contribuer à la vie de famille, à l'éducation de plusieurs façons possibles, pas uniquement de la manière traditionnelle, en étant pourvoyeur de fonds et garant de la discipline, mais aussi en s'investissant dès le plus jeune âge et que ces pères aussi étaient quelque part privés, parce qu'il y a cette injonction aussi qui les met dans une posture où ils sont incapables de prendre ce temps et où aussi c'est mal vu de prendre ce temps de s'occuper de l'enfant, en plus du fait qu'ils n'ont pas une égalité au niveau de l'accès au congé paternité.
Donc à partir de là, on s'est dit « Regardons ce qui se passe au niveau du congé paternité. Est ce que le fait qu'il y ait un allongement, comme ça s'est passé en France en 2021, est ce que c'est quelque chose de positif ? Comment les parents l'accueillent ? Est ce que c'est suffisant ? Et surtout, on en a profité pour voir quelles sont les représentations autour du congé paternité.
Journaliste de PATH
Qui sont les personnes que vous avez questionnées pendant cette étude et comment ont ils été sélectionnées ?
Hager
Pour cette étude, nous avons eu 784 réponses exploitables avec 249 hommes et 535 femmes qui ont répondu. Ce qui est important à dire, c'est que c'est un échantillon qui n'est pas représentatif de tous les hommes et de toutes les femmes qui travaillent en France, puisque notre échantillon, il est vraiment sur représenté par des cadres, 75% au total des personnes fortement diplômées. Et ça, c'est dû certainement à la façon avec laquelle nous avons administré notre questionnaire, parce que nous nous sommes appuyés sur les réseaux d'entreprises partenaires, nos réseaux aussi de diplômés EDHEC, mais aussi les réseaux sociaux comme LinkedIn où il y a forcément une surreprésentation de cadres.
Journaliste de PATH
Quels sont les constats faits à partir de cette étude ?
Hager
Plusieurs constats. Tout d'abord, qu'il y a encore un besoin d'informer les pères de leurs droits. Nous avons compris qu'il y a encore plus du tiers des pères, en tout cas de notre échantillon, qui n'ont pas pris leur congé paternité, juste parce qu'ils ne savaient pas qu'ils avaient droit à ce congé paternité. Il y a aussi, en plus de la méconnaissance, une peur. Ça veut dire qu'il y a vraiment un besoin de sécuriser les parents et les pères en particulier par rapport au fait que s'ils prennent ce congé, ils ne vont pas avoir de conséquences négatives sur leur carrière et que ce n'est pas mal vu. On a eu environ 7% qui ont déclaré ne pas avoir pris ce congé parce qu'ils n'étaient pas dans des conditions favorables, soit précaires, soit de d'autres raisons qui n'étaient pas sécurisantes. Les autres constats aussi, c'est qu'il y a vraiment un besoin d'anticipation dans les entreprises. Il y a donc un appel à cette anticipation, à aussi organiser les choses de sorte à ce que certaines responsabilités ne pèsent pas que sur une seule personne, surtout dans des moments charnières et importants de la vie de ce type.
Ce qu'on voit aussi à travers cette étude, c'est qu'il y a aussi le poids des représentations qui est encore très lourd et qui empêche des pères de prendre leur congé paternité, parce que soit ils considèrent que le rôle du père n'est pas d'être là auprès de l'enfant à sa naissance et de s'en occuper par rapport aux soins. Donc on est dans une vision très stéréotypée du rôle du père qui est plutôt là pour apporter la sécurité, l'argent, la discipline et entourer le foyer de cette façon avec une mère plutôt nourricière qui apporte le soin et qui est disposée, entre guillemets, naturellement à s'occuper d'un nouveau né. Donc cette représentation très stéréotypée, traditionnelle, amène des pères et aussi des mères à considérer que le congé paternité n'est pas forcément utile, mais aussi, il amène les parents à avoir peur de la représentation des autres, pensant aussi que s'ils s'engagent dans cette voie, il serait mal perçu que le père soit, par exemple, perçu comme fainéant ou pas assez viril. Donc, il y a vraiment un besoin aussi de travailler sur ces représentations, notamment en entreprise, dans la société aussi, à travers l'éducation.
Journaliste de PATH
Qu'attendent les parents et futurs parents en matière de politique parentale dans leurs entreprises ?
Hager
Ce qu'attendent les parents en particulier, c'est une meilleure information au sein de l'entreprise sur les droits des parents et en particulier des pères, parce que les mères c'est un peu rentré dans les mœurs depuis longtemps. Mais parler du deuxième parent, qu'ils soient père ou mère, de leurs droits à accéder à ce congé, ça, c'est une première chose. Nous avons aussi un fort appel à ce que le congé soit entièrement obligatoire. On a eu une avancée avec sept jours obligatoires à la naissance et il y a beaucoup, beaucoup de personnes qui attendent que tout le congé, les 28 jours, soit obligatoire, même à l'allongé. Et il y a une forte attente par rapport à l'indemnisation. Aujourd'hui, on voit que les pères qui gagnent moins que le seuil légal d'indemnisation par la Sécurité sociale recourent plus fortement au congé paternité et que dès qu'on dépasse le seuil légal d'indemnisation par la CPAM, donc qui est de 3 666 € brut mensuels depuis 2023, on a un recours moins important au congé paternité. Vraiment, les premières tranches de salaire, on a 92, à peu près 90 %, 88 %, une fois qu'on dépasse ce seuil, on descend à 80, voire 62 %, et pour les salaires les plus élevés, on est à 55 % de taux de recours.
Donc, ça amène à penser qu'une meilleure indemnisation amènerait les pères à recourir plus à ce congé paternité.
Journaliste de PATH
Avez vous été étonnés des résultats d'études ?
Hager
Globalement, il y a des éléments qui ne nous surprenaient pas, qui confirmaient certaines choses que nous avions déjà vues, notamment dans la littérature. Ce qui nous a quand même un petit peu surpris, c'est la prégnance des stéréotypes des rôles des parents, en particulier les rôles des pères et des mères selon les sexes, qui empêchent clairement certains pères à recourir à leur congé paternité, mais aussi à quel point il y a un besoin de la part des entreprises d'information, de sécurisation et d'exemplarité pour encourager les pères à prendre ce congé paternité. Cet appel des pères et des mères au rôle des entreprises, pas uniquement de la société, nous a assez surpris. Et finalement, ça s'explique parce que c'est vraiment lié au travail, c'est à dire que les pères et les mères, forcément, ils vont être influencés par les rôles sociaux. Mais ce qui pèse beaucoup sur les pères, c'est aussi la peur d'avoir un problème de perception dans leurs entreprises, la peur aussi de laisser une grande quantité de travail à leurs collègues, cette culpabilité. Cette demande sociale qui est faite aux entreprises nous a aussi surpris.
Journaliste de PATH
Quelles suites allez vous donner à cette étude ?
Hager
Plusieurs objectifs possibles. Tout d'abord, on se rend compte à quel point c'est important d'éduquer. Et donc, on se dit qu'il faut qu'on amène le plus possible d'éléments à nos étudiants à travers nos cours sur le congé paternité, ce qui n'est pas encore quelque chose de très abordé. Et donc ça, ça peut être dans des cours de ressources humaines, de leadership, de management et autres. Mais aussi l'importance de continuer à mener des recherches pour mieux cerner quels sont les freins à ce recours et aussi comment on peut arriver à dépasser cette vision binaire des parents, parce que là dessus repose aussi bien un bien être au travail, mais aussi une société plus égalitaire.
[Musique]
Journaliste de PATH
Certaines entreprises mettent en place des congés plus longs que ce que la loi propose pour leurs salariés. C'est le cas d' Accenture, un cabinet de conseil à dimension internationale. Émilie Desriaux, chargée de projet inclusion et diversité, nous parle des engagements du cabinet.
Émilie Desriaux
Au sein d' Accenture, on est engagé sur l'inclusion et la diversité depuis plus de 20 ans et on s'est engagé plus précisément sur le segment de la parentalité en 2009, en signant la Charte de la parentalité, puis plus tard, de la monoparentalité. L'idée, c'est vraiment d'accompagner les collaboratrices et les collaborateurs dans l'articulation de leur vie professionnelle et de leur vie familiale, mais on s'engage aussi à respecter le principe de non discrimination dans l'évolution professionnelle. Chez Accenture, on veut vraiment renforcer l'égalité au sein du couple. Et donc, pour cela, on propose depuis le 1ᵉʳ septembre 2022 l'allongement du congé coparent afin de le porter à une durée totale de huit semaines. Ce congé, il est ouvert aux coparents sans distinction de genre et il est pris en charge à 100 % par Accenture.
Journaliste de PATH
Vous parliez justement de cadre d'égalité. Pourquoi c'est important d'allonger ce congé coparent ?
Émilie
Chez Accenture, on a une politique volontariste en faveur de l'égalité de genre et cela passe aussi par ces mesures d'accompagnement aux familles, aux coparents, afin que la gestion des enfants ne repose pas uniquement sur les mamans. Prendre en compte nos collaborateurs dans la globalité, dans leur rôle de père et de mère, nous paraît aujourd'hui fondamental. En effet, c'est vraiment un monde où les frontières entre vie pro et vie perso sont de plus en plus fines et les moments pros et personnels ne se jouent plus sur des temps et des lieux complètement étanches.
Journaliste de PATH
Comment communiquez vous en interne sur ces sujets ?
Émilie
On communique sur nos différentes mesures et nos actualités par différents moyens. On a des pages internes dédiées, on a des relais et des sponsors sur nos sujets. On a également un Teams dédié. C'est quelque chose qu'on utilise beaucoup chez Accenture. Et on a également le mois de mai qui est le mois dédié à la parentalité, qui permet de rappeler ses mesures et durant lequel on propose aussi énormément d'événements et de conférences sur le sujet de la parentalité.
Journaliste de PATH
Comment accueillez vous le retour des coparents après ce congé de deux mois ?
Émilie
Du coup, le congé est plus long, donc il nous a paru aussi nécessaire de pouvoir les accompagner dans leurs reprises. En plus du workshop “Retour de congé maternité”, on propose maintenant un workshop “Retour de congé coparents”. Ce workshop, il est animé par une coach parentale. Il permet d'échanger, de partager son expérience et de découvrir des clés adaptées aux métiers du conseil pour aider au quotidien à mieux profiter de la vie de famille, tout simplement. C'est un workshop qui dure une demi journée. Il est proposé à tous les collaborateurs. Il n'est pas obligatoire, mais se fait sur la base du volontariat.
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Journaliste de PATH
Dans le prochain épisode, nous parlerons des enjeux associés à la reprise du travail après la naissance de l'enfant, que ce soit pour la mère ou pour les pour le deuxième parent. PATH est un podcast réalisé dans le cadre du projet européen Pathways to Improving Perinatal Mental Health, porté en France par le Centre collaborateur de l'OMS pour la recherche et la formation en santé mentale. Un service de l'EPSM Lille Métropole. Rendez vous sur votre plateforme d'écoute habituelle pour vous abonner au podcast et ne manquer aucun épisode.
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Hager Jemel-Fornetty, directrice de la Chaire Diversité et Inclusion, a participé au podcast PATH, le podcast qui questionne le bien-être des (futurs) parents au travail. Elle est intervenue dans le 7ème épisode, consacré au congé de paternité et d'accueil de l'enfant et a présenté certains résultats de l'enquête "le congé de paternité et d'accueil de l'enfant : représentations et attentes" menée par la chaire en 2022.
Guergana Guintcheva, professeure de marketing à l'EDHEC et Hager Jemel-Fornetty, directrice de la Chaire Diversité et Inclusion, étaient les invitées du Festival Pix. Elles ont présenté leurs travaux de recherche sur la représentation des femmes dans les jeux vidéos.
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[Voix masculine] Si rien ne change.
[Voix féminine] Il faudrait 33 ans pour atteindre la parité dans les instances de décision.
[Ensemble] Il est temps d'aller plus vite.
[Voix masculine] Accélérons le mouvement.
[Voix féminine] Assise de la parité, le 28 juin 2022. Inscrivez vous sur assise-parite.com.
[Musique]
Assises de la partité 2022
Replay Table ronde 4 : Management : les nouveaux codes du travail et l'équilibre vie pro vie perso
Gilbert Azoulay
Rebonjour. Je ne sais pas s'il y a des gens qui étaient connectés avant, mais je reprends l'antenne pour une nouvelle table ronde consacrée au management, les nouveaux codes du travail et l'équilibre vie pro vie perso. L'équilibre vie pro vie perso est sans doute une question centrale au regard des transformations que nous connaissons et que nous avons abordées depuis le début de cette matinée. Non pas que ce sujet n'avait pas été traité avant, parce qu'on en parlait déjà depuis longtemps, mais aujourd'hui, avec la crise que nous avons connue, notamment, et les attentes des nouvelles générations, cette problématique est d'autant plus d'acuité. On rappelle que dans son rapport annuel en 2021, le Haut Conseil à l'égalité entre hommes et femmes revient sur les impacts de la crise sanitaire et sur les trajectoires professionnelles de femmes. Deux tiers des femmes en télétravail subissent une charge physique et mentale considérable dans la mesure où elles cumulent leurs jobs de tâches domestiques, parentales, l'école, la maison, souvent dans des espaces exigus. Donc, il faut agir sur l'équilibre vie personnelle, vie pro, même quand ça se passe à la maison.
Et on le verra. Mes invités, Sara Dalmasso, vice présidente et General Manager International, je le dis en anglais, ça fait toujours plus chic, chez Omnicell. Bonjour Sara. Omnicell, ce sont les armoires connectées qui permettent... On avait travaillé un peu ensemble déjà, c'est pour ça que je connais. J'avais ma petite antisèche. En deux mots ?
Sara Dalmasso
En deux mots, on fournit les hôpitaux et les officines de pharmacie pour tout ce qui est optimisation, automatisation et logiciel pour la gestion du circuit du médicament.
Vaste sujet qu'on abordera plus tard.
Gilbert
J'ai découvert d'ailleurs que le circuit du médicament, quand il n'est pas respecté, il est notamment, quand il est fait de manière manuelle, il y a beaucoup d'incidents, voire d'accidents graves.
Sara
Beaucoup d'erreurs médicamenteuses.
Gilbert
On n'est pas là pour plomber l'ambiance, mais si on peut régler ce problème... Marie Rouen, de la Banque Palatine. Vous cumulez plusieurs fonctions. Si j'ai bonne mémoire. Je vous laisse les énoncer pour ne pas commettre d'erreurs.
Marie Rouen
Bonjour Gilbert. Effectivement, je suis directrice ressources et services, dont les ressources humaines, les services de production bancaires, l'environnement de travail et la communication interne et externe. Banque Palatine, qui est la banque des ETI, des dirigeants et de la gestion privée.
Gilbert
Vous nous direz comment vous voyez un peu la vision que vous portez sur cet équilibre ? Quand on préparait, vous me disiez c'est avant tout une politique RH. Il n'y a pas de spécificité entre les hommes et les femmes. Il faut avoir une vision globale et non pas parcellaire. Dalila Zein, directrice générale de l'AFP. L'AFP est une société iconique en France, dans le monde d'ailleurs.
Dalila Zein
Bonjour Gilbert. Oui, dans le monde, contrairement à son nom, c'est une agence mondiale présente dans 150 pays avec 2 400 collaborateurs, dont la moitié est en France et la moitié partout dans le monde.
Gilbert
Des journalistes, donc ?
Dalila
Beaucoup de journalistes, oui, absolument.
Gilbert
Et aussi de...
Dalila
Toutes les fonctions pour accompagner le métier.
Gilbert
Et là aussi, beaucoup d'actions menées au niveau de l'institution pour, évidemment, accompagner cet équilibre. Parce que l'actualité n'attend pas. C'est H24.
Dalila
L'actualité n'attend pas. Il y a des feux partout dans le monde.
Gilbert
C'est vrai que 35 heures chez les journalistes, je peux témoigner, ça n'existe pas. Je ne devrais peut être pas dire ça. Il y en a qui vont se lever en disant « Qu'avez vous dit, Gilbert Azoulay ? » Et Louis Verdier, le directeur général de la Maison Bleue. Maison Bleue ?
Louis Verdier
Bonjour Gilbert.
Gilbert
Bonjour, Louis.
Louis
On est un groupe de crèches. On gère des crèches en délégation de service public et des crèches inter entreprises.
Gilbert
Oui, et là, on touche du doigt cet équilibre parce que vous apportez une solution à des problématiques.
Louis
On apporte des solutions. On est, nous aussi, confrontés aux mêmes problématiques pour nos propres salariés. Il y a quand même un effet de mise en abîme et on le fait en France et on a quelques retours aussi sur l'Angleterre, la Suisse, le Luxembourg, on est présents également.
Gilbert
Et on verra tout à l'heure avec vous qu'il faut s'intéresser au parcours des femmes, mais aussi à celui des enfants. Et c'est ce mixe qu'il faut cumuler quand on parle équilibre vie pro / vie perso. Et à distance, vraiment très raisonnable, mais je pense qu'il vaut mieux être à distance très raisonnable avec elle, si je ne m'abuse. Bonjour, Hager Jemel-Fornetty. Vous êtes professeur à l'EDHEC Business School, une grande école de commerce reconnue mondialement, on peut le dire. Et vous avez travaillé sur le sujet de la parentalité. Donc, on est au cœur de la machine, si je puis dire. D'abord, est ce que vous allez bien ? Vous avez l'air d'aller bien.
Hager Jemel-Fornetty
Oui, ça va bien, merci. Je suis désolée de ne pas être avec vous sur le plateau, mais j'ai découvert hier soir que j'avais le Covid, mais les symptômes sont légers, donc je peux intervenir à distance. Juste, je dois m'isoler pour protéger les autres.
Gilbert
Vous nous protégez, j'en suis sûr. Est ce que ça vous embête ? Je commence par une question pour vous, si vous en êtes d'accord. Parce que quand, là encore, on était en train d'élaborer le plan de cette émission, vous me disiez « Gilbert, attention. Attention de faire la différence entre flexibilité et équilibre. » Je crois que ce n'est pas une nuance innocente.
Hager
Effectivement, on parle de plus en plus de flexibilité comme source d'équilibre entre la vie perso et la vie professionnelle. Or, c'est un grand leurre parce que ce qu'on voit dans plusieurs études, dont nous avons connaissance et que nous avons aussi mis au point, c'est que la flexibilité peut au contraire accroître ce manque d'équilibre. Parce que quand on bénéficie de flexibilité, ça veut dire qu'on peut travailler à distance, qu'on peut adapter ses horaires au bureau. Et ce qui se passe souvent, c'est que soit il y a un sentiment de culpabilité, parce qu'on a en France cette culture du présentéisme en particulier, et donc on a l'impression qu'il faut qu'on reste encore plus devant son ordinateur tout le temps connecté ou avec son téléphone. Il y a aussi des attentes aussi de certains managers qui pensent que lorsque leurs équipes ont cette flexibilité et qu'ils sont à distance, ils peuvent être joignables à toute heure de la journée et on peut faire des réunions à toute heure de la journée. Donc, ça rompt cet équilibre, ça le rend même encore plus fragile. C'est pour ça que je m'étais permis de dire « Flexibilité, attention, ce n'est pas du tout synonyme d'équilibre.
En tout cas pas toujours. » Il y a même une étude récente menée par d'autres collègues de l'EDHEC sur les entreprises familiales, parce que dans les entreprises familiales, il y a plus de flexibilité mais en revanche, il y a une vie perso et pro qui est un peu plus déséquilibrée.
Gilbert
C'est une nuance importante. Je voulais commencer par cela, parce que vous le constatez, il y a un peu une confusion sur cette notion. Vous présenterez les chiffres tout à l'heure, on est d'accord, Hager ?
Hager
Tout à fait.
Gilbert
D'accord, des chiffres passionnants qui incarnent ce qu'on est en train de dire. Sarah, première question pour vous. Comment vous réagissez justement à ce propos, à la flexibilité ? Attention, piège.
Sara
Oui, attention, question piège. Je suis tout à fait d'accord. C'est vrai qu'on a tendance à se dire que puisqu'on est tous en télétravail, on peut complètement effacer ou effacer les frontières entre le boulot et la vie perso, mais c'est très important, justement, pour rebondir là dessus, d'avoir un droit à la déconnexion. Nous, chez Omnicell, on a mis en place une charte de la déconnexion. Évidemment, ce sont des guidelines, tout le monde est libre de les suivre ou de pas les suivre, mais en tout cas, on essaye d' implémenter des règles de bon usage de tous nos outils numériques et de faire en sorte qu'on ne demande pas des réunions à 20h00 le soir, à 8h00 du matin, quand on sait que c'est l'heure pour accompagner les enfants à l'école, etc. Donc oui, effectivement, il y a un vrai problème. Il faut vraiment mettre des règles et des frontières beaucoup plus limitées.
Gilbert
Est ce que vous formalisez cette notion « équilibre vie perso vie pro », est ce que c'est quelque chose qui apparaît comme ça dans votre organisation ?
Sara
C'est quelque chose dont on parle beaucoup parce qu'on fait beaucoup d'enquêtes de satisfaction en interne pour savoir quel est le bien être de nos employés. C'est vraiment quelque chose qui ressort beaucoup, notamment suite au Covid et le passage de tout le monde en télétravail. Il y a eu vraiment une ampleur beaucoup sur ce sujet là et il a dû, en réponse à cette enquête où tout le monde se plaignait, justement de ce problème d'équilibre. Pas forcément de pression, parce que les managers n'avaient pas l'impression de mettre la pression, mais toutefois, quelque chose de ressenti par les employés d'être disponibles H24. Il a été nécessaire de réexpliquer quelles étaient les règles. Je pense que quand les managers le disent et qu'ils montrent l'exemple, de ne pas envoyer des e-mails tard le soir, de ne pas envoyer d'autres ou très tôt le matin ou de ne pas organiser des réunions, du coup, on commence à atteindre ou à tendre vers quelque chose d'un peu plus équilibré. Je pense aussi que chacun doit d'abord montrer l'exemple, mais aussi...
Gilbert
Être responsable.
Sara
Être responsable. Moi, par exemple, je veux dîner avec mes enfants tous les soirs, donc je bloque mon calendrier. Tout le monde respecte ça. Après, c'est plus facile pour moi peut être qu'à d'autres niveaux, mais je pense que chaque manager doit autoriser ses employés à bloquer du temps et à justement avoir une certaine flexibilité, mais être aussi...
Gilbert
Responsable de son équilibre.
Respectueux et respectueux... Marie Rouen, la vision de l'équilibre vie perso chez Banque Palatine, c'est aussi quelque chose d'important.
Marie Rouen
Oui, c'est fondamental aujourd'hui. On vit un principe de réalité. Le télétravail s'est imposé à nous. Ça peut être une bonne chose, mais ne tombons pas de l'autre côté du cheval. Soyons vraiment dans l'accompagnement des collaborateurs, des managers, parce qu'en fait, nos managers sont devenus aussi des managers hybrides. C'est un principe d'accompagnement, de formation, de coaching. Je suis tout à fait d'accord avec ce que Sara disait, l'exemplarité vient du haut, donc il faut que les managers soient exemplaires. Nous, on a une charte équilibre vie pro, vie perso. On est très présents pour accompagner les équipes sur ce point là, pour garder ce juste équilibre et faire que la notion de bien être au travail ne soit pas juste du marketing.
Gilbert
Vous insistiez aussi que quand on décide, on décrète avec un texte, avec un règlement, la déconnexion et tout ça, c'est une organisation et du travail qu'il faut repenser complètement ?
Marie
Oui, il faut repenser l'organisation du travail. On a vécu avec la crise sanitaire la mise en place d'outils. C'était une chose finalement assez simple. Après, il y a l'organisation, le management, l'accompagnement. Comment on s'organise avec du management visuel, comment on organise des réunions à partir de 9h00 ou pas après 18 h00. On repense l'intégralité du fonctionnement.
Gilbert
Est ce qu'on est arrivés au bout de la réflexion aujourd'hui ?
Marie
Non, on n'est pas arrivés au bout. On est encore en période de test et puis on va revenir sur des choses qu'on a mis en place. D'ailleurs, moi, le premier accord Télé Travail que j'avais mis en place avant la crise sanitaire, c'était un accord sur une année en se disant « On va tester ça en grandeur nature et puis on se recalera.»
Gilbert
Je ne sais plus qui me disait que... En fait, la nouvelle génération est... Oui, c'est Sara qui me disait. Vous avez cassé ma démonstration. Le retour à... On va le dire tout à l'heure. Les gens veulent télétravailler, en fait ? Parce que c'est un peu la question au fond, au creux de tout ça, est ce que...
Marie
À la Banque Palatine, les collaborateurs veulent télétravailler. Mon propos, c'est de dire oui, télétravail, ne tombons pas de l'autre côté du cheval, parce que le télétravail, il y a l'hyperconnexion, il y a le distanciel qui ne crée pas de cohésion et autres. Comment on arrive, entre des collaborateurs engagés et qui veulent travailler, à garder la cohésion sociale, à garder l'esprit d'entreprise, à garder l'engagement ? C'est des réglages qu'on doit faire au quotidien.
Gilbert
Dalila, c'est vrai que l'engagement, c'est quand même le cœur de la machine. Quand on est dans une entreprise, avoir des collaborateurs engagés, c'est quand même le gage de succès. Justement, comment on maintient ça ? Parce que vous avez mené plusieurs actions dans ce domaine chez vous. Comment, justement, vous avez adressé ce sujet ?
Dalila
Le sujet de l'engagement, il faut que les collaborateurs sentent qu'on se préoccupe de leur équilibre. Je pense au plus haut niveau de l'entreprise. La question posée aujourd'hui dans le débat, elle porte beaucoup le poids du succès du travail hybride sur les managers, mais je pense que c'est aussi un peu une erreur. Ils ont été la cheville ouvrière, bien sûr, de la période de la pandémie. Pour certains, ils ont eu une énorme charge mentale, charge de travail. Je pense que c'est illusoire de penser qu'on a besoin de super managers dotés de super pouvoirs qui vont régler tous les problèmes. Je pense qu'il faut que l'entreprise se mouille, qu'elle définisse une politique d'entreprise, justement, et qu'elle se mouille au plus haut niveau de l'organisation. Ça veut dire quoi se mouiller au plus haut niveau de l'organisation ? Ça veut dire s'engager. Nous, on vient de signer avec nos partenaires sociaux un accord qualité de vie au travail et égalité professionnelle. Le travail à distance a été évidemment au cœur du débat. Pour ma part, en tout cas, je trouve que le travail à distance, c'est un énorme actif pour les entreprises. Justement, il faut qu'on se dotte de moyens pour que ça se passe bien.
Un des moyens, c'est de s'engager.
Gilbert
Comment fixe la jauge ? C'est un jour, c'est deux jours, c'est trois jours, c'est à la discrétion du manager ? Comment, justement, on fixe la bonne juge dans ce domaine ?
Dalila
En fait justement, il faut un cadre. Et le cadre, par exemple, à l'AFP, c'est de dire qu'on peut aller jusqu'à deux jours. Déjà, ce n'est pas obligatoire, bien sûr. Ceux qui ne trouvent pas leur compte dans le télétravail ne sont pas obligés de faire du télétravail. On n'a pas d'économie de mètres carrés ou de choses associées, donc c'est un choix personnel.
Gilbert
Ça peut être une question, après, vu le prix du mètre carré à Paris.
Dalila
À l'AFP, ce n'est pas ça. Chacun a le choix ou pas d'être en télétravail. Par contre, il faut pouvoir mettre en place tout ce qu'il faut pour que chaque personne qui a envie d'être en télétravail le vive bien.
Gilbert
Les jeunes journalistes qui arrivent chez vous ou pas, d'ailleurs, ils vous disent « Il y a du télétravail parce que je crois que c'est...»
Dalila
Chez nous, il y a à peu près 85% des collaborateurs qui ont opté pour le télétravail.
Gilbert
Un contrepoint juste en une minute, parce que Sara me disait... Moi, je suis surpris, les nouvelles générations, ils ne veulent pas de télétravail. Ils veulent travailler dans un bureau.
Sara
Il est vrai que la semaine dernière, c'est ce que je te racontais plus tôt aujourd'hui, la semaine dernière, on a fait deux offres à des collaborateurs, ce qu'on aurait aimé avoir, des futurs collaborateurs qui ont été refusés parce que les jobs étaient 100% en télétravail.
Gilbert
100%, c'est beaucoup quand même.
Sara
Nous, on a trouvé chez Omnicell que l'avantage du télétravail, ça nous permettait d'embaucher plus de talents et plus de femmes, pas forcément à Paris, pas forcément là où on a un bureau. En revanche, ce qu'on a mis en place et qu'on a peut être mal expliqué dans le cas présent, c'est qu'une fois par trimestre, on organise une semaine où tout le monde se rencontre. Et puis, on organise un certain nombre de...
Gilbert
Tu disais que c'étaient des hommes ou des femmes qui postulaient ?
Sara
On a eu une femme et un homme.
Gilbert
Donc, en l'occurrence... 50/50. Donc, il n'y a pas de vérité. Pas encore, en tout cas. Marie, c'est compliqué. Je n'aimerais pas être à votre place.
Marie
Non, il n'y a pas de vérité. Ça, c'est une certitude.
Gilbert
Avant de passer la parole à Louis, Hager, est ce que vous êtes là ?
Hager
Oui, toujours. J'écoute avec attention.
Gilbert
La professeure que vous êtes, est ce que c'est intéressant ce qu'on dit ? Parce que c'est quand même quand on est professeur que...
Hager
C'est très intéressant. Ça me fait penser...Je suis professeure de langues…
Gilbert
Un petit commentaire.
Hager
Oui, un petit commentaire par rapport au refus de télétravail, ça peut être lié à différentes choses, mais il y a quelque chose aussi d'important à souligner, c'est qu'on sait aujourd'hui que la non présence au bureau, dans le cas surtout d'entreprises non familiales, c'est une cause d'ascension moins importante dans l'entreprise en termes de promotion, de salaire. Et ça, je pense qu'il y a plusieurs personnes qui en sont conscientes. Ça peut expliquer éventuellement, mais aussi, je pense que les personnes cherchent vraiment à avoir le choix, c'est à dire à pouvoir s'épanouir, avoir ce sentiment d'appartenir. Et surtout, les plus jeunes, ils ont besoin de ce sentiment d'appartenance à une équipe qui peut être moins important quand on est à 100% en télétravail. Ça, c'était par rapport à la dernière remarque.
Gilbert
Et ce qui a été dit avant ?
Hager
Pardon, juste parce qu'on parle d'égalité femmes hommes, justement, quand on parle de flexibilité et télétravail, systématiquement, on pense aux femmes. Pourquoi aussi ? Parce que dans l'imaginaire collectif, on persiste à penser que la place des femmes est surtout auprès de leurs enfants pour s'occuper des tâches familiales et donc leur donner plus de flexibilité, ça leur donnera la possibilité de participer à l'activité économique, ce qui est quelque part sympa, mais j'ai envie de dire, on ne leur facilite pas...
Gilbert
Vous nous dites qu'on remet la femme à la maison. C'est ce que vous nous dites. Il y a un risque. Les femmes à la maison, double job. C'est ce que vous nous dites en creux. C'est vrai qu'on mesure pas toujours. Une bonne idée peut parfois cacher un risque ou ou un effet caché ou indésirable. C'est vrai que la charge mentale est peut être décuplée quand on est à la maison, y compris quand on gère un COMEX ou une réunion commerciale ou whatever. Louis, quand on prépare... Vous êtes, j'allais dire, au cœur de cette problématique. Quand on parle de charge mentale, on parle beaucoup des enfants. Quand on parle de flexibilité, on parle aussi des enfants, parce qu'on dit effectivement s'organiser, mais s'organiser autour de sa vie familiale. Vous, vous vous rappelez toujours... D'abord, est ce que c'est un sujet dont les entreprises se servent pour rééquilibrer cet équilibre vie perso, vie pro, les crèches d'entreprises, notamment ?
Louis
Oui, jamais assez, bien sûr, mais oui. Je voudrais juste revenir sur la notion d'équilibre. Il y a un côté un peu statique. Quand on définit un cadre pour un équilibre, les entreprises, c'est des objets, des artefacts qui sont dynamiques. Et nous, ce que nos clients nous disent, nos clients, c'est des DRH, des directeurs généraux, directrices générales, ce sont qu'ils ont besoin et que les collaborateurs attendent des moments pour pouvoir adapter les éléments constituants de cet équilibre là. Penser que le cadre qui a convenu pendant le Covid, la première vague, pendant la deuxième puisse être perduré, les circonstances n'étaient pas les mêmes, les entreprises n'ont pas les mêmes besoins. Il faut aussi assumer en tant qu'entreprise d'avoir des besoins qui évoluent et les collaborateurs n'ont pas les mêmes besoins au même moment. Donc, la notion d'équilibre, je préfère une notion d'équilibre dynamique, probablement. Ce que nous disent nos clients par ailleurs, c'est qu' au delà du sujet logistique, c'est que les familles ont laissé rentrer leurs employeurs chez elles dans le cas du Covid, à la fois parce que le poste de travail est devenu partie intégrante du foyer et que dans un contexte de désengagement un peu politique, elles attendent leurs employeurs à un soutien sur des sujets qui ne sont pas que logistiques.
Dans les crèches, on a de plus en plus de demandes sur... C'est une solution logistique qui permet le retour à l'emploi des femmes après un congé maternité, le non recours à des congés parentaux non voulus, parce qu'il y a une solution de garde, mais on est parents quand on est salarié avec des jeunes enfants et on attend aussi des solutions éducatives. Il y a une grosse attente.
Gilbert
Le soutien éducatif aussi. La flexibilité, c'est le choix éducatif. Les entreprises, vous dites, elles sont rentrées dans l'entreprise, elles sont rentrées aussi sur des thématiques comme celle là ?
Louis
Les salariés attendent que leurs employeurs soient à force de proposition sur les choix éducatifs, pas uniquement sur l'angle mode de guerre des solutions logistiques.
Gilbert
Ça, c'est nouveau ou c'est quelque chose qui prend de la puissance ici ?
Louis
C'est quelque chose qu'on avait un peu oublié parce que dans les entreprises de crèche, le sujet, c'est l'enfant, mais le modèle économique, il tient parce qu'il y a des employeurs qui ont recours aux crèches d'entreprises. Initialement, la proposition était : “vous aurez des salariés performants parce que sereins logistiquement”. Au fur et à mesure...
Gilbert
La crèche est ouverte jusqu'à 22 h00, vous pourrez bosser jusqu'à 22 h00.
Louis
Exactement. En oubliant parfois un peu que nous, on a 4 000 collaborateurs, plutôt trice en France, 3 800 dans les crèches. Elle, elle se lève le matin pour l'enfant, pas pour la performance des salariés qu'elle voit comme des parents.
Gilbert
Vous disiez quelque chose de très, très, mais très juste à chaque fois que je le disais, on soulève un lièvre. La flexibilité professionnelle, ce n'est pas la flexibilité de l'enfant.
Louis
C'est vrai que c'est une des grosses attentes des familles. Elle demande de la flexibilité, donc le télétravail, l'hybridation du travail. Vous pouvez avoir besoin d'une crèche près de chez vous, près de votre siège social, le cas échéant, près du siège social du conjoint ou de la conjointe, pour ne pas que la charge de la logistique de la crèche ne soit que dévolue à la mère. C'est souvent l'entreprise par la mère, souvent, que les réservations se font. Donc 90 % des demandes sur le web de place de crèche émanent d'adresses féminines. Il y a culturellement encore un travail à faire sur la charge mentale de manière beaucoup plus large.
Gilbert
Sara voulait ajouter quelque chose sur ce thème. Comment ça se passe dans votre organisation ? 450 collaborateurs, c'est ça, chez Omicell France, mon souvenir.
Sara
J'aimerais beaucoup qu'on soit 450 en France. On est 450 en Europe.
Gilbert
En Europe, pardonnez.
Sara
On est 80 aujourd'hui en France, mais on augmente chaque année.
Gilbert
Comment ça se passe ? Juste concrètement, ça veut dire quoi quand on met en place un accord, quand on met en place cet équilibre, quand on l'impose à tout le monde...On le propose à tout le monde ?
Sara
On le propose à tout le monde. Après, encore, chacun est libre de faire ce qu'il veut, mais comme on le disait, c'était un travail d'abord d'écoute de nos employés, de discussion avec le comité d'entreprise pour savoir quelles sont les différentes choses qu'on pouvait mettre en place. La première chose qu'on a mis en place, vous avez dit que le poste de travail est maintenant au cœur du foyer. Déjà, premièrement, c'est s'assurer que tous nos collaborateurs ont un bon poste de travail. Évidemment, l'entreprise donne une dotation par mois à chaque employé, mais en plus de ça, on a équipé tout le monde de doubles écrans, de chaises ergonomiques, etc, en espérant que chacun puisse avoir une place dédiée dans son appartement ou dans sa maison. On se rend compte aussi que, je parlais tout à l'heure, d'avoir des gens en télétravail plutôt en province et pas forcément à Paris, où les maisons sont plus grandes, où c'est plus facile souvent d'avoir ce genre de choses. Mais en plus de ça, pour en revenir à ce qu'on disait juste avant, on a mis en place une charte du bon usage du numérique, avec un certain nombre de recommandations.
Gilbert
Ce n'est pas que numérique, quand même, quand on parle de vie pro / vie perso. Je suis d'accord avec vous, Sara, et je ne vous contredis pas, en tout cas en public.
Sara
Bien sûr que non.
Gilbert
C'est vrai que ce n'est pas simplement dire « On n'écrit pas entre 10h00 et 5h00 du matin », mais c'est aussi autre chose. Ça change profondément … Je parlais d'organisation avec Marie tout à l'heure, mais ça change profondément la perception qu'on a de l'organisation et du travail aussi.
Sara
Tout à fait. Nous, on a quand même un certain nombre de nos employés qui sont sur la route. On a des vendeurs, on a des techniciens, etc. Le télétravail était déjà implémenté en amont. C'est sûr que la crise sanitaire a mis d'autres choses en place. Maintenant, il a fallu aussi qu'on s'adapte des choses... Par exemple, je pense que tous les employés connaissent mes enfants, parce que a 18 h00...
Gilbert
Parce que...
Sara
Quand ils rentrent à la maison, ils viennent dire bonjour à leur mère. C'est toléré, chose qui ne l'aurait probablement pas été il y a quelques années. Je connais aussi les enfants de la plupart de mes collaborateurs comme ça, on dit bonjour, etc. Ils participent d'une façon ou d'une autre à certaines réunions. Il y a ça, mais il y a aussi...
Gilbert
Je crois qu'on parle de bienveillance, d'écoute, de bienveillance, compréhension. Je crois que le collaborateur, c'est toute sa diversité. C'est ça que ça peut...
Sara
Malheureusement, c'est vrai que ça efface un peu les frontières dont on parlait tout à l'heure. Je ne suis pas sûre que ce soit bien...
Gilbert
C'est encore vous le boss, comme vous nous le parlez.
Sara
Peut être que le fait qu'ils voient que mes enfants sont tolérés à l'écran, etc. Après, il y a aussi la question de la caméra. Est ce qu'on oblige à mettre la caméra ou pas ?
Gilbert
Marie me regarde. Je crois qu'elle a envie de commenter tout ce qui est dit, évidemment, parce que quand on met en place, moi, j'aimerais... Banque Palatine, c'est un peu plus de monde. Le ruissellement par le management est essentiel. Je crois que l'organisation et comment ça se passe concrètement, c'est important de mesurer cette dimension.
Marie
J'écoutais attentivement ce que disait Sara parce qu'effectivement, cette notion de bienveillance, elle est importante. Moi, je parle de management du care, mais c'est un peu ça quand même. C'est vrai que très vite, on a accompagné nos managers et nos collaborateurs à comment fonctionner en télétravail, quels étaient les bons codes pour justement éviter de tomber dans ces travers de l'hyperconnexion, du distanciel où plus personne ne se connaît, plus personne n'a envie de travailler ensemble. C'est vrai que le management, on les a formés au management à distance, on les a formés à l'intelligence émotionnelle, parce qu'on ne ressent pas les mêmes choses quand on est à distance que quand on est en présentiel. Les signaux faibles, on les voit beaucoup moins à distance que quand on est en présentiel. Et puis, on a fait aussi des formations de manager leader, leader coach, pour prendre le temps d'accompagner ses collaborateurs, d'être dans l'écoute. Et tout ça, bien sûr, au service de l'efficacité, parce que la bienveillance doit aussi s'accompagner d'efficacité.
Gilbert
De toute façon, je pense que l'équilibre vie pro/ vie perso, indépendamment du télétravail, s'il n'y a pas de bienveillance, ça ne marche pas non plus.
Marie
Ça ne fonctionne pas.
Gilbert
C'est mort à la base. Moi, je vous le dis de toute façon, le care. Dalyla, même question. Vous vous retrouvez dans tout ce qui est dit, déjà ?
Dalila
Je me retrouve complètement dans ce qui est dit.
Gilbert
Justement, l'organisation, parce que c'est important. Chaque entreprise est différente, chaque organisation est différente. Comment vous vous êtes descendues au niveau le plus intime de chaque collaborateur pour organiser cela ?
Dalila
Justement, c'est là où on s'appuie sur les managers. L'entreprise définit un cadre. On se disait deux jours de télétravail maximum, mais il y a des services ou des bureaux où on a deux ou trois personnes pour lesquels ça devient vite invivable. Donc, il y a un cadre et il y a après l'intelligence du groupe qui décide de la manière dont s'applique le cadre.
Gilbert
Vous parlez d'intelligence, je crois que le nœud du problème est là. Ça peut être deux jours, ça peut être trois jours, c'est évidemment à la main du manager et du service concerné.
Dalila
Voilà, la clé, c'est d'arriver à quand même ne pas laisser s'installer autant de situations que de managers ou autant de situations que de collaborateurs, parce que notre responsabilité, c'est quand même de vérifier que tout ça est équitable, qu'on n'a pas des managers qui, justement, prennent certaines décisions et que d'autres sont plus fermes sur le même type de décision. Je reviens sur l'idée que l'entreprise doit quand même tracer la voie et laisser une part de flexibilité, mais qui est quand même encadrée pour éviter de retomber sur d'autres justement...travers
Gilbert
Juste avant de vous passer la parole, oui, il n'y a pas eu de dégâts collatéraux quand vous avez travaillé sur l'équilibre perso/vie pro. Ça a au contraire, a magnifié l'entreprise, l'activité ?
Sara
En tout cas, on a vu... Je vous parlais des enquêtes tout à l'heure, on a vu ce côté là monter. Je pense.
Gilbert
Que c'est un plus.
Sara
C'est un plus.
Gilbert
Marie, même.
Marie
On écoute ce que les collaborateurs nous disent et on essaye de s'adapter.
Gilbert
C'est que je veux dire, en termes de performance, il n'y a pas eu de...
Marie
Non, du tout.
Gilbert
L'info était toujours de qualité à l'AFP après la COVID. Toujours on board sur l'information. Encore un mot, Dalila, ou...
Dalila
Oui un mot peut être pour dire que justement, il y a deux volets. Il y a le volet prévention et il y a le volet « Comment on utilise le travail à distance pour motiver ? » Le volet prévention, il est clé pour justement tous les risques qu'on peut associer autour du travail à distance, la perte des frontières vie personnelle, vie pro. L'entreprise doit s'organiser pour pouvoir détecter les signaux faibles à distance, mais il y a des solutions qui existent et surtout offrir des outils aux collaborateurs, justement, de prévention des risques psychosociaux. L'AFP, notamment pendant la crise, a déployé un programme qui concerne tous ses collaborateurs. N'importe quel collaborateur de l'AFP, dans n'importe quelle langue peut avoir accès à un psychologue, parce qu'on a traversé tous des périodes extrêmement difficiles et on a beau mettre tous les systèmes de prévention possibles, il y a des collaborateurs qui, à un moment donné, se retrouvent en situation d'avoir besoin. Ça, c'est le volet prévention. Il y a le volet « Comment utiliser le travail à distance comme outil de motivation ? » ou en tout cas pour coller parfois à des situations que traverse le collaborateur. Là, dans le nouvel accord de l'AFP, on a prévu des dispositifs pour du télétravail quand.. a un stade avancé de la grossesse, quand on est parent d'enfant en situation de handicap, quand on a ponctuellement des problèmes pour se déplacer, quand on va en accompagnement de la période de pré retraite aussi, l'année avant la retraite, pour pouvoir...
Gilbert
Décrocher doucement.
Décrocher en douceur. Ça, ça veut dire qu'on réévalue à la hausse par rapport au cadre des deux jours. On peut aller plus loin sur des périodes données pour accompagner un collaborateur.
Gilbert
Je le dis à Marie en commentaire, je vous voyais.
Marie
Non, je suis tout à fait d'accord avec ce qui est dit. C'est vrai qu'il faut accompagner. Moi, je vois, on a mis en place les formations, concilier la vie professionnelle et la vie privée. C'était essentiel. Au départ, les collaborateurs nous regardent avec des gros yeux, mais c'était essentiel pour vraiment ne pas tomber dans les travers du télétravail. Et puis, tout l'accompagnement qui est fait sur le télétravail en fonction des situations, là aussi, elle est essentielle. On a... Je dis toujours dans l'entreprise, c'est la symétrie des attentions. On met vraiment des choses sur mesure pour nos clients. Il faut qu'on puisse les mettre sur mesure pour nos collaborateurs également.
Gilbert
Louis nous fera un commentaire juste après à Hager. Est ce que vous êtes toujours là ?
Hager
Oui, toujours.
Gilbert
Comment ça fait d'ailleurs de faire une conférence à distance ? Je n'ai jamais posé, j'en ai fait plein d'ailleurs, mais c'est la première fois que je pose la question. Est ce que vous vous sentez avec nous ?
Hager
Je me sens totalement avec vous. J'écoute. Peut être que vous, vous me voyez moins forcément, mais en toute sincérité, j'aurais préféré être avec vous, mais ça se passe très bien.
Gilbert
Un petit commentaire vu d' en haut, si je puis dire, puisque vous êtes un peu éloignée de nous et vous pouvez peut être un peu prendre du recul sur ce qui a été dit ?
Hager
Moi, ce que j'entends évidemment, c'est qu'aujourd'hui, on en parle beaucoup plus et ça fait vraiment plaisir d'écouter toutes ces entreprises qui défendent l'équilibre vie pro, vie perso. Je pense qu' aujourd'hui, c'est plus que nécessaire, mais juste garder en tête que ce n'est pas uniquement un sujet de femmes. Aujourd'hui, c'est un sujet de femmes et d'hommes si on veut vraiment aller vers plus d'égalité, mais pas seulement pour avoir vraiment une marque employeur qui attire les plus jeunes. Parce que ce qu'on voit, c'est que les plus jeunes générations qui arrivent sur le marché du travail et qui y sont même aujourd'hui, sont beaucoup plus sensibles à cette question d'équilibre. Parce que je pense qu'ils ont vu leurs parents passer un temps monstrueux dans leurs entreprises.
Gilbert
Ils ont vu leur papa passer un temps un peu fabuleux avec...
Marie
Leur maman aussi. Leur maman aussi.
Gilbert
Je dis ça, c'est parce que je reviens sur les stéréotypes, au contraire. C'est marrant, mais on peut rien dire, décidément. Hager finissez...
Hager
Oui. Donc, en fait, on le voit à travers les différentes études que nous mêmes on fait avec nos jeunes générations qui sont très sensibles à ces sujets. Et donc, les entreprises aujourd'hui, voilà, doivent se saisir de ce sujet et vraiment, ça fait plaisir de voir toutes celles, notamment celles qui sont aujourd'hui représentées sur le plateau, le faire. Je veux justement lutter contre ces stéréotypes de dire le télétravail et la flexibilité, c'est pour permettre aux femmes d'accéder à des postes, d'accéder au travail. C'est vraiment aujourd'hui de plus en plus un besoin qui s'exprime dans toutes les sphères. Tout à l'heure, quand je vais présenter l'étude sur le congé paternité on va forcément l'évoquer puisque le congé paternité aujourd'hui, il est totalement inégal par rapport au congé maternité. Et donc le risque de parentalité pèse toujours encore sur les femmes et aussi la répartition des tâches est encore inégale. Bien sûr, il y a un sujet social de toute la société, le législateur, mais il y a aussi des attentes vraiment très importantes vis à vis des entreprises.
Gilbert
Merci pour ce commentaire toujours intelligent. Merci beaucoup, Hager. C'est vraiment passionnant. L'étude, je vous recommande de l'écouter parce que vraiment, il y aura des chiffres passionnants à écouter. Louis, je ne vous ai pas oublié. Vous avez vu que si j'oublie quelqu'un ou si je dis quelque chose de travers, je me fais sermonner dans la seconde. Vous revendiquez le fait de dire « Il faut être aligné avec ses valeurs et sincère dans sa communication, continuellement entreprise. » Si on ne peut pas, si on a du mal à mettre du télétravail, il faut l'assumer, il faut l'expliquer et convaincre le cas échéant ses collaborateurs avec une vraie stratégie, une vraie vision.
Louis
De toute façon, on n'a pas le choix. Vu les difficultés de recrutement, tout secteur, tout type de profil, le marché s'impose quelque part sur le sujet de la sincérité et de l'accord avec ce qu'on est et ce qu'on dit. Je veux juste faire une remarque sur ce que nous remontent nos clients sur les sujets de télétravail. Nous, on l'a vu aussi en interne, on a 90% de nos salariés qui ne peuvent pas télétravailler puisque dans les crèches, c'est un travail... Pour que tout le monde puisse télétravailler ou puisse avoir une flexibilité plus forte, il faut que d'autres, essentiellement des femmes, acceptent des formes de travail qui sont plus ouvrières, puisqu'on est sur du travail posté avec des horaires, avec un emplacement physique. On a eu beaucoup de clients qui sont dans la même situation, qui ont à gérer des populations mixtes et qui voient maintenant, notamment par les partenaires sociaux, remonter une forme d'attente que les salariés qui n'ont pas été concernés depuis deux ans par cette hybridation du travail, fassent aussi l'objet d'attention et que ce n'est pas parce qu'on n'est pas télétravaillable que le top management, les équipes RH, la direction ne doit pas considérer l'évolution du travail par ailleurs.
Ça, c'est beaucoup remonter des échanges avec nos clients, les entreprises de transport, les entreprises de production sont très vigilantes au fait que les salariés et les cols bleus, ceux qui ne peuvent pas télétravailler, ne soient pas exclus des politiques RH et de l'accompagnement managérial qui est fait.
Gilbert
Que ce soit les jobs postés, c'est compliqué... Vous voulez dire un mot, Sara ?
Sara
Je voulais juste revenir. Je pense effectivement qu'on n'y pense pas suffisamment. Nous, on a quand même beaucoup de notre force vive qui est sur le terrain, à la fois des vendeurs, mais aussi des ingénieurs de terrain, de service, qui vont de client en client. Une chose qu'on a mis en place pour ça, c'est qu'une fois par trimestre, l'entreprise décide d'un “recharge day”, qui est un jour donné à l'entièreté de la population, qu'on donne peu à l'avance, on ne donne pas de visibilité sur quand est ce que va être ce jour pour que toute l'organisation soit off ce jour là.
Gilbert
Recharge, ça veut dire on recharge ?
Sara
On recharge ses batteries.
Gilbert
On recharge ses batteries.
Sara
On recharge ses batteries. Ce n'est pas donné suffisamment à l'avance pour qu'on ait pas le temps d'organiser un week end, etc. C'est vraiment un jour pour soi.
Gilbert
Quand vous sentez que la coupe est pleine, vous dites « C'est le recharge day... »...
Sara
Je pense que c'est assez bienvenu, justement, par ces populations qui, effectivement, n'ont pas vécu cette hybridation du travail et du travail à distance.
Gilbert
Un dernier point que j'aimerais aborder, même si on l'a abordé, on l'a survolé tout à l'heure, c'est les nouvelles générations et l'enjeu d'attractivité quand on parle équilibre. Louis me disait quand on préparait les jeunes, les crèches, mais en même temps cet équilibre en creux, ça répond aux angoisses des futurs parents. C'est vrai que les jeunes, quand ils arrivent, ils se positionnent déjà comme futurs parents. Est ce que je pourrais m'investir dans un projet de long terme ?
Louis
Oui. Ça a été mentionné, le fait d'être exemplaire et d'avoir des actes très concrets, très réels, qu'on comprend pour...ça a été dit à la table ronde précédente. On a des rôles modèles. C'est quoi les modèles organisationnels auxquels on croit quand on vient candidater à une entreprise ? La crèche, c'est quelque chose de très concret. On y a été soi même, parfois. On a des gens autour de nous qui ont des enfants, on en voit dans la rue. C'est quelque chose de réel et il y a malheureusement un déficit tel qu'on sait, notamment dans les grandes villes, que c'est, avant même d'être parents, la première source de stress des futures familles. Donc, en tant qu'employeur...
Gilbert
Je confirme.
Louis
En tant qu'employeur, c'est un élément... Évidemment, je ne prêche pas ma paroisse, mais intégrer les sujets de parentalité, c'est accepter le fait que les salariés viennent aussi comme citoyens, ils viennent aussi comme individus sociaux. Ils ne sont pas uniquement avec un CV et des compétences, ils viennent comme ils sont, pour reprendre une expression célèbre. C'est à nous, en tant qu'employeur, de les accueillir comme tels.
Gilbert
Dalila, ces nouvelles générations, il faut en renouveler, les journalistes. Vous allez me dire, il n'y a pas que des journalistes, j'ai bien compris, pardonnez moi, mais après, je prends ma paroisse. Ces nouvelles générations attendent de vous quelque chose et c'est aussi un enjeu d'attractivité. Je crois qu'on a des entretiens parfois... J'ai recruté souvent des journalistes, ils ont des exigences, ils attendent. C'est quoi votre plan de formation ? Ça, c'est quasiment assez normal, mais aussi plein d'autres atouts que l'entreprise a et que vous devez évidemment équiper.
Dalila
Absolument. Ce qui est important, c'est quand on est journaliste, puisque vous parlez des journalistes, travailler à l'AFP, en soi, c'est une énorme attractivité, mais ce n'est pas pour ça que l'entreprise ne doit pas arranger le reste. Et notamment sur la parentalité, nous, c'est un sujet qui nous tient énormément à cœur. Le nombre de crèches qu'on cofinance avec le CSE a augmenté. On est à peu près à 1 %. Je ne sais pas si c'est un bon ratio de notre effectif.
Gilbert
Vous vous mettez à risque, vous prenez un risque. Dites oui !
Louis
C'est bien 1 %.
Dalila
On était en dessous en tout cas il y a quelques années. Donc oui, il y a le financement des places de crèche.
Gilbert
On sent la financière chez vous. Vous êtes pointues sur les chiffres, à l'euro près.
Dalila
Absolument. Mais malgré tout, même si on regarde nos comptes de près, par exemple, sur le congé paternité, accueil de l'enfant, puisque Hager a en parlé justement, l'AFP finance la totalité. En tout cas, tout ce que la Sécurité sociale, les 25 jours, en fait, que l’AFP a pris la décision de financer sans... Enfin, la totalité du maintien de la rémunération.
Gilbert
Vous allez voir, c'est une Hager. Vous êtes apparus à l'écran à ce moment là, comme s'il y avait un appel divin, c'est à dire que vous avez traité ce sujet là. Vous avez démontré notamment que les Français demandent à ce qu'il soit allongé ce congé... Comment on dit ? Paternité ?
Dalila
Le congé paternité
Hager
Effectivement, l'étude que nous avons menée montre qu'aujourd'hui, le problème d'indemnisation est un problème qui se pose pour les pères en particulier. C'est une excellente réponse de la part de l'AFP.
Gilbert
Vous mettez combien sur 20 alors ?
Hager
Je donne 20 sur 20.
Gilbert
D'accord, voilà.
Dalila
Merci.
Hager
Parce que mon voisin n'a pas rebondi sur le 1%.
Gilbert
1%, ça vaut 20, donc ça aurait été 2%...
Hager
Encore mieux.
Gilbert
Hager, je suis désolé parce qu'on donne beaucoup de chiffres que vous allez déjà donner tout à l'heure. Je vous ai pas dévoilé les éléments qu'on doit donner en exclusivité tout à l'heure, mais évidemment, ça éclaire notre débat, vous imaginez. J'ai compris. Il nous reste trois minutes. Vous savez, il y a des panneaux comme dans les matchs de boxe qui passent et qui circulent. C'est un garçon qui me présente le panneau et non pas, comme dans les matchs de boxe, quelqu'un d'autre. Marie, un dernier mot aussi sur cet enjeu d'attractivité.
Marie
Oui. C'est vrai qu'on on est confronté au travail hybride, on est confronté à des talents exigeants. Comment on arrive avec tout ça...
Gilbert
Est ce que parfois, ça vous agace un peu ? Parce que parfois, on me raconte des entretiens avec des jeunes générations qui sont très exigeants, qui font la liste des atouts de ce qu'ils attendent, des avantages.
Marie
Non, ça ne m'agace pas. Je me dis que finalement, si demain, dans le monde de l'entreprise, ils sont aussi exigeants sur les tâches qu'on leur confie ou avec les clients, c'est gagné.
Gilbert
Vous y voyez comme une exigence par rapport à leurs futurs jobs. Sarah, également un mot ?
Sara
Oui, je pense que sur cette attractivité, on n'a pas beaucoup parlé de culture d'entreprise, mais c'est vraiment des questions qui ressortent énormément. Dans quelle culture est ce que ces jeunes se voient évoluer ? Je pense qu'on a parlé pas mal d'authenticité, de dirigeants qui disent ce qu'ils pensent et qui pensent ce qu'ils disent. Et ça, c'est très, très important. Et je pense qu'effectivement, si des leaders comme ceux ici aujourd'hui et d'autres peuvent montrer justement qu' on est ouvert au sujet et engagé vers un nouveau monde dans le télétravail, une nouvelle hybridation du travail, mais surtout, pour en revenir à cette flexibilité et cet équilibre, j'ai bien compris que ce n'est pas tout à fait la même chose, vie pro et vie perso, ça doit être ancré dans la culture de l'entreprise. C'est ça qui est très important.
Gilbert
Merci beaucoup. C'était passionnant encore. Quelle densité des échanges aujourd'hui à ces assises de la parité. C'est un vrai plaisir. On va aller encore un peu au delà avec une chercheuse qui a piloté une étude à la EDHEC Business School. Est ce que vous êtes là, Hager ?
Hager
Oui, je suis là et je suis ravie de partager les résultats.
Gilbert
Chère Hager, je vous laisse la scène, si je puis dire. C'est à vous maintenant, pendant 15 minutes, vous allez nous présenter. Vous pouvez rappeler le titre de l'étude, simplement pour que nos auditeurs puissent savoir de quoi on va parler ?
Hager
Oui, on va parler du congé paternité et d'accueil de l'enfant, le recours, les représentations et les attentes qui y sont associées.
Gilbert
Merci Hager, très bonne journée. Merci à tous et à très bientôt. On se retrouve encore dans l'après midi pour plein d'échanges. À très bientôt.
Hager
À très bientôt.
La directrice de la Chaire Diversité & Inclusion, Hager Jemel-Fornetty, est intervenue dans le cadre des Assises de la Parité 2022 dans une table ronde portant sur les nouveaux codes du travail et l'équilibre vie pro-vie perso.
[Musique]
2èmes Assises du Mentorat, VERS UN DROIT AU MENTORAT
Assises du Mentorat 2022 | Être mentor, un engagement révélateur des compétences du 21ème siècle
Isabelle Giordano
Être Mentor, un engagement révélateur des compétences du 21ème siècle. C'est en effet le sujet de la table ronde que nous allons animer maintenant.
[Musique]
Voilà, les questions continuent d'arriver. On pourra les poser à mes prochains invités. C'est interactif, vous qui nous regardez, je le rappelle, si vous prenez l'antenne ou si vous êtes branchés, inscrits à l'instant même. Nous sommes au cœur même, le cœur vivant de ces deuxièmes assises du Mentorat où l'on réfléchit, on débat, on compare. On essaye aussi de s'interroger sur comment s'améliorer, comment faire progresser la cause du mentorat, faire en sorte que d'une grande cause nationale, elle devienne une grande cause internationale et européenne. Voici mes trois invités. Jean-Marc Merriaux, vous êtes inspecteur général de l'éducation...
Jean-Marc Merriaux
Bonjour.
Isabelle
Sport et jeunesse aussi, bien sûr. Et surtout, vous êtes un spécialiste des compétences du 21ème siècle. Vous allez nous expliquer ce que c'est que les compétences du 21ème siècle. Karima Sherifi, bonjour.
Karima Cherifi
Bonjour.
Isabelle
Vous êtes la DRH de Nexans et vous êtes une ancienne mentorée de Nos quartiers du talent. Je ne sais pas si vous l'avez mis sur votre CV, ça ?
Karima
Bien sûr.
Isabelle
Oui ? Vous allez nous dire si c'est... Est ce que c'est utile ou pas ? On va le savoir dans un instant. Hager Jemel, bonjour. J'ai bien prononcé votre prénom ?
Hager Jemel
Tout à fait.
Isabelle
Ça va ?
Hager
Merci.
Isabelle
Vous êtes professeure en management et directrice du Centre EDHEC Open Leadership. Donc vous aussi, votre porte parole aussi du monde enseignant et vous parlez aussi au nom de l'université. On l'a fait un peu tout à l'heure, mais on va progresser dans l'idée de comment ça se travaille, ce lien entre les jeunes, les mentors et les enseignants. Avec vous, peut être, on démarre sur les compétences du 21ème siècle, une définition? Il y a des compétences spécifiques à notre époque ?
Jean-Marc
Communément, on résume ça autour des quatre C. D'accord ? Savoir communiquer, savoir collaborer, savoir créer ou en tout cas, développer sa créativité et savoir aussi développer son esprit critique.
Isabelle
Tout ça, ça ne s'apprend pas à l'école, à l'université ?
Ça, c'est l'école de la vie, vous me décrivez.
Jean-Marc
C'est l'école de la vie, sauf que si vous êtes amené à boire... C'est des soft skills. Voilà, c'est des soft skills. À côté de ça, on peut aussi rajouter des compétences socio comportementales, la confiance en soi, la résolution de problèmes complexes, un certain nombre d'autres compétences.
Isabelle
Ce n'est pas seulement lire et écrire, compter ?
Jean-Marc
Non, mais par exemple, le ministre insiste beaucoup sur le respect d'autrui, qui fait aussi partie de cet enjeu autour des compétences du 21ème siècle, parce que l'enjeu, c'est qu'il faut que chaque élève et chaque étudiant et chaque citoyen soient en capacité de pouvoir être à même de développer ces compétences pour s'adapter à un monde totalement en mouvement.
Isabelle
Si je peux me permettre, parce qu'on a l'air de sourire, mais on est quand même au cœur de vraies problématiques, ce sont aussi des compétences qu'on peut acquérir dans l'entreprise. J'ai entendu, pas plus tard qu'hier, dans un débat extrêmement intéressant sur la télévision publique, à la suite d'un très beau documentaire sur Les Noirs en France, un gros sujet quand même très important sur les discriminations, que l'entreprise pouvait être aussi un lieu d'apprentissage de la citoyenneté. Et les quatre C dont vous parlez peuvent être aussi apprises dans un lieu comme l'entreprise. Pas seulement, bien sûr, mais l'entreprise peut à son rôle à jouer.
Jean-Marc
Je pense que l'entreprise est là aussi pour venir renforcer ses compétences, c'est à dire c'est un cheminement et ces compétences là, elles peuvent être tout au long de la vie amenées à s'enrichir. Et donc l'enjeu, c'est que l'entreprise doit aussi offrir un cadre pour faire que ses compétences puissent s'enrichir tout au long de sa carrière. C'est ce continuum là qu'il faut créer.
Isabelle
C'est très intéressant. Dans la scolarité, jusqu'au monde professionnel.
Jean-Marc
Et surtout, qu'on identifie ses compétences.
Isabelle
On les redit, créer, collaborer.
Jean-Marc
Communiquer, développer son esprit critique.
Isabelle
Et développer son esprit critique. Et très sérieusement, vous pensez vraiment que ces quatre qualités, elles sont valorisées aujourd'hui dans l'entreprise et également à l'école ou à l'université ?
Jean-Marc
Elles ne sont pas suffisamment valorisées, mais vous reprenez un exemple. Vous étiez dans un débat hier.
Isabelle
J'étais derrière ma télé. Je n'étais pas dans le débat. Mais c'était très intéressant.
Jean-Marc
Si vous prenez par exemple l'éducation média et à l'information, vous êtes dans un champ d'intervention qui permet de développer ses compétences. Quand vous êtes amené au sein de l'école à faire de l'éducation, au média et à l'information, vous savez, par rapport à une approche purement disciplinaire, que vous êtes en capacité, là aussi de développer ses compétences. Quand vous faites un média dans un établissement, vous allez développer votre créativité parce que vous allez créer...
Isabelle
Il y a beaucoup de jeunes qui créent des journaux au ycées, par exemple.
Jean-Marc
Voilà, et des radios et.
Isabelle
Ça peut être valorisé ensuite ?
Jean-Marc
Après, l'enjeu, c'est...
Isabelle
Parcours sup, au bac ?
Jean-Marc
L'enjeu, c'est aussi de certifier ses compétences. Frédérique Alexandre- Bailly, tout à l'heure, revenait un peu sur cet enjeu d'identification et sur le programme avenir qu'elle est amenée à porter. Dans ce projet là, il y a aussi la capacité à chercher à certifier ses compétences, parce que à un moment donné, il faut qu'on comprenne qu'on a ces compétences. On a travaillé, il y a de ça depuis maintenant quatre ans, sur un outil de certification qui était plus lié aux compétences numériques qui s'appelle Pix, mais sur ce principe de certifier les compétences.
Isabelle
Très bien, Pix
Jean-Marc
Exactement, de certifier ses compétences, ça permet aussi demain de les valoriser. Parce que sans certification, beaucoup plus difficile de les valoriser et de trouver d'autres moyens d'appropriation, de certification, d'identification et en utilisant aussi, bien évidemment, les outils numériques tels qu'on en dispose aujourd'hui.
Isabelle
Karima Cherifi, à la fois en tant que DRH, vous embauchez des gens ou vous les virez, pardon, ça dépend. On va...
Karima
Parler plutôt des embauches.
Isabelle
Il vaut mieux dire que vous les embauchez, surtout en ce moment, dans la période économique qui est quand même profitable. En tant qu' ancienne mentorée, est ce que vous pourriez nous dire si ces soft skills sont valorisés ? Est ce que très sérieusement, on n'a pas encore des choses à apprendre, notamment d'autres pays ? J'ai parlé du Québec, je ne sais pas si c'est le bon exemple, mais est ce qu'on n'est pas un peu en retard en France par rapport à la reconnaissance de ses compétences ?
Karima
On est en retard, mais on est en train de s'améliorer. Moi, je le vois à Nexans dans notre politique de diversité, d'inclusion. Ce qui va être intéressant, on a fait un partenariat avec nos quartiers ont du talent. En plus, en tant qu' ancienne mentorée de nos quartiers ont du talent, l'idée, ça a été vraiment d'injecter cette question de comment capter des mentors via NQT pour réellement, par la suite, pouvoir les embaucher et les intégrer en entreprise. Ça, c'est super. Si on y arrive, ça veut dire qu'on a tout gagné. L'idée, c'était quoi ? C'est qu' on a identifié des mentors au sein de l'entreprise. L'idée d'abord, c'était d'avoir des volontaires motivés, qui ont une expérience professionnelle, une certaine expérience et qui connaissent l'entreprise. Après, l'idée, par la suite, c'est de se dire « On va les mettre en contact avec des jeunes issus des quartiers populaires, de chez NQT, entre Bac+3 et plus, et de les accompagner. »ce qui a été assez intéressant, c'est que déjà, l'effet positif sur ces mentors, sur nos cadres, au sein de Nexans, ça a été vraiment une... Ça a vraiment enclenché une motivation supplémentaire au quotidien, de se faire cette petite minute de pause en se disant « Je vais aider mon jeune et puis derrière, ça leur a ouvert l'esprit. C'est la rencontre de deux mondes. Moi, je suis très heureuse quand je vois, par exemple, qu'on a fait un programme de haut potentiel et que parmi notre programme de jeunes haut potentiel, on a des jeunes qu'on a recrutés via NQT, qu'on n'aurait peut être pas pensés. Dans notre politique, on s'est dit, on a souvent l'idée de se dire, on fait un focus sur les grandes écoles. Non. Moi, j'ai des jeunes dans notre programme haut potentiel qui viennent des QPV, qui viennent de l'université et quand on regarde le CV, on se dit « Je vais peut être pas sélectionner ce CV là en premier. » Et c'est là où on se dit « En tant que DRH, on a gagné.
Isabelle
Donc le mentorat, c'est le lien, c'est le pont. Entre deux mondes qui parfois s'ignorent, ne se connaissent pas. Et on a entendu Frédérique Granado qui s'exprimait ce matin, notamment au nom des entreprises, au nom de Sanofi, la directrice de la RSE. Elle disait qu'en fait, le mentorat, ce qui est intéressant, on ne le voit pas souvent comme ça, c'est la première porte vers la diversité dans l'entreprise.
Karima
C'est la première porte vers la diversité, exactement.
Isabelle
Et ça, on ne pense pas toujours à faire le lien quand même.
Karima
Pourtant, c'est quand même, je veux dire, c'est une manière de lutter déjà, premièrement, contre le déterminisme social. Moi, j'en suis un exemple. J'ai grandi en QPV à Villeneuve la Garenne. Je suis DRH maintenant de la France, de Nexans France. J'ai un scope de 3 000 salariés, donc on peut y arriver. L'idée, c'est quoi ? C'est de se dire on ouvre cette porte là, on est focus sur des compétences et ça permet aussi vraiment, c'est d'ouvrir la porte à l'égalité des chances, peu importe d'où on vient. On va y arriver et on est mentoré et c'est comme ça qu'on va y arriver. Vraiment, ce qui était... Quand je discute même avec les cadres qui suivent des jeunes de chez NQT, ils se disent « J'avais plein d'a priori, plein de préjugés et en fait, ça m'a permis de me remettre en question. » Et donc ça, c'est super aussi parce que pour la suite, en tant que cadre en entreprise, on se remet en question pour évoluer en termes de soft skills. On développe notre écoute active, recevoir des feedbacks, donner des feedbacks et ça, après, derrière, sur toute la capacité, je vais donner la parole à Hager, sur toute la partie leadership, gestion du changement, créativité. Et puis, pour renforcer notre politique de diversité, c'est juste super.
Isabelle
Vous en parlez très bien. C'est vrai que vous êtes trois ambassadeurs du mentorat, mais c'est vrai qu'on sent aussi le vécu. Peut être, est ce que vous avez encore le temps d'être mentor ? Vous avez des sujets jeunes que vous mentorez ?
Karima
Bien sûr, je suis deux jeune en ce moment. Je continue à le faire parce que je pense que c'est...
Isabelle
Vous avez le temps, c'est pas trop chronophage. Non, mais en fait... Ça vous prend combien de temps, concrètement ?
Karima
Moi, j'ai un point une fois par semaine avec chacun de mes jeunes d'une heure. Je trouve que ce n'est pas du travail. Ce n'est pas du travail, c'est vraiment quelque chose, c'est comme se faire sa pause. Moi, c'est vraiment quelque chose. C'est une expérience que j'adore et j'apprends tout le temps. À chaque fois que je rencontre un jeune, c'est une nouvelle expérience. Derrière, j'ai un sentiment d'accomplissement quand mon jeune a trouvé un job qui est juste incroyable.
Isabelle
Le mentor qui vous a vraiment marquée, peut être, si vous ne pouvez le citer qu'un seul, il y en a peut être eu plusieurs?
Karima
J'en ai eu plusieurs. Je peux vous en citer deux. J'ai déjà Nicole Fiorentino qui est la Head of Talent chez Crédit Agricole, qui, elle, a vraiment eu un... Elle a changé ma vie, je le dis tout le temps, parce que ça a été quelqu'un qui a eu vraiment un impact fort dans mon démarrage de carrière, qui fait que j'ai évolué très rapidement. Et puis, je dirais une autre personne, c'est un autre mentor qui était mon directeur général chez Papyrus, dans ma précédente expérience, qui m'a fait évoluer et je suis passée à mon premier poste de DRH à 28 ans grâce à lui.
Isabelle
C'est vrai qu'on ne se lasse pas d'entendre les expériences de mentors et de mentorés. Vous parlez du monde de l'entreprise. Je sais que chez Accenture, je crois qu'ils ont essayé d'instituer, justement, que chaque personne du COMEX soit mentor. Ça fait partie des choses aussi qui progressent dans l'idée aussi qu'il faudrait reconnaître tous ces acquis, tous ces atouts du mentorat. Hager, la parole est à vous. On l'a dit, vous êtes experte en management et en leadership. Comment est ce que vous faites passer cette idée que le mentorat est une bonne chose pour tout le monde, ça nous rend meilleur, dit souvent Antoine Cyr, qui lui aussi a vu grandir. On pourrait faire des portraits aussi de mentorés. Je me rappelle quand Antoine Cyr me racontait comment il a mentoré, comment il a mentoré. Frédéric Mathis, qui aujourd'hui dirige une très grosse association, qui forme aussi, il a créé une école pour ceux qui n'aiment pas l'école, avec les métiers de la transition écologique. Mais vous, comment est ce que vous faites pour enseigner tout cela ? Est ce que ça s'enseigne, le mentorat ?
Hager
Le mentorat en lui même, justement, on ne l'enseigne pas parce que sinon, on devient plutôt expert en coaching. Justement, cette position du mentorat qui relève du volontariat et qui laisse une part de soi, d'improvisation aussi, de pouvoir s'adapter à l'autre, c'est important. En revanche, ce qu'on enseigne, justement, c'est cette importance, ce qu'on a dit tout à l'heure, des quatre C, on y fait très attention aujourd'hui en tant qu'enseignant, en tant qu' école, université, et aussi cette importance de s'ouvrir à l'autre et de développer des relations avec les autres. Parce que le mentorat, ce que ça cultive, ce sont des compétences avant tout interpersonnelles qui viennent s'occuper de ce côté psychologique que vous avez évoqué, Karima. Et en fait, il y a bien sûr toutes les compétences vocationnelles en termes de carrière qui sont aussi importantes. Et il y a un lien aujourd'hui, nous, on est vraiment les porte paroles de ce lien avec la chaire que je dirige, c'est de dire vraiment, il y a un lien qui est évident avec la diversité que nous sommes plusieurs à voir, mais ce n'est pas documenté de manière importante et ça ne saute pas à l'esprit.
Vous avez déjà donné un exemple. Le premier pilier, c'est que le mentorat, c'est un tremplin qui permet à des personnes qui n'auraient pas eu accès à certains postes parce que déjà, en s'auto censurant, par exemple, ou aussi parce que devant elles, elles n'avaient pas les personnes qui pouvaient les accueillir. Il y a aussi un autre point de vue et celui là, c'est celui du mentor. Il y a des compétences et c'est ça aussi notre discours, c'est de dire les compétences acquises ne sont pas uniquement à sens unique vers la personne mentorée, mais aussi vers le mentoré. Ce côté, on ne l'a pas aussi assez dit, assez reconnu jusqu'à aujourd'hui. Un des aspects, c'est la diversité. Comment ? Parce que tout simplement, le mentorat, c'est une occasion de mettre des personnes ensemble à travailler dans une relation en plus désintéressée qui leur permet de découvrir des contextes différents, de sortir de l'entre soi, quel qu'il soit, et de ce point de vue, avoir l'occasion de changer ses perceptions, de changer ses préjugés, de casser des stéréotypes beaucoup plus efficacement que si on avait fait 30 heures, 40 heures de formation sur la diversité et l'inclusion.
Isabelle
Sortir de l'entre soi, très important, surtout en France. Une question pour tous les trois. Je l'ai posée tout à l'heure rapidement, mais est ce qu'il y a des bonnes pratiques de l'étranger dont on pourrait s'inspirer ? Que ce soit pour l'entreprise, l'université ou pour tout autre décideur ?
Jean-Marc
J'ai la chance d'avoir pris la direction générale il y a deux jours d'une grosse association qui travaille sur les établissements français à l'étranger, qui s'appelle la Mission Laïque Française et qui gère 110 établissements dans le monde. On voit bien que cette question autour des compétences est aussi un élément absolument très important par rapport au monde dans lequel, à l'international, vous êtes amené à évoluer. Et donc ça devient aussi ce qu'on pourrait appeler un élément différenciant. Je pense qu'on a une approche assez européenne. Et si on prend la question des référentiels européens autour des compétences, on a su développer un certain nombre de spécificités qui sont liées aussi à nos approches culturelles.
Isabelle
Oui, bien sûr.
Jean-Marc
Parce qu'on ne peut pas non plus déconnecter complètement de la dimension culturelle. L'enjeu, c'est vraiment aussi de se dire on a des singularités qu'on peut être amené à les confronter. On peut regarder ce qui peut se passer ailleurs. Vous pouvez vous citer le Québec, on peut citer un certain nombre d'autres pays qui ont été amenés à être en pointe.
Isabelle
Est ce qu'il y a des mesures peut être très concrètement qu'on pourrait adopter, peut être un exemple à l'étranger, que ce soit effectivement dans la reconnaissance des compétences, dans l'entreprise ou à l'université ? Est ce qu'il y a des choses que vous avez pu voir à l'étranger où on pourrait vraiment se dire « Il faudrait vraiment calquer cela sur le système français ? » Il y a des choses peut être ?
Jean-Marc
La question, ça repose aussi beaucoup quand on est sur le système éducatif. J'aborderai la question du système éducatif, je laisserais les autres intervenant sur la dimension entreprise. C'est la question de dépasser la dimension de la disciplinarité et de renforcer l'interdisciplinarité. C'est à dire que dans les autres pays et surtout dans le monde anglo saxon, nous sommes dans des approches très interdisciplinaires. La réforme du Bac, telle qu'elle a été faite justement autour des enseignements de spécialité, doit nous permettre de renforcer cet enjeu autour de l'interdisciplinarité et demain, nous permettre là aussi de renforcer à travers la discipline cette dimension aussi de penser différemment et donc de venir renforcer aussi des compétences. C'est vraiment cette interaction là et je pense que tous les modèles tels qu'ils peuvent exister ailleurs ont de ça en ça, cette capacité à s'ouvrir peut être un peu différemment. Je pense que notre modèle doit s'ouvrir aussi sur le monde beaucoup plus qu'il ne l'a fait jusqu'à maintenant. C'est un enjeu très fort pour le système éducatif français.
Isabelle
Sacré enjeu pour le XXIᵉ siècle. Les questions de ceux qui nous regardent, il y en a deux. Nathalie, quid des compétences développées par les mentorés. Vous êtes bien placée, Karima, peut être pour répondre à cette question. La question de Marie, comment mesurer l'acquis ? Je ne sais pas lequel des deux pourra répondre, mais est ce qu'il y a des mesures de l'acquis des compétences dans ce qui peuvent être développées par un mentor dans le cadre d'un mentorat ? Les compétences développées par les mentorés, peut être, vous.
Voulez les relister.
Ou en parler ?
Karima
Les compétences pour un mentoré, c'est ça ? Globalement...
Isabelle
On l'a un peu dit, l'ouverture d'esprit, ça ouvre une fenêtre.
Karima
La communication, le fait d'écouter les feedbacks, de partager les feedbacks...
Isabelle
Et la mesure ? Est ce que sur la question de la mesure des acquis, est ce que là, vous pensez qu'on peut progresser encore ? Il y a des chercheurs peut être qui travaillent là dessus ?
Hager
Oui, il y a des chercheurs qui travaillent dessus. C'est vrai, beaucoup aux États Unis, parce que le mentorat s'est beaucoup développé au départ dans des pays d'Amérique du Nord. C'est là qu'il y a eu beaucoup de recherches. Aujourd'hui, comme le mentorat se développe en Europe et en France, on voit de la recherche qui se développe, en tout cas, nous, on s'y met, il y a des ce qu'on appelle des échelles de mesure qui sont reconnues, c'est à dire un ensemble des questions qui valide des compétences, qui valident aussi des perceptions et qui sont utilisées. Nous, par exemple, dans le programme qu'on est en train de mener avec plusieurs associations du collectif Mentorat, c'est un programme qui démarre. Un des objectifs, c'est celui là, c'est à dire c'est d'arriver à administrer des questionnaires au début d'une relation mentorale, au mentor et à la personne mentorée et à la fin de la relation mentorale et de voir justement sur certaines compétences, sur certains sujets, parce qu'on parle de compétences, mais aussi l'estime de soi, la confiance en soi, la façon avec laquelle on voit le monde, avec laquelle on valorise au poids la diversité, l'empathie, etc. Ces mesures, qui sont aussi scientifiquement reconnues, on les met dans ce questionnaire et notre espoir, c'est de voir justement sur le nombre de manière quantitative, quels sont les aspects qui vont se démarquer de manière très importante chez le mentor et chez le mentoré.
Isabelle
Merci beaucoup. Merci à vous trois. J'ai l'impression que vous vouliez apporter un petit mot de conclusion, mais on va passer à la dernière table ronde. Rapidement !
Jean-Marc
Par rapport à cette question de validation des acquis, je pense qu'il faut faire attention parce que quand on parle de validation des acquis, on passe tout de suite examen et tout ce qui va avec. Il ne faut pas revenir sur ce type de dispositif pour valider les acquis. C'est pour ça qu'il faut mieux parler aussi de certaines certifications, parce que la certification vous permet de construire un chemin et parce que vous allez avoir acquis certaines compétences ou en tout cas certains niveaux de compétences. Tout au long de votre carrière, vous allez continuer à certifier ces compétences et gagner en maturité par rapport au fait de pouvoir bien identifier ces compétences. C'est tout ce travail là aussi qu'on doit faire, c'est à dire un changement de mentalité sur ce que doit être la validation de ses acquis et construire de nouvelles choses.
Isabelle
Merci en tout cas d'avoir témoigné avec beaucoup d'humanité de votre plaisir, de votre joie. J'aime beaucoup ce mot, cette joie à être mentor et à être mentorée.
LES CONFÉRENCES ORGANISÉES PAR LA CHAIRE
A l'occasion de la rentrée des élèves de Pré-Master, et de la journée dédiée à la prévention des violences sexistes et sexuelles, l'EDHEC a eu l'honneur de recevoir Marie Bergström, chargée de recherche à l'Institut National d'Etudes Démographiques (Ined) et sociologue et dont les travaux porte sur la sexualité, la conjugalité, le célibat et l'usage des applications de rencontres
A l'occasion du Tremplin de la diversité et de l'inclusion, la chaire Diversité & Inclusion de l'EDHEC a eu l'honneur de recevoir Marta Veljkovic, docteure affiliée à l'Institut National d'Etudes Démographiques (Ined), et dont le travail porte sur la mobilité sociale en cours de carrière et les trajectoires de classe.
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A l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination des violences à l'égard des femmes 2024, la chaire Diversité & Inclusion de l'EDHEC a eu l'honneur de recevoir Pierre-Guillaume Prigent, docteur en sociologie et enseignant à l'Université de Bretagne Occidentale, et dont le travail porte sur les violences basées sur le genre, les violences conjugales et le contrôle coercitif.
Marine Koch : Bonsoir, bonsoir à toutes les personnes qui sont déplacées, qui sont présentes dans la salle. Bonsoir aussi aux personnes qui nous suivent en ligne, aux nombreuses personnes qui sont connectées pour cette conférence qui est organisée par la chaire Diversité Inclusion de l'EDHEC, la chaire diversité inclusion. Pour les personnes qui ne connaissent pas. Elle a pour mission de transmettre des connaissances, créer des outils, accompagner aussi les organisations et le tout pour en fait participer à une société plus juste et inclusive. Donc tout ça, ça va prendre la forme de recherches, d'études de terrain, ça peut prendre la forme aussi d'ateliers prévention comme les ateliers de prévention sur les VSS, donc les violences sexistes et sexuelles qui sont organisées à chaque rentrée scolaire. Et ça prend aussi la forme de conférences, comme ce qu'on fait ce soir. Du coup, cette conférence, elle s'inscrit dans le contexte de la Journée internationale pour l'élimination des violences faites aux femmes. Donc, c'est la journée du 25 novembre. On est un petit peu en avance et on a choisi du coup le thème des violences conjugales. Donc à la fois à travers cet événement qu'on organise ce soir, mais également à travers un autre évènement qui aura lieu jeudi, qui est lui proposé seulement pour les étudiants et les étudiantes de l'EDHEC. Donc vous avez là, vous allez avoir un QRcode qui va s'afficher, qui est juste ici. Merci beaucoup. Si jamais il y a des personnes dans la salle qui pourraient être intéressés pour assister à cet atelier là. Donc encore une fois, c'est pour les étudiants et étudiantes et c'est un atelier de sensibilisation sur les violences conjugales pour mieux comprendre en fait le phénomène qui va un peu aller pratique à la théorie que vous allez voir ce soir. Donc pourquoi cette thématique des violences conjugales ? Donc pour cette journée du 25 novembre, en fait, c'est un sujet dont on parle de plus en plus, notamment depuis le confinement avec la crise sanitaire de 2020, 2021 où on a beaucoup de personnes qui se sont retrouvées contraintes à être dans un foyer parfois violent. En fait. Mais malgré le fait qu'on en parle de plus en plus, malgré le fait que ce sujet est de plus en plus présent à la fois dans l'espace public comme dans l'espace médiatique. Mine de rien, c'est encore un sujet qui fait l'objet de nombreux stéréotypes et donc c'est pour cette raison qu'on propose un peu d'attaquer sur ces thématiques là. Et du coup, la thématique dont on va parler ce soir, c'est encore plus un angle mort puisqu'on va parler des violences post-séparation. Parce que oui, les violences ne s’arrêtent pas toujours, après la rupture. Et donc on a l'honneur d'accueillir ce soir donc Pierre-Guillaume Prigent pour nous parler de ce sujet. Donc Pierre Guillaume Prigent, est docteur en sociologie. Il est enseignant à l'Université de Bretagne Occidentale et aussi dans le diplôme inter-universitaire d'études sur le genre avec Rennes 2. Ses recherches portent sur les violences basées sur le genre et plus particulièrement les violences conjugales et le contrôle coercitif. Alors pas de panique, il va nous expliquer ce que c'est que le contrôle coercitif. Donc, dans sa thèse de doctorat intitulé Les stratégies des pères violents en contexte de séparation parentale, contrôle coercitif, complicité institutionnelle et résistance des femmes. Soutenue en 2021, il analyse les stratégies utilisées par les hommes violents et les réponses institutionnelles à partir d'entretiens avec des mères séparées, victimes de violence. Et donc, il va pouvoir nous parler de ses recherches ce soir. Alors avant d'écouter Monsieur Prigent, je vais, si vous voulez bien, donner rapidement la parole à Magalie Vigier, qui est déléguée aux droits des femmes et à l'égalité femmes hommes du Nord et qui était aussi une ancienne membre de la chaire Diversité inclusion et du coup qui a bien voulu, s'est proposée pour dire quelques mots sur l'état des violences conjugales en en France et dans le Nord. Donc je vous laisse accueillir Magalie Vigier. Merci.
Magalie Vigier : Bonjour à tous et toutes, Je suis vraiment ravie d'être là ce soir avec vous. Alors j'ai beaucoup d'éclairage dans les yeux, donc je ne vois pas forcément les profils des personnes qui sont présentes, mais c'est plutôt des jeunes. Ce n'est pas tant le corps professoral, donc c'est plutôt intéressant pour, pour moi et pour nous de pouvoir passer des messages auprès des plus jeunes sur le sujet des violences conjugales. Alors moi, en effet, je suis déléguée aux droits des femmes et à l'égalité femmes hommes auprès du préfet du Nord. Donc je porte l'action de l'État sur le département du Nord en matière de lutte contre les violences conjugales, entre autres choses. Et donc je tenais à introduire cette conférence pour la raison du sujet, en effet, mais aussi parce que j'ai eu le plaisir de travailler à l’EDHEC que deux ans à la chaire Diversité Inclusion que je remercie pour avoir créé, pour avoir invité vous invité ce soir sur le sujet des violences conjugales. Quelques petits chiffres pour introduire mais je ne vais pas être trop longue. Le ministère de l'Intérieur vient de réactualiser ses chiffres et nous informe que les violences conjugales concernent près de 300 mille personnes en France, essentiellement des femmes. Il nous informe surtout que seulement 25 % des victimes de violences conjugales sont recensées par les forces de l'ordre. Donc on a encore 75 % des victimes qui restent inconnues des forces de l'ordre et qui nous faut encore aller chercher pour pouvoir les prendre mieux en charge. Le Nord, c'est le deuxième département le plus touché par les faits de violences conjugales, le deuxième département métropolitain, juste après le Pas de Calais. Donc la région de France est particulièrement concernée par le sujet et c'est pour ça que l'Etat, avec tous ses partenaires associatifs, institutionnels, met en place différents projets, avec notamment les associations sur tous les territoires du Nord, notamment pour améliorer la prise en charge des victimes. Je n'en dirai pas beaucoup plus, juste qu'on a surtout augmenté les places d'hébergement d'urgence, car c'est vraiment un des points sur lesquels qui favorisent beaucoup le départ du domicile conjugal permettre aux femmes et aux enfants d'avoir un point de chute. Donc on a créé des places en France, on a créé des places dans le Nord et puis on travaille aussi beaucoup à la prise en charge des auteurs de violences conjugales, car c'est aussi un axe important. On le verra peut-être. Deux Prise en charge des victimes pour mieux prendre en charge les victimes et les enfants. Il nous faut nous intéresser aux auteurs de violences conjugales et c'est avec eux, avec les associations qui les encadrent, qu'on travaille beaucoup actuellement. Voilà, très rapidement, pour brosser un petit peu ce qu'on peut mettre en place sur le sujet dans le Nord. Je ne suis pas plus longue parce que c'est pas pour ça que vous êtes venus. La conférence qui arrive va parler justement des victimes, des enfants, de la parentalité et donc va nous permettre aussi de pouvoir avoir des éléments de compréhension de ces différents sujets et de comment on peut mieux prendre en charge les victimes grâce à l'analyse scientifique. En fait, des discours et des parcours de ces victimes. Merci.
Marine Koch : Merci beaucoup Magalie. Et du coup on va pouvoir accueillir Pierre-Guillaume, Prigent. Donc cette conférence, elle va durer, L'intervention va durer à peu près 1 h et qui sera suivie d'un temps de questions réponses, d'une demi heure pour les personnes qui sont présentes dans la salle. Vous pouvez bien sûr vous vous signifier. On vous passera le micro pour des questions et pour les personnes qui nous suivent en ligne. Vous avez reçu par mail un lien sur lequel vous pouvez poser des questions et du coup, nous on se chargera de les poser au moment du temps de questions réponses. Voilà, merci beaucoup pour votre écoute.
Pierre-Guillaume Prigent : Bien le bonjour, plutôt bonsoir à toutes et à tous. Donc merci beaucoup de m'accueillir pour que je puisse faire cette conférence ce soir. Donc je vais effectivement vous parler de ce qu'on appelle la violence conjugale et je vais essayer de porter un et plusieurs regards sociologiques. Je vais mobiliser des théories, des enquêtes que je n'ai pas forcément réalisées moi-même pour introduire le sujet, mais je vais surtout essayer de me concentrer sur les entretiens que j'ai réalisés avec des femmes qui ont eu des enfants et qui se sont séparés d'un conjoint violent et qui donc doivent vivre avec la violence qui continue après la séparation. Et donc, ce travail-là auprès de ces femmes, je le fais depuis un certain nombre d'années. En fait, ça fait maintenant plus de dix ans parce que, en 2013, j'avais déjà fait un mémoire de recherche en sociologie qui s'appelait Les mécanismes de la violence masculine contre les mères séparées et leurs enfants. Et comme ça a été dit tout à l'heure, de 2015 à 2021, j'ai réalisé une thèse. Donc je ne vais pas répéter le titre, mais que vous pouvez voir à droite juste la première, la première couverture, la première page de couverture et donc je vais commencer mon propos en définissant ce qu'on entend par violences conjugales. C'est la définition qu'en donne Patrizia Romito qui est professeure de psychologie sociale en Italie, à Trieste et c'était l'une de mes directrice de thèse. Et en fait, elle définit la violence conjugale comme étant un ensemble de comportements caractérisés par la volonté de domination et de contrôle d'un partenaire sur l'autre, qui peuvent inclure brutalité physique et sexuelle, abus psychologiques, menaces, contrôle grande jalousie, isolement de la femme et quand il y a des enfants, L'utilisation des enfants à ces fins, par exemple en les contraignant à espionner leur mère ou en menaçant la conjointe de lui enlever les enfants et même de les tuer en cas de séparation. Donc je reviens sur le début de la définition. On a d'abord l'idée que c'est un ensemble de comportements. La violence conjugale ne se caractérise pas par un seul fait. C'est un ensemble de comportements et un ensemble de comportements qui est lié à une volonté de domination d'un partenaire sur l'autre. Donc, pour qu'il y ait violence conjugale, il faut une répétition. Et cette volonté de domination là. Patrizia insiste sur la dangerosité du contexte de séparation. En fait, lorsqu'elle dit qu'il peut y avoir l'utilisation des enfants en menaçant la conjointe de les lui enlever ou bien de les tuer en cas de séparation, en fait, c'est quelque chose qui est relativement fréquent. On n'a pas de chiffres exacts sur cette forme de violence là, Mais dans les entretiens que j'ai fait, je dirais au moins la moitié des femmes m'indiquait qu'au moment de la séparation, leur conjoint avait formulé cette menace et cette menace-là. Et du coup, là, je rentre de manière assez brutale dans le vif du sujet, mais ce n'est pas un sujet qui est évident. Cette menace-là, elle est souvent formulée sous la forme si jamais tu pars, tu ne verras plus les enfants. Et cette ambiguïté-là, tu ne verras plus les enfants. Ça peut vouloir dire je vais prendre la garde des enfants ou bien je vais les tuer. Et donc il y a cette menace là et il y a cette ambiguïté sur la menace qui crée évidemment un impact psychologique fort sur la victime. Je précise que pendant longtemps, on a pensé qu'un mari violent pouvait être un bon père et je pense qu'aujourd'hui on est en train de remettre petit à petit en question cette idée-là. A la clôture du Grenelle des violences conjugales. Edouard Philippe, qui était Premier ministre à l'époque, avait justement commencé son discours en disant Un mari violent ne peut pas être un bon père. Et donc je me suis dit d'accord, il y a quelque chose de symbolique qui a été dit dans la clôture de cet événement, qui est quand même assez marquant. Et en fait, de fait, voilà, les politiques publiques s'en sont saisis pour contester cette idée là et les études scientifiques à ce sujet nous indiquait déjà que dans la moitié des cas environ, les pères violents avec leur conjointe sont aussi violents physiquement avec leurs enfants. Et je vais aussi faire une précision sur ce qu'on entend par violence conjugale et la distinguer du conflit conjugal. Comme je vous le disais à l'instant, la violence conjugale, c'est un ensemble de comportements caractérisés par la volonté de domination. Dans la violence conjugale, il y a quelque chose qui est univoque. C'est une personne qui domine et l'autre personne qui cède de manière quasi systématique, voire systématique. Alors qu'en fait, dans le conflit conjugal, il peut y avoir une dispute, dans un couple, il peut même y avoir des échanges d'insultes par exemple. Mais cette dispute là, dans le cadre d'un conflit, elle peut être une manière de réguler les inégalités qui sont en jeu dans le couple. Et donc ça peut justement entraîner de changement. Donc le conflit, il peut y avoir des disputes, c'est susceptible d'entraîner du changement, alors que la violence conjugale univoque, c'est toujours la même personne qui cède face à l'autre. Quand on. Quand on cherche à comprendre la violence conjugale, on doit s'attarder sur les mécanismes sociaux qui font qu'on l'occulte ou qu'on la minimise, qu'on la met de côté, qu’on n’en parle pas. Et j'allais dire que c'est un tabou. Alors je pense qu'aujourd'hui, on ne dirait plus que c'est un tabou parce qu'on en parle de plus en plus. Mais pour autant subsistent des mécanismes que Patrizia Romito justement a identifiés, des stratégies et des tactiques d'occultation de la violence masculine. Alors vous allez voir que ça ne concerne pas que la violence des hommes à l'envers, ça ne concerne pas que la violence des hommes à l'endroit des femmes, mais que ces tactiques d'occultation, ces stratégies d'occultation peuvent se retrouver dans d'autres formes de violence et donc elles définit ça comme étant des conceptions de la réalité qui se matérialisent par des comportements, des idéologies, des lois, des théories, des fonctionnements institutionnels qui nous conditionnent et donc toutes et tous. On est conditionnés par des réflexes. Parfois, c'est de l'ordre du réflexe, quasiment des théories qui vont faire que l'on va minimiser, occulter, mettre de côté la violence. Et justement, pour décrire ces mécanismes-là, Patrizia identifie deux stratégies principales le déni et la légitimation. Le déni, ça veut dire ça n'existe pas. On nie la réalité de ce qui se passe et la légitimation. On dit, on justifie, on minimise. C'est pas grave, c'est normal que ça se passe de cette manière, etc. Et elle identifie différentes tactiques et donc des tactiques. Ça permet de préciser, on va dire comment est ce que tout ça, tout ça se manifeste de manière assez précise. Et on a par exemple la déshumanisation des victimes, la déshumanisation des victimes. C'est un mécanisme qui fait qu'une fois que la victime est déshumanisée, en fait, l'auteur de violence, il se dit je n'ai plus face, je ne fais, je ne fais plus face à un être humain, je fais face à autre chose et donc je peux justifier la violence que j'exerce contre cette personne. Et la déshumanisation des victimes. Elle existe dans des formes de violence ordinaire. Elle existe dans la violence conjugale, mais comme vous le savez, elle existe dans des formes de violence de masse comme les génocides où justement les génocides sont justifiés par la déshumanisation des victimes, en tout cas du point de vue de ceux qui commettent les génocides. On a aussi le l'euphémisation de la violence, l'euphémisation de la violence, ça consiste à dire oui mais bon, c'est pas si grave, c'était juste une gifle. C'est une minimisation des faits. On a également la culpabilisation ou l'attaque envers les victimes, c'est à dire l'idée qui consiste à rendre responsable les victimes de la situation de violence. On a toutes et tous en tête cette idée là que lorsqu'une femme est agressée sexuellement ou violée, eh bien certaines personnes vont vouloir l'accuser d'avoir cherché cette agression ou alors vont la juger en fonction de sa tenue. Ils vont dire oui, mais c'est sa tenue qui a provoqué l'agression. Et donc là on est sur la culpabilisation des victimes. Quand on est dans cette démarche, on a également la psychologisation des individus, la psychologisation des individus. Ça veut dire que l'on nie le caractère social et politique des violences et que l'on attribue ces violences uniquement à des dimensions psychologiques. Et donc c'est des hommes qui violentent parce qu'il serait fou, parce qu'ils auraient des troubles et non pas en raison du rapport de domination sociale. Et d'ailleurs, l'une des manières de montrer assez nettement qu'il ne s'agit pas que de psychologie individuelle, c'est que quand on identifie les réponses sociales à la violence, les réactions des gens autour, que ce soit le public, que ce soit les institutions, eh bien on constate que ces institutions-là, on ne dirait pas qu'elles ont des troubles de la personnalité ou des troubles mentaux, ou alors des troubles psychiatriques. Et pourtant elles peuvent elles-mêmes reproduire des mécanismes de violence ou parfois d'occultation de la violence. J'y reviendrai avec des exemples précis par la suite. On a également la naturalisation des comportements. La naturalisation des comportements, ça consiste à dire que oui, mais c'est naturel, c'est comme ça que ça se passe. Typiquement, les hommes agressent sexuellement les femmes parce que c'est leurs hormones qui conduisent à faire ça. Donc je pense que ce discours-là est peut-être un peu tombé en désuétude. On se dit : « c'est pas possible d'entendre des choses pareilles encore aujourd'hui ». Pour autant, ça peut resurgir, ça peut être utilisé comme justification. Et quand on ne naturalise pas les comportements par les hormones, on peut naturaliser les comportements en disant c'est la nature des hommes, c'est la nature des femmes, La nature des hommes c'est d'être conquérant, de prendre le pouvoir, etc. Une autre tactique d'occultation, c'est distinguer les différentes formes de violence pour les opposer. Typiquement, c'est par exemple de séparer certaines formes de violence d'autres, et donc de dire oui mais bon, elle a juste été agressée sexuellement, c'était quand même pas un viol. Et je pense que la personne qui dirait ça, elle va même pas dire agressée sexuellement, il a juste touché. C'était pas vraiment un viol. Et donc là en fait, on va à la fois minimiser, mais on va aussi distinguer les différentes formes de violences pour dire il y en a certains qui seraient graves et d'autres qui ne seraient pas graves. Et donc on les, on les distingue, on les opposant. Si jamais vous souhaitez avoir une étude de cas passionnante sur les mécanismes d'occultation de la violence masculine, je vous invite à prendre connaissance du mémoire de Master deux de Gwenola Sueur qui est une collègue avec qui je travaille beaucoup sur ce sujet. En fait, elle a fait une analyse de la presse par l'intermédiaire de la théorie de l'occultation des violences Sur l'affaire Cestas, que je vais présenter très rapidement. Cette affaire, c'est une affaire en 1969 où un homme prend qui habite dans une ferme à côté. Donc assez, Il va prendre en otage ses trois enfants et il va demander de récupérer la garde et que madame vienne se faire tuer à la place des enfants. Et donc une de ses enfants va s'échapper de la ferme, deux enfants vont rester et finalement au bout de deux semaines dans le siège par la gendarmerie, il va pendant ce temps-là abattre un gendarme et à la fin du siège, il va tuer deux de ses enfants et se suicider. Et en fait, dans la presse, cet homme-là a été présenté comme non pas un homme violent qui a tué des gens, mais beaucoup de journalistes l'ont excusé, ont parfois même justifié son acte. Et donc c'est vraiment un exemple type de documentation de la violence dont on voit encore des formes qui persistent encore aujourd'hui sur la façon dont les meurtres d'enfants ou de femmes sont minimisés. Il y a aujourd'hui peu la présence de la notion de drame passionnel dans la presse. Aujourd'hui, on ne parle plus de féminicide, mais pendant un temps, on a employé le terme de drame passionnel et l'emploie de ce terme là et justement typique de l'occultation de cette violence. En ce qui concerne les chiffres, maintenant, si jamais on regarde des enquêtes de population, il y a différents types d'enquêtes qui permettent de mesurer les violences, mais celles qui en fait vont essayer de les chercher au cœur de là où elles sont. C'est en interrogeant directement les personnes elles-mêmes. Et donc, en démographie, on appelle ça, en sociologie, on appelle ça des enquêtes de population. Et donc l'enquête de population qui fait référence sur ce sujet-là, c'est l'enquête Virage. C'est une enquête qui s'appelle violence et rapports de genre, et elle a été réalisée en 2015 par l'INED et l'Institut national des études démographiques. Et en fait, elle fait suite. Elle reprend une partie du protocole de l’Enveff. C'est à la première enquête nationale sur les violences envers les femmes. J'ai oublié un petit mot dans le diaporama qui, elle, a été réalisée en 2000. Mais en fait de l'enquête Virage, elle n'interroge pas que sur la violence conjugale, elle interroge des hommes et des femmes sur différents types de violences, sur les violences psychologiques, physiques et sexuelles, également, sur les formes de contrôle, sur des violences de type administratives. Et elle interroge ces types de violences en tant qu'elles sont vécues dans différents espaces les espaces publics, au travail, dans le couple, dans la famille. Et elle interroge aussi sur des faits qui ont eu lieu au cours des douze derniers mois ou au cours de la vie. Ça donne une enquête, Le questionnaire pour y répondre C’est trois quarts d'heure à 1 h, c'est très très long, mais ça permet d'avoir des analyses qui sont extrêmement fines. Et donc là, je ne vais pas vous détailler l'ensemble des résultats parce que ça pourrait prendre une dizaine d'heures, je pense, à peu près. Donc, là, en deux minutes, je vais me concentrer sur ce que l'on nous dit de la violence conjugale. Elle nous donne des chiffres, mais elle nous donne aussi des éléments sur les mécanismes de la violence conjugale. Et donc elle nous précise que tout d'abord, il y a davantage de femmes que d'hommes qui déclarent des situations de violence par partenaire -6,3 % des femmes et 2,2 % des hommes - des violences par partenaire durant la vie conjugale avant les douze mois précédant l'enquête. Alors là, c'est la précision de l'enquête, avec la question des temporalités qui est toujours extrêmement importante à prendre en compte quand on interroge les gens sur des faits qui leur sont arrivés. Et donc là c'est, on va dire, au cours de la vie, sauf les douze, sauf les douze derniers mois. L'enquête permet aussi de mesurer les violences dans le contexte et après la séparation, et on constate que un tiers des femmes vont déclarer ce type de violences avant la rupture et un sixième après, ce qui n'est absolument pas négligeable. Et je précise juste que si le chiffre est aussi haut, c'est pour deux raisons. D'une part, parce que justement on sait que la séparation est un contexte à risque. Vous savez sans doute que les féminicides ont en majorité lieu dans un contexte de séparation conjugale, mais les autres formes de violence conjugale ont aussi souvent lieu dans ce contexte-là, d'une part, mais d'autre part, le contexte de la séparation, et notamment l’après-séparation, ce sont des moments où les femmes peuvent davantage déclarer les faits. Et donc c'est aussi pour ça que ces chiffres sont aussi hauts c'est pour l'augmentation de la dangerosité au niveau de la temporalité, de la séparation, mais aussi la possibilité pour les femmes de déclarer des violences. Et quand on compare la nature des violences qui sont déclarées par les hommes et par les femmes, on constate qu'il y a des natures de violence qui sont différentes. En fait, les hommes vont déclarer des atteintes psychologiques majoritairement qui vont traduire de la jalousie. Ils vont déclarer par exemple que leur conjoint regarde, leur téléphone sur leur accord et regarde leur email sans leur accord. Mais pour les femmes, elles vont déclarer un ensemble d'actes, ce qu'on appelle un continuum d'actes. C'est donc avec des types d'actes qui sont différents, des violences psychologiques, oui, mais aussi des violences physiques, des violences sexuelles. Elles vont également déclarer des conséquences plus graves. Vous me direz, les conséquences de la violence, c'est subjectif. Eh bien, en fait, l'enquête Virage a tout un protocole qui permet de mesurer les impacts de la violence sur deux dimensions. Effectivement, il y a une dimension qui est d'abord subjective. La dimension subjective, c'est de demander à la personne si jamais elle considère les faits comme étant graves et et si jamais elle pourrait désigner un comme étant le plus grave, et à quelle gravité le fait elle associe ? Ça peut être pas grave du tout, peu grave ou alors jusqu'à très grave. Là, on est sur le versant subjectif, mais l'enquête interroge aussi sur les conséquences de la violence. Et donc on demande à la personne si jamais eu des blessures, des impacts psychologiques, si jamais elle est allée voir un médecin, si jamais il avait un certificat médical avec arrêt de travail ou incapacité totale de travail qui est une expression pénale qui permet de quantifier la gravité des faits, de mesurer la gravité des faits, on interroge aussi si jamais la personne a été hospitalisée. Bref, tout un ensemble de questions précises et aussi des plaintes. Est-elle allée à la police ou la gendarmerie a-t-elle déposé une main courante ou une plainte ? Y a-t-il eu poursuites, condamnations ou pas ? Bref, un ensemble de questions qui permet de mesurer de manière certes imprécise. C'est très difficile de mesurer et d'objectiver ce qu'on appellerait les conséquences, parce que c'est une dimension à la fois toujours objective et subjective, mais qui permet de le faire quand même suffisamment, précisément, pour pouvoir faire cette distinction-là, de distinguer entre la gravité chez les hommes et chez les femmes. Est-ce que l'on constate aussi parmi les femmes, C'est qu'elles vont déclarer des faits qui sont davantage répétés. Ça, l'enquête virage, elle est très précise aussi. Elle ne va pas demander à la personne : « Avez-vous été giflée par votre conjoint au cours des douze derniers mois ? - Oui ou non ? », mais elle va demander « à quelle fréquence est-ce que c'est arrivé ? une fois ? Est-ce que c'est arrivé une fois par semaine, une fois tous les mois ? » et donc différentes temporalités. Donc ça nous permet d'identifier justement que la nature des violences subies par les hommes et par les femmes dans le cadre conjugal sont différenciées et que les femmes subissent un continuum de violences aux conséquences plus graves et davantage répétées, si plus diversifiées. Faisant référence justement à la notion de continuum. Si jamais vous souhaitez en savoir plus sur l'enquête Virage, je vous indique que le livre qui fait la présentation des résultats de l'enquête est disponible en accès libre sur le site OpenEdition Books et vous pouvez également consulter le site de l'enquête Virage qui contient des résumés des résultats de l'enquête. Alors je vais essayer maintenant de me concentrer sur les mécanismes dans la précision en fait, parce qu'on peut mesurer les phénomènes, on peut essayer de les comprendre de manière large. Les enquêtes quantitatives, c'est à ça qu'elles servent mesurer, comprendre les mécanismes de manière assez large. Mais lorsque l'on fait des entretiens, on peut essayer de mieux comprendre les phénomènes, on va chercher davantage dans le détail. Et donc là on a, pour comprendre la violence conjugale, différentes nominations, différents modèles qui ont été utilisés au fil du temps. Et il y en a deux que je trouve intéressants, qui vont permettre de considérer que la violence conjugale, ce n'est pas juste une succession d'accidents ou d'incidents isolés, mais qu'il y a un processus et que justement il y a une personne qui cherche à dominer l'autre. Dans le cadre de ce processus-là, il y a la notion de contrôle coercitif qui est apparue dans les politiques publiques assez récemment, qui n'est pas du tout une notion nouvelle. C'est une notion qui a émergé aux Etats-Unis, les premiers qui en ont fait une définition explicite et des études qui considèrent ce phénomène-là de manière précise, ce sont les Dobash et Dobash. En 1979, ça fait déjà presque 50 ans. Mais si jamais cette notion-là, en fait parler d'elle aujourd'hui, c'est parce qu'elle a été réarticulée par un sociologue américain qui est décédé il y a quelques mois, qui s'appelle Evan Stark. Et donc, en 2007, il écrit un ouvrage qui s'appelle « Coercitif Control, how men entrap women in private life », qu'on peut traduire par contrôle coercitif comment les hommes piègent, emprisonnent, mettent sous emprise les femmes dont la vie intime ou personnelle. Et donc c'est de cette manière-là qu'on utilise la notion de contrôle collectif. C'est pour décrire ce phénomène de mettre sous emprise, de piéger, d'emprisonner une personne dans la vie intime, et notamment, en l'occurrence dans le couple. Je précise que la notion de contrôle coercitif peut être utilisée pour comprendre d'autres phénomènes où il y a une domination plutôt dans une sphère intime, mais pas nécessairement. Par exemple, moi je travaille sur l'exploitation sexuelle dans la pornographie et je peux utiliser également le modèle de contrôle coercitif pour comprendre la dynamique de ce phénomène. Il n'est pas forcément le plus adapté pour cette situation là, mais il peut être utile. Et donc, quand on fait de la sociologie, on cherche toujours à identifier en fonction des matériaux que l'on a, des situations que l'on identifie, quel est le modèle le plus pertinent pour l'analyse. Et on cherche aussi à le faire évoluer. Et en fait, en France, il y a justement un modèle qui a coexisté avec celui du contrôle coercitif qui l’a même précédé et qui aujourd'hui est toujours extrêmement pertinent. C'est le modèle de la stratégie de l'agresseur. En fait, c'est le collectif féministe contre le viol qui l’a construit le collectif féministe contre le viol qui tient une ligne téléphonique qui s'appelle Viol femmes information. C'est le 0 800 05 95 95 et il est ouvert tous les jours de la semaine de 9 h à 19 h au moins. Alors peut-être que les horaires sont même plus larges depuis un certain temps, mais ce modèle-là de la stratégie de l'agresseur a été construit et en tout cas est explicité de manière très pédagogique par sa porte-parole, Marie-France Casalis, la porte-parole du collectif féministe contre le viol. Et donc je fais la référence en 2021 parce qu'elle a un chapitre dans un ouvrage où elle explicite un peu ce que c'est. Et selon ce modèle-là qui, de fait, est très proche de l'approche en termes de contrôle coercitif, l'agresseur a plusieurs priorités isoler la victime, dévaloriser la victime, retourner la culpabilité, la terroriser et enfin assurer son impunité. Dans le modèle du contrôle coercitif Evan Stark, lui, va en fait identifier différentes tactiques qui parlent de tactique. Alors on peut parler priorités, on va parler de tactique. Je trouve que le terme de tactique est intéressant parce qu'on voit la visée consciente dans cette construction là d'une stratégie. Et il y a quatre tactiques principales : Il y a l'isolement, le contrôle, l'intimidation et la violence. Et donc ces quatre tactiques là, vous pouvez vous en souvenir assez facilement en ayant ce moyen mnémotechnique qui est ICIV, avec chacune des lettres d’ICIV qui correspond à la première lettre de chacune des quatre tactiques. Donc ici, isolement, contrôle, intimidation, violence et l'objectif d’Evan Stark et l'objectif des personnes qui ont théorisé la notion de contrôle coercitif avant lui, c'était de considérer que la violence conjugale n'est finalement pas qu'affaire de violence. Qu'avant la violence, il y a quelque chose, notamment l'isolement et le contrôle. Je vais y revenir dans un instant. Ce que les théoriciens et les théoriciens du contrôle coercitif Appuient, enfin défendent. Et ce que je défends moi également, c'est que ce processus-là a lieu dans un contexte qui est inégalitaire. C'est à dire que pour pouvoir isoler une personne et contrôler une personne, il faut que vous puissiez profiter de vos privilèges sur la personne, et donc vous pouvez vous asseoir dessus pour pouvoir arriver à contrôler et à isoler cette personne. Il est également personnalisé. Personnalisé, Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que d'une part, il s'appuie sur les vulnérabilités de la victime et en fait chaque victime a ses vulnérabilités. Il peut y avoir justement un isolement préalable, il peut y avoir une situation de handicap, il peut y avoir une situation administrative au regard du droit au séjour qui n'est pas régulière, et il peut y avoir la jeunesse ou plutôt la vieillesse, et donc différents facteurs de vulnérabilité. Et il est également personnalisé dans le sens où il s'appuie sur à la fois l'histoire de la victime mais aussi l'histoire que l'agresseur, l'auteur de violences va tisser avec la victime et donc un agresseur lorsqu'il rencontre sa future victime. On peut dire ça comme ça, et ça, c'est ce qu'on voit assez souvent dans les entretiens. Il va commencer à l'interroger et en fait à identifier chez elle des vulnérabilités passées sur lesquelles il va pouvoir s'appuyer justement pour la contrôler, l'isoler. Et donc c'est en ce sens-là aussi qu'il est personnalisé. Et il est genré dans le sens où il est appuyé sur les normes inégalitaires de genre, mais également basées sur toutes les autres formes de domination les dominations de classes, les dominations racistes liées au handicap également à l'âge, etc. Et ça, en fait, je ne le dis pas comme ça. Je ne pourrais pas vous donner des exemples sur chacune des dimensions, mais dans les entretiens, on voit de manière assez nette que lorsque les femmes nous racontent ce qui se passe, elles vivent en tant que femmes, mais aussi en tant qu autre particularité qu'elles ont la violence qu'elles ont subies. Donc moi, ce que j'ai fait dans ma thèse, c'est donc des entretiens avec 20 mères séparées, victimes de violences conjugales et ces entretiens-là, en fait, qui, dont je vais dérouler rapidement la méthodologie, m'ont permis d'identifier un ensemble de tactiques. Et donc ce que j'ai fait, c'est que j'ai transcrit des entretiens, je les ai enregistrés, je les ai transcrits. Puis j'ai identifié certaines parties de l'entretien qui relevaient de ces différentes formes de tactique. Et donc je vais y revenir dans un instant, et je vais spécifier à quoi elles correspondent, comment est-ce qu'elles s'entremêlent, comment est-ce que se conjuguent les unes entre les autres. Et je vais vous donner ensuite des extraits d'entretiens qui les exemplifie. Mais avant ça, je vais spécifier ma méthodologie. Alors, quand on fait de la socio, on a toujours… La rigueur nous oblige à indiquer quelle est la façon dont on a récolté les données. Et donc on doit décrire notamment aussi le profil sociodémographique, comme on dit des personnes que l'on a enquêtées. Et donc moi j'ai enquêté, j'ai fait des entretiens avec des femmes qui avaient, qui étaient âgés de 25 à 75 ans. Donc, ça veut dire que j'ai interrogé des femmes qui ont vécu la violence conjugale dans un contexte socio historique qui était différent. Certaines m'ont dit : « Mais en fait, à mon époque, on n’en parlait pas et personne n'en parlait ». C'était celles qui étaient justement le plus âgée, alors que d'autres l'ont vécu dans un contexte dans lequel la violence conjugale est un peu plus parlée qu'avant et surtout un contexte dans lequel il y a des politiques publiques, des lois et des dispositifs qui sont mis en place pour aider et soutenir les femmes victimes de violences conjugales. Je précise que trois quarts d'entre elles sont de catégories socio professionnelles supérieures. Alors parfois je dis c'est un biais et des collègues me disent bah non, c'est un biais, c'est juste ton recrutement qui a produit ça. C'est pour rappeler d'une part que la violence conjugale ne touche pas que les femmes de milieux populaires, que ça touche tous les milieux. Je pense que les violences telles qu'elles sont décrites par les femmes de catégories socio professionnelles supérieures, elles le sont peut-être d'une manière différente que d'autres femmes. J'ai pu identifier que selon la profession de la personne, selon son rapport à la parole, selon sa manière d'interpréter ce qu'elle a vécu, elle peut parler des choses de manière différente. Ça, c'est quelque chose sur lequel je pourrais travailler pendant longtemps et sur lequel je devrai davantage travailler. Je ne vais pas m'attarder longuement là-dessus, mais il faut bien savoir que lorsque vous faites un entretien avec une personne son discours, en fait, il est aussi situé. Il est produit par la façon dont elle peut en parler, la façon dont elle maîtrise ou pas des concepts associés à ce qu'elle a vécu, et cet ensemble de choses qui est évidemment en lien avec les ressources qui sont à sa disposition pour comprendre ce qui lui est arrivé. Et ces ressources-là sont inégalitaires en fonction de l'origine sociale des personnes. Quelque chose sur lequel je comptais énormément, c'était le fait de ne pas employer le mot violence si jamais elles ne l'employaient pas elles même. Et donc, lorsque j'ai commencé à faire des entretiens, je cherchais autour de moi des femmes qui avaient vécu une séparation difficile ou une séparation conflictuelle. Alors mon objectif n'était pas de minimiser ce que de minimiser ce que j'avais vécu, mais en fait de prendre ces termes là pour pouvoir faire que des femmes qui n'emploient pas le terme de violence puissent me parler de ce qu'elles avaient vécu. Et de fait, je pense qu'il y avait ce contexte-là de moi qui m'intéresse à ça. Et donc elles qui viennent m'en parler, en fait, c'étaient des femmes qui s'avéraient toutes victimes de violences conjugales et pour qui c'était plus simple d'employer le terme de séparation difficile au moment de la rencontre avec moi. Et lorsque je fais l'entretien avec elles, je ne vais pas leur poser des questions précises. Je vais vraiment leur demander de raconter leur histoire. Alors, je pense que c'est une démarche qui est que je défends d'un point de vue éthique, c'est à dire que je pense que sur ces sujets là ou sur des sujets sensibles, il faut laisser les gens parler. En sociologie, on a tendance à vouloir laisser les gens parler, ça produit des récits qui sont riches et ça produit aussi qu’on n’impose pas en fait aux gens la manière d'appréhender les choses. Et on n’impose pas des questions qui pourraient être intrusives. J'ai tenté à un moment, pour l'un de mes premiers entretiens, la question : « Mais les violences physiques, c'était combien de fois que c'est arrivé ? ». Et là, la femme que j'avais en face de moi me disait qu'elle ne savait même pas. En fait, elle ne pouvait même pas me répondre parce que pour elle c'était souvent et donc c'était souvent. C'était pas le nombre en fait. Et je me dis que c'était pas intéressant de savoir que ce soit souvent ou pas souvent dans l'absolu, je pouvais le déterminer selon la manière dont elle me parlait. En fait, je pouvais identifier, évaluer la répétition des faits à partir de l'analyse de ce qu'elle m'avait dit a posteriori, plutôt que de lui poser la question de manière précise. Et donc j'ai effectivement fait des entretiens avec des femmes qui ont vécu des formes de violence différentes. En tout cas, le processus de violence conjugale, tel que je vais vous le décrire, était toujours le même, mais l'intensité en était différente. Certaines, on pourrait les catégoriser comme étant des femmes battues. Alors femmes battues, on ne le dit plus aujourd'hui. C'était en fait quelque chose qu'on employait avant les années 2000, avant l’enquête Enveff, aujourd'hui, on sait que les violences conjugales, c'est davantage avant tout de la violence psychologique et du contrôle, mais qu'il existe aussi des situations avec des violences physiques répétées qu'on peut potentiellement qualifier de femmes battues, même si le terme est assez inadéquat aussi sur la manière de se rapporter à ces femmes, ça peut renvoyer à quelque chose de négatif. Les femmes aussi ont un rapport extrêmement différencié aux institutions. Je précise que pour certaines d'entre elles, elles n'avaient jamais été à la police, elles n'avaient jamais porté plainte, elles n'avaient même pas saisi le juge aux affaires familiales, qui est le juge qui est chargé de prendre une décision relative à la résidence des enfants notamment, tandis que d'autres étaient en train de faire des recours à la Cour européenne des droits de l'homme. Donc, on voit des procédures qui sont extrêmement diversifiées. Et je rappelle aussi ce qui a déjà été dit tout à l'heure que le nombre de femmes qui déclarent les faits à la police est bas en fait justement, dans les dernières enquêtes et plutôt celles qui sont faites orientation au ministère de l'intérieur, on a des taux qui vont à peu près un quart des femmes qui vont jusqu'à aller porter plainte par rapport aux violences subies. Mais quand on est sur d'autres formes d'enquête avec des faits de violence où on n'interroge pas avant tout les violences physiques, mais où on a cherché à interroger sur davantage de faits de violence psychologique, on constate un taux de plaintes qui est plus bas aussi parce que les femmes ont tendance à porter plainte pour des faits dont elles pensent que les procédures pour aboutir en fait à cette idée là que ce sont les violences physiques qui sont d'abord les plus graves, ce qui n'est pas nécessairement vrai, et que c'est seulement quand on aura des bleus ou des marques qu'il pourrait y avoir des preuves et donc potentiellement une condamnation, et donc c'est aussi le fait de se concevoir comme étant victime de violences conjugales, peut être. Souvent ça peut passer à partir de, justement où il y a eu de la violence physique. Tous ces phénomènes-là ont justement entraîné un taux de plaintes qui est plus fort pour les femmes ayant vécu des violences physiques, alors que celles qui ont vécu la violence psychologique vont justement être moins nombreuses à porter plainte. Pour autant, la violence psychologique peut être aussi grave que les violences physiques. Je pense qu’attribuer une gravité a priori à des faits sans étudier leur contexte, ce n’est pas pertinent. Voilà pour la question de la gravité. Il faut identifier le contexte et l'entremêlement des violences pour mieux le saisir. Il y a un ouvrage que j'aime beaucoup, c'est un ouvrage dont je peux conseiller la lecture, mais attention, parce que c'est un ouvrage qui est extrêmement dur et qui est très explicite sur la manière dont la violence est décrite. C'est un ouvrage qui s'appelle « Je ne suis pas encore morte ». La traduction française a été publié récemment, mais l'ouvrage original a été publié en 2014. C'est un ouvrage de Lacy Johnson. C'est un ouvrage dans lequel elle dit et en fait, elle nous dit qu'elle veut qu'on parle de cet ouvrage de cette manière-là. Et donc moi, par éthique, je vais le faire de cette manière-là. Elle dit : « C'est cet ouvrage où je raconte, comment est-ce que je raconte la fois où j'ai été kidnappée et violée par l'homme avec qui j'ai vécu ». Donc, elle raconte en fait ce viol et ce kidnapping-là. Mais elle raconte aussi la cohabitation avec cet homme-là et donc la violence conjugale. Et c'est aussi pour ça que ce livre est intéressant, c'est qu'il nous fait rentrer sur une scène de violence extrême et nous raconte la quotidienneté de la violence. Et on se rend compte que ce n'est pas simplement ce moment-là du kidnapping qui est violent, mais que c'était tout ce qu'il précédait aussi. Et c'est une professeure de littérature, il me semble. Et en fait, on le voit parce que c'est extrêmement bien écrit sur la question du récit, ce qu'est parler la violence. C'est très très juste. La fin est vraiment hyper sublime, C'est très très très pertinent ce qu'elle dit, mais il y a, je ne vais pas vous la spoiler parce qu'il faut que vous la lisiez par vous-même, mais il y a cet extrait-là qui est tout aussi percutant. Elle nous dit : « Il y a l'histoire que j'ai et l'histoire qu'il a, et il y a une histoire que la police conserve dans la salle des pièces à conviction de la police. Il y a l'histoire que la journaliste raconte dans le journal. Il y a l'histoire que la femme policier a décrite dans son rapport. Son histoire n'est pas mon histoire. Il y a l'histoire qu'il a dû raconter à sa mère quand il lui a téléphoné et il y a des histoires qu'elle a dû se raconter à elle-même. Il y a l'histoire qui vous restera quand vous refermerez ce livre. C'est un infini réseau d'histoires. Cette histoire me dit qui je suis. Elle me donne un sens et j'ai tellement besoin d'avoir un sens. ». Donc c'est vraiment extraordinaire parce qu'en fait, elle nous explique que, à chaque fois qu'une femme qui a vécu de la violence conjugale va parler, elle va raconter une histoire différente. Et donc certains pourraient dire ah mais elle a changé d'idée, donc elle n'a pas vraiment vécu ce qu'elle a vécu. C'est pas ça, c'est qu'en fait elle adapte son discours en fonction de ce que les gens sont capables d'entendre, en fonction de ce que les gens sont prêts à entendre. Et quelle est la fonction de ces gens-là. Quand une femme a raconté à son médecin la violence conjugale, elle ne va pas le parler de la même manière que celle le dit à un policier ou alors à un ami proche. Et en fait, Lacy Johnson, elle nous dit que justement, ce réseau d'histoires et le fait qu'elle, elle s'empare elle-même de son récit, c'est ça qui lui donne un sens. Et donc je pense que la question de la parole est importante. Et donc c'est pour ça que le conseil que je donnerais en ce qui concerne la violence conjugale, c'est de laisser les victimes parler et de les écouter de manière longue et approfondie. Il faut prendre le temps de les écouter. Il faut prendre le temps avec elles de coproduire un récit. C'est comme ça que je le dis. Parce qu'un récit, ça ne se fait pas comme ça. Il faut des gens pour écouter, pour aider à comprendre, pour faire des répétitions, des retours en arrière. Et c'est ça qui va finalement permettre de donner un sens à l'histoire et éventuellement peut être de la mettre de côté ou pas. Et donc ces récits-là qui sont des récits qui produisent du sens et qui sont aussi en recherche de sens. Dans les entretiens que j'ai faits avec les femmes surgissent dans ces récits là des thèmes, des extraits, des bouts de textes qui sont relatifs à des tactiques que j'ai identifiées. Donc, lorsque les femmes nous racontent ce qu'elles ont vécu, elles nous racontent d'abord comment elles ont été privées de ressources privées de ressources financières, privées de communication et privées de transport. La privation de ressources financières, c'est par exemple le fait de ne pas être autorisée à travailler. Alors pour interdire à quelqu'un de travailler, vous pouvez lui interdire formellement la menacer. Si jamais elle souhaite le faire. Vous pouvez éventuellement la séquestrer et l'empêcher de sortir de chez elle. Alors évidemment, ne le faites pas. Mais je le dis en général comment est-ce que l'on fait pour faire cela ? Comment les agresseurs le font ? Mais on peut aussi tout simplement dire oui mais je sais que si jamais tu vas travailler, tu vas te faire draguer par d'autres mecs et donc c'est des formules plus subtiles qui vont produire un isolement progressif et donc qui vont la priver aussi de ressources financières, mais qui vont progressivement l'isoler de ressources sociales, d'amis, de potentiels proches qui justement pourraient la soutenir, l'aider à comprendre ce qui lui arrive, à sortir des situations de violence conjugale. Sur la communication, je vais prendre le même type d'exemple. Je ne vais pas forcément interdire à madame de prendre, d'avoir un téléphone, mais c'est lorsqu'elle est au téléphone avec quelqu'un, monsieur qui va dire : « t'es avec qui ? ». Et puis là, des accusations de jalousie : « tu veux me tromper, c'est ça ? Tu veux me quitter ? ». Et donc c'est de cette manière-là, en fait, que la femme qui reçoit cette agression-là, cette première forme d'agression là, va se dire « Si jamais je parle au téléphone avec d'autres gens, il va me menacer ou m'agresser. Et donc je dois arrêter de parler au téléphone avec d'autres gens. ». C'est comme ça que les hommes privent progressivement les femmes, en tout cas ceux qui exercent un contrôle coercitif de ressources financières et de liberté. En ce qui concerne les transports, ça peut être l'imposer, lui imposer un déménagement dans une zone auquel elle n'aura pas la liberté de déplacement à une zone qu'elle ne connaît pas, une zone où il y a peu de transports. Imaginons par exemple des zones dans lesquelles ça n'existe pas, dans lesquelles ils ne sont pas en place. Je pense aux territoires ruraux. Ma collègue Gwenola Sueur fait une thèse actuellement sur les parcours de victimes de violences conjugales dans les territoires ruraux et la question du transport est hyper importante dans ces territoires. Mais elle l’est aussi ailleurs. Et donc il peut y avoir aussi le fait que Monsieur ne veut pas que madame prenne la voiture. Et donc tout cela, c'est une privation progressive de ressources sur l'isolement. Et bien l'isolement. Comme je le disais, si jamais on vous interdit d'aller au travail, on vous interdit aussi d'avoir des collègues de travail avec qui vous pouvez avoir une vie et construire autre chose que ce que monsieur vous demande de construire avec lui. Et donc l'isolement social, familial ou amical. La forme extrême, c'est la séquestration. Mais c'est quand madame invite à la Maison des amis. Et puis une fois qu'ils sont partis, Monsieur dit : « Tu sais Bob, je le trouve pas très sympa, je préfèrerais que tu n'invites pas Bob ». Et puis c'est Camille, puis c'est Martin et puis c'est tous les amis pour lequel il y a toujours une bonne raison selon monsieur qui ne reviennent pas et donc l'isolement peut se faire de manière extrêmement progressive. Ce que Evan Stark fait ressortir dans son analyse du contrôle coercitif sur lequel il insiste beaucoup, c'est ce qu'il appelle la micro-régulation du quotidien. Et ça, c'est un élément qui est vraiment intéressant. Je pense qu'il ne faut pas se formaliser et uniquement porter son attention là-dessus parce qu'il faut voir ce qu'il y a autour aussi des formes de violence plus explicites, de contrôle plus explicite. Là on voit comment dans la micro-régulation, les normes de genre sont le socle du contrôle coercitif. Moi personnellement, je parle de contrôle patriarcal des activités quotidiennes de la victime pour bien indiquer qu'il s'agit d'un contrôle patriarcal des activités quotidiennes. C'est quoi ? C'est par exemple le monsieur qui va dicter à madame comment elle doit plier le linge, comment elle doit mettre des boîtes de conserve dans le placard. Dans un film qui s'appelle « Sleeping with the Enemy » avec Julia Roberts en français, il s'appelle « Les nuits avec mon ennemi ». En fait, c'est un film qui est peu connu, mais parfois des gens me disaient si je l'ai vu il y a longtemps, etc. En fait, on voit ces scènes là en fait, Julia Roberts est victime d'un conjoint contrôlant et coercitif, doit plier les serviettes de telle ou telle manière, doit ranger les boites de conserve de telle ou telle manière. Et en fait, tous ces éléments-là. Qui sont des manières de limiter la capacité d'agir de la victime. Moi, je sais jamais. On tient au terme d'emprise. J'aime bien préciser que c'est une emprise, oui, mais une emprise matérielle, c'est quelque chose de très concret. C'est quelque chose qui se base sur le quotidien, les activités quotidiennes de la victime, sur ses ressources, ce qu'elle a, ce qu'elle n'a pas. Et je précise que cette emprise matérielle, elle est facilitée si la personne est en situation de handicap, mais elle est facilitée aussi si jamais la personne a des vulnérabilités qui justement sont des situations où elle déjà a priori a moins de ressources et davantage isolée que d'autres. Imaginons par exemple une personne qui a été rejetée par sa famille, qui n'a plus de contacts avec sa famille. C'est plus facile de la mettre sous contrôle qu'une personne qui a toujours des contacts avec sa famille. Et ça, on le voit de manière très nette dans les entretiens. Parce que la famille peut être un soutien pour la sortie de la violence ou au contraire un obstacle à la sortie de la violence. Et donc tout cela pour le moment. Je vous ai pas parlé de coups de violence explicites entre guillemets. Je vous ai parlé du contrôle de l'isolement, de la privation de ressources. En fait, ce que la théorie du contrôle coercitif permet de démontrer, enfin de montrer, et je trouve que c'est intéressant de le dire comme ça, c'est que le contrôle va précéder la coercition. Parfois, on se dit on n'a pas vu la violence, on se dit pendant des années elle était comme ça avec son conjoint, mais on ne savait pas ce qui se passait. Eh bien, c'est parce que pendant toute une période, la victime peut être sous contrôle. En fait, elle respecte les règles que Monsieur a fixées avec plus ou moins de menaces, mais elle les respecte et donc elle vit comme une sorte d'automate, d'une certaine manière régulée par l'intervention de son conjoint. Et si jamais elle respecte les règles de Monsieur, eh bien dans ce cas-là, j'ai envie de dire de son point de vue à lui, dans sa perspective, il n'a pas besoin de la punir, de ne pas avoir respecté les règles. Évidemment, je parle du point de vue de l'agresseur. Donc il y a une sorte de mise en place de règles. Et là où le jeu est dupé, c'est que les règles ne font pas l'objet d'un contrat. Dans la violence conjugale, les règles entre les partenaires ne sont pas écrites. Monsieur a le loisir de changer les règles quand bon lui semble et donc un jour il va considérer que le steak est trop cuit et le lendemain le steak ne sera pas assez cuit. Et Madame, ne sachant plus quoi faire, va devoir marcher sur des œufs. C'est typiquement l'expression qu'on entend chez beaucoup de femmes victimes de violences conjugales. Et tant qu'elle va réussir ce numéro d'équilibriste, elle peut éviter d'être exposée à des formes de violences spécifiques, des violences explicites. Mais si jamais, selon Monsieur, elle ne respecte pas les règles, qu'elle résiste, qu'elle refuse le contrôle, si elle ne fait pas cela ou si elle fait cela, alors la coercition peut apparaître. La coercition, c'est une manière de remettre la victime dans le cadre dans lequel elle a osé sortir. Et là, je parle évidemment encore une fois du point de vue de l'agresseur et dans sa perspective à lui, ces différentes formes de coercition. Ça peut être les violences psychologiques par exemple, la dévalorisation, ça peut être la sur-responsabilisation, ou bien ça peut être la confusion. La dévalorisation, comme son nom l'indique, c'est de faire penser à la victime qu'elle n'a pas la valeur qu'elle a, au-delà de la dénigrer tout simplement, ça a un effet que la victime a moins conscience de ses propres capacités au bout d'un certain temps, et donc elle a moins la croyance en ses capacités de faire autre chose que ce que monsieur veut. Elle a moins la capacité de croire qu'elle est capable de sortir de la relation et elle a non seulement moins la croyance en la possibilité de sortir, mais rappelez-vous du contrôle. Elle a eu moins la possibilité de sortir parce que monsieur la privait de ressources, elle a isolé et donc finalement la dévalorisation, ça produit un effet psychologique qui va réduire encore davantage sa capacité d'agir davantage sur le plan psychique que sur le plan matériel. Et donc c'est pour ça que quand on parle de dévalorisation, de responsabilisation ou de confusion, là, on pourrait aussi nommer ce qu'on appelle l'emprise psychologique. Mais je spécifie, emprise psychologique, emprise matérielle, parce qu'on a parfois tendance à considérer que tout ça c'est dans la tête, alors que non, c'est pas que dans la tête, c'est une question de ressources, d'inégalités, de privation de liberté, de capacité d'agir aussi. Et ça, c'est vraiment important de le rappeler. La sur-responsabilisation, c'est le fait que l'agresseur va justement finir par sur-responsabiliser la victime, la rendre responsable de ce pourquoi elle n'est pas responsable. Par exemple, le steak est trop cuit. Alors qui a décidé que le steak devait être cuit de telle ou telle manière parce que ça a été décidé en commun de manière démocratique ? Ou bien est-ce que c'est monsieur qui a pensé à une règle et qui a imposé à Madame de suivre cette règle alors qu'elle n'avait même pas connaissance de cette règle ? Donc là, on voit bien encore une fois le jeu de dupe. Et donc Madame qui s'est trompée en cuisant mal le steak, eh bien elle est sur-responsabilisée de la situation à partir du moment où monsieur va l'accabler et va la rendre responsable de quelque chose pour lequel elle n'est pas responsable. La cuisson du steak est un exemple parmi d'autres et la confusion, c'est à la fois des tactiques que Monsieur met en place envers Madame, mais aussi l'état dans laquelle la victime peut se trouver. Il peut lui mentir, il peut la manipuler, il peut aller, dans les cas les plus extrêmes, aller jusqu'à déplacer des objets. Euh, il y a un film avec Ingrid Bergman qui s'appelle GasLight, qui est un film des années 40 où en fait c'est un monsieur qui veut récupérer une maison ou un trésor dans une maison et en fait, il va. Il fait croire à Ingrid Bergman qu'il y a des fantômes dans la maison en manipulant le niveau de gaz qui produit plus ou moins de lumière. Parce qu'à l'époque, c'était la lumière et les générer par l'intermédiaire de lampes à gaz. Et donc en fait, il met en place des artifices qui vont faire que la victime, elle se dit mais il y a un fantôme. Qu'est ce qui se passe ? aujourd'hui avec la domotique, les agresseurs peuvent s'en servir aussi pour activer à distance les volets, les ouvrir, les fermer. Ça, on a quelques extraits d'entretiens. J'ai pas fait d'entretiens spécifiquement avec des femmes qui ont vécu ça, mais dans d'autres enquêtes, on peut le voir et là ça crée un climat de confusion. Et du coup, la victime commence à perdre contact avec la réalité, dans le sens où elle ne sait plus ce qui se passe et elle a de moins en moins, elle a de plus en plus de mal à justement faire face à simplement la réalité. Alors il y a une sociologue qui s'appelle Catherine Kirkwood qui en 93 parle de distorsion de la réalité subjective. Donc c'est on va dire un synonyme de confusion. Donc tout ça, emprise psychologique. Il y a aussi des choses plus explicites l'intimidation qui peut prendre la forme de harcèlement ou d'humiliations. L'intimidation peut être aussi plus permanente, c'est à dire que ça peut être un climat, une angoisse de se dire : « qu'est-ce qu'il va faire quand il va rentrer, qu'est-ce qu'il va faire si jamais je ne fais pas les choses telles qu'il souhaiterait que je les fasse ? ». Le nombre d'entretiens où les femmes me disent : « J'avais peur quand j'entendais l'ascenseur. Je détestais le moment où il faisait rentrer la clé dans la serrure. ». Ça, c'est des justement des extraits d'entretiens qui attestent que l'intimidation, c'est pas seulement quand il y a de la menace explicite, du harcèlement, de l'humiliation, mais que ça peut devenir un climat un peu permanent qui du coup met la victime sous contrôle. Il y a aussi les violences physiques et sexuelles sur lesquelles je vais pas m'attarder mais qui sont une manière d'exercer de la coercition. Parler de stratégie et de tactique, comme je le disais au début, ça nous permet de contextualiser les actes. En fait, tous ces actes là que je vous ai décrit, ce n'est pas des incidents isolés. Quand on les met bout à bout, quand on cherche à les comprendre, on se dit mais là il y a une logique, c'est maintenir le pouvoir et le contrôle sur la victime pour l'avoir à disposition, pour s'en servir comme un objet, un objet sexuel, un objet qui fait à manger, etc. C'est de cette manière-là que le contrôle coercitif fonctionne, et c'est assez brutal. Mais c'est de cette manière-là que ça fonctionne. Quand on voit la logique et ça nous invite à devoir identifier quelles sont la fonction des actes, Pourquoi se fait-il cela ? Ça nous oblige aussi à identifier dans quel contexte il le fait, dans quel contexte inégalitaire, quelles sont les vulnérabilités sur lesquelles il s'appuie. Ça nous oblige à regarder les choses non pas comme des incidents, mais comme des comportements. Et les conséquences de ces comportements. Alors je vais maintenant passer à quelques extraits d'entretiens sur lesquels qui exemplifie et qui donne une dimension à ce que je viens de vous dire en ce qui concerne l’isolement et la dévalorisation. Irène, donc tous les prénoms ont bien entendu été modifiés, elle a 55 ans, elle habite en Bretagne et elle nous dit : « J'étais isolée parce que tous les amis que j'avais avant de le rencontrer, il supportait pas en fait que j'ai une autre vie avec ces gens-là. Du coup, il n'y avait plus que lui. Même après le divorce, je ne savais plus parler. Je me suis rendue compte que je ne savais plus parler, je ne pouvais plus parler. J'avais perdu l'usage des mots, je trouvais plus mes mots, Je ne sais plus. Enfin, c'est comme si j'étais restée dans une bulle pendant trop longtemps et que j'avais plus les moyens d'exprimer. » Donc dans cet extrait, je le trouve vraiment très très percutant parce que, en fait, elle perd les mots au moment où elle dit qu'elle perd les mots et la transcription le montre bien, mais ça montre l'effet de l'isolement cumulé à des formes de dévalorisation qu'elle nous a explicitées auparavant, en tout cas qu'elle m'a moi, et que j'essaie de vous transcrire de manière publique lorsque vous êtes isolé et dévalorisé, lorsque vous n'avez plus conscience de vos capacités, lorsqu'on a diminué vos capacités, vos capacités vous laissent aller jusqu'à perdre des capacités fondamentales comme celle de parler, comme celle par exemple de conduire. Plusieurs femmes m'ont dit ou nous ont dit quand on faisait des entretiens avec Gwenola Sueur : « Il me critiquait tellement ma conduite que, à un moment je ne pouvais plus conduire et j'ai dû repasser le permis. » Et donc des facultés d'agir sont attaquées par l'agresseur. En ce qui concerne sur-responsabilisation et confusion. Aline nous dit : « La violence venait surtout de sa part et donc ça aussi c'est important de le reconnaître ». C'est qu'elle reconnaît qu'elle également a pu exercer de la violence à son encontre. Et de fait, c'était des insultes lors des disputes, elle, elle l'insultait, « Même si lui, il considérait que c'était moi qui les ai violences parce que je n'étais pas à ma place, parce que ce que je faisais, c'était irresponsable et que c'était complètement taré ». Et donc là, en fait, elle dit que lorsqu’elle répond, en fait, eh bien il l'accable et dit c'est toi la violente, etc. Et elle a conscience qu'elle a une place, Donc elle a un petit cadre dans lequel elle doit rester. Et si jamais elle sort de ce cadre-là, elle est irresponsable, elle est tarée, elle est irresponsable parce que ça reste pas une bonne mère de famille en l'occurrence, c'est ce qu'elle m'a décrit quelques minutes avant. Et elle est tarée. Parce qu'en fait, c'est quoi être taré du point de vue de l'agresseur ? C'est quoi être folle Du point de vue de l'agresseur ? C'est justement ne pas respecter ces règles, c'est oser penser de manière différente que lui. Et donc, lorsqu’un homme dit « mon ex, elle est complètement folle » red flag, moi je dis le nombre de mecs qui ont plein d'ex folles ouh là là là, attention, il y a un truc derrière. Et de fait, je sais qu'on en parle de plus en plus de cette accusation-là de folie, mais c'est tellement facile d'accuser une femme d'être folle. Parce que si jamais vous regardez l'histoire de la façon dont les femmes ont été accusée d'être hystériques simplement parce qu'elles ont refusé certaines normes ou qu’elles désobéissaient à certaines conventions, eh bien finalement, toutes les femmes sont susceptibles d'être accusées d'être hystériques ou bien d'être folles. Et donc ça s'inscrit clairement dans les rapports de genre. Et puis dans une histoire de la misogynie institutionnalisée, l'intimidation, Aline n'a pas vécu de violences physiques et elle nous dit pour autant qu'elle attendait qu'on lui tape dessus. Elle se disait tout le temps : « dès que je disais quelque chose, qu'on allait me brutaliser parce que j'étais dans une violence psychologique ». Donc pour elle, violence psychologique, c'est plutôt de l'intimidation. Mais elle l'explique alors qu'elle n'a pas vécu de violences physiques, elle a peur d'être violentée physiquement et ça, c'est caractéristique de la violence conjugale aussi. C'est le climat d'intimidation qui crée la peur d'être violenté et la peur d'être violenté a un effet aussi profond que le fait d'être violenté physiquement. Et ça, il faut absolument le prendre en compte pour comprendre le mécanisme de la violence conjugale. Ça, c'est toujours Irène qui nous explique de manière prodigieuse. Alors à chaque fois je me dis mais il y a des livres qui expliquent les mécanismes de la violence conjugale. Mais écoutez les femmes qui l'ont vécu parce qu'elles nous expliquent les choses de manière bien plus dense, bien plus concrète et parfois de façon plus analytique que le meilleur des ouvrages qui a été écrit à ce sujet. Et là, pour le coup, elle nous dit les choses de manière extrêmement limpide : « Il fallait vraiment faire en sorte que ce soit lui qui puisse se dire Je suis un homme, j'ai mon libre arbitre, je peux décider de ce qui est bien ou pas bien et de ce que je vais faire ou pas. Fallait lui laisser cette possibilité là et je pense que sinon ça aurait été très violent. » Donc elle nous explique Monsieur qui décide qui a le contrôle et si l'amour s'oppose à lui, il est violent. Elle nous dit c'est quoi le contrôle ? C'est quoi la coercition ? Elle nous dit ce qu'est le contrôle coercitif. Et ça, c'est un extrait d'entretien tout à fait spontané de la part d'Irène. Quand on parle de contrôle coercitif, on on a tendance à associer cette notion. En tout cas, Evan Stark le fait de manière extrêmement nette pour préciser quelques secondes, parce que le temps, le temps, le temps court. Mais il a défendu des femmes en procès qui ont tué leur conjoint, par exemple, et donc des femmes dont on avait du mal à se dire qu'elles n'étaient pas violentes, qui étaient difficilement défendables, d'une certaine manière. Il a essayé d'expliciter quelles sont les raisons qui l'ont ou qui les ont poussé à tuer leur conjoint. Et souvent il en conclue qu'en fait c'est que justement, elles étaient tellement emprisonnées dans la relation avec le conjoint que le seul moyen pour elles d'en sortir, c'était justement de l'éliminer. Et lorsqu'on parle des violences conjugales, on a souvent tendance à oublier le comportement de la victime et on lorsqu'on parle de femmes sous emprise, c'est encore plus net. On a l'impression que les femmes qui sont qui subissent cela ne font rien. Et en fait, lorsque j'ai fait des entretiens, je me suis rendu compte mais en fait elles font un paquet de trucs au quotidien évidemment, mais elles font des choses par rapport à la violence, contre la violence. Et donc j'ai préféré parler de résistance. Je me suis dit c'est un terme qui est certes qui est valorisant, qui est positif, mais qui a un côté assez objectivant aussi sur le fait que résister c'est faire face à une pression et donc il y a une pression de la violence et donc on résiste et il y a différentes formes de résistance qui sont très nettes. Dans les entretiens, il y a le fait par exemple dans la résistance, dissimuler, les femmes, elles peuvent parfois céder, c'est à dire qu'elles se disent là, je pense qu'il va me frapper, il va faire un acte violent que je ne veux pas qu'il fasse. Et donc là, stratégiquement, je vais céder sur une partie de ses demandes ou sur ces demandes pour éviter de faire face à la violence, pour éviter d'avoir à faire face à cet acte de violence là. Donc c'est à dire qu'elles rationalisent aussi à ce moment-là. Alors certes, dans les contraintes dans lesquelles elles sont mises, mais elles rationalisent des stratégies elles-mêmes pour faire face à ça. Parfois elles peuvent négocier et là elles se disent ouh là là, si jamais je tente de négocier avec lui, il va falloir que je fasse attention. Mais elles, j'arrive à calculer les choses de façon à pouvoir négocier et parfois elles veulent tenir. Elles se disent je ne lâcherai pas. Mais comment dire à quelqu'un qui veut toujours avoir le dernier mot que je ne vais pas lâcher ? Eh bien, il faut présenter les choses de manière plus subtile. Donc finalement, les femmes victimes des violences conjugales deviennent expertes en négociation avec des hommes extrêmement violents. Alors j’allais dire terroriste, je ne préfère pas utiliser cette expression là parce que la représentation sociale du terroriste, associer le terrorisme à la violence conjugale, je pense que c'est trop simple. Le parallèle nous empêche de penser réellement ce qu'est la violence conjugale. Donc je vais mettre ça de côté, mais en tout cas, elles deviennent expertes en négociation avec des gens qui ne veulent pas négocier, qui veulent avoir le dernier mot. Et donc ça aussi, il faut le reconnaître. Et elles font en sorte de résister de façon à ce que ça n'apparaisse pas comme de la résistance ou une confrontation directe aux yeux de l'agresseur. Mais elles résistent aussi de manière active. Elles résistent en se confrontant verbalement, voire physiquement avec l'agresseur. Et l'une des manières de résister qui est la plus explicite, c'est la séparation. Se séparer, c'est résister à la violence conjugale et à l'agresseur, et parfois même à la société. On va le valoir dans quelques minutes et chercher du soutien, c'est aussi une manière de résister. Donc c'est très important de nommer ce qu'elles font pour ce que c'est. Moi je pense que le terme de résistance est un terme qui est tout à fait adapté. Je vais prendre quelques exemples. Là, on voit que la conséquence pour Irène de résister, c'est de la violence physique. « Le premier jour où j'ai repris le travail, je lui ai demandé s'il pouvait amener le petit à l'école parce que lui, il travaillait pas, ça le faisait chier. Je n'étais pas trop en forme, il fallait que j'amène le petit à l'école quand même. Il me dit qu'il avait pas envie d'y aller et à ce moment là, je l'ai touché sur la tête. Là, j'ai dit mais qu'est ce qu'il y a là dedans ? Et là, c'est parti, Cheval, coup de poing, Ça a été la première fois. » et donc elle lui demande de faire simplement quelque chose qu'un père devrait faire : emmener un enfant à l'école. Et là, il répond en lui donnant un coup et donc elle a tenté de résister. Et voilà la façon dont l'agresseur, la punie. Et là, on voit aussi que, en ce qui concerne la résistance, c'est aussi. Une expression. Je suis en train de réfléchir là-dessus. Pour le moment je parle de résistance imaginative, alors c'est un peu, c'est pas très beau comme terme, mais en fait c'est le processus qui font que les femmes, en fait, imaginent comment elles peuvent résister. Et donc elle se pose plein de questions et se disent mais comment je vais faire pour que ça se passe mieux, pour que ceci, pour que cela ? Et donc là, Irène nous explique « Je disais non aussi, tu vois, Je m'opposais même fermement et c'est ça qui déclenchait la violence. Si je n'avais pas dit non, forcément il n'y aurait pas eu de violence. Mais en fait c'est plus ça la question. Pourquoi je n'arrive pas à dire non de la bonne façon ? Parce que doit bien y avoir une bonne façon qui fait que c'est un non clair ferme et que la personne sente que ce n'est pas la peine d'essayer d'aller contre. C'est peut être ça. » Et donc elle nous dit qu'elle l'espère en même temps qu'elle imagine comment pouvoir trouver la bonne manière de dire non. Alors c'est un geste qui, de l'extérieur, pourrait paraître désespéré. On se dit elle essaie de trouver un moyen de dire non alors qu'elle ne peut pas le faire. Mais en même temps, elle fait preuve d'imagination. Elle essaie de trouver une stratégie pour répondre à ça et je pense que c'est ça aussi qu'il faut souligner. Les violences continuent évidemment après la séparation et elle continue sous la même forme. En fait, que les violences avant la séparation, il peut y avoir du harcèlement. Noémie, nous dit « Il avait cette niaque de me harceler, enfin entre guillemets, de m'appeler pour plein de choses, pour qu'on parle, pour que Bidule. » Et pendant les remises également de l'enfant, lorsque il y a une résidence partagée. Alors lorsque les résidences alternées ou lorsqu'il y a un hébergement chez un parent principal, les parents doivent se remettre l'enfant et ce sont des scènes dans lesquelles il peut y avoir justement de la violence. Donc Noémie nous dit « Je pense pas qu'il avait envie de changer ou enfin du moins de communiquer comme ce que veut dire le mot communiquer, échanger des points de vue, parler calmement tout ça. Il voulait déverser son sac de haine. C'était vraiment le moment. Les remises où il jetait tout. » et là, en ce qui concerne la question de la prise en charge des enfants de la parentalité, Noémie, elle, nous explique qu'elle tente de négocier mais qu'elle n'y arrive pas. « J'essayais de discuter, il pouvait y avoir des désaccords et à ce moment-là, je lui disais tu te casses de chez moi, je te confie pas mon fils.» Donc il fait du chantage. Il garde l'enfant si elle exprime un désaccord. « J'étais vraiment une marionnette, c'était un peu comme il voulait, j'étais son pantin. » Et là, pour le coup, encore une fois, on voit la dynamique de contrôle qui est explicite. Mais Noémie, elle met en place des manières de faire face. Et justement, quand je fais des entretiens avec elle, je la vois plusieurs fois, on refait des entretiens et puis elle me raconte comment elle fait en fait et elle me dit qu'elle trouve des parades pour gérer tout ça. Elle se dit ça va durer encore, ça va être long et va falloir que je fasse en sorte que ce soit moins compliqué. Donc c'est de l'ordre de la gestion, « S’il appelle, Je le laisse parler à mon répondeur. Ensuite j'écoute, j'écoute forcément de toute façon, et ensuite je réponds par texto. Après trois ou quatre mois, je me suis rendu compte que de toute façon, l'oralité, ça ne sert à rien. » Et donc elle met à distance sa voix. Mais pour autant elle lui répond parce que le piège Et je vais venir dans un instant et après il faut que j'accélère puisque mon temps est quasiment. Je prends juste cinq minutes supplémentaires. Super ! Et bien en fait, son son, elle sait que l'oralité, comme nous le dit, ne sert à rien. Et donc elle va essayer de limiter ça en envoyant des textos. Et pourquoi est-ce qu'elle envoie des textos ? Parce que on a l'autorité parentale conjointe qui l'oblige d'une certaine manière sur une partie des éléments, mais pas tous à parler avec le conjoint des enfants. Je vais revenir dans un instant. Lors des remises, elle nous explique comment est-ce que justement elle met en place aussi des stratégies et en fait elle essaie de faire en sorte que ça aille vite. Alors elle est aussi accompagnée par des amis et moi, de fait, j'ai pu l'accompagner aussi lors d'une des remises et donc j'ai pu constater par moi-même le comportement du conjoint qui correspondait absolument à ce qu'elle m'avait décrit dans les entretiens, intimidation, etc. « Il fallait que je réceptionne sans trop que ça m'intéresse, que ça m'atteigne. Maintenant que j'amène mon fils, je le fais très rapidement. Je lui ai dit dans la voiture avant je le prépare tout ça, je suis, je l'amène physiquement et je le pose, je lui fais un bisou et je m'en vais. » Et donc elle s'adapte. Elle va plus vite. Pourquoi est-ce que c'est un problème pour ces femmes-là ? La violence après la séparation, la violence après la séparation, elle peut exister même quand il n'y a pas d'enfant. Mais quand il y a des enfants, il y a ce qu'on appelle l'autorité parentale conjointe et en fait de l'autorité parentale conjointe. C'est un cadre juridique qui oblige les parents qui ont des enfants en commun à discuter ensemble des choses qui concernent l'enfant. Il y a des articles dans le code civil qui indiquent précisément quelles sont ces règles-là. Et donc le 373-2 deux nous précise que chacun des pères et mères doit maintenir des relations personnelles avec l'enfant et respecter les liens de celui-ci avec l'autre parent. Quand vous devez respecter les liens entre votre enfant et un conjoint violent, les choses deviennent complexes. On pourrait aussi inverser la formule et de dire mais un homme violent ne respecte pas les liens de la mère avec les enfants, justement en instrumentalisant l'enfant. Donc c'est là aussi que la loi peut être interprétée dans deux sens différents. Mais très concrètement, comment ça se manifeste l'agresseur ? En fait, il peut légitimer le harcèlement et la violence en disant « ah mais je t'appelle pour les enfants, je vais te parler des enfants.» Et donc Madame décroche et Monsieur commence à l’insulter ou alors ne lui parle juste pas des enfants. Donc c'est un prétexte pour entrer en contact avec elle. Et la violence, comme je l'indiquais, elle peut avoir lieu par téléphone, par mail, par les réseaux sociaux, mais aussi par l'intermédiaire des remises des enfants. l'Autorité parentale conjointe, c'est quelque chose qui va lui permettre aussi de contrôler le quotidien et les choix éducatifs de la mère. Si jamais elle veut que le fils fasse du foot et que Monsieur veut que le fils fasse du basket, eh bien il peut bloquer. Il peut dire à Madame : « non, je refuse catégoriquement que tu inscrives l'enfant au basket ». Alors on pourrait se dire : « oh, c'est puéril, c'est pas très grave ». Derrière, il peut y avoir un enjeu pour l'agresseur. Si jamais madame est entourée dans une activité. Par exemple, son fils fait du foot, elle connaît des gens au club de foot. Eh bien monsieur va préférer qu'elle n'aille pas au club de foot parce que le club de foot, il y a des amis à madame. Donc on va dire « mon fils ne fera pas de foot, il fera plutôt du basket » là où les amis de monsieur sont. Donc c'est pas juste une question de puérilité, de oui, d'activité d'enfant. Il faut analyser le contexte, à quoi ça permet, ça permet à quoi ? Enfin ça permet, Ça donne quoi à l'agresseur de contrôler ça ? Déjà de contrôler Madame, et aussi peut être d'avoir davantage de ressources ou aussi de priver de continuer à priver de ressource madame. Donc, au-delà de la loi, il y a une norme de co-parentalité. Là aussi, je pourrais en parler pendant des heures. Les sociologues ont écrit énormément à ce sujet, mais la façon dont la coparentalité se manifeste, ce n'est pas à proprement parler une égalité parentale réelle, où il y a une répartition de la prise en charge des enfants totalement égalitaire entre les hommes et les femmes. Ça, ce n'est pas vrai. Et justement, ce n'est pas encore le cas. Et des collègues comme Emilie Biland, qui est sociologue indiquent que la coparentalité, dans les faits, c'est plutôt l'idée selon laquelle les mères ont le devoir de faire une place au père, tandis que le père ont le droit de prendre en charge leur enfant, mais sans en avoir l'obligation. Et en fait concrètement, le droit d'avoir des enfants, mais sans en avoir l'obligation. C'est quelque chose qui permet le contrôle de madame après la séparation. Si jamais madame refuse le contact que monsieur aurait avec les enfants, si jamais elle refuse, qu'elle le souhaite, obtenir la garde exclusive, eh bien elle a le risque d'être qualifiée de aliénante. Et ça, c'est quelque chose sur lequel je vais passer rapidement. Mais c'est une notion qui est aujourd'hui vivement critiquée parce que la rapporteure spéciale des Nations Unies, Reem Alsalem, en demande le fait de ne plus utiliser cette notion, ni toutes les notions qui y sont rapportées, et d'interdire les expertises fondées sur la notion et même d'interdire l'exercice des experts qui font l'usage de cette notion. Donc l'ONU prend les choses très au sérieux. On a aussi devant le Parlement européen, on a aussi tout un tas, tout un tas d'institutions, le GREVIO. Je ne vais pas rentrer dans les détails de ce qu'est le GREVIO, mais c'est au niveau du Conseil de l'Europe et en fait l'aliénation parentale. Pendant longtemps, elle a infusé dans les tribunaux et en fait, c'était l'idée, la manière de décrire les situations dans lesquelles un enfant rejette un parent de façon injustifiée. Et en fait, on a constaté dans notre étude avec Gwenola Sueur, auprès d'entretiens, dans des entretiens avec des femmes, qui est accusée d'aliénation parentale, qu'en fait le contexte, c'était la violence conjugale. En fait, elle était accusée d'être aliénante alors qu'elle était victime de violences conjugales, que du coup, le fait d'éloigner ou d'essayer d'éloigner ou de protéger l'enfant du père violent était justifié. Mais pour autant, on considérait qu'elles étaient aliénantes parce qu'en fait on préférait objectiver ça. On préférait constater le fait que madame tentait d'éloigner le père des enfants plutôt que de reconnaître le contexte de violence conjugale qui expliquait les mesures de protection que madame essayait, désespérément de mettre en place. Et donc, en fait, cette théorie-là d'aliénation parentale a mis au-dessus de la hiérarchie la question du maintien du lien du père avec l'enfant. Quoi qu'il en coûte, quoi qu'il arrive. Et elle a complètement occulté la prise en compte de la violence conjugale dans lequel il doit y avoir une cessation ou une diminution du lien. Parce que c'est justement ce lien-là qui permet la perpétuation de la violence. C'est parce que la violence conjugale touche aussi directement les enfants. Et donc cette notion-là, comme je le disais, est très contestée. Elle est infondée scientifiquement. On a constaté qu'aujourd'hui les accusations d'aliénation parentale peuvent être implicites. Elles ne sont pas nommées. Ce n'est pas forcément toujours nommé aliénation parentale, mais on peut parler de mères fusionnelles. On peut dire Madame tente d'empêcher le lien du père avec les enfants et il peut arriver que des femmes qui dénoncent de la violence, y compris de la violence sur leur enfant, finissent par perdre la garde de leurs enfants parce qu'elles sont accusées d'être aliénantes. Et donc, très concrètement, c'est une étiquette qui nous empêche de penser, qui nous empêche d'identifier la violence et qui culpabilise la mère et cette mère qui est accusée d'être aliénante, elle est disqualifiée alors qu'en fait elle cherche à limiter les contacts parce qu'elle sait, qu'elle est dans une logique de protection. Et donc, pour conclure, on a en fait ce modèle là, qui est un modèle des trois planètes, qui est en fait une manière de conceptualiser et d'essayer de comprendre pourquoi est-ce que les choses, j'allais dire, ne tournent pas rond. Pourquoi est-ce qu'on oblige des femmes et des enfants à avoir contact avec des personnes qui les agressent ? Pourquoi est-ce que la violence continue après la séparation ? Pourquoi est-ce qu'on considère que c'est juste des conflits de couple ? Pourquoi est-ce que les agresseurs peuvent continuer à utiliser les institutions pour harceler madame après la séparation, pour qu'on les oblige à avoir des contacts ? Eh bien, c'est parce qu'on a l'intérêt de l'enfant et la coparentalité qui sont confondus. En fait, il y a cette notion en droit de la famille où l'intérêt de l'enfant, le juge aux affaires familiales doit juger en fonction de cela. C'est cela et uniquement cela. J'ai envie de dire, sur lequel il doit juger. Et on a trop pendant trop longtemps. Et même si encore c'est aujourd'hui un peu remis en question, considéré que le meilleur intérêt de l'enfant, c'est d'avoir un lien avec ses deux parents quoi qu'il arrive. Et donc on a avec ce réflexe-là oublié que la violence conjugale était justement une situation qui devait faire exception au principe de coparentalité. Dans ce cadre-là, l'intérêt de l'enfant, c'est d'être protégé de la violence plus que d'être mis dans le cadre de la violence, encore une fois, avec son père. Et donc ce modèle des trois planètes, c'est un modèle selon lequel ces différentes dimensions là dont je viens de parler, sont séparées. En fait, on sépare la violence conjugale des affaires familiales et de la protection de l'enfance, la planète violence conjugale. On parle de crimes, alors on parle de crimes parce que dans les pays anglo saxons, on ne fait pas la distinction entre délits et crimes. Donc c’est crime, crimes de l'homme sur la femme et dans cette planète de la police et le tribunal peuvent intervenir pour protéger cette dernière. En protection de l'enfance, on parle de familles abusées, vous dysfonctionnelles et on considère souvent que c'est à la mère de protéger les enfants, sinon la garde peut lui être retirée. Et dans la planète, affaire familiale, on parle de responsabilité parentale ou de coparentalité. Et donc on demande le maintien des droits, du lien, le maintien des droits du père et du lien père enfant, même s'il est violent. Et donc ces planètes-là ont des logiques différentes, elles ne communiquent pas entre elles et elles produisent les situations que je viens de vous décrire avec les pôles vie qui se mettent en place, avec la prise en compte de ces différentes dimensions, le lien entre parentalité et violence conjugale qui est fait, on peut espérer une amélioration actuellement et dans les dans les années. Moi j'ai envie de dire dans les jours à venir, ce sera tellement bien. C'est sans doute quelque chose qui va prendre du temps, mais on peut peut être espérer une amélioration de ce point de vue-là. Si jamais vous souhaitez en savoir éventuellement plus que ma conférence vous a donné envie de lire des choses, il y a ces deux ouvrages. Il y a un ouvrage qui s'appelle Le meilleur intérêt de l'enfant victime de violences conjugales, paru aux Presses de l'Université du Québec en 2022. Ou Gwenola Sur et moi-même avons un chapitre sur justement la question des droits des pères, comment elle a infusé la justice aux affaires familiales en France et contribué à occulter la violence conjugale. Et un numéro de la revue Empan sur les violences conjugales et en 2025, aux Presses de l'Université du Québec, va paraître un ouvrage collectif sur le contrôle coercitif. Si jamais ça vous intéresse et si jamais vous souhaitez d'ores et déjà en savoir plus et que vous préférez de son. Il y a des interventions à moi et aussi à Gwenola Sueur qui sont disponibles sur YouTube. Et puis on a des publications en accès libre sur la plateforme HAL et des podcasts dans lesquels on a intervenu comme les couilles sur la table avec Victoire Tuaillon ou ce genre de choses comme support pour aller plus loin. Je vous remercie beaucoup.
Marine Koch : Merci beaucoup. Merci beaucoup du coup pour votre intervention qui était vraiment très très intéressante. Alors on a déjà plusieurs questions en ligne, mais peut être, et on peut commencer par une question de la salle, s'il y a des personnes dans la salle qui qui souhaitent intervenir, qui souhaitent poser une question. Pas spécialement, mais on peut commencer par les questions en ligne. Et puis peut être que ça motivera d’autres interrogations. Alors, on a une première question qui a été posée tout à l'heure, quand vous parliez de tout l'aspect juridique. Donc, y a une personne qui demande : « Au Brésil, il existe une loi spécifique qui protège uniquement les femmes, loi Maria de Penha, -Je pense que je prononce très mal- au delà de l'inscription du féminicide dans le code pénal. Cette loi a entraîné une série de changements dans la structure de la police et du système judiciaire. Le droit français est apparemment neutre en matière de genre dans le traitement des violences conjugales. A votre avis, est ce qu'il existe en France une résistance à l'appréhension genrée des violences conjugales par le droit et si oui, pourquoi ? »
Pierre-Guillaume Prigent : Alors c'est une très bonne question et je ne suis pas sûr d'être le plus compétent pour pouvoir y répondre. Mais je peux plutôt renvoyer aux réflexions qu'une collègue a. C'est Glòria Casas Vila. Elle est docteur en sociologie. Elle est maître de conférences, maîtresse de conférences à l'Université de Toulouse et elle a fait sa thèse où elle a fait des entretiens avec des femmes qui, en Espagne, ont été victimes de violences conjugales et sont passées par un processus de médiation. Et en fait, l'Espagne aussi est un pays dans lequel les violences sont des violences genrées qu'il y a justement cette question là du genre qui intervient dans l'appréhension des violences et je pense, que j'en discute parfois avec elle. Elle me dit en France, on y arrivera pas. C'est à dire qu'il y a une culture justement de la neutralité du droit qui nous empêcherait de concevoir une possibilité de genrer les choses. Après, sur la question de l'efficacité des lois au Brésil, je ne les connais pas, mais en ce qui concerne l'Espagne, on était justement Gloria, Gwenola et moi et d'autres collègues à une conférence à Oxford récemment. C'était une conférence organisée par la professeure de droit de l'Université d'Oxford, Shazia Choudhry, qui a sorti une étude très importante où elle a fait des entretiens, elle et ses collègues avec des femmes en pays d'Europe. Et en fait, lorsque sur la question des violences et en fait lorsque Gloria nous parlait de la situation en Espagne, on voyait par exemple que là-bas, le nombre d'ordonnances de protection était bien plus élevé qu'en France, que ça semble être mieux pris au sérieux, sans que ce soit évidemment parfait. Donc on peut supposer que l'approche genrée est effectivement une approche qui est plus efficace, mais qui est liée à la culture aussi du pays, à la présence de mouvements féministes aussi. Je pense qui ont apporté des choses à ce sujet-là et qui ont pu être entendues, et qu'en France il y a des raisons qui font que ce serait difficile à envisager. Voilà.
Marine Koch : Merci beaucoup. Oui, c'est vrai qu'en Espagne, il y a quand même pas mal de choses qui sont faites sur la lutte contre les VSS et les discriminations. Donc effectivement c'est pas surprenant. On a une autre… on a des questions dans la salle, comme ça on peut alterner peut-être un peu. Merci. Personne dans la salle : Euh bonjour ou bonsoir ? Pardon, J'avais une question. Pardon au contrôle donc sur les victimes. Est-ce que quelqu'un qui va imposer son contrôle le fera toute sa vie ? Donc est ce qu'on peut changer quelqu'un qui veut faire ça ? Et du coup, par rapport à cette. Par rapport à cette question-là, j'avais noté. Est-ce que dans les cas de contrôle, il faut partir direct ou essayer de remédier à ça ? Est-ce que c'est possible de changer quelqu'un de manipulateur ? Et surtout, quand des enfants sont impliqués dans cette histoire ?
Pierre-Guillaume Prigent : Alors c'est une question qui est complexe. Je vais essayer de prendre par la façon dont les politiques publiques tentent de faire face. Et justement la question de la prise en charge des auteurs qui, du coup, depuis quelques années, est davantage développée sur le territoire avec les centres de prise en charge des auteurs, les CPCA. Il y avait déjà d'autres associations qui le faisaient avant. Et en fait, là, en ce moment, je pense qu'il y a beaucoup justement d'associations, je pense à la fédération Citoyens Justice qui sont en interrogation sur comment faire mieux les choses. Là, actuellement, les articles scientifiques nous disent que les programmes de prise en charge des auteurs ont des effets faibles ou nuls, et donc c'est un peu décourageant. Mais si jamais on devait aller dans le sens de oui, les faire changer. Alors déjà, je pense que de manière définitive, je pourrais pas dire c'est foutu, ils changeront jamais. Ma question serait plutôt est ce qu'on peut les faire changer ? Et si oui, comment ? Eh bien il y a cette question-là de faire en sorte que le contexte social qui favorise le contrôle soit moins puissant. C'est à dire que là, la question du contrôle ne se résume pas aux frustrations d'un individu qui cherche juste à contrôler madame et qui le fait parce qu'il est déviant, parce qu'il a un problème dans la tête. C'est ça un contexte social qui le lui permet. Et donc il y a des représentations, il y a des normes inégalitaires qui font qu'on justifie le fait de contrôler Madame. Dans des communautés, toutes les communautés en fait dans des groupes. Si jamais on regarde par exemple dans le milieu du sport ou alors dans certains sports, il peut y avoir des manière d'appréhender la relation avec la conjointe où on pense que madame doit faire ceci ou cela. Il peut y avoir d'autres mondes sociaux. Je pense. En fait, ce n'est pas que, Comment dire ? C'est à dire que les hommes se retrouvent aussi dans des communautés, Les hommes qui font ça, qui contrôlent, qui sont violents, peuvent se retrouver dans des communautés qui peuvent légitimer ce qu'ils font, appuyer leur désir de continuer à faire ce qu'ils font, le tolérer, voire même les encourager à le faire. Et je pense que c'est ça qu'il faut diminuer en fait. C'est à dire qu'il y a un besoin d'un changement social pour que la société, justement, refuse de considérer que ce contrôle-là est juste. Et quand les auteurs de violences n'auront plus l'appui social, ils pourront plus continuer à contrôler. Alors je dis ça, c'est un peu théorique et facile, mais je pense qu'il n'y a pas juste une question psychologique de prise en charge individuelle des individus. C'est un changement social plus important qui est nécessaire. Et je pense que quand on se donnera les moyens de le faire, on pourra envisager le fait que oui, ça s'arrête très concrètement. Pour vous dire, lorsque je fais des entretiens avec des femmes, les hommes arrêtent d'être contrôlants et violents, Quand en fait les femmes sont vraiment soutenus et quand ils savent qu'ils n'arrivent plus à la contrôler et en fait c'est un ensemble de choses, c'est je pense qu'il faut les soutenir pour créer concrètement un rapport de force sans qu'on aille ou qu'on soit violent envers Monsieur. C'est juste de montrer une forme de soutien collectif, un soutien pérenne, puissant avec la victime qui fait que Monsieur, il va se rendre compte qu'en fait il ne peut plus continuer à faire ce qu'il fait, que ce n'est plus tolérable et que Madame aussi va se rendre compte que par exemple, elle a moins peur de monsieur au fil du temps. Si jamais elle est aidée, si jamais il y a des gens qui là qui l'accompagnent pendant les remises, eh bien il y a certaines stratégies qu'elle va mettre en œuvre qui sont relatives à la peur, qui vont progressivement diminuer. Donc, je pense que si vraiment on travaille avec elle dans une perspective psychologique, oui aussi, mais en la soutenant collectivement, bah ça limite la capacité de nuire de monsieur. Donc je pense que c'est ça aussi ce vers quoi il faut se tourner. Un homme contrôlant et violent de lui-même, cesser d'être contrôlant et violent dans la situation actuelle dans la société actuelle, c'est compliqué à envisager. Il y a peu de rédemption qui vienne de nulle part. Il y a des gens qui lui ont dit : « arrête ! » Et c'est comme ça qu'il a réfléchi. Je pense. Et est-ce qu'il est majoritairement constaté que cette violence est due à un contexte familial vécu par le mari précédemment, lors de son enfance ? Ou est ce qu'il est né de l'individu à lui-même ? Alors en fait, quand on regarde le profil d'hommes qui exercent de la violence conjugale, des fois, on se dit tiens, ils ont été victimes de violence pendant leur enfance. En fait, ce n'est pas nécessaire. On a souvent un biais on regarde des études qui sont faites auprès d'auteurs de violence qui, par exemple, ont été condamnés, qui donc ont exercé des violences d'une gravité telle qu'ils en ont été condamnés. Et parmi ces gens-là, on peut supposer qu'effectivement la violence familiale vécue dans l'enfance a provoqué un rapport à la violence de banalisation et un exercice fort de la violence. Je pense qu'il y a un lien qui peut empirer, qui peut accélérer, qui peut banaliser l'exercice de la violence. Mais pour autant, il y a plein d'hommes qui peuvent contrôler leur conjointe, la dévaloriser, l'isoler, la priver de ressources sans la frapper, sans l'humilier de manière extrêmement violente, mais qui, eux, n'auront pas nécessairement été victimes de violence dans l'enfance. Et si jamais on devait comparer la proportion d'hommes et de femmes qui ont été victimes de violence pendant l'enfance, eh bien il y a quand même quelque chose qu'il faut toujours constater, c'est que oui, même si jamais on reconnaît qu'il y a beaucoup d'hommes auteurs de violences conjugales condamnées qui ont été victimes pendant l'enfance, comment ça se fait, alors que les femmes sont davantage victimes de violences dans l'enfance qu'elles ne deviennent pas elles-mêmes autrices de violences conjugales ? Eh bien ça, c'est quelque chose qu'on appelle le patriarcat. Ou alors les inégalités hommes-femmes. Une société qui produit un rapport à la violence, qui légitime de la violence, qui permet à une catégorie d'individus de dire je peux le faire. Et une autre catégorie d'individus à qui on dit et si tu parles, tu risques d'être isolée et on t'écoutera pas. Je caricature un peu, mais voilà. La violence, elle se reproduit pas mécaniquement. Il y a des inégalités aussi là-dessus.
Marine Koch : Je vais peut-être poser une question en ligne parce qu'on a beaucoup de questions en ligne et comme ça on alterne un petit peu. On vous retient en salle, mais comme ça on alterne avec les questions en ligne où il y a une personne qui demande. Donc, par rapport à ce que vous disiez tout à l'heure, « Le problème de la plainte pour violences psychologiques et de contrôle n'est-il pas de pouvoir le prouver ? ».
Pierre-Guillaume Prigent : Oui. Alors en fait, je pense qu'il y a plusieurs choses là-dessus. C'est d'une part, il faut les prouver et une fois qu'on les a prouvé, il faut que les juges considèrent qu'ils ont une forme de gravité. Et donc en gros, ça veut dire que oui, on peut prouver des violences psychologiques. Typiquement les SMS, les mails, les appels téléphoniques, tout ça. Vous pouvez l'utiliser au pénal. Je rappelle que la preuve est libre au niveau du pénal et donc on peut l'obtenir de manière y compris déloyale. C'est à dire que des enregistrements produits à l'insu du conjoint peuvent être utilisés en justice pénale, au niveau civil, juge aux affaires familiales, c'est pas possible, sauf exception. Il y a des jurisprudences et des combats en ce moment qui sont menées d'ailleurs parce que ça peut être intéressant de pouvoir prouver de la violence conjugale avec des enregistrements devant le juge aux affaires familiales. Mais il faut effectivement déjà les prouver et ensuite il faut qu'il y ait une forme de gravité. Et donc au niveau pénal, désolé, de faire mon juriste qui n'en est pas un, mais vu que je bosse avec des avocats, je commence à être un peu calé sur des trucs quand même. Donc je prodigue un peu des conseils dans ce sens-là. Il y a la question de l’ITT en fait. On peut aller voir un médecin et donc il peut nous faire un certificat et nous donner des incapacités totale de travail qui sont comptés selon le nombre de jours. Et en fait de la difficulté pour les femmes qui sont davantage victimes de violences psychologiques, c'est que, je pense mon hypothèse serait que les médecins auraient moins tendance à mettre des ITT dans ces cas-là que dans les cas de violences physiques. Pourquoi ? Parce que le médecin peut constater la violence physique qui est parfois visible et d'ailleurs pas tout le temps. Toutes les violences physiques ne sont pas visibles, ne laisse pas de traces. Et du coup, c'est cette double difficulté là, à la fois des preuves de ça et puis il faut que le médecin, puis ensuite d'autres personnes reconnaissent la gravité de la violence psychologique. Juste un tout petit élément quand même par rapport aux ordonnances de protection. Alors les femmes victimes de violences conjugales et toute personne victime de violences conjugales peut demander une ordonnance de protection devant le juge aux affaires familiales. Ce sont des mesures qui vont permettre d'éviter que le conjoint se rapproche de madame, rentre en contact avec elle. Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais ce qu'une étude d'une collègue s'appelle Solenne Jouanneau qui a écrit un bouquin super qui s'appelle « Les femmes et les enfants . D'abord, un titre vraiment génial, donc c'est une enquête sur l'ordonnance de protection. Elle montre en fait que récemment, un quart des ordonnances de protection sont délivrées alors qu'il n'y a que des violences psychologiques. Et c'est quand même pas négligeable en fait. Donc je me dis il y a quand même une prise en compte des violences psychologiques. En tout cas, au moins dans le cadre de l'ordonnance de protection qui commence à arriver. Donc ça, c'est intéressant. Merci.
Personne dans la salle : Bonsoir. Alors je vous remercie pour votre conférence et moi j'étais intéressé à écouter davantage d'autres exemples du contrôle coercitive après la séparation où le père, vous avez dit l'exemple du basket ou du football si je me souviens bien, et j'aimerais entendre davantage D’autres exemples où la demande de père le plutôt liée à une certaine ex conjugalité, et qui n'était pas vraiment intéressé à la parentalité. Moi en tant que psychologue, la protection de l'enfance, ça m'intéresse bien d’écouter d'autres récits, d'autres exemples. Merci.
Pierre-Guillaume Prigent : Donc vous voulez dire quand il n'y a pas forcément d'enfant ?
Personne dans la salle : Exactement quand il y a des enfants. Mais les pères, ils essaient de se rapprocher de la mère ou peut être faire partie de la vie des enfants. Oui, mais pas activement intéressé en tant que père, mais en tant qu'ex conjoint. Oui, c'est plus clair ?
Pierre-Guillaume Prigent : Oui, oui, tout à fait. Oui. Alors en fait là, moi dans mes entretiens, effectivement, je m'intéressais à des femmes pour qui la question de la résidence des enfants a fait l'objet d'un conflit au niveau judiciaire avec une procédure devant le juge aux affaires familiales. Mais ce que j'ai pu constater aussi, c'est que certains hommes, et ça, ça va au delà de la question. Il y a des enfants, c'est qu'ils peuvent ne pas accepter la rupture et vouloir justement forcer la réconciliation avec Madame. Et donc ça, c'est ce que dit Patrizia Romito justement. Elle dit Il y a plusieurs raisons qui peuvent bloquer, qui expliquent la violence. La séparation, c'est notamment forcer la réconciliation et donc retenter que d'imposer à madame à nouveau la vie conjugale. Et donc Monsieur qui essaie d'aller chez elle, qui reste chez elle, qui veut rester chez elle. Il peut y avoir aussi des formes de chantage à la sexualité ou ce genre de choses-là, des manières d'imposer des choses. Si jamais tu ne fais pas ça ou que tu ne donnes pas ça, dans ce cas là, je vais raconter à tout le monde que tu as fait ceci ou cela. Et donc ça, c'est des formes qui peuvent exister et qui sont des formes de pression sur l’ex-conjointe, qui sont dans le cadre du contrôle coercitif, qui impliquent pas nécessairement immédiatement les enfants, mais qu'on peut retrouver dans ce contexte là. Effectivement. Est ce que c'est clair ? Merci. Merci beaucoup. C'est très intéressant.
Personne dans la salle : Deux points que j'aimerais aborder. Le premier que je trouve assez intéressant. Vous avez parlé beaucoup de tactique ou de stratégie, comme si l'agresseur avait établi une stratégie réfléchie, qu'elle y avait mis beaucoup de temps. Et donc je me pose la question de l'intentionnalité dans l'agression. Est-ce que l'agresseur est conscient de ce qu'il fait ? Est ce qu'il y a des moments de conscience après avoir effectué un acte violent ? Et donc après sur la récurrence, pourquoi est-ce que ça, disons que ça s'établit dans le temps ? Donc ce premier point et après peut être un second point aussi, c'est selon cette même ligne autour de nous comment est-ce qu'on peut réussir à identifier ce type de violence ? Mais peut être avant même qu’elles arrivent. Et identifier les types de personnes susceptibles d'engager dans ce type de violence.
Pierre-Guillaume Prigent : Ça, c'est la question à laquelle on n'aura finalement jamais de réponse. C'est la question de l'intention. On n’aura jamais la possibilité de prouver de manière définitive l'intention de quelqu'un. Alors, au niveau du pénal, c'est encore plus complexe. Donc moi je me situe pas forcément sur cette question-là. En fait, du point de vue sociologique, lorsqu'on parle de stratégie et tactique, on ne parle pas forcément d'une mise en œuvre d'un plan qui vise à dominer le monde extrêmement précis, avec des étapes très construites. Mais en gros, c'est la mise en place d'un processus où, en fait, on pense que, en mettant en place certains comportements, on va obtenir un résultat que l'on souhaite provoquer justement par ce comportement-là. Et donc typiquement, en fait, quand on apprend à vivre ensemble, nous les êtres humains, les hommes et les femmes, eh bien on apprend qu'il y a des manières d'obtenir de certaines personnes des choses. Et en fait, ça, on l'apprend tout au long de notre enfance et tout au long de notre vie. Et donc je pense que la question de la violence conjugale, elle se base aussi sur le fait que les hommes apprennent qu'ils peuvent dominer les femmes dans la vie quotidienne, qu'ils peuvent obtenir des femmes certaines choses que parfois on leur dira pas forcément que c'est grave, qu'à la cour d'école ils ont le droit de prendre toute la place et d'exclure les filles du terrain de foot. Et donc déjà, il y a une question de rapport à l'appropriation de l'espace qui se joue de manière assez rapide, que eux, ils doivent être forts, qu'elles, elles pleurent et qu'ils apprennent à dévaloriser, à mépriser les émotions des femmes, à ne pas les prendre en compte. Ça, il y a tout un tas d'études en psycho du développement, enfin pas forcément qu’en psycho du développement, mais sur le développement des enfants et plutôt des études en socio, sur des observations d'enfants qui constatent cela. Et donc je pense que la stratégie, ça se base plutôt là-dessus. Sur une conscience des interactions, des effets qu'on a sur les personnes, et on se dit bah en fait, si je fais ça, ça peut marcher. Et en fait si jamais quelqu'un qui est libre, si jamais je lui dis que tel ami c'est un gros con pour que je vois pas qu'elle le revoit, peut-être qu'elle le verra plus. Et en fait, les agresseurs ils font ça. En fait ils se disent c'est assez facile, on peut le faire parce qu'en fait on les laisse faire. Et du coup je pense que pour répondre à la deuxième partie de votre question, en fait, vous prenez toutes les tactiques que j'ai pu identifier : isolement, contrôle, intimidation, violence. Et puis vous constatez que cette personne à qui vous suspectez entre guillemets d'avoir ce type d'intention là a tendance à isoler la personne. Genre est ce que la victime ou celle qui pourrait le devenir commence à s'éloigner de vous, à trouver des excuses pour ne pas venir aux soirées ? Ou alors vous rencontrer ou travailler avec vous, parler avec vous, Est-ce que vous constatez, éventuellement une sorte de sentiment d'isolement chez elle, ou alors un éloignement même quand elle est avec vous. En fait, elle est plus distante. Est-ce que vous avez l'impression qu'elle a tendance à se dévaloriser davantage qu'avant ? Et en fait, vous pouvez prendre chacune des tactiques et puis constater si jamais il y a cet ensemble-là. Et il se peut que le conjoint soit un conjoint violent. Et je pense que les conjoints violents sont des conjoints qui cherchent à s'approprier les victimes. Et on peut le voir dans leur comportement, certains arrivent à le cacher en public, mais on peut arriver parfois justement à partir de ces différents détails là, avoir des indices sur ce qui est susceptible de passer. Mais il y a un truc aussi que je dois dire quand même, c'est toute la difficulté. On peut être expert de la violence et soi-même, ne pas avoir vu qu'il y avait des processus autour de nous qui relevaient de ça. Parce qu'il y a des agresseurs qui sont entre guillemets très forts. Alors c'est bête de le dire comme ça, mais qui arrivent à montrer en public une image parfaite qui arrivent à réguler l'image, de même à réguler aussi en même temps la victime. Et donc là, pour le coup, on peut avoir des histoires où des femmes, quinze ans, 20 ans après vont vous voir et vous dit mais pourquoi t'as pas vu qu'il m'avait fait ça ? Eh bien y a des moments où on se dit est ce qu'on pouvait le voir ? Et donc moi, j'aimerais qu'on se donne les moyens collectivement de le voir, qu'on apprenne à le détecter et qu'on soit moins tolérant envers les comportements de contrôle pour que ce soit mis sur la table. Mais en l'état actuel des choses, si jamais des gens l'ont pas vu il y a quinze ans, c'est pas forcément des horribles personnages qui n'ont rien vu. Je pense qu'il y avait un contexte invisibilisation aussi de la violence qu'il ne faut pas oublier.
Marine Koch : Merci beaucoup. Personne dans la salle : Bonsoir, lors de l'introduction, vous avez été assez neutre dans la présentation et au final en présentant l'échantillon très rapidement, c'est basé sur le récit des femmes que vous avez rencontrées et des entretiens uniquement auprès de femmes. Et donc ce que je me demandais, c'est est ce que c'était effectivement un choix posé au départ ou est ce que le mode de recrutement a fait que finalement les personnes qui se sont présentées à vous, c'était surtout des femmes ? Et du coup, est ce qu'il y en a qui travaillent aussi sur ce nombre ? Même si vous l'avez dit, ils sont moins nombreux, Mais ils existent aussi. Et du coup, est ce que c'est les mêmes formes de mécanismes qui se mettent à l'œuvre ? Est ce qu'on peut observer les mêmes mises à l'écart ou est-ce que ça s'exprime autrement ?
Pierre-Guillaume Prigent : Alors en fait, justement, en voyant les écarts, Enfin ma thèse a surgit du fait qu'on ne parlait pas des violences après la séparation en France ou très peu, il y avait quelques personnes, quelques associations qui en parlaient. On avait Patrizia Romito qui avait écrit cet article en 2011 sur les violences conjugales, parce que c'est ça qui m'a donné envie de travailler là-dessus. Et en fait, elle, elle disait c'est davantage les femmes, mais il y a des chiffres qui montrent que. Et donc moi, je me suis vraiment concentrée là-dessus pour mieux le comprendre. Et après, sur la question des hommes, justement, en fait, ils sont peu nombreux à déclarer des violences parce que. Et encore moins en fait proportionnellement par rapport aux femmes. Donc ça c'est intéressant. C'est probable qu'il y ait cette question-là de la résidence des enfants qui y soit liée. En fait, ils demandent moins la garde des enfants. Et donc la question des enfants est peut être moins 1 enjeu pour les hommes qui seraient victimes de violences conjugales après la séparation. C'est une hypothèse déjà une grosse hypothèse. Après, il faudrait expliciter des choses et des mécanismes, mais en fait il y a des travaux qui sont faits actuellement sur les violences conjugales envers les hommes et en fait, ce que ces travaux expliquent, et là je pense à des collègues britanniques, notamment Nicole Westmarland et Stephen Burrell. En fait, ils montrent que lorsque des hommes déclarent des violences conjugales, ce qui rend la violence conjugale à un degré particulièrement important, c'est qu'ils sont en fait vulnérables parce qu'ils sont soit en situation de handicap, soit en situation irrégulière du point de vue administratif, soit ont des troubles psychiques qui font qu'il y a une vulnérabilité où l'autre, l'autrice des violences peut s'en servir pour exercer du contrôle. Et donc, en fait, il est rare qu'on trouve des situations de violence contre des hommes qui soient très graves sans qu'il y ait un élément qui favorise leur vulnérabilité. Donc pour moi ça révèle l'importance du rapport de domination Hommes-femmes en fait, que pour qu'un homme puisse être dominé par une femme, il faut qu'il puisse l'être sous un autre contexte. Après voilà, je vous invite à attendre aussi parce qu'il y a une thèse en cours de quelqu'un dont j'ai oublié le nom, en France. Ça commence par un « A » son prénom et donc je suis complètement désolé vis à vis d'elle et vis à vis de vous parce que je retrouve son nom. Mais il y aura une thèse, je crois qu'elle devrait être soutenue dans pas longtemps. Fait des entretiens auprès d'hommes victimes de violences conjugales. Si jamais ça me revient, je vous le dirai plus tard.
Marine Koch : Peut-être une dernière question…Une question dans la salle et une dernière question en ligne, je suis désolée pour les personnes en ligne qui ont plein de questions, mais on a déjà bien débordé sur le temps. Personne dans la salle : J'avais une question dans le cas de figure où on a remarqué des tactiques, on remarque qu'une personne a l'air ou est sous emprise de son conjoint, mais c'est vraiment les prémices du contrôle etc. Et on a l'impression dans le cas de figure où on sait pas comment aider cette personne, même si vous avez abordé le soutien, être présent etc. Mais on voit que cette personne, on a l'impression qu'elle est en train de s'isoler de plus en plus. On n'arrive pas soit à lui faire prendre conscience. Peut-être qu'elle a conscience de ça, mais qu'elle a. Comme elle est sous emprise, elle, elle va pas vers nous. Elle s'éloigne de nous. Que comment on peut… ? Quelles sont les ressources en fait pour aider cette personne ?
Pierre-Guillaume Prigent : Alors j'ai retrouvé le nom de la personne, c'est Auréliane Couppey. Voilà Auréliane Couppey pour la thèse sur les hommes victimes de violence conjugale. Et donc je réponds à votre question. En fait, je trouve que Marie-France Cavallis du collectif féministe contre le viol. Donc quand elle fait le modèle de la stratégie de l'agresseur, elle dit ce que l'agresseur fait. Et ce que nous, on doit faire face à ça ? Et en fait, elle dit Bien, par exemple, il isole la victime, nous on l'entoure. Et donc si jamais vous avez une personne que vous connaissez autour de vous, qui commence à aimer des comportements qui seraient relatifs à une forme d'emprise qui se manifeste par une tentative de couper les liens avec vous, eh bien vous pouvez la rattraper. Vous pouvez justement essayer de lui dire Non, viens ! Et puis on peut parler, etc. Et je pense que lorsqu'une emprise se met en place, c'est un processus où déjà il faut que la personne, elle se rende compte de ce qui se passe, qui n'est pas évident. Et ensuite, si j'ai envie de dire, on s'en rend souvent compte trop tard, c'est à dire que le processus est mis en place et là on le comprend. Quand il y a quelque chose qui devient explicitement problématique. Mais avant que ça se passe, je pense qu'on peut déjà mettre en place des choses et identifier, faire l'inverse de ce que monsieur ferait. Donc l'entourer si jamais il la dévalorise, c'est la valoriser. C'est si jamais il la terrorise, eh bien nous, en fait, on cherche à la rassurer. Et d'ailleurs, si jamais il y a une personne qui vous dit : « moi j'ai peur de mon conjoint », alors vous vous dites ouais, c'est déjà ça, un signe qu'il y a quand même un souci. Mais étant donné que ça commence souvent par isolement et dévalorisation, déjà des signes d'isolement et de dévalorisation, je me dis on fait l'inverse. En fait, toute personne mérite qu'on lui fasse ça. C'est mon côté bisounours. Désolé mais en fait en vrai il y a ça aussi. Je pense que si jamais on va aller encore plus loin dans la dimension sociale de la violence, il y a ce truc là en fait. Il y a des personnes qui méritent d'être isolées, des personnes qui méritent d'être dévalorisées. Et en fait on pourrait dire bah non, en fait, toute personne a le droit d'être entourée, d'avoir des amis, d'être valorisée. Donc je me dis qu'il y a aussi cette prise en compte de l'humanité de chaque personne avec laquelle il faudrait renouer pour éviter qu'il y ait des situations de violence qui s'aggravent au fil du temps.
Magalie Vigier : Je me permets juste de compléter aussi pour les personnes qui entourent les personnes victimes de violences conjugales, on a des dispositifs d'accompagnement et de prise en charge qui sont les mêmes que pour les victimes elles-mêmes. Je pense notamment à deux associations qui sont constituées en fédération nationale et qui sont présentes partout sur le territoire national, qui accompagnent les victimes, mais qui peuvent aussi répondre aux questions de l'entourage. Et je pense que quand on est proche d'une victime de violences conjugales, on a en effet plein de questions sur comment faire au mieux pour l'accompagner dans sa temporalité, dans ce qu'elle vit au quotidien et on peut prendre des conseils auprès de ces associations qui sont aussi là pour répondre à l'entourage, aux familles, aux proches. Donc c'est ce sont les CIDFF, les centres d'information des droits des femmes et des familles dans le Nord notamment, On en a dans quasiment tous les territoires. Et puis on a la Fédération nationale Solidarité Femmes qui est aussi présente sur tous les territoires et qui porte notamment le numéro 3919 qui permet à toute victime et aussi à son entourage d'avoir des liens, des renseignements, des conseils. Donc voilà. Femmes où les Centres d'information des droits des femmes et des familles.
Marine Koch : Merci pour ces précisions. Et du coup, peut-être une dernière question en ligne. Y a certaines questions lignes qui ont déjà été répondu Il y a une personne en ligne qui demande si c'est possible de voir le replay, alors le replay sera à minima disponible sur le site de la chaire Diversité et Inclusion de l'EDHEC. Et du coup de dernière question, je suis désolée, on choisit un petit peu par rapport aux questions qui sont en ligne. Il y a une personne qui demande pourquoi nombre d'auteurs se suicident après avoir commis un féminicide.
Pierre-Guillaume Prigent : Hmmm. Je ne sais pas. Je. Alors je. En fait, je pense que quand une personne se suicide, c'est très difficile de déterminer la raison pour laquelle elle l'a fait de manière générale. Et là, j'ai envie de dire finalement. En tout cas, le contexte dans lequel les féministes ont lieu et les suicides après féminicide ont lieu, c'est justement l'idée que Monsieur se fait qu'il a perdu totalement le contrôle de Madame, que c'est foutu et que donc il a l'idée que si je ne peux pas t'avoir, personne ne pourra t'avoir Qui est l'une des phrases, marcher sur des œufs, ce type de phrase là, c'est typique de la violence conjugale. Donc le fait de tuer, certains parlent de crime d'appropriation. Sur la question des féminicides, je cite encore plein de collègues, mais il faut vraiment valoriser le travail des chercheuses et des chercheurs. Margot Giacinti, qui a fait une histoire des féminicides qui est absolument prodigieuse, qui a soutenu sa thèse et qui va, qui va bientôt publier un ouvrage tiré de sa thèse. Mais alors par contre spécifiquement pour la question du suicide, qu'est ce qui les pousse à se suicider ? Je pense que c'est dans la logique de se dire un achèvement, de se dire bon bah voilà, je l'ai éliminée. Moi je me dis aussi parce que c'était l'aboutissement de mon absence de contrôle si jamais je n'avais pu la contrôler, je ne peux plus rien faire. Quoi. Et donc c'est absolument terrible comme situation. Enfin je veux dire, on se dit et c'est qu'est ce qui. Qu'est ce qui leur passe dans la tête ? Moi, ça me dépasse. En fait, je comprends la logique sociale qui produit, qui produit ça, mais en fait on se dit mais c'est complètement con. Pourquoi est-ce que quelqu'un doit se dire je dois posséder quelqu'un jusqu'à la mort ? Ça n'a pas de sens. Voilà.
Marine Koch : Merci beaucoup pour votre intervention. Merci pour les questions. Il y a des personnes aussi en ligne qui vous remercient et on vous remercie beaucoup pour votre intervention. Merci beaucoup.
Dans le cadre de la Sustainability week, la Chaire Diversité & Inclusion, en collaboration avec Rise, l'association des étudiant.es LGBT de l'EDHEC, a eu l'honneur d'accueillir Pascal Gygax, directeur de l'équipe de Psycholinguistique et Psychologie Sociale Appliquée de l'Université de Fribourg.
La conférence portait sur le langage inclusif. La vidéo ci-contre reprend les principaux éléments abordés durant cette conférence.
01 Introduction : genre et androcentrisme
Bonjour, je m'appelle Pascal Gygax, je suis psycholinguiste et je co-dirige l'équipe de psycholinguistique et psychologie sociale appliquée de l'Université de Fribourg en Suisse.
Depuis plus de 17 ans, notre équipe travaille sur l'interprétation du masculin et sur les différentes formes de langage inclusif. Ce qui nous a toujours surpris dans cette question et dans ces débats, c'est que tout le monde a un avis. Nous n’avons encore jamais rencontré quelqu'un qui n'avait pas d'avis sur ce sujet. Les avis sont souvent très tranchés mais malheureusement pas souvent très documentés.
Dans les capsules que nous vous avons préparées, nous présentons un peu d'histoire, beaucoup de linguistique, beaucoup de psychologie pour asseoir les débats dans une argumentation plus scientifique. Nous présentons également des outils pratiques qui vous permettront, je l'espère, de nourrir peut-être des changements de pratique quotidienne pour adopter une communication plus inclusive. Même si dans nos capsules nous parlons beaucoup de femmes et d'hommes, nous vous invitons à dépasser la notion binaire de genre sans jamais oublier qu'il y a des personnes qui ne se considèrent ni femme, ni homme, et d'autres qui parfois se considèrent homme, parfois femme. Nous vous invitons également à ne jamais oublier que nous vivons dans une société androcentrée, c'est-à-dire qui tourne autour des hommes, et ceci depuis des siècles. Si l'on regarde la manière dont nos villes sont construites, dont nos écoles sont construites, dont notre éducation est construite, et même regardez les habits. L’habit qu'on dit neutre n'est pas du tout neutre ; c'est l'habit qui a été longtemps l'habit stéréotypé masculin. Pourquoi nous invitons à garder cela en tête ? Car le langage n'y a pas échappé et vous allez voir dans les capsules que non seulement le langage n'y a pas échappé mais le langage va également le nourrir.
02 Langage et pensée
Pour comprendre le lien entre langage et pensée, on peut se pencher sur les anthropologues du début du 20ème siècle. Edward Sapir et son assistant Benjamin Lee Whorf. Pour Edward Sapir, si une ethnie n'a que deux mots pour parler de la couleur, cette ethnie ne va voir que deux couleurs. Cette idée a d'ailleurs été reprise par George Orwell dans son livre 1984, dans lequel il décrit un régime totalitaire qui invente une langue, le newspeak, dans laquelle le mot liberté n'existe pas. L'idée de George Orwell, c'est que si le mot liberté n'existe pas, les personnes qui utilisent cette langue ne vont pas pouvoir penser le concept même de liberté. L'idée des anthropologues du début du 20e siècle a beaucoup été critiquée.
Maintenant, pour mieux comprendre le lien entre langage et pensée ou plutôt les idées modernes de ce lien-là, je vais l'illustrer par une petite expérience que j'ai effectuée avec mon collègue Michał Parzuchowski de l'Université de Sopot en Pologne. Dans cette expérience, on va à la bibliothèque universitaire et on s'approche de différentes tables ; et aux personnes qui sont en train de travailler, on leur dit : « Nous fêtons les 10 ans du département de psychologie et vous venez de gagner 2 francs ». Et on donne la pièce de 2 francs collée sur un petit bout de papier. Pour la moitié des personnes, sur le papier c'est noté « tient une pièce de 2 francs », pour l'autre moitié « tient une petite pièce de 2 francs ». C'est la même pièce mais une fois c'est une « pièce petite » et une fois c'est une pièce normale. On revient 3 minutes plus tard et on demande aux personnes à quel point elles sont contentes, allant de 1 (pas du tout contente) à 9 (très contente). Ce qu'on remarque, c'est que les personnes qui ont reçu la pièce sont plus contentes que celles qui ont reçu la « petite pièce ». Ce qu’il est important de comprendre, c'est qu'en fait le mot « petit » a attiré l'attention des personnes vers une propriété de la pièce qui n'est pas forcément pertinente. Donc le lien entre langage et pensée est le suivant : le langage offre un nombre limité d'options pour parler d'un monde illimité, et comme le langage a un nombre limité d'options, il va attirer notre attention vers certaines propriétés qui ne sont pas forcément pertinentes. Gardez en tête ce concept-là, car c'est celui qui va nous permettre de comprendre le lien entre langage et pensée, et le lien entre langage inclusif et pensée.
03 Les stéréotypes
Parmi les pratiques langagières quotidiennes qui vont influencer notre manière de nous représenter le genre, nous devons nous pencher sur la notion de stéréotype. Alors, la notion de stéréotype de genre n’est pas seulement associée aux mots eux-mêmes, mais également à notre manière de parler des femmes et des hommes. Si je vous mets ces termes à l’écran [déterminé, intelligente, indépendante, capable, compatissante, poli, compétent, autonome …], vous allez remarquer très rapidement que certains termes sont plus fortement associés à des femmes et certains termes sont plus fortement associés à des hommes.
Alors pourquoi ces termes ont cette association ? C’est simplement qu’à force d’être utilisés, à force d’être associés plus fréquemment à des femmes ou à des hommes, ces associations obtiennent des forces plus importantes dans notre cerveau. Et comme ces associations sont devenues très fortes, nous avons nous-mêmes tendance à les utiliser plus fréquemment. Le principe est simple : vous cherchez un mot simplement pour parler d’une personne, et parce que ce mot est plus associé soit à des femmes soit à des hommes, ce sont les mots qui vont apparaître plus rapidement dans votre cerveau et que vous allez vous-même utiliser. Comme vous les utilisez plus fréquemment, vous allez également exposer les personnes autour de vous à ces associations. C’est une sorte de cercle vicieux.
Alors, pour les journalistes ou pour les enseignantes et enseignants qui nous écoutent, souvent je leur dis : essayez de réfléchir à votre texte ou votre discours en changeant la personne à laquelle vous faites référence. Au lieu de parler par exemple de Nathalie, vous changez votre texte et vous dites Nicolas, et vous regardez si votre texte est toujours aussi cohérent. Si quelque chose vous paraît bizarre, c’est que vous avez utilisé un texte qui est probablement genré, un texte où vous avez utilisé des adjectifs pour décrire la personne qui sont stéréotypés.
Alors, les mots eux-mêmes sont stéréotypés, sont plus fréquemment associés à des femmes qu’à des hommes ou à des hommes qu’à des femmes, mais nous avons également des manières stéréotypées de nous exprimer, de parler des femmes et des hommes. Par exemple, dans une société androcentrée, nous avons tendance à utiliser des termes qui vont infantiliser les femmes. Cette infantilisation, on la voit de différentes manières : on la voit par exemple dans l’utilisation, qui tend gentiment à disparaître, de "Mademoiselle" pour parler d’une petite dame. Mais nous parlerons de "Mademoiselle" une autre fois, dans une autre capsule.
Nous avons également tendance à utiliser plus facilement des prénoms lorsque nous parlons de femmes ou à des femmes que lorsqu’on parle d’hommes ou à des hommes. On le voit dans les médias, on le voit souvent par exemple pour Ségolène et Sarkozy, pour Hillary et pour Trump. On voit qu’on utilise plus fréquemment ces prénoms féminins que des prénoms masculins. Vous pouvez vous-même remarquer, peut-être dans des séances de travail où vous êtes, à quelle vitesse les personnes vont utiliser un prénom féminin alors que le prénom masculin n’est pas utilisé.
Il y a d'autres manières d'infantiliser. Par exemple, on le voit dans certains titres de journaux où on parle des "filles de la Fed Cup" si on parle de tennis, et des "hommes de la Coupe Davis". Pour terminer cette manière stéréotypée de parler, on voit également que les questions qui sont posées typiquement dans les médias à des femmes ne sont pas les mêmes que celles posées à des hommes. On remarque que souvent les questions posées à des femmes vont faire référence à leur manière de s'habiller, tandis que pour les hommes, on parle d'un autre contenu qui n'est pas forcément lié. Si ça vous intéresse, je vous invite à suivre sur internet, sur le site coverthathlete.com, ces journalistes qui ont décidé d'aller poser aux sportifs des questions habituellement posées aux femmes, et inversement. Ces journalistes ont commencé à le faire en Chine aux Jeux olympiques, et vous pouvez voir les vidéos sur YouTube. Vous verrez à quel point les sportifs sont très étonnés des questions qui leur sont posées, habituellement adressées aux femmes. Ces petites vidéos vous permettront de comprendre cette manière différenciée qu'ont les journalistes de poser des questions à des femmes et à des hommes.
04 Ordre de mention
Parlons maintenant de l'ordre de mention, une pratique langagière qui échappe souvent à notre conscience mais qui est très importante dans notre manière de nous représenter le genre. Par ordre de mention, je me réfère simplement au fait que lorsque nous parlons de deux éléments, nous avons tendance à utiliser un ordre qui n'est pas aléatoire ni arbitraire, mais qui a un ordre sémantique, c'est-à-dire qui a du sens. Par exemple, lorsque vous parlez d'une table et d'une chaise, vous avez tendance à parler de la table en premier et de la chaise en second. Pourquoi ? Parce que nous avons tendance à parler des éléments plus grands en premier et des plus petits en second. Lorsqu'il s'agit d'êtres humains, nous utilisons certaines hiérarchies, comme l'âge : nous avons tendance à parler des personnes plus âgées en premier et des plus jeunes ensuite, typiquement mère et fille, père et fils.
Lorsque nous parlons d'hommes et de femmes — et là je fais exprès d'utiliser cet ordre — nous avons tendance dans une société androcentrée à nommer les hommes en premier. Par exemple, "mari et femme" : vous n'avez jamais entendu "femme et mari". Dans cet exemple, il y a une autre asymétrie intéressante : le mari peut être un mari et un homme, alors que pour la femme, le statut marital est confondu avec le terme qui la décrit. On voit que dans notre société, on a beaucoup de soucis avec le statut marital des femmes : on fête la Sainte Catherine à 25 ans pour les femmes non mariées, mais il n'y a pas de pendant masculin. Il y a eu dans l'histoire des hommes célibataires qui ont participé à la fête de la Sainte Catherine et devenaient les "rois de la Sainte Catherine". Ce qui est intéressant, c'est que lorsqu'on parle de femme et d'homme, d'homme et de femme, l'ordre est hiérarchique et on nomme la personne la plus importante en premier.
Pour bien comprendre cette idée d'importance, réfléchissez aux couples que vous connaissez autour de vous, qu'ils soient hétérosexuels ou homosexuels. Vous avez tendance à nommer toujours la même personne en premier, celle qui vous est la plus importante, que vous avez rencontrée en premier ou qui vous est la plus proche. De fait, c'est la personne la plus importante. Et c'est là qu'on comprend, dans une société où on nomme toujours les mêmes personnes en premier, cette notion de hiérarchie. On peut voir un autre exemple dans le couple "Adam et Ève" : vous n'avez jamais entendu "Ève et Adam". On voit cette hiérarchie dans la peinture : pour les langues qui se lisent de gauche à droite, Adam est peint à gauche ; pour les langues qui se lisent de droite à gauche, comme le farsi, Adam est peint à droite et Ève à gauche. Cette notion d'importance se retrouve aussi dans les aspects visuels.
Il existe des contre-exemples, principalement un : "Mesdames et Messieurs". Ce changement d'ordre a été opéré au XVIIIe siècle pour des raisons paternalistes, ce qu'on appelle l'effet Titanic : "les femmes et les enfants d'abord". C'est le seul exemple historique où les femmes sont nommées en premier. Tout le reste, les hommes sont nommés en premier.
Maintenant, vous vous demandez peut-être quel est le lien entre langage et pensée. Quel est l'impact de cet ordre de mention ? Essayez l'expérience : si je vous demande d'écrire une histoire sur un homme d'affaires et une femme d'affaires, ou sur une femme d'affaires et un homme d'affaires, vous verrez que l'histoire sera centrée sur la première personne mentionnée. Et là, on comprend toute l'importance de cet ordre de mention.
05 Temps et prises de parole
Dans les autres capsules, nous avons déjà vu que nous avons des manières différenciées de parler des femmes et des hommes, liées aux stéréotypes de genre. À ces manières différenciées, nous devons ajouter les comportements qui caractérisent nos conversations ou nos prises de parole, qu'elles soient en binôme ou en groupe. Lorsqu'on parle de conversation entre deux personnes ou en groupe, on peut faire une première différence entre ce que les personnes disent et comment elles le disent, ou plus spécifiquement, quelle place elles prennent pour le dire.
Par rapport à ce que les personnes disent, on remarque deux catégories de manières de s'exprimer en groupe, particulièrement pertinentes lorsqu'on parle de genre. Ici, nous nous concentrons sur les femmes et les hommes. La première catégorie est appelée le langage conciliant, ou affiliatif. Le langage affiliatif vise à maintenir le lien avec les autres dans une conversation ou une prise de parole. Il s'agit par exemple de montrer son soutien, d'exprimer son accord et de reconnaître la contribution de l'autre ou des autres. À ce type de langage, on peut opposer le langage dit assertif. Le langage assertif a pour fonction de promouvoir l'action personnelle dans une situation donnée. Par exemple, il comprend les déclarations directives, comme : « cette idée est mauvaise ».
La communication d'information, le désaccord ou la critique de la contribution de l'autre ou des autres, par exemple lorsqu'une personne vient de faire une présentation et demande à son public : « Est-ce que quelqu'un a une question ? », une manière assertive de répondre serait de lever la main et dire : « J'ai quelques remarques. » Symboliquement, cela veut dire que vous n'avez pas de question mais que vous avez des choses à dire ou à affirmer sur le sujet, donc vous souhaitez montrer que vous savez des choses.
Maintenant, certaines études ont montré que les femmes avaient tendance à utiliser un langage plus affiliatif alors que les hommes avaient tendance à utiliser un langage plutôt assertif. Pourtant, les données scientifiques sur cette question n'ont pas toujours été très claires, surtout lorsqu'il s'agissait de comprendre quelle situation favorise ce genre d'effet. Dans leur article très connu de 2007, les autrices Campbell, Leaper et Melanie Ayers démontrent que cette différence entre femmes et hommes s'exprime surtout lorsqu'un groupe constitué de femmes et d'hommes a une tâche précise à effectuer, par exemple devoir prendre une décision sur un objet quelconque. Les hommes ont alors plus tendance à utiliser une forme de langage assertif, principalement pour asseoir une certaine domination.
De manière générale, c'est la domination qui caractérise notre société patriarcale. Cette situation particulière est encore plus exagérée si les personnes du groupe ne se connaissent pas. Le principe ici est assez simple : si les personnes ne se connaissent pas, elles s'appuieront sur des comportements facilement activés, donc souvent des comportements stéréotypés. Si des personnes se connaissent et assument des rôles bien particuliers indépendamment de leur genre, les interactions seront différentes. Notez pour terminer qu'il existe aussi des femmes, plutôt minoritaires, ayant appris à jouer selon les règles des hommes et qui ont tendance à également utiliser un langage plus assertif.
Revenons maintenant sur comment les personnes le disent, c'est-à-dire la place qu'elles prennent pour le dire. Là, il y a quelque chose de relativement étrange : il existe un stéréotype — et nous reviendrons sur ce stéréotype et ses effets — qui dit que les femmes sont simplement plus bavardes que les hommes. En fait, non seulement la littérature scientifique sur le sujet montre que ce n'est pas le cas, mais elle montre que ce sont bien les hommes qui parlent plus. Bon, ok, à part pour les enfants entre 1 an et 2 ans et demi, mais pour des raisons qui ne nous intéressent pas tellement pour cette capsule.
Le fait que les hommes parlent plus que les femmes se retrouve dans la longueur moyenne de prise de parole ainsi que dans le nombre de prises de parole. Selon Nancy Henley, spécialiste du langage et de la communication non verbale, les personnes en position d'autorité ou qui souhaitent asseoir leur autorité parlent généralement plus que leurs subordonnés, ce qui expliquerait pourquoi les hommes ont tendance à plus vouloir prendre la parole. Encore une fois, ces effets sont encore plus exagérés si les personnes du groupe ne se connaissent pas et basent leur comportement sur des stéréotypes.
Notons tout de même que si la situation est particulièrement stéréotypée — par exemple une situation où l'on parle en cuisinant, une activité stéréotypée féminine — le temps de parole peut tout à fait être inversé. Mais celui-ci correspondra toujours à des mécanismes liés aux stéréotypes. Stéréotype appris, bien sûr, et déjà ancré à l'école. Donc finalement, le temps de parole va dépendre du contexte social dans lequel nous nous trouvons, et on peut facilement envisager qu'un contexte professionnel quelconque, par les stéréotypes qu'il véhicule, va favoriser la prise ainsi que la durée de parole par des hommes avec tout ceci on peut se poser la question mais que peut-on faire alors bien sûr on peut simplement en prendre conscience c'est déjà une chose mais même là il faut une certaine vigilance pourquoi et bien parce que nos stéréotypes nous empêche souvent de correctement identifier ses problèmes.
Enfin, si on considère que ce sont des problèmes bien sûr. Vous vous souvenez, un peu plus tôt je vous ai parlé du stéréotype selon lequel les femmes sont plus bavardes que les hommes. Eh bien, Anne Cutler et Donia Scott ont mené en 1990 une expérience qui nous permet de comprendre comment ce stéréotype nous joue des tours. Dans leur expérience, elles nous font écouter une conversation entre deux personnes : une personne A et une personne B. Les deux personnes A et B ont exactement le même temps de parole, chronomètre en main.
Les chercheuses ont ensuite modifié le genre de la personne A et de la personne B, de telle sorte qu'on pouvait entendre une conversation soit entre deux femmes, soit entre deux hommes, soit entre une femme et un homme, soit entre un homme et une femme. Les personnes interrogées devaient simplement donner le pourcentage perçu du temps de parole de la personne A, celle qui commence la conversation.
Lorsque la conversation était entre deux femmes ou deux hommes, les personnes interrogées percevaient correctement que le temps de parole de la personne A était de 50 %, soit la moitié de la conversation. Par contre, lorsque la personne A était une femme et la personne B un homme, les personnes interrogées pensaient que la femme parlait plus que l’homme. Et lorsque la personne A était un homme, les personnes interrogées pensaient qu’il parlait moins que la femme.
Qu’est-ce qu’on peut retenir de ça ? Eh bien, nos a priori — c’est-à-dire nos stéréotypes — nous empêchent parfois de correctement évaluer une situation. Du coup, lorsqu’on a l’impression qu’une femme parle trop, ou en tout cas beaucoup, ce n’est peut-être pas le cas. Et lorsqu’on a l’impression qu’un homme ne parle pas beaucoup, ce n’est peut-être pas le cas non plus.
En tout cas, si vous êtes un homme, surtout dans un milieu professionnel, vous pouvez déjà essayer de prendre un peu moins de place — et moi le premier.
06 Le masculin et notre cerveau
Le genre grammatical masculin fascine les psychologues depuis près de 40 ans. Pourquoi le genre grammatical masculin est-il fascinant ? Eh bien, simplement parce qu’il est ambigu. Le genre grammatical masculin a plusieurs sens possibles. Prenons un exemple : « Le professeur a demandé aux étudiants de se laver les mains méticuleusement. » Dans cette phrase, il y a deux masculins : le premier, c’est « le professeur », et le deuxième, c’est « les étudiants ».
Le sens du masculin peut être tout d’abord un sens spécifique, c’est-à-dire ici, dans mon exemple, le professeur est un homme, les étudiants sont des hommes ou des garçons. Il n’y a dans cette phrase absolument rien qui me dit que ce sens n’est pas possible. Maintenant, le masculin a un autre sens possible : c’est ce qu’on appelle le sens générique. Mais le sens générique lui-même a plusieurs sens possibles.
Il y en a un premier qu’on va appeler le sens neutre. Le sens neutre ici est peut-être plus associé à l’utilisation du singulier. Par exemple, dans « le professeur », on pourrait imaginer — en tout cas grammaticalement — qu’on parle d’un homme ou peut-être d’une femme. Maintenant, il y a un autre sens possible : c’est le sens mixte. Le sens mixte est plutôt associé à l’utilisation du pluriel, comme par exemple « les étudiants ».
Le sens mixte lui-même a plusieurs sens, parce qu’ici on pourrait parler d’un homme et de 50 femmes, ou bien d’une femme et de 50 hommes. On pourrait également parler de 50 % – 50 %, moitié – moitié. Pour faciliter un petit peu la discussion sur l’ambiguïté, partons du principe qu’on garde en tête ce sens mixte de 50 – 50.
Mais ce qui est intéressant ici, c’est qu’à chaque fois que le cerveau va rencontrer une forme grammaticale masculine, il va devoir décider de quel sens il s’agit : soit d’un sens spécifique — on parle d’un homme ou de plusieurs hommes — soit d’un sens générique, et bien sûr tous les sens génériques qui sont possibles.
Maintenant, vous allez vous dire : mais peut-être que le cerveau ne va pas prendre cette décision. En fait, le cerveau attend peut-être qu’il y ait suffisamment d’éléments dans le discours ou suffisamment d’éléments dans le texte pour prendre cette décision. En réalité, le cerveau vit très mal les ambiguïtés. On le voit très bien quand on regarde des nuages dans le ciel : si vous regardez ces nuages suffisamment longtemps, vous allez y voir apparaître une forme. Le cerveau a besoin de résoudre les ambiguïés qui lui sont présentées, donc finalement le cerveau a besoin de résoudre l’ambiguïté qui lui est présentée par la forme grammaticale masculine.
07 Histoire du masculin et du français
Le genre grammatical masculin n’a pas toujours eu cette valeur par défaut ou cette valeur dominante. Le français a vécu des vagues de masculinisation, certaines plus importantes que d’autres. Jusqu’au XIIIe et XIVe siècle, on dit encore « ça pleut » ; « ça pleut » devient ensuite « il pleut ».
La vague de masculinisation qui va particulièrement nous intéresser, c’est celle du XVIIe siècle. Jusqu’au XVIIe siècle, des termes comme autrice, messe, philosophesse, une médecine, poétesse, etc., sont des termes qui existent et qui sont utilisés. À partir du XVIIe, l’Académie française décide progressivement de faire disparaître ces termes de son dictionnaire. Le terme « autrice » ne disparaît pas dans l’usage avant le XIXe siècle, au moment finalement où l’école devient obligatoire.
Ce qui est important de voir, c’est qu’en parallèle à cette disparition de termes féminins, on voit des transformations de règles grammaticales. Par exemple, jusqu’au XVIIe siècle, certaines règles de l’accord cohabitent, certaines règles différentes cohabitent. On voit l’accord de proximité ou l’accord de choix : vous accordez à l’élément qui vous semble le plus important. L’accord de proximité, c’est l’accord qui dit que vous accordez à l’élément le plus proche. Par exemple : « Ce verre et cette tasse sont cassées » — « cassées » s’écrit « ées » puisqu’il s’accorde à l’élément le plus proche.
Au XVIIe siècle, certains grammairiens souhaitent changer ces différentes règles pour ne prendre que la règle du masculin, de l’accord masculin. On voit ici qu’on cherche, au travers de ces transformations, à asseoir une supériorité des hommes sur les femmes, une supériorité qui apparaît finalement dans la société.
Ces vagues de masculinisation ne sont pas uniques au français. On voit par exemple en anglais que le « they » singulier, qui est utilisé jusqu’au XIXe siècle lorsqu’on ne connaît pas la personne ou le genre de la personne dont on parle — on dit par exemple « this person came out » — va être remplacé par le « he » générique, utilisé comme une forme générique.
La raison pour laquelle le « he » va remplacer le singulier, c’est pour dire que le masculin est plus noble que le féminin. Il ne faut pas voir dans ces vagues de masculinisation une théorie du complot — ce n’est pas du tout ça. Par contre, il faut considérer ces vagues dans une sorte de continuité, dans une société androcentrée et patriarcale qui souhaite véhiculer et asseoir cette supériorité des hommes, et surtout signaler aux femmes que certaines activités sont réservées aux hommes.
On le voit dans une caricature typique du XIXe siècle de Honoré Daumier, où on voit dans la caricature une écrivaine, une autrice, et on remarque comment à cette époque les femmes qui écrivent et qui sont lues et reconnues — comment on perçoit ces femmes-là et comment surtout on perçoit le rôle qu’on leur préfère.
08 L’apprentissage de la règle
Dès le plus jeune âge, vers 4 ans à peu près, nous apprenons les règles du masculin de la manière suivante : nous l’apprenons à l’école bien sûr, même si nous l’apprenons déjà avant. Mais la règle est la suivante : si vous parlez d’êtres inanimés comme des objets, le genre grammatical est aléatoire. C’est-à-dire que vous n’avez aucune chance de découvrir par la logique quel est le genre grammatical d’un objet, comme par exemple une table ou un verre.
Pour une personne qui vient en Suisse et qui est anglophone, les choses sont très compliquées puisque, en allemand par exemple, on dit « die Sonne » et en français on dit « le soleil ».
Maintenant, on apprend que pour les êtres animés comme les êtres humains, le genre grammatical n’est pas aléatoire. Si vous souhaitez parler d’une fille ou d’une femme, vous utilisez le féminin. Si vous voulez parler d’un homme ou d’un garçon, vous utilisez le masculin.
Dans certains manuels scolaires, on voit encore de gros stéréotypes, comme par exemple une femme ou une fille — une actrice. Si vous voulez parler d’un homme ou d’un garçon, vous utilisez le masculin — un directeur.
Bon, c’est seulement deux ans plus tard que nous apprenons la règle de l’interprétation générique du masculin — à peu près deux ans plus tard — et on l’apprend de cette manière : si vous parlez d’un groupe de garçons et d’hommes, vous utilisez le masculin ; si vous parlez d’un groupe de femmes ou de filles, vous utilisez le féminin. Par contre, maintenant, si une de ces femmes — il suffit d’une femme — est remplacée par un homme ou un garçon, tout le groupe va changer au masculin. Et c’est à ce moment-là qu’on apprend cette règle : que le masculin l’emporte sur le féminin.
De considérer, c’est la séquence d’apprentissage qui est invariablement la même : on apprend tout d’abord la règle de l’interprétation spécifique et ensuite on apprend la règle de l’interprétation générique.
09 Les études récentes
Pour comprendre comment le cerveau interprète le masculin de manière spontanée, un certain nombre d’études ont été effectuées depuis les années 1970–1980. Pour illustrer ces études, je vais vous parler d’une étude que nous avons effectuée en collaboration avec une équipe anglaise à Brighton et une équipe norvégienne à Trondheim. Dans cette étude, nous présentons à des participantes et des participants des phrases comme celle-ci : « Les musiciens sortirent de la cafétéria. » Ensuite, nous leur présentons une deuxième phrase : « À cause du temps nuageux, une des femmes avait un parapluie. »
En psycholinguistique, ce qui nous intéresse, c’est de comprendre avec quelle facilité notre cerveau va traiter cette deuxième phrase en fonction de ce qui est écrit dans la première. Dans cette expérience, nous avons simplement demandé aux participantes et aux participants de nous dire si cette deuxième phrase est une suite possible de celle qui précède. Dans mon exemple ici, la réponse devrait être oui : il n’y a absolument rien grammaticalement qui me dit que cette deuxième phrase n’est pas possible.
Dans l’étude, le terme présenté dans la première phrase est soit stéréotypé masculin (comme « les mécaniciens »), soit un terme sans stéréotype (comme « les musiciens »), soit un terme stéréotypé féminin (comme « les esthéticiennes »). Dans la deuxième phrase, on parle soit d’une ou de plusieurs femmes, soit d’un ou de plusieurs hommes. Ce qui nous intéresse ici, c’est la facilité avec laquelle les personnes vont pouvoir lier la deuxième phrase — la personne représentée dans cette phrase — avec la première.
Nous avons effectué cette étude en français, en anglais et également en allemand. Je vais vous présenter ici les résultats en français et en anglais. L’anglais est ici notre langue contrôle, puisque l’anglais, en tout cas sur les noms de métier ou d’activité que nous utilisons, n’a pas de genre grammatical — le genre grammatical est absent pour ces termes-là.
Regardons tout d’abord les résultats en anglais. Nous avons sur l’axe des X les stéréotypes féminins (comme « nurses »), les stéréotypes masculins (comme « mechanics »), et les termes sans stéréotype (comme « musicians »). Dans cette expérience, n’oublions pas qu’il y a environ 100 paires de phrases. Sur l’axe des Y, on a simplement la proportion de réponses positives : combien de fois les personnes répondent « oui, cette deuxième phrase est une suite possible de celle qui précède ». Nous avons en violet la réponse quand il y a une femme dans la deuxième phrase, et en vert la réponse quand il y a un homme.
Regardons ce qui se passe : on voit qu’en anglais, la réponse est déterminée par le stéréotype du terme dans la première phrase. Cela signifie que les personnes interrogées ont plus de peine à dire « oui, c’est une phrase possible » si la personne représentée dans la deuxième phrase ne correspond pas au stéréotype présenté dans la première. Par exemple, les gens ont plus de peine à dire « oui » lorsqu’un homme est présenté alors que le terme dans la première phrase est « nurse », ou lorsqu’une femme est présentée alors que le terme dans la première phrase est « mechanic ». Par contre, lorsqu’un terme n’a pas de stéréotype comme « musicians », on voit que les personnes disent autant « oui » pour une phrase avec une femme ou un homme.
Regardons ce qui se passe en français : nous avons le même graphique avec les stéréotypes féminins, masculins et sans stéréotype, et la proportion de réponses positives — donc « oui, c’est une phrase possible » — avec soit une des femmes, soit un des hommes. Ce qu’on voit ici, c’est que quel que soit le stéréotype, les personnes interrogées ont toujours plus de peine à dire « oui, c’est une phrase possible » lorsque cette phrase présente une femme avec un terme au masculin.
Cette étude est une de nos premières études qui montrait que les personnes interrogées avaient plus de difficulté à lier un masculin avec une femme.
10 Les avancées récentes
Un grand nombre d’études ont montré qu’il était plus difficile de lier un masculin avec la catégorie « femme » qu’avec la catégorie « homme », et ceci dans plusieurs langues. Il existe également certaines études qui ont essayé de voir s’il était possible de pousser l’interprétation générique du masculin pour dominer l’interprétation spécifique de ce masculin.
Une des études que nous avons effectuées en 2012 essayait exactement cela. Dans l’expérience, nous présentons des paires de mots comme « une sœur musicien », « un frère musicien », et les personnes interrogées doivent nous dire le plus rapidement possible si la personne représentée par le premier mot peut faire partie du groupe représenté par le deuxième. Est-ce qu’une sœur peut faire partie d’un groupe de musiciens ? Est-ce qu’un frère peut faire partie d’un groupe de musiciens ?
Dans l’expérience, il y a aussi des paires de mots qui sont clairement impossibles, par exemple « une sœur roi », « un frère non ». Mais les paires qui nous intéressent sont celles où la réponse peut être « oui », en tout cas si on considère le masculin comme une valeur générique.
Maintenant, au milieu de l’expérience, on arrête l’expérience et on rappelle la règle de l’interprétation générique du masculin. Ensuite, on recommence l’expérience en demandant aux personnes de garder en tête cette règle...
Présente de nouveau des paires : une sœur musicien, un frère musicien, etc. Regardons maintenant les résultats sur le graphique. Vous voyez sur l’axe des X « sans rappel » — donc la première partie de l’expérience — et « avec rappel » — la deuxième partie de l’expérience. On voit sur l’axe des Y la proportion de « oui », c’est-à-dire le nombre de fois où les personnes disent que la personne représentée par le premier terme peut faire partie du groupe présenté par le deuxième, en violet pour une femme et en vert pour un homme.
Ce qu’on observe, c’est que sans rappel, nous avons un biais masculin. Comme dans beaucoup d’études sur le sujet, les personnes ont plus de difficulté à lier une femme avec un terme au masculin. Regardez maintenant la deuxième partie de l’expérience : on voit que la proportion de « oui » pour dire qu’une femme fait partie d’un groupe au masculin a augmenté, atteignant le même niveau que pour les hommes.
Ce qui est difficile à interpréter ici, c’est la manière dont le masculin est compris comme une valeur générique. Pour illustrer cette difficulté, je vais vous présenter une petite expérience typique : je vous montre des carrés de différentes couleurs — un carré vert, un carré rouge, un carré jaune — et je vous demande de me dire le plus rapidement possible la couleur du carré. Si c’est un carré rouge, vous dites « rouge » ; un carré vert, vous dites « vert » ; un carré bleu, vous dites « bleu ».
Au milieu de l’expérience, je vous arrête et je vous dis : « Donnez-moi la couleur du carré sauf si le carré est rouge — dans ce cas, dites bleu. » Pour les autres couleurs, vous continuez à dire la couleur que vous voyez. Je vous montre un carré vert, vous dites « vert » ; un carré jaune, vous dites « jaune » ; un carré rouge, vous dites « bleu ». La question est : voyez-vous vraiment un carré bleu ? Vous avez simplement suivi les instructions.
C’est ce qu’on observe dans notre expérience. Pour interpréter cet aspect, nous regardons les temps de réponse — c’est-à-dire combien de temps une personne met pour dire « oui, cette personne peut faire partie du groupe ». Le temps est une valeur importante en psychologie car il indique la facilité avec laquelle une réponse est donnée : plus le temps est long, plus la réponse est difficile.
Regardons maintenant le graphique des temps. Sur l’axe des X, on a « sans rappel » et « avec rappel », et sur l’axe des Y, le temps nécessaire pour dire « oui ». Sans rappel, même quand les personnes disent « oui, une femme peut faire partie du groupe masculin », les temps sont plus longs. Dans la deuxième partie, après avoir rappelé aux participants de penser le masculin comme une valeur générique, les gens ont toujours plus de peine à dire « oui, une femme fait partie du groupe ».
Il existe différentes théories pour expliquer cette difficulté à lier une femme à un groupe masculin. L’une d’elles est le mécanisme de résonance : une valeur est envoyée au cerveau, qui renvoie une réponse spontanée, automatique et rapide. Ici, le masculin active immédiatement « homme », et cette activation échappe à votre contrôle.
11 Les implications pratiques
Les résultats principaux des 50 dernières années de recherche sur le genre grammatical sont les suivants : la représentation du genre est automatique. Dès qu’on parle d’êtres humains, nous avons tendance à nous représenter le genre spontanément. Si un genre grammatical est présent et que le masculin a une valeur par défaut avec différents sens, alors « homme » est activé passivement. Cela signifie que votre cerveau active « homme » lorsqu’il voit un masculin, très rapidement et sans contrôle. « Femme » peut être activé, mais difficilement et sans jamais supplanter l’interprétation masculine.
Pour les langues sans marque grammaticale de genre, la représentation du genre est basée sur les stéréotypes — une image limitée et limitante de notre société. Les implications de ces deux mécanismes sont nombreuses. Pour les illustrer, je vais vous parler d’une étude menée avec Dries Vervecken, mon collègue. Nous sommes allés dans des écoles et avons présenté des métiers aux enfants, soit au masculin, soit au féminin et masculin, en utilisant des doublets.
Nous avons demandé aux enfants quelles étaient les chances de réussite des femmes et des hommes dans ces métiers. Les chances de succès pour les femmes dans les métiers stéréotypés masculins augmentaient. Pour les métiers sans stéréotype, les chances de succès augmentaient également pour les femmes. Ce qui est intéressant, c’est que pour les métiers stéréotypés féminins — comme infirmier — lorsque l’on présentait « infirmière et infirmier », les chances de réussite pour les hommes augmentaient selon les enfants interrogés.
On voit que l’utilisation de doublets — « infirmière et infirmier » — permet non seulement d’augmenter la perception des chances de réussite des femmes dans certains métiers, mais aussi de réduire les stéréotypes pour les métiers stéréotypés féminins. À Fribourg, dans notre laboratoire, nous avons beaucoup travaillé sur la visibilité des femmes dans la société. Nous avons montré qu’en utilisant certaines formes de langage inclusif — comme les doublets « une informaticienne ou un informaticien » — nous augmentons la visibilité des femmes.
Nous avons lié cette visibilité à l’identité sociale. Vous n’avez pas besoin d’avoir fait 20 ans de recherche avec nous pour comprendre que si vous présentez un métier à une fille de 9 ans et vous lui dites « le métier d’informaticien est génial », ou « le métier d’informaticienne est génial », cette fille va se projeter différemment dans ces métiers.
12 Les outils
Parlons maintenant des différents outils qui relèvent du langage inclusif. Mais avant cela, il est important de souligner une chose : si vous souhaitez utiliser le masculin tout le temps, vous le pouvez bien sûr. Mais ce qu’il faut comprendre, c’est que l’utilisation du masculin véhicule — et même nourrit — un monde androcentré, c’est-à-dire un monde qui tourne autour des hommes.
En fait, l’utilisation du masculin par défaut déforme la réalité et nous offre un monde qui tourne autour des hommes. Le premier outil que nous allons essayer de comprendre est celui de la démasculinisation. Puisque le français a vécu des vagues de masculinisation, nous allons maintenant essayer de démasculiniser la langue. Lorsqu’on parle de démasculinisation, il existe deux grandes catégories : la première est appelée neutralisation, la deuxième est la reféminisation.
Dans les outils de neutralisation, on parle souvent de déindividuation, c’est-à-dire de ne pas expliciter le genre lorsque celui-ci n’est pas pertinent. On peut, par exemple, reformuler par le groupe : au lieu de parler de l’étudiante ou de l’étudiant, on peut parler du corps étudiant ou du corps estudiantin ; au lieu de parler de la directrice ou du directeur, on peut parler de la direction. Ce qu’il faut retenir de cette reformulation, c’est qu’on passe d’une référence à l’individu à une référence au groupe. Ce changement est sémantique : le sens change, et c’est à vous de voir si ce changement a une implication dans ce que vous souhaitez véhiculer.
On peut également reformuler de manière neutralisée par l’adressage direct. Par exemple, sur un site, au lieu d’écrire « les étudiantes et étudiants qui souhaitent s’inscrire » ou « les étudiants qui souhaitent s’inscrire », vous pouvez écrire « si vous souhaitez vous inscrire ». L’adressage direct a le mérite d’être plus pertinent en termes de communication. Certains sites universitaires avec lesquels nous avons travaillé ont modifié environ 70 % de leur contenu en adoptant l’adressage direct.
Le dernier outil de neutralisation est la reformulation par un épicène. Le terme épicène désigne une personne, qu’il s’agisse d’un homme, d’une femme, ou d’une personne ne s’identifiant à aucune de ces deux catégories. Le terme épicène le plus utilisé est « une personne », qui est d’ailleurs le plus étudié dans la littérature scientifique et qui favorise une représentation plus ouverte du genre. Certains termes comme « biologiste » se déclinent au singulier en « un biologiste » ou « une biologiste ». Mais au pluriel, « des biologistes » devient épicène. Toutefois, si ce terme est accompagné d’un adjectif, celui-ci devra être décliné au masculin ou au féminin. Si aucun adjectif ne l’accompagne, le terme reste épicène.
Pour terminer sur les outils de neutralisation, on peut noter que certaines langues, comme le suédois, utilisent des pronoms neutres. En 2012, un livre pour enfants est paru en Suède, écrit par un auteur et une illustratrice. Ce livre présentait un personnage dont le genre n’était pas connu, et le pronom utilisé était « hen », un pronom qui n’existait pas encore en suédois. En suédois, « han » signifie « il » et « hon » signifie « elle ». L’auteur et l’illustratrice ont utilisé « hen », qui a suscité beaucoup de débats jusqu’en 2015. En 2017, l’institution suédoise régissant la langue a décidé d’adopter « hen » comme troisième pronom neutre. Ce pronom peut être utilisé pour désigner des femmes et des hommes, ou pour décrire une personne non binaire.
En allemand, il existe également des formes neutres, comme les formes nominalisées. Par exemple, au lieu de dire « der Student » ou « die Studentin », on peut dire « die Lernenden » — les personnes qui sont en train d’étudier. Le problème avec cette forme nominalisée, en tout cas en français, c’est que « les personnes qui sont en train d’étudier » sont grammaticalement les « étudiants », et en français, cela reste marqué par le genre.
Remarquez également qu'en français, on voit de plus en plus apparaître des formes neutres, comme des pronoms tels que « iel », une fusion entre « il » et « elle ». Ce pronom est surtout utilisé par certaines communautés qui souhaitent des pronoms ne se référant ni aux femmes ni aux hommes, et à toutes les personnes qui se considèrent sur le continuum du genre. À côté, on voit également le pronom « al », qui est de plus en plus utilisé. Si cela vous intéresse, je vous invite à consulter le site d'Alpheratz — A L P H E R A T Z — et vous verrez certaines propositions par rapport à ces nouvelles formes qui apparaissent actuellement. On voit également apparaître certains néologismes, donc des nouveaux mots comme « auditeurices » ou « collaborateurices », mais ces termes sont encore peu utilisés.
La deuxième catégorie d'outils de démasculinisation ou de langage inclusif, c'est la catégorie féminisation. Je préfère utiliser le terme « reféminisation », puisque certains termes dont nous allons parler sont des termes féminins qui ont longtemps existé. Dans les outils de reféminisation, on parle tout d'abord des doublets, ou des doublons, ou parfois même des formes appariées. Ce sont les formes où l'on explicite le fait qu'il y a également des femmes dans le groupe, par exemple « les informaticiennes ou les informaticiens ».
Bien sûr, ici, l'ordre va jouer un rôle important. Pourquoi ? Parce que l'ordre est un ordre sémantique : on a tendance à considérer la personne qu'on mentionne en premier comme étant la plus importante. Maintenant, l'ordre va également être déterminant dans l'accord de l'adjectif, du déterminant ou du participe passé. Nous pouvons tout à fait utiliser un accord qui a également existé pendant longtemps et qui, d'ailleurs, n'a jamais disparu : c'est l'accord de proximité. Donc, lorsque nous utilisons un doublet ou un doublon, nous pouvons accorder l'adjectif, le participe passé ou le déterminant avec le terme le plus proche. Par exemple : « certaines étudiantes et étudiants » ou « les étudiantes et étudiants intéressants ». Cet accord n'a jamais disparu, puisqu'on le retrouve même dans le livre de Maurice Grevisse, Le Bon Usage, le livre qui est un peu à la base de nos livres de grammaire actuels.
Lorsque nous reféminisons certains termes, nous devons tout de même nous poser quelques questions. Par exemple, pour le terme « professeur », devons-nous dire « professeure » ou « professeuse » ? Les deux termes existent dans l’usage. « Professeuse » est un terme plus ancien, et « professeure » est un terme qu’on a vu apparaître à la fin des années 1990. Maintenant, le désavantage de « professeure », c’est qu’on ne l’entend pas à l’oral. L’avantage de « professeuse », c’est qu’on l’entend à l’oral, mais pour l’instant, il reste encore moins fréquent.
On voit la même chose pour « auteur » ou « autrice ». Par contre, pour ce terme-là, on voit qu’« autrice » est en train de devenir plus fréquent que le terme « auteur ». Finalement, c’est l’usage qui va nous dicter quel est le terme qui va rester et quel est le terme que nous allons utiliser.
Il existe d’autres termes qui vont peut-être être un peu plus problématiques, simplement par la définition du terme féminin. Par exemple : « un entraîneur » et « une entraîneuse ». On le voit encore dans certains dictionnaires : « entraîneuse », c’est une femme dans un cabaret qui pousse la clientèle à boire. Maintenant, ce qui est important, c’est que si vous mettez « entraîneuse » dans un traducteur en ligne et que vous voulez voir la définition ou la traduction en anglais, vous verrez que la traduction sera « coach ». Si vous demandez à n’importe quel enfant de vous parler de cette femme qui les entraîne sur un terrain de foot, par exemple, vous verrez que les enfants vont très naturellement utiliser « une entraîneuse ». Donc, peut-être qu’à force d’utiliser « entraîneuse », la première définition qu’on retrouve encore dans les dictionnaires — « femme dans un cabaret » — va gentiment disparaître au profit de la définition qu’on connaît comme en anglais : « the coach ».
Parmi les autres termes qui peuvent poser problème, il y a aussi « un médecin » et « une médecine ». Encore une fois, si vous demandez aux enfants de vous donner le féminin de « médecin », les enfants vont assez naturellement vous dire « une médecine ».
Terminons ces exemples de reféminisation peut-être avec le terme « enfant ». Est-ce que le terme « enfant » est un terme épicène ? Alors, c’est vrai qu’on pourrait le considérer comme un terme épicène. Pourtant, on dit « un enfant » et « une enfant », un peu comme le terme « jeune » : « un jeune », « une jeune ». Par contre, ces termes au pluriel, encore une fois sans les adjectifs — comme on parlait avant du terme « biologiste » — deviennent finalement épicènes.
Pour terminer les différentes formes de reféminisation, nous devons bien sûr parler de la forme contractée des doublets. Nous avons les doublets « informaticiennes et informaticiens », et maintenant nous pouvons contracter cette forme, peut-être pour limiter le nombre de signes. C’est pour cette raison que ces formes contractées sont apparues, et nous avons « informaticien·ne », par exemple.
Il a existé différentes formes contractées à travers les dernières décennies. Les premières formes contractées utilisaient une parenthèse, comme à l’heure actuelle sur les passeports français. Maintenant, cette parenthèse est un symbole : c’est un symbole pour mettre quelque chose entre parenthèses. Cette forme a été gentiment remplacée par d’autres formes. On a eu pendant longtemps le trait d’union, qui a ensuite été remplacé par le point médian. Le point médian a été choisi en français principalement parce qu’il n’exprime rien d’autre, c’est-à-dire qu’il n’a pas d’autre sens.
Pour choisir une forme contractée, on peut décider de mettre, par exemple au pluriel, un seul point médian, ou en mettre deux. Par exemple : « informaticien·ne·s ». On peut également choisir de mettre un seul point médian. On peut se poser la question : pourquoi avons-nous besoin du point médian ? Peut-être est-ce l’héritage de la parenthèse. Maintenant, on peut très bien choisir « informaticien·nes », et du coup on voit peut-être un peu mieux que cette forme contractée est la forme contractée d’un doublet.
Notez tout de même que ces formes contractées des doublets sont relativement peu fréquentes dans l’usage. Elles ont surtout été utilisées par des personnes — ou sont surtout utilisées par des personnes — qui sont limitées par le nombre de signes, typiquement les gens du web ou peut-être les journalistes.
Bien sûr, les formes contractées des doublets ont un signe typographique qui ne va pas se dire à l’oral. De la même manière que si vous lisez « M. Gygax », vous n’allez pas lire « M. Gygax », mais vous allez dire « Monsieur Gygax ». De la même manière, en Suisse, lorsqu’on voit « 300 fr. – », nous n’allons pas le dire « 300 fr. trait d’union », mais nous allons dire « 300 francs ».
Je peux m’imaginer qu’à une époque où l’on lance un robot sur Mars, qu’on arrive à le contrôler depuis la Terre pour récolter des échantillons, il doit bien exister un logiciel ou une manière d’écrire un logiciel pour lire « informaticien·ne » en « informaticienne » ou « informaticien ».
Maintenant, évidemment, il y a une question qui se pose par rapport à ces formes contractées — encore une fois, qui ont une fréquence relativement basse — mais il y a une question qui se pose par rapport aux difficultés de lecture que ces formes peuvent provoquer.
Alors il n’existe à l’heure actuelle pratiquement aucune recherche là-dessus. Maintenant, on peut bien s'imaginer que cette forme contractée peut poser des problèmes à des personnes qui ont des problèmes de lecture. Mais j'ai envie de dire : de la même manière que toutes les autres complexités, qui ont été également relativement arbitraires en français. Par exemple, en fatiguant ses parents, cet enfant fatigant : le premier s'écrit "g a", le deuxième s'écrit "gant". Monsieur s'écrit "m o n", dans "oiseau" vous n'avez aucune lettre qui se prononce de la même manière qu'individuellement. Donc je peux m'imaginer que ces problématiques-là sont bien plus importantes que "informaticien.ne". Maintenant, nous avons plein d'autres choses qui sont difficiles en français, comme par exemple le son "S" qui s'écrit de 12 manières différentes. Et j'ose imaginer que si on souhaite vraiment rendre le français plus accessible, nous devrions d'abord travailler sur ces éléments-là.
Pour terminer, bien sûr, je veux conclure avec cette forme contractée des doublets, qui semble parfois focaliser les débats. N'oubliez pas que vous ne devez pas l'utiliser si vous ne souhaitez pas l'utiliser. Il existe d'autres outils de langage inclusif que vous pouvez utiliser au lieu de ces formes contractées.
13 Les avantages institutionnels
Quel est l'avantage pour une institution de se lancer dans une communication plus inclusive ? Tout d'abord, bien sûr, c'est de s'adresser à d'autres personnes que des hommes. Ça, la recherche le montre. Par contre, pour les autres avantages par rapport à l'institution, il existe à l'heure actuelle très peu de recherche. Pourtant, on peut s'imaginer que la communication plus inclusive, que le langage inclusif, apporte une forme d'innovation. Elle permet une entrée accessible vers plus d'égalité. On peut difficilement s'imaginer une entreprise qui utilise une forme de langage inclusif, une communication plus inclusive, et qui derrière a des salaires qui sont encore inégaux entre femmes et hommes.
Alors bien sûr, l'écriture inclusive ne va pas résoudre les inégalités à l'heure actuelle. Par contre, elle va contribuer à améliorer ces inégalités vers quelque chose de plus égalitaire. Typiquement, imaginons un exemple concret : vous êtes dans une séance, moi je suis avec vous dans cette séance. En tant qu'homme, on m'a beaucoup habitué par mon éducation à plus parler. Donc je vais plus utiliser la parole, je vais peut-être même la monopoliser. Dans ma séance, il y a également une femme qui est là, donc elle a moins la parole. Moi, je me dis : je vais faire attention à ça maintenant, je vais aller à l'encontre de mon éducation et je vais moins parler dans cette séance.
Donc maintenant, en faisant ça, évidemment, vous n'allez pas révolutionner toutes les inégalités. Par contre, dans cette séance, votre collègue aura plus de temps de parole. Ça lui permettra enfin de présenter, par exemple, ses idées. Cette même personne va ensuite rentrer à la maison, et pour elle, ça a été une séance très particulière, parce qu'enfin elle a pu parler dans cette séance. Le lendemain, quand elle viendra, elle se dira probablement : "Ben tiens, maintenant j'ai beaucoup d'idées, j'ai des idées par rapport à ce qu'on a discuté hier", etc., etc.
Donc on voit ici que par des changements pratiques, finalement très accessibles et très simples, et par un battement d'aile de papillon, on arrive à changer certaines choses. Alors évidemment, une fois que vous devenez sensible à la communication inclusive, vous devenez sensible au langage inclusif. Vous devenez également sensible à l'endroit-centrisme qui est véhiculé par le masculin, et le masculin utilisé comme valeur par défaut.
Et lorsqu'on devient sensible à l'androcentrisme, on devient également sensible à d'autres pratiques qui, finalement, sont des pratiques qui nourrissent également cet androcentrisme. D'autres pratiques qui, finalement, sont détachées du langage. Et peut-être, à terme, lorsque je vous demanderai de me nommer une scientifique connue, vous aurez un autre nom que Marie Curie qui va venir en tête.
14 Club de lecture
Il existe une littérature abondante sur les notions d'égalité de genre ou de lien entre langage et pensée. Mais ici, nous présentons les ouvrages grand public accessibles ayant traité de questions directement liées à l'écriture inclusive et s'étant basés sur des études scientifiques sur le sujet. D'ailleurs, si vous êtes intéressé·e par ces études scientifiques, vous pouvez avoir accès à une bibliographie relativement complète sur le site "Langage Inclusif" de le PFN.
Donc, si ce sujet vous intéresse et que vous souhaitez aller plus loin, je vous propose Le cerveau pense-t-il au masculin ? de Pascal Gygax, Sandrine Zufferey et Ute Gabriel, publié en 2021. Ce livre analyse les effets du langage sur la perception du genre et sur les représentations sexistes. Les autrices et l’auteur expliquent, en utilisant une quinzaine de petites expériences ludiques, comment notre langue et notre grammaire influencent notre cerveau ainsi que nos représentations du monde. Le livre propose également des pistes pour démasculiniser notre langage et notre cerveau, et pour promouvoir une langue plus inclusive.
Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin d’Éliane Viennot, livre dont la nouvelle édition a été publiée en 2022. Ce livre retrace l’histoire des vagues de masculinisation de la langue française et dénonce les effets de cette domination linguistique et idéologique sur les rapports de genre. L’autrice montre comment le terme "homme" a évincé les mots "humain", "femme" et "personne", et comment la règle du masculin qui l’emporte a été imposée par des grammairiens misogynes. Elle propose des pistes pour rendre la langue plus égalitaire et plus inclusive.
Le nouveau dictionnaire féminin-masculin des professions, des titres et des fonctions de Thérèse Moreau, publié en 1999. Ce livre propose la féminisation de plus de 1000 professions, titres et fonctions, en tenant compte de l’histoire et de la diversité des usages de la langue française. Il contient une grammaire succincte, une anthologie des femmes qui ont exercé ces métiers, et une critique de la norme linguistique imposée par les élites. Il vise également à promouvoir une langue plus égalitaire et plus inclusive.
L’écriture inclusive, et si on s’y mettait ? de Raphaël Haddad, publié en 2023. Ce livre présente l’écriture inclusive et ses enjeux, ainsi que les débats que le concept provoque. Les autrices et auteurs de ce livre proposent des pistes pour l’appliquer au quotidien et pour adopter un langage plus égalitaire et plus inclusif. Les différents chapitres répondent spécifiquement aux questions les plus fréquentes que les gens se posent sur l’écriture inclusive et offrent de multiples points de vue pour clarifier le débat et accompagner les pratiques de manière sereine.
Le français est à nous ! Petit manuel d’émancipation linguistique de Maria Candea et Laélia Véron, publié en 2021. Ce livre est un guide qui invite à réfléchir sur la langue française et les discours qui la concernent, en mettant en lumière son histoire sociopolitique et ses enjeux actuels. Les autrices montrent comment la langue peut être un outil de domination ou d’émancipation selon les usages et les normes qui lui sont imposées ou contestées. Elles proposent des pistes pour se réapproprier le français et participer au débat citoyen sur la langue, avec une démarche critique et surtout joyeuse.
Qui veut la peau du français ? de Christophe Benzitoun, publié en 2021. Ce livre est un essai qui critique l’usage abusif du "bon usage", qui a rendu la langue française trop complexe et trop éloignée de la langue orale. L’auteur montre comment cette norme linguistique a été imposée par des élites pour maintenir leur pouvoir et leur prestige, et comment elle a créé une fracture sociale et culturelle entre les locutrices et locuteurs. Il défend la nécessité d’une modernisation du français pour le rendre plus vivant, plus accessible et plus adapté à la diversité des usages.
On finir avec l’homme d’Eliane Viennot, livre publié en 2021. Ce livre dénonce l’usage abusif du mot "homme" pour désigner l’humanité entière et retrace l’histoire de cette imposture linguistique et idéologique. L’autrice montre comment le terme "homme" a progressivement supplanté les mots "humains", "femmes" et "personnes", et comment il a servi à légitimer la domination masculine dans la langue et dans la société. Elle appelle à en finir avec cette exception française qui occulte la diversité des êtres humains et qui empêche une véritable égalité entre les gens.
Grammaire du français inclusif, un livre d’Alpheratz, publié en 2018. Ce livre définit le français inclusif avec beaucoup de propositions pour exprimer la non-binarité de genre, comme une variété du français qui refuse les hiérarchies entre les genres grammaticaux et propose des processus langagiers pour exprimer l’inclusivité de genre.
Et maintenant, pour les plus jeunes : Chevalière en garde ! Dictionnaire, un livre de Nadège Michelotto et Maud Bégon, publié en 2022. Ce livre est un album qui raconte l’histoire de Lili, une petite fille qui aime se déguiser en chevalière, mais qui se heurte au sexisme de ses camarades et des dictionnaires. Pour faire reconnaître l’existence de ce mot "chevalière", elle va écrire aux maisons d’édition et aux académiciens, et leur prouver que les chevalières ont toujours existé. C’est un livre qui défend la langue inclusive et l’égalité entre les gens.
Et pour terminer, si vous souhaitez plutôt écouter que lire, je vous propose plusieurs podcasts :
- Le podcast Les couilles sur la table de Victoire Tuaillon, et plus spécifiquement les deux épisodes sur l’écriture inclusive.
- Le podcast Écrire sans exclure d’Isabelle Meurville.
- Et bien sûr, à réécouter : le podcast Parler comme jamais de Laélia Véron.
Et pour les plus jeunes, je vous propose le court-métrage de Mélanie Pitteloud intitulé Graine d’égalité, accompagné par son support pédagogique élaboré par la Haute École Pédagogique du Valais.
Dans le cadre de leur rentrée à l'EDHEC, 700 élèves de Pré-Master ont suivi une conférence intitulée « Comment le droit peut et doit servir la lutte contre les violences sexistes ?». Cette conférence a été donnée par Valence Borgia, avocate aux barreaux de Paris et New York et co-fondatrice de la Fondation des femmes.
Hager JEMEL
Bonjour à toutes et à tous, ravie de vous voir de nouveau dans ce grand amphi aujourd’hui pour un autre sujet. Vous avez déjà connaissance du programme de la semaine, nous y sommes . Donc aujourd’hui, c’est une journée particulière à l’EDHEC où on va parler de sexisme, de violences sexistes et sexuelles.
Ça peut ne pas être perçu comme un sujet qu’il faut aborder à la rentrée. Le terme "violence", effectivement, ça peut paraître violent, ce que je peux comprendre. En revanche, c’est un phénomène de société, c’est une véritable plaie, aussi bien pour les femmes que pour les hommes. Et comme vous le savez, cela fait des millénaires — peut-être des centaines d’années au moins — que cela dure : ces mécanismes de domination, ces effets délétères des inégalités et des violences.
Et à l’EDHEC, nous avons pris nos responsabilités pour aborder ces sujets dès le début de l’année, aussi bien que d’autres sujets sociétaux très importants. Comme hier, on a parlé de la fresque du climat. Il faut qu’on ait conscience, toutes et tous, des sujets qu’il faut que nous affrontions pour être meilleur·e·s citoyen·nes. Et nous l’espérons, laisser un monde meilleur aux générations futures.
EDHEC, vous connaissez votre nouveau motto : évidemment "Make an Impact", mais c’est surtout "EDHEC for Future Generations". Et ça fait partie de ce programme, de ce plan stratégique. J’espère que vous allez toutes et tous apprendre de cette journée, aussi bien en tant que citoyen·nes, mais surtout aussi en tant que futur·es professionnel·les, en tant que camarades de classe, en tant que camarades de promo.
Et vous allez voir, ça va vous amener à découvrir, à apprendre des choses. Et même si vous pensez en savoir déjà beaucoup — parce que nous en parlons plus depuis quelques années qu’il fut un temps — nous en ignorons toujours beaucoup. Moi, qui travaille sur le sujet depuis plusieurs années, j’en apprends encore.
Et il y a quelques mois, lors d’une conférence avec Stop Sexisme, où l’EDHEC est signataire d’ailleurs. J’ai rencontré une personne très brillante. J’ai beaucoup, beaucoup aimé son intervention, son discours. Et comme je guette toujours de bons intervenants pour mes chères étudiantes et mes chers étudiants, je suis tout de suite allée la voir pour lui dire : "Madame Borgia, j’ai beaucoup, beaucoup aimé votre approche. J’ai beaucoup aimé votre sincérité, votre limpidité, l’impact de vos propos — c’est à peu près comme ça qu’on balance — et j’aimerais vraiment que vous veniez à la rentrée voir mes étudiantes et mes étudiants qui arrivent à l’EDHEC. Je connais à peu près déjà la date — enfin, je la connaissais — j’espère que vous ne serez pas en vacances." Et elle m’a dit : "Je ferai en sorte de venir." Et tout de suite, elle m’a promis d’être là. Et elle est là !
Et je suis vraiment ravie, ravie qu’elle soit avec nous aujourd’hui, parce que c’est une femme très brillante, qui a de vraies convictions, et surtout qui se transmettent. Valence est avocate de métier, elle est inscrite au barreau de Paris et de New York. Et elle a, comme je l’ai dit, des valeurs, des convictions. Je pense qu’elle a aussi, comme beaucoup de personnes dans le cours de sa vie professionnelle, mais aussi en tant qu’étudiante, vécu des choses, observé. Elle va nous raconter tout ça, son parcours, et surtout elle va nous expliquer comment chacune et chacun d’entre nous peut lutter contre ces inégalités, qui se trouvent beaucoup et qui se retrouvent dans plein d’endroits, dans les milieux professionnels.
Mais la prise de conscience commence déjà très tôt, quand on est étudiant·e. Et c’est pour ça qu’elle va vous expliquer comment le droit peut — et doit — être un outil qui combat le sexisme et, plus globalement, les violences sexistes et sexuelles.
Valence, j’ai le plaisir de t’inviter sur scène. Merci beaucoup d’être parmi nous.
[Applaudissements]
Valence Borgia
Merci, merci beaucoup pour ces gentils mots. Ça me réjouit énormément de voir que, lors de la rentrée de l’EDHEC, vous consacrez un temps si important à ces questions. Parce que moi, je viens d’un monde — le monde des avocats — dans lequel, c’est un euphémisme, l’engagement sur les questions d’égalité et de violence n’est pas extrêmement au cœur des préoccupations.
Moi, j’ai prêté serment en 2007, ce qui signifie que j’étais à l’école d’avocat en 2006. Et en fait, un peu par naïveté — évidemment par naïveté, aujourd’hui je m’en rends compte — j’étais convaincue que je n’aurais jamais à affronter des sujets d’inégalités professionnelles, et encore moins de sexisme.
Évidemment, j’étais très sensibilisée à des enjeux tels que le racisme, l’homophobie. Mais alors, la question du sexisme, pour moi, me paraissait un combat d’arrière-garde, parce que je venais d’un parcours universitaire assez méritocratique, où finalement je n’avais pas vécu, à titre personnel, les inégalités.
J’avais fait une université de droit en France, puis j’avais fait un master en Italie, à l’issue duquel j’avais ensuite étudié un an à New York. J’ai passé le barreau de New York, j’étais rentrée en France, j’étais à l’école d’avocat. Et j’avais tellement peu de conscience et de pensée sur les enjeux d’inégalités professionnelles que j’étais déjà enceinte de mon premier enfant à l’école d’avocats.
Puis, j’ai été collaboratrice dans un cabinet d’avocats. Ce qu’il faut que vous sachiez — c’est assez intéressant — c’est qu’il y a une particularité dans la profession d’avocat : le droit du travail ne s’applique pas. En fait, on est professionnel, et donc c’est assez fantastique, parce que ça permet de voir ce qu’il advient lorsque l’on n’a pas cet amortisseur qu’est le droit du travail.
Alors, peut-être que vous le savez, mais je vous donne un élément de contexte pour que vous compreniez comment sont structurés les cabinets d’avocats en France. C’est très simple : il y a une corde, la corde la plus importante, qui est celle des collaborateurs et des collaboratrices — donc ce sont généralement les jeunes avocats qui intègrent les cabinets. Et puis ensuite, il y a les associés. Les associés, ce sont ceux qui détiennent les cabinets d’avocats, qui se répartissent les bénéfices et qui sont, en quelque sorte, les patrons.
L’aspiration assez naturelle, quand on rentre dans la profession, c’est de se former en tant que collaborateur ou collaboratrice, puis de devenir associé. Et ce qui m’a immédiatement interpellée lorsque j’ai intégré la profession — donc j’étais dans ce cabinet international dans lequel je faisais du contentieux des affaires et de l’arbitrage international — c’est que je me suis rendu compte que les effectifs des collaborateurs et collaboratrices reflétaient parfaitement ce qui avait été la démographie de l’école d’avocat, qui s’appelle l’ E.F.B., dans laquelle, d’ailleurs, à l’époque, il y avait déjà deux tiers d’étudiantes. Et donc, on retrouvait ces deux tiers de collaboratrices.
Mais lorsqu’on regardait les associés, alors là, c’était extrêmement frappant, parce que tout d’un coup, c’était majoritairement des hommes. Et pour moi, j’ai expérimenté une forme de choc, parce que je me suis dit : mais fondamentalement, il y a une forme d’obstacle invisible que je n’avais pas du tout anticipée. Entre moi et le déroulement d’une carrière telle que je la concevais, avec tout l’enthousiasme qu’on peut avoir quand on intègre une profession, et qu’on est en plus — j’imagine comme vous l’êtes — un peu galvanisé·e par les messages qu’on a reçu à l’occasion de son parcours.
On vous a expliqué que, finalement, le monde professionnel vous attend, que vous êtes extraordinaire et que vous avez envie d’en découdre. Et donc là, je me suis dit : bon, il y a quand même un enjeu.
Et à ce moment-là, parce que moi, j’avais besoin de comprendre ce qui se passait, j’ai rejoint une association qui existe toujours, qui est le Laboratoire de l’Égalité, et qui est une association qui se concentre sur les inégalités professionnelles. Je l’avais intégrée parce que ce qui me plaisait beaucoup dans cette association, c’est qu’elle mélangeait à la fois des femmes et des hommes, experts dans beaucoup de disciplines, et elle essayait de décrypter les mécanismes à l’œuvre s’agissant des inégalités hommes-femmes, en particulier les inégalités économiques : donc inégalités professionnelles, inégalités en matière de politique, d’études, de formation, etc.
Donc j’ai intégré le Laboratoire de l’Égalité, je me suis formée à un certain nombre de disciplines et de connaissances, et notamment aux mécanismes des stéréotypes, qui pour moi étaient quelque chose d’absolument nouveau. Forte de cet apprentissage, ensuite je me suis dit : bon, il faudrait quand même que, dans la profession d’avocat, on travaille sur ces sujets-là.
Et j’ai rejoint un syndicat, qui s’appelle l’Union des Jeunes Avocats, une association de jeunes avocats, très ancien syndicat centenaire de la profession, qui est très moderne et très joyeux. Et j’ai proposé de travailler sur les sujets d’égalité.
J’avais acquis une conviction au sein du Laboratoire de l’Égalité : c’est que, finalement, on ne combat bien que ce qu’on peut mesurer. Et en fait, dans la profession, on n’avait jamais réellement établi de statistiques en matière d’inégalités. Donc, avec d’autres, on a monté un groupe de travail et on a commencé à compter. On a cartographié toutes les inégalités de la profession.
Ce que j’évoquais tout à l’heure — c’est-à-dire les taux très faibles de femmes associées dans les cabinets — le taux était d’autant plus faible que le cabinet était de taille importante. Souvent, la taille du cabinet est proportionnelle à son chiffre d’affaires. Donc ça, c’était assez intéressant.
La gouvernance de la profession, ça a été très facile de compter, puisqu’à l’époque, on avait deux siècles de recul. Et en deux siècles, il y avait seulement eu une bâtonnière femme. Les bâtonniers et bâtonnières sont les président·es du barreau. La profession, au plan national, n’avait jamais été dirigée par une femme.
Ce qu’on mesurait aussi — et ça, pour moi, c’était et c’est toujours d’ailleurs quelque chose de fondamental — c’est ce qu’on appelle le taux d’attrition. C’est-à-dire qu’on avait cet effectif d’élèves avocates, donc de l’ordre de 70 %, qui arrivaient dans la profession, et au bout de 10 ans, 40 % de ces femmes avaient disparu. Ça, c’est un indicateur très fort, parce que fondamentalement, à l’aune de l’énergie qui est déployée pour prêter serment, pour poursuivre un objectif professionnel, cette disparition — qu’on ne retrouvait pas chez les hommes — nous disait quelque chose : une forme de découragement et de renoncement des femmes.
Moi, un autre sujet — et j’y reviendrai tout à l’heure — qui m’avait également beaucoup, beaucoup interpellée, et ça fait écho à ce que je vous disais tout à l’heure sur l’absence d’application du droit du travail, c’est qu’on constatait que les femmes, lorsqu’elles étaient enceintes — alors, il y avait heureusement déjà, quand j’ai intégré la profession, un mécanisme protecteur qui interdisait de rompre leur contrat de collaboration pendant le congé maternité — mais en revanche, au retour de congé maternité, on mettait fin à leur contrat.
Ça, c’est quelque chose qui me paraissait complètement insupportable. Et ça me paraissait d’autant plus insupportable que moi, j’avais eu l’expérience inverse. Pour vous dire que tout n’était pas que noir : moi, j’avais été recrutée le jour où j’avais annoncé à celui qui était à l’époque mon maître de stage que j’étais enceinte. Donc je savais que des expériences différentes pouvaient avoir lieu.
Donc il y avait cette situation de la parentalité. On avait chiffré grâce à des sondages. Et puis, un dernier chiffre, qui pour moi demeure aujourd’hui le chiffre essentiel, la statistique la plus importante : c’est celui des revenus. Il faut savoir qu’à l’époque — et c’est toujours vrai aujourd’hui — dans la profession, les avocates gagnent moitié moins que les hommes.
Donc ça, c’est vraiment le marqueur le plus fort. Et on pourra dire ce que l’on veut sur les progrès qui sont accomplis, moi je crois que c’est véritablement à l’aune de cette évolution-là que nous pourrons mesurer la réalité des progrès accomplis. Et c’est la raison pour laquelle, même si je constate qu’aujourd’hui — et j’y reviendrai — il y a eu beaucoup d’avancées
Pour autant, beaucoup de chemin reste à accomplir. Alors, pourquoi ces écarts ? Il y a beaucoup de raisons. Je l’évoquais tout à l’heure : probablement, l’absence d’application du droit du travail creuse des phénomènes, les accentue. Il y a aussi une raison qui est historique, c’est-à-dire que la profession d’avocat était interdite aux femmes pendant très longtemps. Les femmes ont réussi, de haute lutte, à l’intégrer au début du XXe siècle. Et on trouve encore aujourd’hui des traces, dans la littérature, de la réticence qui a été celle du barreau lorsqu’elles ont intégré le barreau et qu’elles ont prêté serment.
On retrouve des petites lithographies du début du XXe siècle dans lesquelles on voit des femmes qui plaident avec un enfant qui pleure dans les bras, qui hurle, donc qui couvre leur voix. On en voit d’autres qui plaident avec leur robe écartée, on voit leurs jambes… Enfin, des stéréotypes que vous connaissez : la femme est ramenée à sa condition de mère ou d’objet sexuel pour être disqualifiée. J’y reviendrai tout à l’heure.
Il y a aussi beaucoup la persistance — et c’était déjà ce qu’on disait à l’époque — de stéréotypes selon lesquels les femmes n’avaient ni l’autorité, ni la sagesse, ni l’énergie qui conviennent pour accomplir l’office important qu’est celui de la représentation des clients.
Voilà un petit peu le monde que j’ai découvert lorsque j’ai intégré la profession d’avocat. Et j’y reviendrai tout à l’heure : ça m’a conduite, en parallèle de mon activité d’avocate en droit des affaires et en arbitrage, à beaucoup m’impliquer au sein de la profession dans un premier temps, puis — j’y reviendrai — au sein de la Fondation des Femmes sur ces sujets d’inégalités.
Ce que je voulais vous montrer pour illustrer ce que je viens de vous dire : j’ai été, il y a très peu de temps, sur le site internet d’un très gros cabinet d’avocats parisien. Et là, ce que vous voyez — alors je ne sais pas si je peux faire défiler — voilà, ça c’est les collaborateurs. On voit que la répartition est plutôt majoritairement féminine. Et là, c’est la page des associés de ce même cabinet. Vous ne la voyez pas, mais si vous faisiez défiler cette vidéo, vous ne verriez ici que des hommes.
Donc c’est pour vous dire que ça, c’est une réalité qui existe aujourd’hui. Je pourrais vous montrer des cabinets internationaux de taille comparable dans lesquels cela n’est pas vrai, dans lesquels on retrouve des associés de manière paritaire. Mais ces cabinets-là, ils existent — c’est une très bonne chose — pour autant, ils procèdent d’un fonctionnement très volontariste. C’est souvent lié à leur histoire, à l’histoire de leur fondateur et de leur fondatrice, qui ont d’emblée souhaité impulser cette égalité dans leur fonctionnement.
Donc c’est inquiétant dans la mesure où on se rend compte qu’aujourd’hui, ce n’est pas la majorité des cabinets qui pratiquent ces politiques très volontaristes. Et en même temps, c’est assez rassurant et heureux, parce qu’on se rend compte qu’il suffit que cette volonté existe pour qu’on puisse changer les choses, et qu’il n’y a pas du tout de fatalité.
Je vous disais un peu le barreau auquel j’ai été confrontée quand j’ai intégré la profession. Je vous montre ça : c’était une photo qui était parue dans Paris Match à l’époque, et c’était les 28 avocats ténors du barreau de Paris. Et ça m’avait drôlement frappée, cette photo, parce que — alors je ne sais pas si vous la voyez bien — mais d’abord, ils ont l’air quand même super contents d’être là. Et surtout, ils ne voient pas le problème.
C’est-à-dire qu’on est dans la bibliothèque de l’Ordre des avocats, on est au sein de la gouvernance de l’Ordre, il y a le bâtonnier qui est sur cette photo, et il n’y a pas une personne dans la pièce qui s’est dit : "Mais on ne peut pas diffuser cette photo." Aujourd’hui, ce serait impensable. D’ailleurs, il y a eu un peu des petites histoires, parce que — heureusement — aujourd’hui, ça appellerait une réaction.
Pour la petite histoire, il y a une femme sur cette photo. Vous la voyez devant, au premier plan : c’est Dominique de La Garanderie. Et c’est celle qui, à l’époque — je le disais tout à l’heure — avait été la seule femme à avoir été bâtonnière. Et pour la petite histoire, le photographe raconte que, lorsqu’ils se sont installés pour la photo, Dominique de La Garanderie était tout au fond. Et en plus, elle est assez petite, donc on ne la voyait pas. Et c’est le photographe, choqué par la situation, qui lui a dit : "Non, écoutez madame, approchez-vous." Et c’est pour cette seule raison qu’elle est au premier plan.
Donc ça, c’était ce monde-là. C’est important, parce que cette capacité des avocats hommes à s’emparer de l’espace médiatique, elle existe toujours aujourd’hui. Et je ne sais pas si vous suivez l’actualité judiciaire, mais si vous réfléchissez à des grands noms, à des grands avocats, je pense que vous aurez en tête des noms d’avocats hommes.
Pour autant, les femmes, elles pratiquent — et pas dans des moindres dossiers. Si vous prenez une affaire — alors elle est un peu ancienne maintenant — mais une affaire qui, à l’époque, avait occupé la plupart des unes de journaux pendant des mois, qui était l’affaire DSK : l’avocate de DSK, c’était Frédérique Baulieu. Personne ne s’en souvient, alors que c’était un des dossiers majeurs de l’époque.
Plus récemment, l’affaire des écoutes : l’avocate de Nicolas Sarkozy, c’est Jacqueline Laffont. Pareil, personne n’a en tête son existence, son profil, alors que c’est une excellente avocate.
Ça, c’est intéressant, parce que ça nous dit aussi à quel point les représentations qu’on se fait d’une profession sont tributaires, évidemment, de l’image qu’on en reçoit dans les médias — et pas que. Parce qu’au sein du barreau, moi, c’est quelque chose qui m’a toujours frappée. Je vais vous montrer d’autres petits tracts, affiches, que j’ai collectionnées au fur et à mesure de ma vie professionnelle, mais qui sont très emblématiques d’une forme de représentation des femmes avocates.
Là, par exemple, vous voyez un livre : Ces femmes qui portent la robe. Donc déjà, moi, ce vocable de "femme qui porte la robe"… C’est une femme qui porte la robe, c’est une avocate. Et donc, c’est un peu étonnant, cette idée de ramener l’avocat à la femme.
Là, une conférence organisée par le Barreau de Paris sur Les femmes et le pouvoir. Donc j’imagine que cette conférence se voulait plutôt féministe. Et pour autant, l’iconographie qui a été retenue, c’est celle de montrer les jambes d’une femme avec des talons — enfin, des escarpins rouges — qui sont quand même une forme d’image extrêmement sexualisée.
De la même manière, un autre livre : Les avocats au cinéma
Les avocats au cinéma, en premier plan, alors bien évidemment l’avocat, c’est Jean Gabin au fond. Mais c’est quand même un peu étonnant ces visuels. Et là encore plus récemment un plateau de télévision sur lequel on se pose la question « défends on différemment lorsqu’on est une femme ? ». Alors ça peut paraitre une question anecdotique comme ça mais elle est fondamentale car elle est très très au cœur des inégalités professionnelles. Je vais vous montrer — donc moi je vous ai indiqué je pratique l’arbitrage international.
Donc l’arbitrage international c’est un contentieux souvent entre des entités de nationalités différentes qui peuvent être des entreprises et ou des États, et qui décident parce qu’elles sont précisément d’origines et de nationalités différentes de ne pas recourir aux tribunaux étatiques en cas de litiges entre elles. Souvent parce qu’elles présument que les tribunaux étatiques de l’une des parties seront plus favorables à cette partie-là. Ou parce qu’elles souhaitent conserver la confidentialité de leur litige.
Et donc elles conviennent en cas de litige de désigner chacune un ou une arbitre ensemble qui, ensemble, désigneront le ou la présidente du tribunal arbitral. Et c’est comme ça qu’on constitue un tribunal qui est privé. Je vous montre un extrait d’un traité de l’arbitrage de 1807 — donc pas tout à fait récent. Dans ce traité, il était dit : Les principes, la bonne morale, les lois et la jurisprudence des arrêts interdisent également la juridiction arbitrale aux femmes, tout en leur réservant une autre, bien plus noble, bien plus flatteuse : la conciliation.
Alors ça, c’est très, très au cœur de ce que j’évoquais tout à l’heure, c’est-à-dire de considérer qu’il y a des qualités intrinsèques des femmes qui sont mieux mises à l’œuvre dans certaines matières. Mais alors, c’est assez intéressant, parce que les matières en question sont toujours les matières les moins nobles et les moins lucratives. C’est-à-dire qu’on considère que les femmes seront mieux adaptées à l’office de la conciliation. On se rend compte, dans la sectorisation des domaines d’exercice, que les femmes, on les retrouve massivement par exemple en droit de la famille, en droit des mineurs — qui sont des matières très intéressantes, pour autant beaucoup moins lucratives que le droit fiscal, par exemple, ou le M&A, où là, on retrouve plus largement des hommes.
Donc ça, c’est ce traité de 1807. Mais ce que je veux vous montrer, c’est que ces stéréotypes qui sont là, on les retrouve aujourd’hui, et ils irriguent encore la profession de la même façon. Ça, c’est un article du Point, récent, qui évoque la féminisation de la profession. Et on nous dit : Les femmes trouvent par ailleurs dans les nouveaux marchés du droit matière à s’épanouir. Elles mettent à profit leur qualité d’écoute dans la médiation et la conciliation, nouveau mode de règlement pacifié des litiges. Avis aux misogynes : la femme ne revendique pas d’être un homme comme un autre, et c’est justement ce qui fait sa force. Plaide toute seule, qui refuse de copier les hommes sur les terrains de l’autorité et du machisme. Légèreté, souplesse, empathie, sobriété et douceur sont devenus des mérites redoutables dans la jungle des effets de manche.
Ça, c’est quand même étonnant que, dans une publication nationale, sérieuse, on trouve ce type de propos. Parce que les clients, quand ils viennent nous voir, est-ce qu’ils cherchent véritablement de la sobriété, de l’empathie et de la douceur ? En soi, ce sont des qualités qui, individuellement, sont intéressantes et importantes. Mais pour autant — je vous en ferai la démonstration tout à l’heure — ce n’est pas du tout ces qualités-là que viennent chercher nos clients lorsqu’ils viennent nous voir. De sorte que les mettre en avant comme étant celles des femmes, ça les disqualifie au plan professionnel.
Dans La Lettre du Juriste d’Affaires, qui est une lettre que reçoivent tous les cabinets d’affaires chaque semaine, de la même manière, on nous redit : Les qualités reconnues aux femmes : souplesse, douceur, rondeur, sensibilité, sens du contact humain, écoute, dialogue, instinct — ou même instinct — répondre à l’éthique professionnelle aussi, doivent être conservées, développées et mises en avant, etc. Les qualités propres aux femmes leur permettent d’investir de nouveaux marchés et de prendre une place stratégique dans l’avenir de la profession. Ainsi, l’écoute, le dialogue et la rondeur s’avèrent particulièrement adaptés à la conciliation.
Ce genre de propos… Alors je vous fais la démonstration de ce que recherchent les clients. Là, je vous ai montré — c’est vous voyez — mes associés, et les commentaires que font les clients dans le cadre des classements professionnels chaque année. Ce qu’ils retiennent de mes associés, c’est leur qualité intellectuelle, leur qualité entrepreneuriale, leur réactivité, leur créativité, leur capacité à établir des stratégies procédurales. Ça va être la ténacité, le pragmatisme, le sens de l’entreprise. Mais ce n’est jamais la douceur, la sobriété, l’empathie, la légèreté ou la rondeur qui est mise en avant, en particulier dans les matières dans lesquelles ce que nous faisons, c’est plaider des dossiers. C’est une capacité à prendre des coups, à encaisser, à être stratège, à réfléchir. On fait assez peu preuve de douceur dans ce que nous faisons.
Alors, toujours parce que je ne résiste pas à ça — ça, c’est assez amusant — il y a trois ans, avec mes deux associées, on a monté un cabinet d’avocat. On était toutes issues de cabinets internationaux pendant des années. Dans cette fameuse Lettre du Juriste d’Affaires que je vous montrais tout à l’heure — et qui est vraiment la gazette du début de semaine qu’on reçoit — pendant des années, on a reçu des annonces de création de cabinets d’avocats. Je vous en ai sélectionné quelques-unes, donc, qui sont des cabinets de gens qu’on aime beaucoup par ailleurs, qui sont des camarades. Et vous voyez comment, dans les mêmes matières que nous, sont annoncés les lancements de cabinets.
Donc, vous voyez, c’est très neutre : Création de Talma Dispute Resolution, Lancement d’audit Duprey Fekl, Lancement du cabinet… Donc vous voyez, on a des cabinets d’avocats dans lesquels on remarque que ce sont — là, en l’occurrence — des hommes.
Alors nous, la presse professionnelle que nous avons reçue : on a eu L’arbitrage au féminin, All-Woman Paris Boutique. Et alors là, c’est vraiment celle que je préfère, je crois. Dans l’article, il était écrit : Mais attention, contrairement à ce que pourrait laisser croire la photo d’illustration, ce n’est pas un clan de rejet d’hommes.
Et ça, c’est quand même après avoir reçu, pendant tant d’années — et continuer à recevoir chaque semaine — des cabinets qui se montent, des associations, des cooptations d’avocats qui sont des hommes, sans que jamais ne se fasse mention que, peut-être, ça pose un problème que ce soit si majoritairement des hommes… Eh bien, finalement, lorsque nous avons monté ce cabinet, on a reçu ce… Alors ça, c’est une partie que j’ai sélectionnée, il y a eu beaucoup de choses extrêmement positives, mais je vous la montre pour vous faire la démonstration de ce qui peut être à l’œuvre dans la profession.
Alors, pour revenir un petit peu en arrière : je vous le disais, j’ai intégré l’Union des Jeunes Avocats et je me suis beaucoup intéressée à cette question de discrimination à raison de la maternité. C’est quelque chose qui me paraissait absolument insupportable, incroyable, inquiétant et brutal.
Nous avons donc rédigé un rapport dans lequel nous avons d’abord préconisé qu’il soit interdit de mettre fin au contrat de collaboration au retour de congé maternité et paternité pendant une période de deux mois. Cela a été voté au Conseil de l’Ordre.
Dans le même temps, j’ai assisté des collaboratrices contre leur cabinet d’avocats. Il s’agissait de collaboratrices avec des parcours irréprochables, incroyables, qui avaient énormément contribué au développement du cabinet, qui avaient facturé énormément d’heures, qui s’étaient donné beaucoup de mal, dont les clients étaient extrêmement satisfaits, mais qui, à l’occasion d’une maternité, se voyaient remerciées extrêmement brutalement.
Nous avons cherché des stratégies juridiques pour faire condamner ces pratiques, même en l’absence d’application du droit du travail. À l’époque, l’Ordre des avocats n’était pas extrêmement engagé sur ces sujets. Alors, on s’est dit : ce qu’on va faire, c’est saisir le Défenseur des droits.
Nous avons saisi le Défenseur des droits, qui a mené des enquêtes. C’était très intéressant, car le Défenseur des droits ne peut pas se voir opposer le secret professionnel. Il dispose de pouvoirs d’enquête extrêmement vastes. Et quand l’Ordre s’est rendu compte que le Défenseur des droits était en train de regarder ce qui se passait dans les cabinets, comme par magie, il s’y est intéressé également. Il a commencé à ouvrir des procédures déontologiques contre les cabinets en question.
En 2015, est intervenue dans ce dossier la première décision du Défenseur des droits, dans lequel il a estimé que les faits portés à sa connaissance lui paraissaient de nature à justifier une sanction. On parlait là d’une rupture de collaboration en lien avec un état de grossesse. Le Défenseur des droits a saisi le bâtonnier de la question.
C’était important, car c’était la première fois que c’était écrit noir sur blanc : même dans un cabinet d’avocat, et même en l’absence d’application du droit du travail, la loi de 2008 sur les discriminations s’appliquait.
C’éta it important pour nous, car la loi de 2008 prévoit un aménagement de la charge de la preuve. Il est très difficile de prouver une discrimination. L’aménagement de la charge de la preuve consiste à dire que la preuve ne pèse pas entièrement sur celle qui est victime de la discrimination. Si elle apporte la preuve de certains éléments qui laissent penser qu’il y a une discrimination, alors il appartient au cabinet de démontrer que non, il n’y avait pas discrimination.
En l’espèce, les éléments rapportés par la collaboratrice étaient la concomitance entre un état de grossesse et la rupture du contrat de collaboration. Il appartenait au cabinet de démontrer qu’il y avait des critères objectifs, autres que la grossesse, qui justifiaient cette terminaison. Ce qu’il n’a pas été en mesure de rapporter.
C’est un peu ancien, donc maintenant je peux vous le dire : l’Ordre des avocats a été saisi de ce dossier, au plan déontologique puis au plan disciplinaire. Et à l’issue de la procédure disciplinaire — et j’avais trouvé que c’était assez joli — il a condamné l’associé qui avait discriminé à une suspension d’exercice de neuf mois. Parce que neuf mois, c’est la durée d’une grossesse.
Il y avait également un sujet — et je sais que vous allez beaucoup en parler cet après-midi — qui était celui des violences sexuelles et sexistes dans les cabinets. En 2017, Marie-Aimée Perron, qui était la troisième femme bâtonnière du barreau de Paris, a été élue. Et moi, ainsi que d’autres, avons été élus à ses côtés dans le cadre de son équipe membre du conseil de l'ordre et elle nous a demandé de mettre en place une vraie politique volontariste de lutte contre les violences sexistes sexuelles.
Il y avait, dans des cabinets — et ça se savait, ça se savait de tout temps — des comportements qui allaient, — je sais que vous allez travailler sur la gradation et la palette des violences —, du harcèlement sexuel au viol. Et donc, on a lancé une première campagne.
Ce qui était vraiment important, c’était, dans un premier temps, de faire passer un message très clair : pour mettre fin à une discrimination — et c’est pareil dans n’importe quel organe — il faut saisir l’autorité qui est en charge. Il y avait cette croyance très ancrée, qui d’ailleurs reposait un peu sur des réalités objectives, que le barreau de Paris n’allait pas nécessairement faire œuvre de sévérité s’il était saisi par des victimes. Donc, les victimes avaient peur de saisir, parce qu’elles craignaient une double peine : être victimes au sein de leur cabinet, mais aussi, derrière, éventuellement, encourir ce qu’on appelait le fait d’être "grillé" dans la profession, de ne pas retrouver de collaboration, et de ne pas voir de sanctions ordinales.
Ce qui a été fondamental au début, c’est de dire : non, les temps ont changé. Véritablement, vous pouvez avoir confiance dans l’institution et vous pouvez nous saisir.
Alors, ce qu’on a fait, c’est que — à cet égard, ce que vous voyez en haut là, avec les panneaux — ce sont les membres du Conseil de l’Ordre, la bâtonnière, le vice-bâtonnier, qui tiennent tous des panneaux contenant des slogans de lutte très clairs contre les violences sexistes et sexuelles. Ce qui nous a paru important, c’est de dire : on incarne physiquement, et on le porte. C’est la volonté de l’ensemble du Conseil de l’Ordre et de ses dirigeants.
Ensuite, notamment au sein de l’école et dans les cabinets, on a communiqué à travers des affiches pour dire que c’était terminé, et qu’il y avait un système de tolérance zéro. Ça a permis des saisines du Conseil de l’Ordre. On a véritablement vu une différence : une confiance s’est instaurée, et des saisines ont afflué, qui ont été traitées extrêmement sérieusement et qui ont conduit aux premières décisions disciplinaires.
D’ailleurs, la presse nationale s’en est fait l’écho. Vous avez peut-être suivi ça, et vous continuez peut-être à suivre, parce que c’est un travail qui se perpétue. Il y a eu — vous voyez en bas — le tout premier dossier : un dossier de harcèlement sexuel avec une suspension, jusqu’à cet avocat accusé de viol, qui a été radié du barreau de Paris.
C’est pour vous montrer que les politiques fonctionnent lorsque la gouvernance a une véritable volonté.
Tout ça pour vous dire qu’est née chez moi une forme d’addiction à l’utilisation du droit et du plaidoyer pour faire évoluer les choses. Je me suis dit, à cette époque-là, que finalement, en matière d’inégalités hommes-femmes, ça faisait longtemps qu’on n’avait plus utilisé le droit, les tribunaux, les contentieux stratégiques pour faire avancer les choses.
Et finalement, la dernière fois que ça avait été véritablement fait, c’était — vous connaissez tous — le procès de Bobigny, conduit par Gisèle Halimi. Elle avait ensuite conduit d’autres procès, notamment sur l’affaire du viol. Mais depuis elle, finalement, ce n’était plus la façon de combattre. Les associations, le militantisme, étaient hors des prétoires. Il est fondamental qu’ils continuent à se faire hors des prétoires, mais ils doivent aussi se tenir dans les prétoires.
Donc, à ce moment-là, on a constitué un groupe avec différents expert·e·s juridiques qui voulaient travailler sur cette dynamique-là de lancement de contentieux un peu stratégiques. Et à ce moment-là, j’ai été mise en contact avec Anne-Cécile Mailfert.
Alors, Anne-Cécile Mailfert, à l’époque, était porte-parole d’Osez le féminisme. Elle avait critiqué une fresque carabine dans la salle de garde du CHU de Clermont-Ferrand — je vous la montrerai tout à l’heure. C’était une scène qui représentait — vous savez que les salles de garde, ce sont les salles où se reposent les médecins, ceux qui nous soignent — il est d’usages qu’elles soient décorées d’un certain nombre de dessins. Là, c’était une fresque immense qui représentait une scène de viol.
Anne-Cécile Mailfert avait dit : « Ce n’est quand même pas tout à fait normal qu’il y ait cette représentation-là au sein d’un CHU. » Et à ce moment-là, elle a fait l’objet d’un cyberharcèlement sur les réseaux sociaux. C’était intéressant, parce que ce cyberharcèlement se tenait sur un groupe Facebook de médecins. Parfois, on a un peu tendance à penser que les actes de harcèlement ou de cyberharcèlement sont le fait de certaines populations, etc. Alors que là, l’évidence, c’est que non : ça vient de partout.
Et là, c’était tous ces jeunes médecins qui avaient notamment publié son numéro de téléphone. Il y avait un certain nombre d’insultes de types « putes », « cochonnes » et tout ce que vous voulez. Des photomontages qui la représentaient nue… Une forme de déchaînement, parce qu’elle avait critiqué cette fresque carabine.
Moi, à l’époque, j’avais préfacé — c’est peut-être un peu ancien pour vous — mais il y avait une jeune femme qui s’appelait Anaïs Bourdet, qui avait recensé, dans un blog appelé Paye ta shnek, les faits de harcèlement de rue. Les femmes qui étaient l’objet d’interpellations dans la rue pouvaient poster sur ce blog et raconter ce qu’elles subissaient.
Aujourd’hui, c’est quelque chose qui est dans le Code pénal : c’est l’outrage sexiste. À l’époque, ce n’était pas du tout dans le Code pénal. On se demandait : juridiquement, se faire interpeller à tout-va dans la rue, siffler, traiter de « cochonne », etc., c’est le quotidien des femmes, mais en droit, qu’est-ce que c’est ?
J’avais préfacé son livre — puisqu’elle avait fait un livre en recensant toutes ces interpellations de rue — et elle m’avait demandé de le préfacer sous l’angle : « Quelle infraction cela constitue ces interpellations dans la rue ? » Et donc, je l’avais préfacé en disant : on pourrait considérer qu’il y a de l’injure à raison du sexe.
Je m’étais rendu compte, à l’époque — c’était incroyable — qu’un jour à raison du sexe, c’est quelque chose qui est dans la loi de 2004, mais qu’il n’y avait jamais eu aucune jurisprudence rendue par les tribunaux sur ce fondement. Alors même que ce texte contient également l’injure raciste, l’injure homophobe, toute une palette d’injures discriminatoires, qui elles, avaient fait l’objet d’un certain nombre de condamnations. Mais l’injure à raison du sexe ? Jamais. Alors que c’était quand même le quotidien des femmes.
Les réseaux féministes nous ont mis en contact, et Anne-Cécile m’a dit : « On pourrait essayer d’aller en justice pour obtenir une première décision pour injure à raison du sexe. » C’est comme ça qu’on s’est rencontrées, et je vous dirai l’issue de ce procès dans quelques minutes.
Anne-Cécile, à l’époque, avait une idée — elle venait du militantisme féministe de terrain, ce qui n’était pas mon cas — et ce qu’elle avait constaté, c’est qu’il y avait un manque criant de moyens. Pour être très concrète, ça voulait dire que, par exemple, on avait des femmes avec leurs enfants, victimes de violences extrêmement sévères chez elles, qui se tournaient vers des associations, et les associations leur disaient : « Désolée madame, mais on n’a pas de place d’hébergement. Donc, en fait, il faut rentrer chez vous. »
Et ça, c’était insupportable parce que c’est uniquement une question de moyens et d'argent.
Et elle avait remarqué, de manière très très pertinente, que finalement cette lutte-là contre les violences n’était pas dotée de moyens. Il faut savoir qu’à l’époque, le budget « Droits des femmes » était inférieur à celui de la SPA, ce qui vous donne un tout petit peu les ordres de grandeur.
Et donc, très pragmatique, elle avait donc l’idée de cette fondation : « On va lever des fonds auprès de mécènes, auprès du grand public, et on va les redistribuer aux associations. Il faut qu’on aide les associations de terrain qui font un travail incroyable mais qui sont exsangues, en réalité, parce que ça repose très souvent sur des personnes. En fait, les associations et les gens, au bout d’un moment, ils s’entament et ils se brûlent parce qu’ils donnent trop. Et il faut des moyens. »
Et donc, en discutant, une chose en amenant une autre, on parle de ce projet d’utiliser le droit comme outil. Et elle me dit : « Bah viens à la Fondation des Femmes, on va créer une force juridique qui aura pour objet notamment de mener les contentieux stratégiques. » Et c’est comme ça qu’avec d’autres personnes, on a cofondé la Fondation des Femmes.
Alors, la Fondation des Femmes — vous en avez peut-être entendu parler — maintenant, c’est vraiment devenu une grande fondation. Je croise les doigts, mais j’espère que peut-être on sera très très bientôt une fondation reconnue d’utilité publique. On distribue des millions d’euros chaque année, on organise des grandes courses, des grandes nuits, des relais. Il y a des milliers de bénévoles, il y a cette force juridique avec 380 avocates et avocats qui travaillent.
Donc c’est ça dont je voulais vous parler plus spécifiquement aujourd’hui : c’est ce qu’on y fait. Et j’ai choisi comme fil rouge de vous parler d’actions qu’on a pu mener, plus sur le sexisme qui se joue dans les médias, dans la publicité, sur les réseaux sociaux. Parce que ça, c’est quelque chose qui est extrêmement présent et qui forge un petit peu — qui forge complètement — une société et ses réflexes.
Alors, la force juridique de la Fondation des Femmes — donc je vous le disais tout à l’heure — aujourd’hui, c’est près de 400 avocats et avocates bénévoles. On a des groupes de travail sur des thématiques précises. On fait du plaidoyer, c’est-à-dire que quand on considère qu’il faut changer une loi, on prépare des notes d’intention à destination, le plus souvent, des parlementaires.
On fait de l’accompagnement associatif — ça, je vous le disais tout à l’heure — les associations ont vraiment besoin de moyens. Donc, lorsqu’elles ont un besoin de droit, eh bien elles se tournent vers nous et on les aide. Là, récemment, par exemple, il y avait une association qui distribuait des produits de première nécessité à des femmes et à leurs enfants, et qui disposait d’un local. Et elles étaient expulsées de leur local. Donc, on les a assistées dans la procédure pour leur permettre de conserver le bénéfice de leur local. Donc elles peuvent se tourner vers nous dès qu’elles ont un besoin.
Et puis — et ça, c’est ce que je préfère, vous l’avez compris — il y a les contentieux stratégiques. Donc là, c’est davantage devant les tribunaux.
Alors, je reviens à la fresque des médecins. Donc ça, c’était la fresque, qui représentait cette scène de viol. Et en réalité, la femme qui fait l’objet d’un viol là, elle représentait la ministre de la Santé. Et donc, ça, c’était la fresque.
Alors, on a fait cette audience, et c’était assez amusant, parce que sont arrivés à l’audience ces personnes qui avaient mis ces messages d’une telle grossièreté, brutalité, etc. Puis ils sont arrivés à l’audience — des jeunes hommes, tout à fait… un peu comme des petits garçons, quoi, un peu attristés de ce qu’ils avaient commis. Et puis, ils avaient à l’évidence pas pris la mesure de ce que ce geste sur Internet allait donner lieu à un procès.
Ces procès-là, ce sont des procès en droit de la presse — tout ce qui est l’injure, la diffamation, la provocation à la haine — et donc c’est une justice que j’appelle un peu une justice de luxe, parce que ça se plaide devant la 17e chambre correctionnelle, et on prend vraiment le temps.
Et donc, cette audience, elle a duré très longtemps. Et c’était vraiment intéressant, parce qu’on a eu des débats linguistiques, c’est-à-dire que, par exemple — parfois c’était drôle — les hommes qui étaient là plaidaient : « Non non, mais « cochonne » ce n’est pas une injure à raison du sexe, non, « pute » non plus, j’aurais pu le dire à un homme.é
Alors on mobilisait justement des études, des essais, la science quoi, sur la linguistique, et pourquoi, en fait, finalement, on retrouve dans le langage l’animalisation de la femme, ce que ça signifie, etc.
Bref. Et donc, à l’issue de cette audience, il y a une décision du 25 mai 2018 dans laquelle le tribunal a très bien jugé que, en ramenant la partie civile à sa condition de femme en tant qu’objet sexuel, l’infraction est caractérisée et qualifie Anne-Cécile Mailfert de « grosse pute », constituant en outre une injure commise à raison du sexe. Le terme est méprisant et outrageant, en ramenant la victime à la condition de femme comme objet sexuel.
J’imagine que ça vous semble aller de soi, mais ça n’avait jamais été jugé. C’est important que ça le soit, parce que dans la modération, par exemple sur les réseaux sociaux, ça permet de manière beaucoup plus simple, en cas de raid, de cyberharcèlement, etc., d’identifier certains vocables et de dire aux plateformes : « Ça, il a été jugé que c’est une injure à raison du sexe, donc vous devez le modérer, vous devez le sanctionner. » Ce que les plateformes, vous le savez, ne sont pas toujours prompt à faire.
Et d’ailleurs, sur les plateformes, je vous en dirai un mot tout à l’heure à l’occasion de cette autre affaire. Parce que moi, grâce à la Fondation des Femmes, je dois dire que j’ai découvert une faune d’influenceurs et d’acteurs des réseaux sociaux que j’ignorais.
Alors, l’un d’entre eux, un autre, c’est un monsieur qui, dans le pseudo, est « Marceau ». Alors Marceau, il n’est pas du tout que sur les réseaux sociaux. Il est connu pour ses bandes dessinées d’extrême droite, dans lesquelles — enfin — qui sont truffées de représentations racistes, sexistes. Et il a une communauté, comme on dit, extrêmement nombreuse de gens qui le suivent.
Et donc, ce qui s’était passé dans l’affaire Marceau, c’est qu’il y avait une militante féministe qui avait signalé — plusieurs militantes féministes avaient signalé — la page Facebook qui contenait beaucoup de… ce Marceau, qui contenait beaucoup de propos extrêmement sexistes. Et sa communauté s’en est donnée à cœur joie. Et finalement, Facebook avait fermé la page.
Et donc, ce qui s’est passé, c’est qu’immédiatement, dans l’instant, Marceau a rouvert une nouvelle page Facebook sur laquelle — je ne sais pas très bien comment ça fonctionne — mais il a réussi à agglomérer de nouveau l’ensemble de sa communauté en quelques minutes. Et il a publié sur cette nouvelle page un message qu’avait envoyé une militante féministe, qui se réjouissait de la fermeture de la première page, en appelant sa communauté.
Je vous montre le message qu’il avait posté : en appelant sa communauté, bon, en fait, elle a été harcelée. C’est-à-dire que, sous la republication de son message, il avait mis : « La question est donc la suivante : quand on affiche une hystérique qui se vante de signaler et d’anéantir une communauté de 220 000 personnes, est-on misogyne ? Bien joué, félicitations pour ton acharnement et bonne soirée. Tu vas peut-être recevoir trois, quatre messages. Marceau. »
Sous couvert de cette litote, évidemment, elle n’a pas reçu trois, quatre messages, mais elle a reçu des milliers de messages. Elle a reçu des messages — la sélection que je vous en ai faite, je vous ai épargné les pires — mais elle a reçu des messages d'une violence phénoménale. Elle a reçu des menaces de mort, elle a reçu des messages qui lui indiquaient qu'on avait son adresse, etc. Et c'était d'une telle brutalité qu'elle en est tombée malade et qu'elle a fait une tentative de suicide.
Certains de ces messages, c'est : « Mange merde, on va s'occuper de toi », « on a ton adresse IP », « t'étonne pas si ta petite tête de fragile est défigurée dans la semaine, bonne soirée », « on va t'exciser à l'hôpital, ne fais pas trop la maline », etc., etc., etc.
Donc ça, c'est le genre de message qu'elle a reçu.
De la même manière, on a été saisi de ce dossier. Ce dossier, pourquoi ? Évidemment, on ne peut pas défendre tous les dossiers, on fait ça bénévolement, l'ensemble des dossiers dont on est saisi. Mais celui-ci, pourquoi on a accepté de le prendre ? En dehors de la violence particulière des faits, c'est parce que c'était l'occasion de faire sanctionner pour la première fois une autre infraction qui ne l'avait jamais été : la provocation à la haine à raison du sexe.
Et là, on considérait qu'on était vraiment là-dedans, c'est-à-dire qu'il y avait un appel à la harceler, et en utilisant « la connasse hystérique », etc., l'idée c'était vraiment qu'elle soit harcelée à raison de son sexe, et de manière extrêmement violente et sexiste. C'est ce qui a été le cas.
Et je vous parlais tout à l'heure des plateformes. Ce qui est vraiment incroyable, c'est qu'il y a une prime à l'anonymat. C'est-à-dire que, finalement, les hommes — en dehors de Marceau — mais les hommes qui ont été interpellés et qui été présents à l'audience, ce sont des hommes qui — alors ça, c'est d'ailleurs le témoignage d'un manque de précaution, si ce n'est d'intelligence — mais qui ont publié ces messages sous leurs vrais noms. Donc eux, ils ont été interpellés. Mais d'autres, qui avaient envoyé des messages bien plus violents, mais qui l'avaient fait sous pseudo ou anonymement, n'ont pas été interpellés.
Alors même que, en réalité, les policiers font des demandes aux plateformes, mais les plateformes n'y répondent pas. Elles ne le font pas quand il s'agit de questions de ce type-là. Elles le font quand il s'agit d'autres enjeux, évidemment — par exemple, je pense au terrorisme — mais là-dessus, il y a de vrais obstacles.
Donc, finalement, il y a une prime à l'anonymat et un effet de « bénéfice » assez fort pour ceux qui s'y livrent.
Donc, de nouveau, audience, de nouveau débat. Et alors, moi, ce qui m'avait frappée aussi à cette occasion, c'est que les hommes qui étaient là et qui avaient envoyé ces messages — qui sont vraiment… mais vous ne pouvez pas imaginer ce qu'ils étaient — c'est-à-dire qu'il y en avait un, je me suis même marquée, il était architecte, et il avait envoyé son message, je me souviens, c'était 18h18. Et alors, on lui a dit : « Mais qu'est-ce que vous faisiez à 18h18 ?" » Et il dit : « J'ai fait ça au moment où les enfants étaient dans le bain. »
Donc c'est-à-dire que cette espèce de décalage total entre une violence absolue et complètement déraisonnable, et une vie absolument banale en apparence…
Là aussi, le tribunal a reconnu l'infraction de provocation à la haine à raison du sexe. Donc ça, de la même manière, c'est important au plan symbolique de la constitution de l'infraction, mais aussi, encore une fois, si d'aventure on est amené à devoir faire poursuivre ou faire fermer des pages — ou typiquement, cette publication, si elle avait pu être désactivée immédiatement, ça aurait mis un terme aussi brutalement. Seulement, le problème, c'est que la plateforme ne l'a pas désactivée, et que ça s'est prolongé pendant plusieurs jours. Et ça, c'est un vrai sujet.
D'ailleurs, ça me fait penser : on a un autre sujet avec les plateformes, qui est que… il y a des pages qui sont des pages fermées. Donc, en fait, il y a des gens qui s'y infiltrent et qui voient ce qui s'y passe. Mais là, je vous parle de Facebook encore. Ce sont des grands groupes, mais avec — là aussi — des milliers, des milliers de personnes.
Et l'un d'entre eux, par exemple, c’étaient des hommes… enfin, l'objet de cette page, c'était de prendre en photo leurs compagnes à leur insu — généralement nues ou pendant l'acte sexuel — et de les poster, de les partager avec la communauté sur cette page.
Je dois préciser que parfois, il y avait des femmes mineures, et que c'était sûr, puisque les commentaires faisaient état de cette qualité de femme mineure.
Et là, nous, on était confrontés à un vrai dilemme éthique. C'est que les pages Facebook — alors soit elles sont en activité, soit elles sont fermées — mais il n'y a pas de… on ne peut pas les mettre en cache avec la plateforme, par exemple. Et ça, ça pose un vrai sujet de preuve.
Parce que nous, on voulait pouvoir poursuivre ceux qui se livraient à ce genre d'agissements extrêmement graves. Mais pour le faire, il faut du temps. Il faut le temps de saisir un huissier, de faire des captures d’écran, des PV de constat, etc. Et ça, ça prend beaucoup de temps, surtout quand il y a une masse importante d’échanges.
Et encore une fois, comme je vous le disais tout à l’heure, on se disait : « Mais d’un autre côté, laisser cette page ouverte et permettre à d’autres de continuer de poster ce genre de choses, c’est très compliqué. »
Bon, là, on l’a résolu. On a trouvé des huissiers très engagés, qui ont travaillé d’arrache-pied pour faire les PV de constat, de temps en temps encore, ce qui a permis ensuite de signaler.
Mais c’est pour dire qu’en fait, en réalité, il y a une activité grise comme ça, qui se tient sur Internet, dont on ne voit parfois que l’écume, et qui donne lieu à des agissements extrêmement graves.
Alors, ça, c’est une campagne de presse, pardon une campagne publicitaire, qui avait été faite pour une grande marque de luxe, qui avait été affichée, si vous savez, sur tous les arrêts de bus. Et ça, ça avait interpellé beaucoup de gens, parce qu’on voit bien qu’il y a un sujet.
C’est-à-dire que là, les femmes sont complètement à la fois offertes, réifiées, elles apparaissent comme des objets. On ne sait même plus quel est le prolongement d’un tabouret. Elles sont sur des talons aiguilles avec des roulettes… enfin, on sent bien qu’il y a un problème.
Et puis, il est question de l’anorexie et de l’extrême maigreur. Ça donnait une image de la femme vraiment, vraiment déplorable.
Donc, ça, on a saisi ce qui s’appelle le Jury de Déontologie Publicitaire, qui a rendu un avis. Et ça, c’était aussi important, parce qu’il est venu confirmer qu’en effet, ces photos montrant des femmes dans des postures ostensiblement érotiques et comme sexuellement offertes utilisaient — et de ce fait alimentaient — le stéréotype de la femme objet sexuel.
Donc cette idée d’objet a vraiment été reprise à plusieurs reprises dans cet avis, qui a fini par conclure qu’elle banalisait et valorisait les comportements sexistes et les idées a priori d'infériorité des femmes dans la société, ainsi qu'une idée de soumission. Donc ça, c'est important, parce que ça montre que dans un autre champ qui est sous nos yeux — c'est-à-dire celui de la publicité — là aussi, il y a… D'abord, enfin, moi je suis toujours un peu perplexe puisque 2017, c'est pas non plus le 19e siècle, que personne n'ait pensé, dans une marque de luxe qui en plus s'adresse à des femmes, que quand même cette campagne posait un problème.
Mais c'est important que le Jury de Déontologie rende ce genre d'avis et pose des mots sur ces photos, parce que — on l'espère — ceux qui contribuent ensuite à l'élaboration d'autres campagnes de publicité peuvent avoir ces références en tête.
Alors, il y a un autre personnage que j'ai découvert grâce à la Fondation des Femmes. Alors lui, c'était — on peut dire — « influenceur », parce que je crois que c'est le terme consacré. Alors, son nom de scène, lui, c'était Amine Mojito. Alors, je ne sais pas si vous connaissez Amine Mojito… vous connaissez apparemment.
Donc Amine Mojito, il s'était fait une spécialité de se filmer en frappant — mais en frappant vraiment — des femmes, à tel point que des marques sur leur corps… en les insultant de la même manière, toujours, « putes » etc., en les humiliant, en leur lançant des liquides dessus, etc.
Et ce qui était intéressant, c'est qu'il le faisait — alors je ne sais plus sur quelle plateforme — mais en tout cas, c'était une plateforme dans laquelle il interagissait avec sa communauté. Et c'est-à-dire que la communauté lui disait : « Bah fais-lui ça, pratique tel genre d'acte sur elle », etc., et lui, il s'exécutait.
Donc c'était assez effrayant, en fait, parce que ça montre aussi ce qui peut se passer quand on laisse cours à ce type de… n'importe quoi, en réalité.
Et c'est intéressant — je ne sais pas si… Il y a une artiste qui avait fait cette expérience-là dans les années 70. Elle s'était mise dans un musée, et elle avait posé sur une table des rasoirs, des plumes, des vins, plein d'objets, et elle avait dit : « Moi je reste là, je suis passive, et faites ce que vous voulez. » Et en fait, on s'est rendu compte qu'au bout d'un moment, bah les gens ont commencé à la violenter, en fait, à la couper, etc., et elle pleurait.
Donc ça montrait que finalement, il y a… Ce n'est pas quelque chose parfois qu'on peut expliquer, mais dans l'effet de meute, il peut y avoir des immenses violences. Et la société le démontre.
Mais ce que je veux vous dire ici, c'est que les réseaux sociaux permettent cela aussi.
Donc Amine Mojito faisait cela. Donc pareil, on a saisi Amine Mojito. Donc là aussi, c'était intéressant, parce que c'était une infraction d'incitation à la haine, à la violence à raison du sexe. Et Amine Mojito, lui aussi, a été condamné.
Toujours la même idée, c'est-à-dire qu'il ressort des vidéos une impression d'humiliation de la femme, réifiée, puisque sous la possession, la domination de l'homme qui la frappe, celui-ci riant. Et le tribunal a consacré l'idée selon laquelle c'était d'autant plus grave qu'il avait beaucoup d'abonnés, et que ça donnait un écho assez pratique.
Alors, compte tenu de son jeune âge, évidemment, il n'a pas été condamné très lourdement, mais il a été condamné à un stage de sensibilisation à l'égalité homme-femme. Ça, c'était pour Amine Mojito.
Une autre intervention qu'on a menée — bon, ça, c'est quelqu'un qui est coutumier du fait, on pourrait faire ça régulièrement avec lui — c'était dans le cadre de l'émission de Cyril Hanouna.
Alors ça, c'est intéressant, parce que… Cyril Hanouna, vous le savez, c'est des chaînes de Vincent Bolloré. Donc c'est un groupe qui est puissant et qui a des moyens financiers. Donc ça, c'est intéressant, parce qu'on voit aussi les dynamiques qui se mettent à l'œuvre.
Alors là, je ne sais pas si la vidéo fonctionne… Bon, de toute façon, non, je peux vous raconter ce qu'il avait fait.
Cyril Hanouna — vous l'aviez peut-être vu — c'est qu'il avait demandé à une de ses chroniqueuses de fermer les yeux, et lui faisait toucher des parties de son corps. Elle devait deviner, jusqu'au moment où il a mis la main sur son sexe.
Donc là, on a saisi, avec des associations, le CSA. Et le CSA a rendu un premier avis en juin 2017, en expliquant qu'en effet, ces images faisaient penser au téléspectateur qu’en pareille situation le consentement de la chroniqueuse n'était pas nécessaire, que cette séquence, qui a placé celle-ci dans une situation dégradante, véhiculait une image stéréotypée des femmes, et que ça présentait un caractère de gravité manifeste qui justifie la condamnation de la société C8.
Ce qui est très intéressant dans ce dossier-là — et moi, j'ai trouvé que ça, c'était bien — c'est que la condamnation en question, ça a été l'interdiction de diffuser de la publicité 15 minutes avant, pendant, et 15 minutes après l'émission, pendant plusieurs semaines.
Ça, c'est une perte publicitaire de plusieurs millions d'euros pour la chaîne.
Donc là, c'est intéressant, parce qu'on voit ce qui se passe. C'est-à-dire qu'à un moment, dans le bras de fer, en dehors des principes, des valeurs, vient s'ajouter une sanction économique. Et à raison de cette sanction économique, il y a une résistance qui est importante en face. Et puis, il y a des moyens.
Là, dans un premier temps, la chaîne avait fait appel de la décision devant le Conseil d'État. Et le Conseil d'État a confirmé de nouveau les termes de la décision qui avait été rendue par le CSA. Il a même été plus sévère que le CSA dans les mots qu'il a retenus. Et il a notamment caractérisé le fait que ça pouvait même faire l'objet d'une incrimination pénale. Donc il a été encore plus sec dans sa condamnation.
Et pour vous dire à quel point la chaîne a résisté à la condamnation, c'est qu'elle a été jusqu'à saisir la Cour européenne des droits de l'homme, qui, le 9 février 2023, a débouté la chaîne C8 de sa contestation, et a considéré aussi — tout comme le Conseil d'État et le CSA avant elle — que la mise en scène de ce jeu obscène, ainsi que des commentaires graveleux, véhiculaient une image stéréotypée, négative et stigmatisante des femmes.
Donc ça, c'est vraiment intéressant, parce que — comme je vous le disais — il y a cette dimension économique, la sanction économique. Et ça, moi je crois qu'elle est aussi quand même la clé, à un moment. Malheureusement, c'est triste d'en arriver là, mais en toute chose, parfois, il faut des incitations qui ne sont pas la vertu. Et clairement, l'incitation économique, c'est un levier qui est extrêmement puissant.
Et cette décision, elle est importante. Alors, vous l'avez peut-être constaté au cours des derniers mois et dernières années : je ne dirais pas que ça a complètement changé la ligne éditoriale de l'émission, mais ça reste cette vertu de pouvoir permettre éventuellement une jurisprudence et de ressaisir si besoin.
Ah oui, je voulais vous parler de ce dossier-là, dans la stratégie juridique, parce que je trouvais qu'il était intéressant. Je vous disais tout à l'heure, en parlant des victimes et de la difficulté parfois de saisir des instances, de la peur un petit peu… de la peur des conséquences que cela entraîne.
Et il y a quelque chose que nous, on connaît — là, je ne vous ai pas tellement parlé des… enfin même pas… des cas qu'on a pu avoir de femmes qui sont victimes de personnalités ou victimes, enfin, d'agression sexuelle, de viol, etc., parce que je m'en suis tenu aux questions de sexisme sur les réseaux sociaux — mais on a aussi ce genre de dossiers.
Et c'est très très difficile pour une femme de porter plainte contre des hommes qui sont des hommes souvent puissants, que ce soit des hommes politiques, que ce soit des acteurs, que ce soit des présentateurs ou des réalisateurs, parce qu'évidemment, ils sont extrêmement bien outillés, ils sont parfois aussi menaçants. Et donc, ça requiert un courage et une énergie importante.
Et nous, on est à leur côté pour mettre en place les meilleures conditions de l'action. Et dans ce contexte, on a souvent ce que nous, on appelle des procédures « bâillons ». La procédure bâillon, c'est finalement la victime qui se retrouve à signer — ou qui se retrouve l'objet — d'une plainte par son agresseur, qui lui reproche généralement une diffamation.
Donc là, je vous donne le cas d'un homme politique dans lequel nous avions assisté, nous avions assisté certaines de ses victimes, qui étaient pour certaines d'entre elles des députées. Et donc là, on parlait de faits de harcèlement sexuel. Et en réalité, les faits étaient prescrits. Mais le procureur de la République avait fait quelque chose qui était bien inhabituel, mais qui était puissant : c'est qu'il avait pris la peine, dans le cadre du classement sans suite, d'expliquer les choses.
Et dans le cadre d'un communiqué de presse, il avait dit : « Il apparaît que les faits dénoncés, au terme des déclarations mesurées, constantes et corroborées par des témoignages, sont pour certains d'entre eux susceptibles d'être qualifiés pénalement. »
C'était important, parce que cela venait dire : « On classe sans suite, mais c'est à raison de la prescription. » Ils sont cependant prescrits — ça veut dire que le temps a passé et qu'on ne peut plus les poursuivre — mais pour autant, il venait dire aussi : « Ce qui m'a été dénoncé, c'était quelque chose qui était sérieux, constant et corroboré. »
L'homme politique en question avait saisi, porté plainte en diffamation contre les plaignantes. Et donc, c'était évidemment anxiogène pour elles, parce qu'elles se retrouvaient tout d'un coup à la barre. Mais en même temps, c'était l'occasion de faire le procès qui n'avait pas pu avoir lieu, puisque en matière de diffamation, l'une des excuses, l'une des défenses, c'est la bonne foi et l'excuse de vérité.
Donc finalement, c'était — je ne sais pas si, stratégiquement, de la part de l'auteur, c'était très habile — parce que s'il souhaitait un procès… mais finalement, il y a eu ce procès. Et ça a été l'occasion pour les victimes d'expliquer les raisons pour lesquelles elles avaient porté plainte, et également pour les organes de presse — parce que ce qui se joue là aussi, évidemment, c'est la liberté d'expression, la liberté de la presse.
Et donc, étaient poursuivies à la fois certaines des victimes, mais également les organes de presse qui s'étaient fait l'écho de leur plainte. Et là aussi, le tribunal de grande instance de Paris a décidé, en juillet 2019, que le sujet traité représentait un but légitime d'expression sur un sujet d'intérêt général, et donc a débouté Denis Baupin pour ne pas le citer de sa plainte en diffamation, en disant que Denis Baupin ne pouvait ignorer que les faits reprochés étaient susceptibles d'être qualifiés pénalement.
Donc la cour — enfin, le tribunal — a retenu la bonne foi des prévenus.
Voilà pour quelques exemples de ce que nous faisons à la Fondation des Femmes. Ce que j'en retiens, c'est que, évidemment, ce sont des combats que nous menons parce qu'ils s'inscrivent dans ce que nous faisons, dans notre profession.
Je ne sais pas quels seront vos parcours respectifs, les uns et les autres, mais ce qui est sûr — et à l'aune de la pré-rentrée que vous avez, des sujets que vous traitez — c'est que vous aurez certainement l'occasion, vous aussi, de vous impliquer sur des sujets qui vous tiennent à cœur et qui seront ceux qui sont importants pour vous dans le cadre de votre parcours.
Voilà. Indépendamment, on peut conduire de front des parcours professionnels et des engagements, quels qu'ils soient : associatifs, politiques, personnels, familiaux. Ça, c'est une conviction. Et parfois, on arrive même à changer les choses.
Je vous montre un post d'Amine Mojito qui dit : « Plus jamais vous me verrez fouetter des meufs, c'est fini les trucs comme ça, faut avancer, merci. »
[Applaudissements]
Hager JEMEL
Merci, merci beaucoup Valence pour cette conférence, pour ces propos — à chaque fois très factuels, je crois que c'est le propre des avocats — très clairs, et surtout qui amènent à réfléchir. Donc un grand grand merci. Alors, nous avons prévu un petit temps d'échange, parce que j'imagine que ces propos peuvent susciter — et si ce n'est pas le cas, ce serait bizarre — des questions, des interrogations, des remarques. Donc n'hésitez pas, nous avons des micros.
Et je vois tout de suite qu'il y a une personne qui a une question, et après monsieur, qui s'appelle Youssef je crois.
Élève 1
Bonjour, merci pour votre intervention. Moi, j'avais une question par rapport au cas d'Amine Mojito. Si je ne me trompe pas, les filles qu'il fouettaient et insultaient, elles étaient consentantes. Et il me semble même que certaines se battaient pour pouvoir être fouettées par lui.
Comment, pénalement, vous pouvez… comment est-ce qu'on peut défendre une femme qui a accepté ces comportements — enfin, de subir… je ne sais pas si on peut dire « subir », du coup — mais subir des comportements dégradants, et quand même dire que c'est dégradant pour la femme ? Je ne sais pas si ma question est claire.
Valence Borgia
— Si, si, elle est très claire, merci. Alors, c'est intéressant ce que vous dites, et d'ailleurs, par exemple, vous avez raison : à raison du consentement, on aurait peut-être pas pu d'ailleurs elle n’a pas porté plainte pour cette infraction-là. On n’aurait peut-être pas pu aller sur de l’agression ou sur du viol, par exemple, parce que précisément il y avait un consentement. Mais là, ce qui était sanctionné, ce n’est pas ce qu’a subi cette femme-là, c’est l’image que cela donne. Et à la limite, ce serait… comment dire… ce serait — d’ailleurs c’est le cas, parce que vous dites un peu — c’est finalement comme un jeu consenti, donc c’était presque un jeu d’acteurs, en fait.
Mais pour autant, la loi considère que, indépendamment de la réalité de la violence — qui est celle de l’infraction sous-jacente — c’est l’image, c’est l’invitation à la haine, finalement la provocation à la haine, qui est sanctionnée. De la même manière que vous avez des comiques, par exemple, qui ont tenu des propos antisémites et qui ont été condamnés pour cette provocation à la haine. Donc ce qu’on vient sanctionner ici, c’est l’effet du discours et l’intention du discours, et non pas ce que cette femme-là en particulier a subi.
Mais vous posez une question que nous, on se pose quotidiennement. Par exemple, là récemment — je ne sais pas si vous avez vu — mais au Festival d’Avignon, ça a fait l’objet d’un certain nombre d’articles. Il y a une actrice — enfin, il y a une troupe — qui a mis en scène… en fait, donc l’actrice prenait du GHB — donc c’est la drogue du violeur — avant la représentation. Donc elle était inconsciente, dans l’état dans lequel sont les femmes à qui on donne du GHB en général pour abuser d’elles. Et pendant la pièce de théâtre, elle était violée — parce qu’en fait, très cru, mais c’est ça la performance — on lui introduisait une caméra dans le vagin alors qu’elle était inconsciente.
Et donc, on s’est posé la question. On s’est dit : mais est-ce que ça… bon, de quoi ça relève ? Donc la question que vous posez, elle est importante. Mais encore une fois, là ce qu’on sanctionne, c’est l’effet du discours. Ce n’est pas la violence en elle-même.
Élève 2
Mais donc, juste par rapport à la publicité pour la marque de luxe : on sait que souvent… enfin, moi j’avais trouvé les photos plutôt dégradantes et rabaissantes, mais… enfin, je n’avais pas trouvé ça très attirant comme… enfin, c’est personnel… mais juste… souvent… non, souvent… ce que je veux dire… ce que je veux dire, c’est que les… pardon, oh là là, j’ai dérapé… mais ce que je veux dire, c’est que les marques de luxe, souvent, engagent des artistes pour réaliser les publicités. Et je voulais savoir : à partir de quel moment est-ce qu’on peut poursuivre quelque chose, par exemple pour de l’art, alors que souvent… enfin, peut-être c’était quelque chose d’abstrait ou quelque chose qu’on ne peut pas forcément condamner… enfin, je ne sais pas… est-ce que… je ne sais pas si je me suis bien exprimé… mais souvent, les grandes marques de luxe engagent des artistes qui peuvent justifier ça par… voilà… enfin voilà… c’est souvent consenti par… voilà, c’est ça… au nom de l’art… sous… voilà… et comment est-ce qu’on peut…
Valence Borgia
Donc c’est la limite entre la liberté de l’artiste et le… bah c’est ça qui est intéressant, c’est le moment justement où le droit vient jouer. C’est ça qui est passionnant dans ce qu’on fait. C’est-à-dire, là je vous ai donné des décisions dans lesquelles finalement il a été considéré qu’il y avait une infraction. Parfois, il n’y a pas d’infraction. Et donc, on rentre dans les critères.
Est-ce que, sur les photos qu’on a vues tout à l’heure, on considère que… alors attention, parce que là c’est le Jury de Déontologie Publicitaire qui a rendu un avis. C’est-à-dire que c’est un organe qui est plutôt éthique, en réalité. Il n’a pas jugé de l’existence d’une infraction pénale. Donc lui, il a considéré qu’à partir de sa déontologie à lui, ces images étaient dégradantes. Mais ça fait l’objet d’un débat juridique et judiciaire.
Et en fait, comme dans n’importe quel type de contentieux, il n’y a pas de… il n’y a pas de vérité. Il y a la vérité judiciaire. Là, c’est sa vérité déontologique.
Où est-ce qu’on met la… on pourrait se poser la question, par exemple : est-ce que, s’il y a une marque de luxe qui a recours à un acteur qui est accusé de violences sexuelles pour faire la promotion de ses produits, est-ce que c’est stigmatisant pour les femmes, par exemple ? Je n’ai pas la réponse à cette question, elle n’a jamais été posée à personne.
Mais c’est ça qui est très intéressant dans ces actions-là qu’on conduit. C’est qu’à un moment, on se dit : on va réfléchir avec l’outil qui est celui du droit, et on va essayer de convaincre.
Sur la pièce de théâtre, très franchement, on s’est posé la question. On s’est dit : est-ce qu’on fait un référé ? Est-ce qu’on fait arrêter cette pièce de théâtre ? Est-ce qu’on aurait eu gain de cause ? Je sais pas.
Et après, il y a une question qui est très intéressante, qui est — moi je… qui est vraie en matière de combat sur les inégalités hommes-femmes, mais qui, de manière générale, beaucoup plus largement — et c’est un sujet plus vaste et très vrai — c’est la différence entre la légalité et la légitimité.
C’est-à-dire que parfois, on a raison en droit, mais on n’est pas légitime. Et donc, finalement, ce sont des fausses victoires. Il y a des victoires qu’on ne va pas aller chercher, parce qu’on se dit : finalement, elles peuvent être extrêmement mal perçues. Et à l’inverse, il y a des défaites qu’on va chercher bien volontiers.
Il y a des dossiers dans lesquels on sait qu’on va perdre, parce que, par exemple, les éléments ne sont pas… les éléments… ça nous arrive très souvent d’avoir des femmes qui nous racontent des viols. On les croit. On sait que ça va être très compliqué au plan de la preuve, parce que l’établissement de la preuve — vous le savez — le viol, ça se passe souvent à huis clos. On sait qu’on risque de perdre, mais on y va quand même, parce qu’on se dit : on a quelque chose à y gagner.
Et ça a été le cas, par exemple, dans certains dossiers récents, un peu médiatiques, où il y a une première femme qui va. Elle sait que, toute seule, elle n’a pas beaucoup de chance d’y aller. Mais le pari qu’elle fait, c’est de se dire : même si moi, c’est classé sans suite, peut-être que d’autres vont venir faire le même récit.
Et c’est très important, la concordance des témoignages, les alliances qu’on peut conduire. Et si d’autres viennent faire le même récit, alors peut-être que celles-ci, elles vont réussir à le faire condamner.
Et on a eu plein d’exemples récents de cela.
Donc voilà.
Hager Jemel
Alors, est-ce qu’on peut activer l’autre micro, s’il vous plaît ? Qu’est-ce qui est écrit dessus ? Il n’y a rien écrit ? Ça fonctionne ? C’est bon ? Nickel.
Élève 3
Merci beaucoup. Vous avez parlé des injures justement à caractère sexualisant envers les femmes. Vous avez utilisé le mot « cochonne ». Est-ce que c'est puni plus violemment par la loi justement parce que c'est un caractère sexualisant et dégradant envers les femmes ? Et comment sont punies les injures et justement les trucs comme ça en général, quand il n'y a pas justement ce caractère sexuel ?
Valence Borgia
Alors, c'est une très bonne question à laquelle je n'ai pas la réponse, parce que je n'ai pas révisé les infractions. En tout cas, ce que je peux vous dire, c'est qu'il y a l'injure, qui est l'injure pure et simple, et ensuite il y a des injures qui sont considérées comme aggravées parce qu'elles comportent cette dimension. Et c'est dans le même texte, quoi, c'est-à-dire : à caractère sexuel, à caractère raciste, à caractère homophobe. Elles sont toutes sanctionnées plus lourdement qu'une injure qui n'aurait pas cette dimension-là. Et ça relève de l'amende, c'est-à-dire qu'on n'est pas dans des sanctions… ce n'est pas un délit, on est dans des contraventions. Et donc voilà, ce sont des amendes.
Hager Jemel
Je précise juste que cet après-midi, on va parler justement — il y aura des cas, notamment l'outrage sexiste — qui répondra à votre question et où la loi a évolué récemment. Donc je réserve la réponse aux animateurs qui vont animer l'atelier de cet après-midi. Vous allez en discuter.
Il y a une autre question qui arrive. Le micro n'est pas activé…
Élève 4
Je retente… oui, merci. Merci beaucoup pour cette présentation, c'était vraiment très riche. Je voudrais revenir sur la partie cabinet d'avocats, parce que je trouve ça vraiment intéressant, et je voudrais savoir comment on s'en sort. Et notamment, je voudrais votre avis sur la notion des quotas, c'est-à-dire : est-ce qu'on doit dire… eh bien il faut…
[Micro qui cesse de fonctionner]
Hager Jemel
Il y a de la censure visiblement…
Valence Borgia
Je crois que j'ai compris la question.
Élève 4
Est-ce qu'il faut… merci… est-ce qu'il faut qu'il y ait tant de femmes dans votre conseil d'administration ? Est-ce que les quotas servent les femmes ou est-ce que les quotas desservent les femmes ?
Et toujours dans cette même question, j'ai un ami qui habite aux États-Unis, qui est avocat, et qui m'a dit : « Ben moi, ma carrière, elle est foutue avant de commencer, parce que je suis un homme, je suis blanc et je suis hétéro. Et donc c'est terminé pour moi, je ne vais pas pouvoir m'en sortir, parce que je n'aurai droit à aucune promotion. » Voilà. Et donc je voudrais vraiment revenir sur cette question des quotas : est-ce que c'est bien, pas bien ? Votre avis à vous ?
Valence Borgia
Alors, moi, c'est une question sur laquelle j'ai évolué. Il y a deux endroits où on peut imaginer des quotas dans la profession : il y a dans les organes de gouvernance qui dirigent la profession, et il y a dans les cabinets d'avocats — on parle des associés.
Dans les organes de gouvernance, c'est le cas désormais, puisque les binômes au Conseil de l'Ordre sont paritaires maintenant. C'est-à-dire que pour être élu au Conseil de l'Ordre, on envoie un homme, une femme. Moi, ma conviction, c'est que cette réforme, elle est passée parce qu'elle est passée — juste comme par hasard — au moment où, pour la première fois, il y avait plus de femmes que d'hommes qui avaient été élues. Et donc je me suis dit que finalement, ça s'ajoute plutôt au bénéfice des hommes, puisque dans une profession qui est majoritairement féminine, le fait de maintenir une parité là, c'est à la faveur des hommes.
Donc bon… mais ça a un impact. Et je vous le disais tout à l'heure, moi je fais partie des premières promotions qui étaient élues en binôme paritaire. Je pense qu'il n'y a tout à fait un hasard que derrière, on puisse enclencher des politiques très volontaristes de lutte contre le sexisme et les discriminations. Donc moi, je suis favorable.
Et d'ailleurs, pour la petite histoire, quand on en a… parce qu'il a été question d'abandonner cette pratique des binômes — c'est quelque chose dont on a débattu au Conseil de l'Ordre — et tous les gens qui se sont présentés en binôme, donc les élus de l'époque qui devaient statuer sur la question, étaient très favorables au maintien des binômes. C'était une expérience qui a beaucoup plu à tout le monde, par la solidarité que ça constitue, et par l'idée que mener une campagne — parce que c'est quand même une campagne politique, il y a 30 000 avocats au barreau de Paris, donc pour être élu, il faut faire campagne — le faire à deux, c'est quand même quelque chose de beaucoup plus agréable et moins brutal que de le faire seul.
Donc pour cette seule raison, indépendamment des questions de parité, c'est quelque chose qui a été défendu.
Donc pour la gouvernance, moi je suis favorable. Sur les bâtonniers, on n'a pas ce système-là, mais parce qu'en fait, il y a… enfin, c'est une bâtonnière ou un bâtonnier chaque année. Donc est-ce qu'il faudrait une alternance ? Pour l'instant, je touche du bois : depuis quelques années — c'est encore trop récent pour en faire une règle — mais l'alternance homme-femme a l'air de jouer.
Donc ce que je constate juste, c'est que les femmes qui sont élues bâtonnières sont des femmes qui ont généralement des parcours beaucoup plus complets et performants que les hommes. C'est-à-dire qu'il y a des attentes, quand même, qui pèsent sur elles, qui sont plus importantes.
Et voilà. Donc ça, c'est pour la profession. Donc moi, je suis favorable, et ça va dans le… pratiquement… la pratique, c'est la pratique aujourd'hui.
Sur les cabinets d'avocats… sur les cabinets d'avocats, moi ma vision, c'est celle-ci : c'est qu'en fait, je n'aime pas du tout l'expression de « discrimination positive ». Je trouve que c'est un oxymoron, qui de fait conduit à dire qu'on n'en veut pas, parce que personne ne veut de la discrimination. Et d'ailleurs, les Américains n'utilisent pas le mot « discrimination positive », ils utilisent le mot « affirmative action », qui est différent.
Moi, quand on vient me dire : « Oui, mais alors, si on met des femmes parce qu'elles sont femmes, on va promouvoir des gens incompétents », moi je ne le vois pas comme ça. En fait, je considère que le fait que dans certains cabinets, il n'y ait que des hommes, c'est en soi une anomalie. Je me dis que c'est forcément qu'il y a des hommes incompétents qui sont là, qui ne devraient pas y être. Je ne pense pas du tout que c'est parce que les hommes sont plus compétents que les femmes. Donc je me dis : « Bah, il y a une anomalie statistique, et il faut la changer. »
Donc après, moi j'ai un cabinet dans lequel on est trois associées femmes. Donc si on est obligé de quotas, je serais un peu embêtée. Mais plus sérieusement, moi en fait, tu vois, je suis favorable. Et je suis favorable, mais pour tout le monde, pour les cabinets. Même moi, je crois que les clients sont très en demande de ça. Enfin, et je pense que ça serait… c’est le sens de l’histoire. Et que les déperditions d’avocates qui quittent la profession.
On en parlait tout à l'heure : celles qui vont en entreprise, ce sont de très beaux parcours aussi, mais il ne faut pas que le choix de l'entreprise soit un renoncement par rapport au barreau. Il faut que le choix de l'entreprise soit un choix entrepreneurial. Il faut qu'il y ait des mobilités, qu'on puisse être avocat·e en entreprise, revenir à la profession, que tout ça soit une construction volontaire et pas une impasse. Donc oui, moi j'y suis favorable. Et en fait, je ne comprends même pas… j'ai du mal à comprendre que certains cabinets ne mettent pas davantage de volontarisme à changer les choses, parce que moi je vois ça comme vraiment le nez au milieu de la figure. Quand j'ouvre une page internet et que je vois que des hommes associés, je me dis : il y a un problème.
Élève 4
Merci.
Élève 5
Bonjour, j'ai juste une question, c'est sur l'aspect un peu médiatique. Et aujourd'hui, avec beaucoup les affaires, je me posais juste une question : quand on traite un dossier où on considère qu'il y a une personne qui va dire qu'elle a été abusée sexuellement, et peut-être que ça va en appeler d'autres, est-ce que, quand on traite une affaire comme ça, on se dit : il y a six personnes qui ont dit qu'elles ont été abusées sexuellement, du coup, au bout d'un moment, on va prendre les dossiers indépendamment les uns des autres, ou on se dit quand même, même si ce n'est pas forcément écrit, il n'y a pas de fumée sans feu ? Par exemple, là récemment, Benjamin Mendy, il y avait six personnes. Est-ce qu'on prend chaque dossier, et à la fin, s'il n'y a pas de preuve, en fait c'est perdu d'avance, quoi ?
Valence Borgia
Quand vous dites « on » vous parlez de procureur qui poursuit, vous parlez des avocats qui assistent.
Élève 5
Je parle du procès, et même des avocats qui veulent défendre ces femmes-là. Si les procès sont pris indépendamment, en fait, chaque avocat dit qu'il n'y a aucune chance. Enfin, je ne vois pas ce que ça rajoute qu'il y ait six personnes si les dossiers sont pris indépendamment.
Valence Borgia
En fait, en matière pénale, on est sur l'administration de la preuve. Et la preuve, elle peut être amenée de n'importe quelle façon — enfin, n'importe quelle façon légale. Le fait que des personnes qui ne se connaissent pas fassent un récit identique, ça, c'est une preuve. Pour moi, en tout cas, je considère que c'est une preuve. C'est-à-dire que si ce sont des personnes qui n'ont aucun lien les unes avec les autres, pas d'intérêt à le faire, viennent rapporter un récit qu'elles arrivent à corroborer par des éléments — par exemple, une femme qui va dire : " « Voilà, il s'est passé ça avec tel acteur », et puis qui en a fait le récit tout de suite à son conjoint le soir en rentrant chez elle, ou qui a envoyé des messages, etc. — si vous avez plusieurs personnes qui font le même récit, forcément, c'est de la preuve qui vient s'ajouter.
Alors après, est-ce que pénalement les dossiers sont traités isolément ou ensemble ? Généralement, ils sont traités isolément, d'abord parce que ça dépend des moments des plaintes. Parfois, les instructions ne sont pas au même stade, donc on n'y va pas toutes ensemble. Parfois, les familles vont ensemble, et dans ce cas-là, c'est rassemblé. Elles n'ont pas forcément les mêmes conseils, les mêmes avocats.
En tout cas, moi, c'est quelque chose auquel je crois beaucoup : la force du témoignage. Et ça, c'est quelque chose… par exemple, avec la Fondation des Femmes, ça m'est arrivé de conseiller des femmes qui avaient été, par exemple, victimes d'un réalisateur — dont je ne citerai pas le nom — mais qui était mis en cause par une femme qui indiquait avoir été victime de viol. Et on a été contacté par d'autres femmes qui avaient fréquenté cette personne et qui disaient : « Oui, moi il m'est arrivé tel élément sur le plateau, etc., mais je ne veux pas porter plainte, soit parce que je ne veux pas être médiatisée, soit parce que je sais que c'est d'ores et déjà prescrit. Mais pour autant, je vais m'inscrire en solidarité. »
Donc ce qu'on faisait dans ces cas-là, c'est qu'elles écrivaient une lettre de leur récit, et qu'on l'adressait au juge chargé de l'affaire ou à l'avocat qui représentait déjà une des victimes, parce que ça venait renforcer son dossier. Et ça leur permettait éventuellement de se mettre en contact, d'échanger, et d'identifier encore d'autres personnes qui avaient pu être susceptibles de rencontrer les mêmes difficultés.
Ça, c'est quelque chose auquel je crois beaucoup, parce que c'est une des grandes questions qu'on se pose. Moi, je ne crois pas du tout à la théorie du « parole contre parole ». Ce n'est jamais une parole contre une parole. D'abord, il y a des paroles qu'on peut évaluer, on peut soupeser le poids, la force d'une parole. On peut corroborer son récit avec d'autres récits, parce que ce sont rarement des faits complètement isolés. Généralement, ce sont quand même des choses qui se reproduisent.
Et au-delà de la solidarité des victimes, les témoignages, c'est extrêmement important. Là, dans le dossier dont je vous parlais tout à l'heure, de l'avocat qui a commis un viol, il y a un personnage dont on ne parle pas, mais moi j'ai énormément d'admiration pour lui. Elle, elle était stagiaire, cette jeune fille qui a été victime d'un viol par l'avocat. Il avait un collaborateur. Et en fait, le collaborateur, c'est un jeune collaborateur qui était là, et lui, il a immédiatement compris ce qui s'était passé. Et il a tout de suite… il s'est mis en soutien de cette jeune fille. C'est-à-dire qu'il l'a exfiltré du cabinet, il a témoigné, il a évidemment perdu sa collaboration au passage. Mais lui, c'est quelqu'un qui est vraiment très important dans le dispositif, parce qu'il était là. Il n'était pas dans le bureau, mais il était là, il a vu beaucoup de choses, il a témoigné, il a pris un risque, il l’a payé.
Donc voilà. La notion de témoignage et d'adjonction des récits, c'est quelque chose qui est fondamental en matière pénale. Et c'est d'ailleurs tout le sujet de… souvent, ce qu'on atteint, le réflexe inverse, c'est l'omerta, en fait. C'est-à-dire que justement, les gens ne parlent pas. Tout ce champ lexical autour de « laver son linge sale en famille », etc., etc., c'est ça qui est très difficile : c'est de débloquer le récit public. Parce que de tout temps, les gens ont parlé. On les connaît, les histoires, on sait, on se les raconte un peu dans le secret. Mais ce qui est difficile, c'est de leur donner une nouvelle dimension, c'est-à-dire de les faire parvenir à l'officiel.
Élève 6
Moi, je voulais revenir donc un peu sur l'affaire d'Amine Mojito. Donc vous disiez que… enfin, si j'ai bien compris, c'était une condamnation pour incitation aux violences sexuelles. Maintenant, si on fait un parallèle avec la pornographie et toute l'industrie derrière — je sais qu'il y a des choses qui sont discutées aujourd'hui — mais comment ça se fait que là, il n'y a pas vraiment de condamnation, ou que ça existe encore, et que c'est aussi démocratisé ?
Valence Borgia
C'est une excellente question. Vous avez vu qu'il y a un rapport parlementaire récent qui a été rendu. La pornographie, c'est un… ça, c'est intéressant, parce que c'est — je crois, je ne vous dis pas de bêtises — le plus grand nombre de connexions sur Internet de ce pays. C'est-à-dire que c'est extrêmement massif. Tout le monde va voir de la pornographie, c’est quotidien, c’est partout. Et pour autant, on n’avait jamais eu de débat public — je veux dire à l’Assemblée nationale et au Sénat — sur la pornographie. Ça, ça vient de changer avec le rapport de Laurence Rossignol.
La pornographie, c’est une industrie qui est dotée d’extrêmement de moyens financiers, et ça touche aussi ce que je viens de vous dire : au fait que tout le monde va… beaucoup de gens vont voir de la pornographie dans ce pays. Et ce qui est un vrai problème, parce que contrairement à une période révolue où finalement l’accès à la pornographie, c’était un peu… on avait l’abonnement Canal+ en clair, si on avait la chance d’aller chez un copain qui l’avait, ou on allait — c’était un peu honteux — feuilletait des revues pornographiques dans les kiosques à journaux. Maintenant, chaque enfant, en réalité, a au bout de sa main accès à des vidéos ultra-violentes de pornographie.
Et ce que raconte — je m’étends un peu mais je trouve que c’est passionnant comme sujet— ce que raconte Laurence Rossignol dans son rapport, c’est qu’en fait, ça fonctionne sur des sujets d’adrénaline. C’est-à-dire que pour maintenir un intérêt à revenir, il faut que le stimuli soit toujours plus fort. Et pour qu’il soit plus fort, il faut que les pratiques soient de plus en plus violentes. Donc ça crée une forme de hiatus total entre ces sexualités, qui sont en réalité des pratiques très brutales et qui n’ont rien à voir avec la réalité de la sexualité, mais qui, pour beaucoup, sont la première image qu’ils se font de la sexualité.
Donc c’est un vrai sujet, et ça contribue évidemment aux violences faites aux femmes. Il y a des procès en ce moment — vous dites : « ils sont traités différemment » — non. Avec la Fondation des Femmes, on est aussi sur des procès. Le fameux procès « Jacquie et Michel », et un autre, où en fait il y a eu… mais enfin c’est complètement affreux. C’est-à-dire que ce sont toutes ces femmes qui viennent, qui contractualisent quand même les pratiques qu’elles sont prêtes à accomplir, et en fait leur consentement n’est pas du tout respecté. C’est-à-dire que finalement, ce sont des viols — enfin, ce sont des viols qui sont filmés et qui sont diffusés.
Et ce qui est intéressant, c’est que les hommes — parce que ce sont souvent des situations dans lesquelles il y a une femme et beaucoup d’hommes — et les hommes font ça gratuitement. Donc ils font ça gratuitement, c’est qu’ils se paient… comment ? Ils se paient par le sexe, en fait. Donc ça pose question. Moi, je crois que… bah ça, c’est encore plus grave, parce que ce sont des vrais viols qui sont filmés sans consentement. Et après, on affronte quelque chose qui est extrêmement massif, extrêmement puissant, avec toujours en arrière-plan l’idée qui revient souvent : « Ah mais faudrait quand même pas tomber dans la pudibonderie. » Et ça fait un peu écho à ce que vous disiez tout à l’heure — alors qu’il y a un peu autre chose — mais qui est celui qui dit : « Moi je suis un mâle blanc, maintenant comment je vais faire ? J’aurai plus de travail. » Bah en fait, il suffit d’ouvrir le site d’un cabinet d’avocats pour voir que ce n’est pas tout à fait la réalité aujourd’hui, quoi.
Donc c’est comme ceux qui disent : « On ne pourra plus prendre l’ascenseur. » Je dis : « Bah c’est quand même très bizarre. Si vous pensez que vous ne pouvez plus prendre l’ascenseur avec une femme, ça veut dire que vous ne savez pas vous tenir, en fait. » Parce que si vous pensez qu’il y a le moindre risque, qu’il y a une ambiguïté, et que vous soyez poursuivi à raison de cette ambiguïté, c’est que vous vous apprêtez quand même à faire des choses étonnantes dans l’ascenseur.
Donc voilà, il y a cet arrière-plan très français, très latin. Mais il y a des gens qui sont à l’œuvre en ce moment et qui essayent d’avancer sur ces sujets-là. Et ça fait partie des contentieux qu’on suit.
Élève 7
Bonsoir, en fait j’ai une question. Je n’ai pas compris, en fait, votre exemple que vous avez pris : c’est une femme dans un cabinet d’avocats qui était collaboratrice et qui s’est fait virer alors qu’elle était excellente, et parce qu’elle était enceinte. Du coup, c’est un peu se tirer une balle dans le pied, non ? De virer quelqu’un qui est super fort, et voilà… enfin commercialement, ce n’est pas très malin non ?
Valence Borgia
Vous serez un bon manager. Oui, vous avez raison, c’est une mauvaise décision managériale. Et en effet, c’est se priver de talent. C’est absurde à tous égards, surtout qu’à l’échelle d’une vie professionnelle, en plus, c’est d’autant plus absurde. C’est toujours ce que j’ai pensé : c’est que cette rupture, elle intervient pas pendant le congé maternité, mais au retour. C’est-à-dire qu’à la limite, on pourrait considérer que ce soit admissible de dire : « Oui, bon bah là, elle ne va pas être là pendant 4 mois, donc je vais la virer parce que je vais être privé de sa présence. » Mais là, c’est au retour de congé maternité, quand elle est revenue.
Donc oui, non, c’est se tirer une balle dans le pied, c’est absurde. Et c’est basé sur le stéréotype selon lequel une femme… enfin, que la femme assume seule la charge familiale, et donc elle sera moins disponible. Ça, dans un système où nous, les avocats, encore beaucoup, on facture — enfin, le business model, c’est de la facturation à l’heure — donc celui qui est le plus présent, qui facture le plus, est celui qui rapporte le plus. Donc il peut y avoir cette croyance sous-jacente que la femme, étant devant s’occuper de ses enfants, rentrer chez elle, eh bien elle va moins facturer, donc être moins rentable, et donc on met fin. Mais vous avez raison, ça n’a aucun sens managérial.
Élève 8
Bonjour, je vous remercie pour votre présentation, c’était très intéressant. On a vu qu’il y avait des progrès dans les juridictions sur les violences sexistes et sexuelles. Est-ce que, pour vous, les juridictions peuvent encore faire des progrès sur ces violences ?
Valence Borgia
Alors, au moment de MeToo, il y avait eu une augmentation de 25 % des plaintes. Et alors, on nous demandait : « Est-ce que la justice… est-ce que c’est bon signe ? », etc. Et à l’époque, moi je disais : « Bah, toujours pareil, moi je suis très cartésienne, on verra après, le temps judiciaire. » C’est-à-dire que lorsque les décisions seront rendues, est-ce qu’on aura une augmentation de 25 % des condamnations ?
Et en fait, on s’est rendu compte que là, il y a plutôt une diminution des condamnations, en dépit de l’augmentation des plaintes. Moi, je ne remets pas en cause la justice et les magistrats nécessairement, ni même la chaîne judiciaire. Bon, évidemment, je fais partie de tous ces plaidoyers avec toutes les améliorations qu’on pourrait imaginer, et le manque de moyens. Mais moi, je crois aussi qu’en fait, il y a une telle ampleur des violences sexuelles dans le pays — si on prend que les viols, que les agressions sexuelles — la justice ne pourrait pas absorber. En fait, je veux dire, matériellement, il y a une limite. Il y a une limite de moyens, qui est que la justice ne pourrait pas les absorber.
Ce qui veut dire qu’on a une attente judiciaire qui est très forte — et la mienne, elle est immense, vous imaginez, je suis avocate, je suis impliquée dans du contentieux stratégique — donc mon attente judiciaire, elle est importante. Mais ce dont je me rends compte aujourd’hui, c’est qu’on ne peut pas penser que la solution viendra uniquement de la justice et des décisions.
Il y a des livres qui ont été écrits là-dessus — qui sont très beaux d’ailleurs — et qui démontrent qu’il y a des victimes qui, finalement, après une décision de justice, se sentent pas tellement mieux que avant la décision de justice. La justice ne peut pas tout, en fait. La justice, elle vient dire à un moment ce qu’une société considère comme acceptable ou pas acceptable. Et elle vient, quand c’est nécessaire, écarter celui qui représent en danger et le punir. Mais ça, évidemment, ça ne suffit pas forcément à réparer. Donc moi, je m’interroge beaucoup en ce moment sur comment faire en sorte qu’on ait une justice qui soit efficace et qui réponde à l’appel à chaque fois que c’est possible, à chaque fois qu’elle est sollicitée. Qu’est-ce qu’on peut changer en matière de loi, de mode de preuve, de moyens, de formation — notamment de formation au niveau du dépôt de plainte — parce que les juges sont, je dirais, plutôt prêts, mais pas tellement chez les juges, c’est plutôt au niveau du dépôt de plainte. Et puis je me pose aussi la question : comment on fait pour que le besoin de justice soit moins fort, en fait ? Parce qu’il faudrait, à la base, grâce à de la prévention, faire en sorte de diminuer le montant — tout simplement le volume — des infractions, parce que ce volume-là, aujourd’hui, il n’est pas absorbable par la justice.
Hager Jemel
Il y a une question de l’autre côté.
Élève 9
Bonjour, je vous remercie pour votre intervention. Moi, ma question, c’était : est-ce que votre engagement a eu un impact sur votre carrière professionnelle en tant qu’avocate ?
Valence Borgia
Oui, nécessairement. Moi, au tout début je me disais… je cloisonnais beaucoup mes deux mondes, parce que je me disais : ce n’est pas très lisible, d’un côté d’évoluer dans ce monde du contentieux des affaires, de l’arbitrage international — qui est un monde, voilà, très business, professionnel, très masculin, pas très… pas très, quoi que ça a beaucoup changé, mais à l’époque pas très axé sur les problématiques sociales, environnementales — et puis mon engagement à côté, qui était très fort, associatif. Aujourd’hui, je suis très contente d’avoir conduit ces deux parcours, et aujourd’hui j’assume complètement leur transversalité. Et tout le monde — enfin je veux dire, ceux qui me connaissent — savent que j’ai ces deux casquettes. Et encore cet été, il y a un confrère en arbitrage qui m’a écrit en me disant : « Voilà, on a eu tel problème, enfin une amie a eu tel problème, est-ce que tu peux nous aider ? » Donc aujourd’hui, c’est quelque chose que j’assume et que je ne regrette pas un seul moment, même si pendant longtemps je me suis dit : « Mais comment ça doit être perçu ? »
Est-ce que ça a eu un impact ? Oui, évidemment, ça a eu un impact. Je ne sais pas tellement… mais pas un impact que j’ai choisi, ça n’a pas été construit consciemment. Mais forcément, ça a eu un impact. D’abord, je pense que moi, ce qui m’a beaucoup aidée, c’est de comprendre ces enjeux d’inégalités professionnelles. Moi, je crois que je ne m’étais pas autant formée si je n’avais pas vu ça de si près. Par exemple, je n’aurais pas eu le courage de lancer un cabinet. C’est quelque chose qui m’aurait effrayée. Et aujourd’hui, je suis extrêmement heureuse d’avoir un cabinet, d’avoir cette activité entrepreneuriale, d’avoir moi aujourd’hui mes collaborateurs, mes collaboratrices, d’avoir des clients, des dossiers. Ça, c’est quelque chose que je n’aurais peut-être pas osé faire si je ne m’étais pas sensibilisée aux mécanismes qui font que parfois on se censure sur certaines choses. Donc ça, ça a changé évidemment de ce point de vue-là.
Et puis ce qui a un peu changé, si indirectement — je peux vous donner un exemple — ça m’avait… il y a quelques années, quand j’étais plus jeune — donc je vous le disais, je fais de l’arbitrage international — en arbitrage, on peut être soit conseil, soit arbitre. Évidemment, on a tous envie à un moment d’être arbitre, donc c’est-à-dire d’être un juge choisi par les parties. Et au début, pour l’être, il faut que ce soit… le plus souvent, ce sont des institutions qui vous désignent. Donc par exemple, la plus grande institution à Paris, c’est la Cour d’arbitrage de la CCI. Donc il faut être sur une liste pour pouvoir espérer être désigné.
Donc j’avais soumis, il y a une dizaine d’années, mon nom pour être sur la liste des jeunes arbitres. Et j’avais reçu… le président du Comité français de l’arbitrage m’avait écrit très gentiment, mais en me disant : « Écoute Valence, merci de ta candidature, mais tu manques un peu d’expérience, tu es un peu jeune, donc on ne va pas te prendre. » Et ensuite, l’année suivante, j’ai été élue au Conseil de l’Ordre — mais là, j’ai été élue au Conseil de l’Ordre sur mes activités plutôt syndicales et associatives, et notamment sur mes sujets d’égalité. Et là, tout d’un coup — alors que j’étais exactement la même personne et que rien n’avait véritablement changé — j’ai été contactée par des institutions d’arbitrage, par des confrères, qui m’ont vue différemment tout d’un coup, parce qu’ils ont considéré que j’étais revêtue d’une forme de… je ne sais pas… de légitimité à raison de mon élection et de mes fonctions à l’Ordre. Et là, ça a donné lieu — je pense que… enfin je me dis que ça a donné lieu — à des… probablement à des désignations, à des choses, à des opportunités professionnelles. Évidemment, je ne l’avais pas du tout conçu comme ça. Mais donc oui, les choses présentes — toutes les choses, quelles qu’elles soient dans la vie — ont des influences et des impacts les unes sur les autres.
Hager Jemel
Une autre question ici.
Élève 10
Bonjour, je voulais rebondir un peu sur ça justement, le fait que dans le monde des avocats, vous avez rencontré la difficulté d’intégration des femmes. Et je voulais savoir si, selon vous, le prochain pas à faire, il doit se faire davantage sur le cadre légal — donc c’est-à-dire sur l’application du Code du travail, par exemple — ou si au contraire, c’est quelque chose de plus sous-jacent, de moral ou un thème de société qu’il faut combattre.
Valence Borgia
Vous voulez dire : est-ce qu’il faut changer la loi ou est-ce qu’il faut… je ne suis pas sûre d’avoir tout à fait… est-ce qu’il faut agir au plan législatif, ou alors est-ce qu’il faut…
Élève 10
Par exemple — ça revient peut-être sur la question des quotas — est-ce que pour vous, c’est plus judicieux en France de miser sur plus de quotas, par exemple, ou juste favoriser une meilleure image de la femme dans le monde professionnel ?
Valence Borgia
Disons que je pense qu’on a essayé beaucoup de choses. Moi, j’avais souvent entendu — en réaction à… vous revenez sur la question des quotas — et moi-même, encore une fois, je vous ai dit, je n’étais pas très favorable à l’idée au départ. Mais je vous donne un exemple : dans ma profession, les femmes étaient plus nombreuses que les hommes à prêter serment depuis 1985. Donc ça fait longtemps. 1985, ça fait 40 ans. Et moi, quand j’ai prêté serment — donc c’était 20 ans après — on me disait : « Mais vous inquiétez pas, les choses vont se faire naturellement, à la vertu de la féminisation de la profession, etc. » Et en fait, on se rend bien compte que les statistiques, les chiffres, n’évoluent pas du tout en fonction des proportions de femmes avocates qui entrent dans la profession. Ça veut dire que les choses ne se font pas naturellement. Si elles ne se font pas naturellement, il faut agir sur des leviers.
Alors évidemment… enfin, je pense que… moi je crois à tous les… je pense qu’il faut agir, il faut être pragmatique, il faut agir sur tout. C’est-à-dire que je pense qu’il faut que l’environnement soit favorable. C’est-à-dire qu’on protège des inégalités, on met en place des systèmes qui permettent — homme, femme — sur les différents temps de vie, quels qu’ils soient… enfin, il faut que l’environnement soit extrêmement favorable. Et il faut que, ensuite, au plan individuel aussi, il y ait des actions. Parce qu’on peut être dans un environnement très favorable, mais si soi-même on n’a pas certains déclics, alors il ne va rien se passer.
Donc moi, je pense qu’il faut vraiment agir sur les deux. Je pense qu’il faut actionner les deux leviers : il faut les quotas — ce qu’on appelle les quotas — c’est-à-dire, pour moi, qu’il y ait plus de résorption des inégalités dans les organes de gouvernance, oui, dans tous les organes de gouvernance : politiques, dans les sociétés, dans les COMEX, dans les CODIR, partout. Et puis agir de manière générale pour porter la bonne parole et alerter. Parce que parfois, il y a des… moi, par exemple, pendant des années, je rédigeais des conclusions — parce que dans mon métier, c’est ce qu’on fait — on rédige des mémoires ou des conclusions qui résument la position des parties qu’on veut faire valoir devant le juge, ou le tribunal arbitral. Et pendant des années, j’étais très fière de moi parce que je rendais mes conclusions, mon patron ne changeait pas grand-chose, ou une virgule par-ci, par-là. Et je me disais : « C’est bien, je suis une bonne avocate, une bonne juriste. » Et ça, j’aurais pu continuer à le faire toute ma vie, et je serais restée collaboratrice. Et j’étais une collaboratrice qui faisait de bonnes conclusions. Ça n’aurait pas changé.
Il a fallu du temps pour que je comprenne — mais peut-être que ce que je vous dis, c’est une évidence, j’espère que ça l’est pour vous — mais qu’en réalité, ce n’était pas de ça dont il s’agissait. Si je voulais me développer, il fallait que j’interagisse avec d’autres, que je fasse savoir ce que je savais faire, que je réseaute, que je sois visible, que j’exprime aussi des ambitions. Moi, je pensais que… enfin, c’est ce qu’on appelle — vous connaissez ça — le syndrome de la bonne élève. C’est-à-dire que je pensais qu’à partir du moment où je donnais satisfaction au plan professionnel, à un moment, on allait venir me voir et me dire : « Bravo, c’est bien, est-ce que tu veux être associée ? », etc. Sauf que ça ne se passe pas comme ça dans la vie. Donc ça, ce sont des actions individuelles de sensibilisation qui sont fondamentales. L’environnement vertueux ne suffit pas.
Élève 10
Merci.
Élève 11
Bonjour, j’avais une question. S’il y a vraiment une différence de 50 % au niveau des salaires entre une femme et un homme avec le même diplôme et le même travail, comment ça se fait que les employeurs préfèrent quand même employer des hommes, si ça leur reviendrait moins cher finalement d’avoir que des femmes dans leur cabinet ? Pourquoi il y aurait plus d’hommes justement ?
Valence Borgia
Les employeurs sont ceux qui gagnent beaucoup d’argent, en fait. C’est-à-dire que les employeurs sont les associés. Et donc, ce dont je vous parle, c’est la moyenne de la profession, c’est-à-dire que ce sont les revenus de tous les avocats et de toutes les avocates. Ce que ça démontre, c’est qu’en fait, comme je vous le disais tout à l’heure, ceux qui gagnent beaucoup d’argent, ce sont les associés, parce que ce sont eux qui touchent les bénéfices du cabinet. Les collaborateurs, ils ont ce qu’on appelle des salaires — ce sont des rétrocessions d’honoraires — qui sont fixes, généralement selon des grilles qui sont fonction de l’ancienneté. Et ensuite, le moment où on commence véritablement à gagner de l’argent, c’est quand on peut se répartir les bénéfices du cabinet. Donc il faut être associé.
Voilà comment ça fonctionne. Ça fonctionne sur un système où… après, c’est ce que je vous dis, ce sont les grandes masses. Heureusement, il y a des cabinets où ça ne se passe pas comme ça. Mais si je devais caricaturer, ce sont des hommes associés qui se partagent les bénéfices des cabinets et qui paient en rétrocession d’honoraires fixes, en fonction de leur ancienneté, des collaboratrices.
Hager Jemel
Alors, je prends les trois dernières questions.
Élève 12
Bonjour, je vous remercie pour votre intervention. J’avais une question un peu surprenante. En fait, je me demandais si justement les mouvements de libération de la parole des victimes, comme MeToo, etc., ça ne pouvait pas aussi créer en parallèle des fausses accusations, en fait, de femmes qui chercheraient à se positionner en victime pour de l’argent ou alors par vengeance. Et est-ce que ça ne créerait pas un goulet d’étranglement au niveau de la justice, qui empêcherait donc les vraies victimes d’être accompagnées correctement par la justice ? Et qu’est-ce qu’on pourrait faire pour… est-ce que vous avez déjà été en face de ce problème ? Et qu’est-ce qu’on pourrait faire pour éviter cela ?
Valence Borgia
Je ne pense pas. Je pense que, évidemment, au plan anecdotique, ça existe. Mais en toute matière, il y a parfois des gens qui prétendent qu’ils ont été… je ne sais pas… qu’ils ont été agressés, escroqués, et ils ne l’ont pas été. Mais je ne pense pas du tout que les femmes victimes, plus que d’autres, aient ce genre de pratique. En particulier quand on sait la lourdeur d’un parcours judiciaire, le peu de… enfin je veux dire ça ne rapporte pas d’argent en France d’être une victime de violence sexuelle. Ça en coûte, plutôt. Moi, je ne vois pas très bien ce que qui que ce soit aurait à y gagner. Je ne dis pas que ça n’existe pas, qu’il y ait des gens qui, pour des raisons qui leur sont propres, ou parce qu’elles ont des problèmes mentaux, se positionnent en fausses victimes — comme encore une fois dans toutes les infractions — mais je ne crois pas du tout que ce soit massif, parce que je pense qu’il n’y a rien à y gagner. Et donc, je ne pense pas que ça crée de goulet d’étranglement du tout.
Élève 13
Bonjour. L’article 3 du Préambule de la Constitution de 1946 stipule que la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme. Du coup, aux yeux de la loi, les hommes et les femmes sont égaux. Vous ne pensez pas que le mouvement féministe moderne cherche plutôt une supériorité de la femme par rapport à l’homme ?
[rires dans la salle]
Valence Borgia
Non. [Rires et applaudissements]
Hager Jemel
Et la toute dernière question.
Élève 14
Bonjour, merci beaucoup pour votre intervention aujourd’hui. Je voulais revenir sur la place des femmes dans les cabinets d’avocats précisément. On sait que le budget de la justice aujourd’hui atteint presque 10 milliards annuellement. Il est en augmentation, presque 8 % par an depuis quelques années. Quelle est la politique justement du garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, face à ça ? Qu’est-ce qu’il pourrait faire ? Est-ce qu’il prend au sérieux aussi ces enjeux ?
Valence Borgia
Alors, donc le budget que vous évoquez, c’est un budget qui n’est pas du tout alloué aux avocat ·e·s. Enfin, il y a une partie très résiduelle qui est pour l’aide juridictionnelle — et encore, j’ai un doute là-dessus. Je crois que l’essentiel du budget de la justice, c’est à la fois évidemment les magistrats, et beaucoup la pénitentiaire — du coup, la prison. Quant au point de savoir si Éric Dupond-Moretti est sensible à la question du féminisme — enfin, du féminisme… même pas du féminisme, des inégalités hommes-femmes — je n’ai pas eu de discussions à titre personnel avec lui sur ce point. Ce que j’en vois me laisse à penser que ce n’est pas son premier sujet de préoccupation.
Élève 14
Merci.
Hager Jemel
Merci beaucoup pour toutes ces questions, pour toutes ces réactions, et de nouveau merci Valence pour votre disponibilité, le temps passé pour répondre à toutes ces questions, et d’être venue jusqu’à nous dans le Nord.
Valence Borgia
Merci à vous pour votre intervention.
[Applaudissements]
Pour la session de juin des conférences-débats de la Chaire Diversité & Inclusion, nous avons eu le plaisir de recevoir Nathalie Chusseau, économiste, professeure à l'Université de Lille et chercheure associée à la Chaire Transitions Démographiques, Transitions Économiques.
La réforme de notre système de retraite va entrer en application au premier septembre 2023. Cette réforme a été présentée comme "équilibrée, juste et nécessaire". Qu'en est-il réellement ? Qui seront les perdant.e.s de cette réforme ? Après avoir rappelé les principes d'un système par répartition, Nathalie Chusseau interroge les raisons de cette réforme, puis analyse les conséquences de cette dernière sur les parcours individuels.
Hager Jemel-Fornetty
— Bonjour à toutes et à tous, bienvenue à cette conférence qui est diffusée aussi en ligne. Donc je salue les personnes bien sûr en salle avec nous et les personnes qui sont à distance par YouTube Live. Cette conférence a été organisée à cette période où nous n'avons plus beaucoup d'élèves sur le campus, mais nous avons sur le campus des personnes très talentueuses du programme Talent Prépa notamment, et je voulais justement qu'ils profitent de leur présence sur ce campus pour assister à cette conférence sur un thème au rythme duquel nous avons vécu ces derniers mois : la réforme des retraites, qui est un sujet de société important.
Je me suis dit que ce sont des questions qui peuvent aussi intéresser ces candidats, mais aussi plus largement toutes les personnes qui nous suivent. Donc bienvenue, et bienvenue à Nathalie Chusseau qui va donner cette conférence. Merci à notre chère collègue d'être parmi nous. Nathalie est économiste à l’Université de Lille et professeure d’économie. Elle est aussi chercheure associée à la chaire Transition démographique, transition économique. Elle nous fait l’honneur d’être parmi nous pour parler de ce sujet brûlant. On en a beaucoup entendu parler, et parfois pas assez sur certains détails. C’est pour cela aussi que nous tenions à l’aborder à tête froide, en évitant les polémiques qui parfois nous empêchent de comprendre le fond du sujet.
L’idée est de présenter cette réforme qui devrait entrer en application le 1er septembre prochain. Cette réforme a été présentée comme équilibrée, juste et nécessaire. L’idée est donc de se poser la question : qu’en est-il réellement, du moins de votre point de vue ? Mais aussi : qui sont les perdants, les perdantes de cette réforme ? Ce qu’on a vu avec Nathalie quand on a préparé, quand je lui ai dit qui étaient les personnes dans l’audience — étant professeures toutes les deux — on s’est dit que c’est important d’être pédagogues, de revenir aussi sur certains concepts comme : quels sont les principes d’un système de retraite par répartition ? Et pourquoi justement aujourd’hui cette réforme, avant d’arriver à l’analyse des conséquences ?
Encore une fois, merci Nathalie d’être parmi nous. Nathalie fera son intervention, et vous avez bien sûr la possibilité — cela fait partie de cette intervention — d’avoir un débat. Donc il n’y a pas de débat sans questions. N’hésitez pas à poser vos questions. Toutes les personnes dans la salle : il y a un micro que l’on pourra faire circuler. Mais aussi les personnes qui nous suivent à distance : il y a un lien pour pouvoir poser vos questions, et nous avons un ordinateur ici pour recevoir toutes les questions et les poser. N’hésitez pas à les poser d’ailleurs au fur et à mesure. En revanche, les réponses seront apportées à la fin de la prise de parole de Nathalie.
Merci, et je vous souhaite une bonne conférence.
Nathalie Chusseau
— Merci beaucoup pour cette invitation sur un sujet qui fait partie de mes sujets de prédilection. C’est effectivement l’occasion de parler de cette fameuse réforme des retraites dont on a beaucoup entendu parler depuis le mois de janvier. Vous savez qu’elle a été votée — en tout cas, le report de l’âge de 62 à 64 ans vient d’être voté — et donc il est très très probable que cette réforme entre en application à partir du 1er septembre prochain.
Alors, je vais vous proposer une intervention en trois parties. La première partie va être consacrée à rappeler un petit peu quel est notre système de retraite — un système par répartition — et puis vous expliquer un petit peu quels sont les grands éléments de changement que va mettre en œuvre cette réforme. La deuxième partie sera consacrée aux justifications qui ont été avancées pour la mise en œuvre de cette réforme. Il y a eu beaucoup de débats sur cette question, et il me paraît important — justement en faisant le lien avec le type de système de retraite que nous avons — d’expliquer les raisons qui ont pu pousser à faire cette réforme de manière assez rapide, et dans un contexte qui n’était pas forcément le meilleur : après une crise sanitaire, une crise économique liée à la crise sanitaire, et puis une crise géopolitique qui a entraîné un problème d’inflation et un ralentissement aussi économique. Donc ce n’était peut-être pas le meilleur moment, et je vais essayer de vous expliquer pourquoi finalement on a mis en œuvre et on va mettre en œuvre cette réforme. Et puis le troisième point est consacré, à mon avis, au point essentiel : aux conséquences de cette réforme. Je vais essayer de vous montrer que, finalement, on va demander beaucoup d’efforts à des personnes qui sont probablement les plus vulnérables, et que ce n’était peut-être pas la meilleure façon de procéder.
Alors, premier point : un petit rappel sur ce que l’on appelle le système par répartition. Nous sommes dans un pays où nous avons ce que l’on appelle des assurances sociales, et parmi ces assurances sociales, on a un système de retraite dit "par répartition", qui fonctionne de la façon suivante, assez simplement : les actifs, donc les personnes qui travaillent, financent la retraite des inactifs, ou la pension des inactifs. Comment ? Eh bien, les personnes qui travaillent vont payer des cotisations sociales, les employeurs vont aussi payer des cotisations sociales. Et donc, pour être très concrète, aujourd’hui, moi je paye des cotisations sociales qui permettent de financer les retraités actuels. Et vous, dans quelques années, si nous n’avons pas changé de système, vous financerez ma propre retraite, et vous paierez des cotisations pour financer ma propre retraite.
Souvent, on oppose ce système à un système dit "par capitalisation". Vous avez dû entendre aussi parler de ce point-là. La capitalisation, c’est un système non pas d’assurance sociale, mais d’assurance privée. Qu’est-ce que c’est que la capitalisation ? C’est l’épargne, d’accord ? Je mets de côté tous les mois pour financer ma propre retraite quand je serai retraitée. Donc vous voyez, on change complètement de système, parce que le système par répartition, vous avez un contrat implicite entre les actifs aujourd’hui, qui travaillent et qui payent pour la retraite des retraités, et puis il y a un engagement pour vous, les jeunes, qui travaillerez pour financer nos retraites à nous, quand nous serons retraités.
Et c’est bien là toute la difficulté : vous avez d’un côté un système social qui nécessite d’avoir un nombre suffisant de personnes qui travaillent pour financer ceux qui ne travaillent pas. Et là, vous voyez bien qu’il y a déjà un premier élément important à garder en tête : un système par répartition touche à la situation démographique d’un pays. En gros, c’est beaucoup plus facile de financer des retraites par répartition si vous avez beaucoup d’actifs pour un seul retraité. Pour vous donner une idée, dans les années 70, on avait à peu près 4 actifs qui pouvaient financer la retraite d’un retraité. Aujourd’hui, on est dans une situation démographique différente, pour deux raisons principales : 1) on continue à faire des enfants, mais un peu moins qu’avant — mais finalement, c’est bien pire dans d’autres pays, donc on devrait se réjouir, c’est plutôt une bonne nouvelle ; 2) on a une espérance de vie qui a augmenté. Et pour vous donner une idée, on va passer à peu près un tiers de notre vie à la retraite. Donc plus vous avez une espérance de vie qui augmente, plus vous allez passer de temps à la retraite, plus il va falloir financer cette retraite.
Donc un des arguments qui est avancé quand on est dans un système par répartition comme notre pays, c’est qu’effectivement la question démographique et du nombre d’actifs pour le nombre de retraités est une question clé. Et je vous le disais tout à l’heure, finalement, nous, on est dans une situation pas si catastrophique que ça. Il y a d’autres pays, comme l’Allemagne par exemple ou l’Italie, qui ont encore moins d’actifs pour le nombre d’inactifs, parce qu’effectivement ils ont un vrai problème démographique. En clair, ils font beaucoup moins d’enfants que nous. Donc là aussi, quand vous entendez des gens qui comparent des systèmes de retraite d’un pays à un autre, il faut être prudent, parce que finalement c’est très compliqué. Et quand on vous dit : "Mais regardez, les Allemands, ils travaillent plus longtemps", bon, je vous dirai quelques mots là-dessus tout à l’heure. En fait, ce n’est pas si vrai que ça.
Vous allez travailler longtemps, et moi je vais travailler longtemps aussi, pour une raison très simple : c’est que j’ai fait des études très longues. Et donc, plus vous faites des études, plus vous rentrez tard sur le marché du travail, plus vous allez devoir travailler longtemps. Souvent, on oppose le système par répartition avec le système par capitalisation. Il y a des pays, effectivement, où il n’y a pas de système par répartition. Si vous prenez les États-Unis, vous avez un système par capitalisation privée. Et là, il y a quand même un petit souci : c’est qu’effectivement, ne peuvent épargner pour leur retraite que ceux qui ont les moyens de le faire. Vous imaginez bien que, quand vous avez des salaires faibles, que vous devez déjà payer votre loyer, la part de l’alimentation dans votre budget qui est importante, la part de l’énergie en ce moment — votre électricité, etc., l’essence que vous devez mettre dans votre voiture — si vous avez des revenus faibles et des salaires faibles, évidemment, ça va être très compliqué de pouvoir épargner pour votre retraite. Donc c’est vrai qu’un système par capitalisation purement privé est un système qui, par définition, est beaucoup plus injuste qu’un système par répartition.
En réalité, on peut avoir un système qui combine les deux. Par exemple, en Angleterre, vous avez un système avec une retraite de base par répartition, sur le même principe que nous, mais c’est une retraite vraiment de base. Et si vous voulez plus, ou si vous pouvez capitaliser, vous épargnez pour vous-même. D’accord ? Donc ça, c’est important d’avoir ça à l’esprit.
Un autre élément est que, finalement, on peut aussi avoir un système comme ça, par capitalisation, mais qui peut être non pas purement privé, mais qui peut être garanti par un État, par exemple. Et ça, ça peut être intéressant, parce que c’est beaucoup moins risqué. Quand vous capitalisez, vous allez placer votre argent dans un fonds de pension, qui va placer votre argent sur des marchés financiers, qui peuvent gérer plus ou moins bien votre argent. Et puis tout peut bien se passer, jusqu’au moment où vous avez une crise financière — ce qui s’est passé en 2008 — et là, vous perdez votre retraite et tout ce que vous avez épargné.
Quand c’est garanti par un État, c’est beaucoup plus facile : vous faites des placements moins risqués. Et on pourrait parfaitement concevoir une sorte de système de cette façon. En fait, il y a un système comme ça qui existe en France, dont peu de gens connaissent l’existence. Ça concerne la retraite des fonctionnaires, et c’est ce qu’on appelle la retraite additionnelle des fonctionnaires, où effectivement les fonctionnaires peuvent avoir accès à ce type de retraite, qui est cotisée sur leurs primes, etc. C’est un détail, mais vous voyez que les choses ne sont pas si simples.
Mais revenons à notre système par répartition. Vous avez aussi probablement entendu parler d’une réforme qui aurait dû être mise en place avant la crise de la Covid, ou même pendant la crise de la Covid, qui s’appelait — on a parlé de réforme systémique. Et effectivement, cette réforme a été abandonnée. Alors, qu’est-ce que c’est que cette histoire de réforme systémique ? L’idée était de garder le système par répartition — la bonne nouvelle, quand même, c’est qu’il ne s’agit pas de remettre en cause notre système par répartition — mais l’idée était de réformer la totalité du système, en essayant de faire en sorte qu’on puisse mieux individualiser la question des carrières et des retraites.
Je m’explique : vous, dans votre avenir, on sait que vous allez changer entre 6 à 10 fois d’emploi ou de métier dans votre carrière. Donc vous allez avoir des carrières variées, différentes, plus ou moins linéaires. Contrairement à moi : moi, j’ai une carrière de fonctionnaire, voilà, c’est standard. Sauf que, effectivement, globalement, ça n’est pas le cas pour la plupart des travailleurs, d’autant plus dans un contexte où vous avez une révolution numérique, informatique, une transition écologique qui va modifier beaucoup de choses. Et donc, c'est finalement assez compliqué d'individualiser les carrières et les parcours, et de savoir réellement combien on va toucher à la retraite. Ça, c'est un problème. Et donc, un moyen d'avoir quelque chose de plus juste, c'est d'essayer d'individualiser les parcours en tenant compte de la réalité des carrières de chacun.
Je m'explique : vous avez un métier pénible, dur, difficile ? Vous avez des points en plus, d'accord. Vous commencez jeune à travailler ? Vous avez des points en plus, d'accord. Vous avez des enfants, vous arrêtez pour les élever ? Vous pouvez avoir des points en plus. Et ça, c'est ce qu'on appelle une réforme systémique. Et souvent, c'est ce qu'on appelle une réforme par points. Et ça, c'est une façon assez juste d'avoir une carrière, une prise en compte réelle de ce que votre retraite pourra être, compte tenu de votre carrière.
Le problème, c'est que c'est compliqué à mettre en œuvre, et que, évidemment, en pleine crise sanitaire, ça a été compliqué. Et qu'on est passé d'une réforme extrêmement ambitieuse — et je ne vous cache pas que c'était plutôt celle qui avait ma faveur — à une réforme beaucoup moins ambitieuse. Et donc, on est passé d'une réforme systémique, donc par points, plus individuelle et probablement plus juste, à une réforme paramétrique, d'accord. Qu'est-ce que ça veut dire, une réforme paramétrique ? Ça veut dire qu'on a joué sur, au moins, sur des paramètres standards d'un système par répartition. Alors, je m'explique : il y a trois paramètres importants dans un système par répartition.
Le premier paramètre, c'est l'âge légal de départ à la retraite. On fixe un âge en dessous duquel vous ne pouvez pas prendre votre retraite, d'accord. Bon, donc là, il était de 62 ans, et cette réforme recule de deux années cet âge légal de départ à la retraite, d'accord. Donc, on va passer de 62 à 64 ans.
Le deuxième élément qui est important, c'est le nombre d'années pendant lesquelles vous allez payer des cotisations sociales de retraite pour avoir le droit d'avoir votre retraite, d'accord. Évidemment, ça, c'est le système, c'est l'État qui décide de ce que l'on appelle ces annuités ou ces trimestres, d'accord. Donc aujourd'hui — alors avant la réforme — quelqu'un qui était né… les gens qui sont nés à partir de 1973 devaient cotiser 43 années, d'accord. Et ces 43 années de cotisation, ça fait 172 trimestres. Souvent, on parle de trimestres, parce qu'en fait, on calcule votre retraite en fonction des trimestres que vous avez cotisés. Mais en clair, il fallait avoir cotisé 43 années pour bénéficier de votre retraite à taux plein, d'accord.
Et effectivement, là, cette nouvelle réforme va aussi jouer sur ce tableau-là, puisque, avant la réforme, c'était seulement les personnes qui étaient nées en 1973 qui devaient cotiser 43 ans, donc 172 trimestres. Et là, avec cette réforme, on accélère ces cotisations. Et donc, ça veut dire que, effectivement, les gens qui vont naître — qui sont nés à partir du 1er septembre 1961 — on va leur rajouter des trimestres de cotisation, d'accord.
Alors ça, c'est la… c'est pas la… c'est la moins bonne nouvelle. Quand vous avez une réforme des retraites, c'est qu'à un moment, vous changez les règles du jeu en cours de route. Donc vous, vous aviez prévu votre retraite, vous aviez anticipé que vous pouviez partir à tel âge, etc., avec à peu près dans l'idée tel montant. Et là, on change les règles du jeu, d'accord. Alors, des réformes, on en a eu plein, même bien avant votre naissance. On a eu plein de réformes des retraites qui se sont passées plus ou moins bien. Mais vous voyez que le vrai problème, c'est qu'on change les règles du jeu pendant qu'on joue le jeu. Donc ça, évidemment, c'est un problème.
Donc très clairement, on va augmenter le nombre de trimestres cotisés, d'accord, et donc le nombre de trimestres exigés, d'accord. Et donc, ça veut dire que, avant, les personnes qui étaient nées en 1973 devaient cotiser de toute façon 43 ans. Et là, vous allez comprendre que tous ceux qui sont nés après 1973, finalement, cette réforme ne va pas beaucoup les concerner. Les gens comme moi, ça ne va pas beaucoup me concerner : je suis née après, donc de toute façon, j’aurais dû cotiser 43 ans, voilà. Mais si vous voulez, ceux qui sont nés à partir du 1er septembre 1961 vont être concernés. Et surtout, la génération qui va être née en 1965, elle va devoir cotiser 43 ans. Donc il y a, évidemment, des travailleurs et des travailleuses qui vont être directement impactés, d'accord. Donc c’est pour ça qu’on parle de réforme paramétrique.
Et puis, il y a un troisième élément important quand on parle de système par répartition, c’est qu’on a un âge de départ à la retraite qu’on appelle "à taux plein", c’est-à-dire une retraite sans décote. Alors, qu’est-ce que ça veut dire ? Il est de combien, cet âge ? Il est de 67 ans. Et là, on n’y touche pas. On verra, dans certains cas, ce n’est pas forcément une bonne nouvelle qu’on n’y touche pas. Donc on reste à 67 ans. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire, par exemple, que si vous êtes comme moi — je prends mon exemple — vous êtes rentré·e tard sur le marché du travail, puisque vous avez fait des études très longues, eh bien vous n’aurez pas cotisé 43 années, les 43 années requises pour avoir la totalité de votre retraite, votre pension complète — c’est-à-dire la pension la plus haute que vous pourriez espérer. Et donc là, si vous ne voulez pas de décote — parce que, bien évidemment, ce que j’ai oublié de vous dire, c’est que votre pension, elle est calculée sur le nombre des annuités — si vous cotisez 43 ans, vous aurez la pension maximale, compte tenu de vos cotisations, de votre carrière, de vos salaires, etc. Donc si vous n’avez pas ces 43 années, pour x ou x raisons, eh bien vous allez travailler jusqu’à… vous pouvez travailler jusqu’à 67 ans. Et là, ça vous donne le droit d’avoir une retraite qu’on appelle "à taux plein", moyennant toujours le nombre d’années cotisées, bien sûr. Donc, qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que vous pouvez partir avant 67 ans, mais vous ne pouvez pas partir avant l’âge légal de la retraite. Donc, avant, c'était 62 ans l'âge légal de départ à la retraite. Vous pouviez partir à 62 ans, même si vous n'aviez pas vos années de cotisation. Mais ça veut dire quoi ? Ça veut dire que, dans ce cas-là, vous avez des décotes — une décote — et vous avez des pensions beaucoup plus faibles. D'accord ?
Donc, si je résume, qu'est-ce qu'on fait ? On fait deux choses simultanément, et c'est là que ça pose des problèmes pour, vous l'avez noté, pour l'ensemble des syndicats et pour beaucoup d'économistes. C'est que, d'un côté, on augmente la durée de cotisation nécessaire pour avoir une retraite à taux plein, et en même temps, on repousse l'âge légal de départ à la retraite. Et quand on fait les deux en même temps, ça va créer des problèmes. Et je vais vous montrer que pour un certain nombre de catégories de personnes, ça va être problématique. Parce que vous avez des gens qui auraient pu avoir toutes leurs annuités, qui auraient pu partir à la retraite dès 62 ans, et ils seront obligés de travailler jusqu'à 64 ans. D'accord ?
Donc voilà, en gros, notre système, comment il fonctionne. Je ne vais pas rentrer plus dans les détails, mais voilà un peu ce que cette réforme va proposer.
Alors maintenant, je vais vous dire : on va essayer de voir un petit peu pourquoi on a mis en place cette réforme. Alors, si vous avez suivi le débat, vous avez — j'allais dire — moult arguments qui ont été donnés pour justifier cette réforme. On vous l'a dit : ça a été souvent présenté comme une réforme juste — bon, on va y revenir — je ne suis pas totalement persuadée que ça soit le cas, et qu'elle est nécessaire et équilibrée.
Tant qu'on reste dans un système par répartition, vous aurez une retraite. D'accord ? Ce qu'on peut dire, c'est que, évidemment, si on a de moins en moins d'actifs pour les inactifs, globalement, le niveau des pensions va tendre à baisser. Mais vous aurez une retraite. Donc dire que le système va disparaître ? Non. D'accord ?Donc ça, c'était le premier argument.
Il y a un deuxième argument qui a été avancé, et vous avez probablement — vous en avez entendu parler aussi — on vous a dit : « Ah bah oui, mais alors, de toute façon, en France, on travaille beaucoup moins qu'ailleurs. ». Notamment, les Allemands travaillent beaucoup plus que nous. Vous avez vu les économistes, les gens font partie — on fait beaucoup d'analyses, on regarde ce que font les Allemands, on regarde ce qui se passe à côté. Bon, sauf que cet argument n'a pas de grande valeur, pour une raison très simple : c'est que, un, les Allemands font beaucoup moins d'enfants que nous, et ils ont une population beaucoup plus vieillissante que la nôtre. Donc, par définition, s’ils ne font pas d'enfants et qu'ils maintiennent un système par répartition, bah il faut qu'ils travaillent plus longtemps. Il n'y a pas le choix. Mais nous, on n'est pas dans la même situation. Et deux, globalement, c'est faux de dire que les Français travaillent beaucoup moins que les autres, pour une raison très simple : c'est que les jeunes générations font des études de plus en plus longues et entrent sur le marché du travail de plus en plus tardivement. Je vous donne la moyenne dans les pays de l'OCDE. Donc l'OCDE, ce sont les pays plutôt développés — alors il y a un peu de tout — mais c'est une organisation de coopération et de développement économique. La moyenne de l'âge d'entrée sur le marché du travail, c'est 22 ans. Et en France, on est plus proche de 23 ans. Donc ça veut dire que vous, vous rentrerez sur le marché du travail à 22 ou 23 ans, c'est-à-dire que vous aurez un niveau bac+5. D'accord ? Alors, vous allez faire le calcul avec moi : si vous rentrez sur le marché du travail à 22 ans — 23 ans, disons 23 ans — vous cotisez 43 ans. Alors ça, je ne vous garantis pas : quand vous serez — vous rentrerez sur le marché du travail— il y aura eu d'autres réformes des retraites. Peut-être que vous devrez cotiser encore plus longtemps. Mais en tout cas, si on en reste à 43 ans : 43 ans + 23 ans, bah vous voyez que vous partirez pas à la retraite avant 66 ans. Donc, en fait, l'âge moyen de la retraite va augmenter, parce que les jeunes générations travaillent plus longtemps. Donc ça, c'est un mauvais argument. Vous avez compris que je suis pas du tout convaincu par cet argument.
Il y a un autre argument — alors la massue — que vous avez dû entendre : c'est « le système par répartition est en faillite parce qu'il est en déficit, et il va falloir agir, sinon nous allons perdre notre système par répartition ». Alors là, il y a eu une bataille d'experts. Vous avez peut-être entendu parler du Conseil d'orientation des retraites, qui est un groupe de travail qui essaie de modéliser justement le système par répartition. Alors, en fait, c'est très compliqué de modifier le système de retraite, parce que ça dépend de beaucoup d'autres paramètres. Vous voyez bien que, si mon système par répartition dépend du nombre de personnes qui travaillent pour financer celles qui ne travaillent pas, il sera d'autant plus efficace que j'ai un taux de chômage faible et que j'ai un taux d'emploi important. Plus j’ai des gens qui travaillent, et moins j’ai de gens au chômage, plus je vais pouvoir payer une cotisation et financer mes retraites. Donc, ça va dépendre du taux d’emploi et du taux de chômage. Donc, vous devez faire des hypothèses autour de ce schéma. Ça va dépendre de votre efficacité, de la productivité, de la façon dont vous allez produire — si vous êtes plus ou moins efficace — donc de ce que les économistes appellent des gains de productivité. Alors là, on fait aussi des hypothèses, et on ne sait pas très bien. On est autour de 1 %, mais peut-être qu’on est un peu trop optimistes. Oui, on fait des hypothèses, bon… Et bref, donc le Conseil d’orientation des retraites, il mouline tout ça, et il fait des hypothèses hautes, des hypothèses basses, et il calcule le déficit. Et effectivement, il est prévu que notre système par répartition accusera un certain nombre de déficits. Alors, selon la fourchette, ça sera entre à peu près 13 milliards, 13 milliards et demi, et 20 milliards d’ici 2032. Donc, 2032, évidemment, c’est demain. Et donc, c’était : « Oulala, catastrophe, nous serons en déficit ! ». Alors, juste une remarque : c’est que l’année dernière, notre système par répartition a été en excédentaire de 3 milliards d’euros, parce que c’est lié à la reprise économique après la crise de la Covid. Et la deuxième remarque, c’est que vous allez me dire : « Bah, 13 milliards et demi, 20 milliards, bon, c’est quand même pas mal… » Sauf qu’il faut tout proportion garder : ça ne représente pas beaucoup en termes de pourcentage de ce que les économistes appellent le PIB — le produit intérieur brut — c’est-à-dire de pourcentage de la richesse nationale. Pour vous donner une idée, ça représente entre 0,4 % et 0,8 % de la richesse nationale. Donc, nous dire « le système est en faillite » ? Non. Nous dire qu’il y a des déficits qui vont arriver ? Oui. Et qu’effectivement, ça serait mieux qu’on n’ait pas de déficit ? Certes. Mais ça ne remet pas en cause la totalité du système. D’accord ?
Alors après, il y a des déficits cumulés. Vous pouvez calculer grosso modo, parce que c’est cumulable. Mais en réalité, je vais vous donner ma propre interprétation : c’est que je pense que, derrière cette réforme des retraites, il y avait deux objectifs majeurs.
Le premier, justement, c’était de dire qu’il y a des déficits. Et que, vous le savez, nous sommes dans l’Union européenne, et que l’Union européenne nous impose d’avoir un déficit qui se limite à 3 % de la richesse nationale, et pas plus. Et qu’effectivement, on a explosé le déficit, particulièrement en raison de la crise sanitaire de la Covid. Enfin, il n’y a pas que nous : on a tous explosé le déficit. Et que, pour financer cette crise de la Covid, on s’est beaucoup endettés. Donc, nos déficits publics et notre dette ont beaucoup augmenté.
Alors, c’est vrai dans tous les autres pays européens — plus ou moins vrai — et effectivement, une des raisons majeures pour lesquelles cette réforme a été mise en place, c’est de dire : « Mais en réalité, il faut qu’on fasse travailler les gens plus longtemps. » Parce qu’en les faisant travailler plus longtemps, on dégage des marges de manœuvre : ils paient d’abord plus, puis ils travaillent plus. Ils travaillent plus, ils paient des cotisations sociales, plus ça finance les retraites. Mais ça fait de l’activité économique, et ça fait autant d’argent qui rentre dans les caisses de l’État pour rembourser les déficits. Et donc, c’est probablement une des raisons majeures : réduire les déficits. Et pas seulement pour la beauté du geste, parce que l’Europe nous dit de réduire nos déficits, mais justement parce qu’on s’est beaucoup endettés, et qu’à un moment, on est obligés de donner des gages auprès des investisseurs internationaux qui achètent notre dette. D’accord ?
Tous les pays sont endettés, et nous, on a des investisseurs qui achètent la dette française, et à des taux — ils nous font des taux d’intérêt pas trop, pas encore trop trop élevés — parce qu’ils pensent qu’on est des gens sérieux, qu’on va être capables de rembourser, et que justement, on ne va pas laisser filer les déficits et la dette.
Donc, en gros, c’était un gage donné clairement aux investisseurs internationaux. Le président Emmanuel Macron l’a dit. Et peut-être que vous avez vu dans l’actualité qu’effectivement, les pays sont notés — il y a des agences de notation — sur notre capacité à rembourser notre dette. Et qu’il y a une agence de notation qui nous a dégradé notre note.
Alors ça, ce n’est pas une bonne nouvelle, parce que ça veut dire que les investisseurs sont plus frileux pour nous prêter de l’argent pour financer notre dette. Mais il y a une autre agence — une des plus connues — qui a maintenu notre niveau d’endettement. Et l’argument qui a été donné, c’est : « Vous voyez, on a réformé les retraites, on va faire travailler les gens plus longtemps, on va rentrer de l’argent dans les caisses de l’État, et donc vous pouvez nous faire confiance, on va pouvoir rembourser notre dette. »
Donc, vous voyez qu’en fait, clairement, il y avait un intérêt à l’égard de notre déficit et notre dette. À l’égard, pas seulement de l’Union européenne — parce que l’Union européenne, ce n’est pas vraiment le problème — mais à l’égard des investisseurs internationaux, qui clairement nous financent. D’accord ?
Et puis, il y a un dernier élément qui me paraît fondamental : c’est ce que représente la part des retraites — de l’ensemble des pensions de retraite — dans la richesse de notre pays, dans la richesse nationale. Ça représente à peu près 14 % de la richesse nationale, ce qui est beaucoup — j’ai failli dire énorme — mais ce qui est beaucoup.
On est un des pays dans lesquels, effectivement, on consacre beaucoup d’argent — on donne beaucoup d’argent, on prélève beaucoup d’argent issu de la richesse nationale — pour financer les retraites.
Alors, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Ne me dites pas qu’il faut baisser les retraites et arrêter de financer les retraites. Mais il est vrai que, quand on dépense 14 %, quand on consacre 14 % de la richesse nationale au financement des retraites, c’est autant d’argent qu’on ne peut pas mettre ailleurs.
Et je pense qu’il y a un argument crucial derrière ça : c’est de dire « on va faire travailler les gens plus longtemps, on va financer plus facilement les retraites, on va combler les déficits, on va satisfaire les investisseurs internationaux, et en plus, on va avoir de l’activité économique supplémentaire, on va dégager des budgets, et on va pouvoir financer autre chose. » D’accord ?
Et l’autre chose, c’est quoi ? C’est la transition écologique, c’est l’éducation — puisque là, on a un gros problème dans notre pays pour se préparer à la révolution numérique, à l’intelligence artificielle. Je vous donne un petit chiffre : on anticipe que l’intelligence artificielle va détruire 300 millions d’emplois dans le monde, dont 25 % en Europe. Et donc, l’idée — et je pense que c’est un argument valable — c’est de dire : « Mais finalement, on va faire travailler les gens plus longtemps, on va dégager des ressources pour financer la transition numérique, la transition écologique, l’éducation, et aussi un autre service public qui ne fonctionne pas très bien pour le moment dans notre pays : la santé. Sauf que ça, ça n’a pas été dit comme tel, et que la communication sur cette réforme a été des plus déplorables. Mais probablement que la réalité, c’est ça.
Donc, quand on vous dit : « Le système par répartition va faire faillite », non. Quand j’entends dire de la part des jeunes : « Ah bah moi, de toute façon, je n’aurai pas de retraite », non. Mais clairement, il y a un choix politique qui a été fait : faire travailler les gens plus longtemps. D’accord ?
Alors, pourquoi je dis que c’est un choix politique ? Parce qu’en fait, quand on réforme les retraites, on peut — on a différents leviers. Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais je peux vous donner deux exemples.
Un des leviers, là, c’est de dire : on fait travailler tout le monde plus longtemps. Alors, je vais vous montrer qu’en fait, ce n’est pas tout le monde qui va travailler plus longtemps. Et que le problème est là : c’est qu’il y a des gens qui vont travailler plus longtemps, qui ne devraient pas travailler plus longtemps. Mais bon… Donc, c’est une option : je fais travailler tout le monde plus longtemps, et donc je finance mes retraites. Première option.
Deuxième option : je peux dire, je fais payer — j’augmente les cotisations sociales. Donc, les salariés paient des cotisations sociales plus fortes, et les entreprises aussi. Parce que je vous ai expliqué que les employeurs payaient aussi des cotisations sociales. Donc, ça, c’est une option qui a été totalement exclue du gouvernement actuel. Nous, en disant : « On ne va pas augmenter les impôts payés par les entreprises. » Donc bon…
Une troisième option, ça serait de dire : « Ben, ce n’est pas grave, on va baisser les pensions. » D’accord ? Après tout, je pourrais dire : « Ben, si je veux que mes pensions représentent moins de 14 % de la richesse nationale, ben j’ai qu’à donner des retraites plus faibles aux retraités. » Facile. Pas très — je dirais — politiquement correct, évidemment, si vous voulez vous faire élire. Bon, et on est — alors, petit aparté — mais on est une population vieillissante. D’accord ? Donc, les jeunes, malheureusement, votent beaucoup moins que les plus âgés. Et donc, ceux qui votent réellement, ce sont les plus âgés. Donc, si vous dites aux plus âgés : « Ah bah, je vais baisser vos pensions », vous aurez des problèmes pour être élu. Je ferme la parenthèse. Bon, donc ça, c’était exclu : ne pas baisser le pouvoir d’achat des retraités. Ce qui se discute. L’argument que j’ai donné tout à l’heure, on pourrait parfaitement le dire — et je l’ai dit d’ailleurs publiquement à la radio. Ça m’a valu quelques volées de bois vert. Mais j’ai dit publiquement qu’on pouvait, plutôt que de donner de l’argent aux vieux, décider de donner davantage d’argent aux jeunes, et de mieux les former, mieux les éduquer. C’est un choix politique. Bon… Donc voilà. Vous voyez qu’il y a plusieurs leviers. Il y a plein d’autres leviers. Donc, le levier qui a été choisi, c’est de faire travailler les gens plus longtemps. D’accord ?
Alors, on nous dit que plus on fait travailler les gens, plus on atteindra le plein emploi, plus on aura de la croissance économique, et tout va aller très bien. Bon…
Alors maintenant, je vais quand même essayer de vous montrer que, en réalité, ce n’est pas tout le monde qui va travailler plus longtemps. Et que j’ai identifié à peu près trois catégories de travailleurs qui vont rencontrer des problèmes avec cette réforme. D’accord ?
Alors, la première catégorie de personnes — et vous en avez probablement entendu parler — c’est ce qu’on appelle les fameuses « carrières longues ». C’est très laid comme nom, ça… Mais qu’est-ce que c’est que les carrières longues ? Ce sont des gens qui ont commencé à travailler avant 20 ans. D’accord ? Et donc, effectivement, dans les générations les plus anciennes, on a effectivement des gens qui ont commencé à travailler dès l’âge de 14 ans.
Alors, qu’est-ce qui se passe du point de vue des carrières longues ? En théorie, plus vous avez commencé à travailler jeune — vous me suivez — plus vous devriez pouvoir partir tôt à la retraite. D’accord ? Normalement, c’est fait — c’est comme ça que c’est pensé, le principe des carrières longues.
Bon, et donc, ce qui s’est passé là avec la réforme, c’est que, comme on a décalé de deux ans — reporté de deux ans — l’âge légal de départ à la retraite, eh bien, en fait, on a décalé aussi cet âge de départ pour les gens qui ont commencé à travailler jeunes. Et donc, qu’est-ce qui se passe ? Eh bien, si vous avez commencé à travailler à 14 ans, en gros — je vais faire simple — pour toutes les carrières longues, tous les gens qui ont commencé à travailler avant 20 ans, avant l’âge de 20 ans révolu, on va leur dire qu’il faut qu’ils aient travaillé 44 ans. Je vous rappelle que tous les autres ne devront travailler que 43 ans. Donc, déjà, tous ceux qui ont commencé à travailler jeunes, ils devront travailler un an de plus que les autres. D’accord ? Donc, quelqu’un qui a commencé à 14 ans, il va partir à 58 ans, mais il aura travaillé 44 ans. D’accord ?
Si je prends l’exemple de quelqu’un qui est né en 1973, il cotise — de toute façon — 43 ans. S’il est rentré à 20 ans sur le marché du travail, il cotise 43 ans, il peut partir à 63 ans. Il aura cotisé 43 ans. Les personnes qui auront commencé à travailler très jeunes — 14 ans, c’est quasiment des enfants — eh bien, eux, ils travaillent 44 ans. Bon…
Alors, OK, on peut se dire : « D’accord. » Et puis, si vous regardez le détail de la réforme, effectivement, si vous avez commencé à 16 ans, vous travaillez 44 ans, vous pouvez partir à 60 ans. Si vous avez commencé à 17 ans, pareil, vous partirez à 61 ans. Sauf que quelqu’un qui est né en 1973, qui a commencé à 17 ans, il peut partir à 60 ans — un an avant.
Alors, vous allez me dire : « Mais pourquoi est-ce qu’il se focalise sur les gens qui ont commencé à travailler tôt ? » Mais je me focalise sur les gens qui ont commencé à travailler tôt parce que, justement, les gens qui ont commencé à travailler jeunes, ce sont des gens souvent peu qualifiés, qui occupent des métiers difficiles, pénibles, et qui ont une espérance de vie plus faible que les autres. C’est-à-dire qu’ils passent moins de temps à la retraite, parce qu’ils sont morts avant les autres. Je suis brutale, mais c’est comme ça. Les chiffres sur l’espérance de vie donnés par l’INSEE sont très clairs : vous avez un quart — les 5 % des hommes les plus modestes, les plus pauvres — qui meurent avant l’âge de 62 ans.
Donc, il y a quelque chose qui m’échappe : c’est qu’on fait travailler un an de plus des gens qui occupent des métiers pénibles, et qui ont une espérance de vie beaucoup plus faible que les autres — que ceux qui ont commencé à travailler plus tard, et qui occupent des métiers moins pénibles. Alors, vous allez me dire : « Mais peut-être qu’ils ont tenu compte de la pénibilité ? » Ah non. Le problème, c’est qu’ils ont évacué un certain nombre de critères de pénibilité. Donc, ils auraient dû, de mon point de vue, en tenir compte. Donc, vous voyez que la première catégorie qui va travailler plus longtemps, c’est celle qui ne devrait pas travailler plus longtemps — qui devrait travailler moins longtemps que les autres — parce qu’elle occupe des métiers pénibles, et qu’elle a une espérance de vie plus faible.
D’accord. La deuxième catégorie pour laquelle il va y avoir, de mon point de vue, un problème, ce sont les femmes. Alors, vous allez me dire : « Pourquoi ? Pourquoi il y aurait un problème avec les femmes ? » Mais pour une raison intéressante, et que tout le monde connaît quand on connaît un petit peu les carrières et le marché du travail, qu’on connaît un peu ce qui se passe pour les femmes : c’est qu’en réalité, il existe des inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes tout au long de la carrière. Et que, évidemment, ces inégalités professionnelles, elles s’accumulent tout au long de la carrière, et vous allez forcément les retrouver à la retraite.
Donc, il y a beaucoup d’inégalités entre les hommes et les femmes tout au long de la carrière, et aussi à la retraite. Alors, d’un point de vue de l’égalité homme-femme — et là aussi, on a entendu tout et son contraire — on a entendu l’ancienne secrétaire d’État à l’égalité femme-homme nous expliquer que cette réforme des retraites était parfaitement juste pour les femmes. Bon… Je vais vous montrer que, de mon point de vue, je ne le pense pas. Pourquoi ? Pourquoi les femmes ont des inégalités professionnelles supérieures à celles des hommes ? D’abord, parce que les femmes ont beaucoup plus de carrières hachées, de carrières fragmentées que les hommes. Pourquoi ? Parce que les femmes, très souvent, lorsqu’elles ont des enfants, après leur congé de maternité, va se poser la question de la garde des enfants. Que ce n’est pas forcément facile de trouver des gardes d’enfants accessibles, proches et peu coûteuses. Et que, très souvent, il y a un choix au sein du couple. Pourquoi ? Il y a un choix qui est fait au sein du couple de dire : « Bon ben, je vais rester à la maison pendant que les enfants sont petits, pour m’en occuper avant qu’ils aillent à l’école. » Et souvent, c’est la femme qui fait ce choix-là. Pourquoi ? Parce qu’en moyenne, les femmes sont moins bien payées que les hommes.
Donc, quand vous devez faire un choix dans un couple, si votre conjointe est payée — ce que montrent les statistiques — 22 % de moins que vous, évidemment, c’est sur elle que ça tombe. Donc, souvent, elle reste à la maison pour s’occuper des enfants. Donc, 22 %, c’est si vous ne tenez pas compte du temps partiel — je vais y revenir. C’est à peu près 17 % si vous raisonnez à temps de travail égal, toujours aujourd’hui en France. Bon… Donc, très souvent, les femmes s’arrêtent pour s’occuper des enfants. Et le problème, c’est que, quand vous reprenez votre emploi après vous être arrêtée, c’est souvent difficile. Soit parce que vous ne retrouvez pas le même emploi, soit parce qu’en termes de carrière et de progression de carrière, vous avez du retard, car les autres ont pris le train en marche avant vous, et vous, vous cavalez derrière. Bon… Donc, il y a un problème : c’est des carrières beaucoup plus hachées. Et pour vous donner une idée, le taux d’activité des femmes en France est de 68 %, contre 76 % pour les hommes. Donc, il y a des carrières beaucoup plus fracturées. Bon… En plus — donc je l’ai dit — elles sont moins bien payées que les hommes. Alors, on reviendra peut-être là-dessus, mais je vais pas développer. Il y a différentes explications à cela.
En plus, elles occupent beaucoup plus des emplois à temps partiel — donc moins bien payés que les hommes. 29 % des femmes sont à temps partiel, contre 8 % pour les hommes. Et souvent, c’est qu’elles n’ont pas le choix : elles préfèrent travailler à temps plein, mais soit il faut s’occuper des enfants à la sortie de l’école, soit on n’a pas le choix, et on occupe un emploi à temps partiel. D’accord ? Évidemment, on a des inégalités de salaire importantes. D’accord ? Et donc, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que, si vous regardez la carrière des femmes, ces inégalités tout au long de la carrière professionnelle… Quand elles arrivent à la retraite, vous n’en avez que 60 % qui ont eu une carrière complète — leurs fameuses 43 annuités complètes. Les autres n’ont pas réussi. Donc, vous en avez 40 % qui n’ont pas réussi à avoir leur carrière complète. Bon… Donc, si vous vous rappelez ce que je vous ai dit — alors contre 15 % des hommes — et donc, si vous vous rappelez ce que je vous ai dit, elles ont deux options : Soit elles partent à la retraite après l’âge légal, mais elles n’auront pas toutes leurs annuités. Elles ont forcément une carrière incomplète, et donc elles ont des pensions très faibles. Et les pensions des femmes sont beaucoup plus faibles que celles des hommes. Et vous avez beaucoup plus de femmes qui ont des toutes petites pensions — inférieures à 1000 euros — que les hommes. Soit elles sont obligées de travailler jusqu’à 67 ans pour avoir leur taux plein. Donc, il y a beaucoup plus de femmes aussi qui vont travailler jusqu’à 67 ans, comparativement aux hommes.
Bon… Donc, je résume : elles n’ont pas de carrière complète, elles ont de toute façon des salaires plus faibles — donc des pensions plus faibles. Soit elles sont obligées de partir avant leurs 67 ans sans avoir toutes leurs annuités — donc elles ont une pension ridicule. Soit elles arrivent péniblement à 67 ans, mais comme la pension, de toute façon, est calculée sur la moyenne de leur salaire et le nombre d’années cotisées, pareil, on va les retrouver à la retraite avec des pensions beaucoup plus faibles.
Donc, vous voyez que… Alors, vous allez me dire : « Bon, et cette réforme, qu’est-ce qui va se passer avec cette réforme ? » Il va se passer deux choses. La première chose, c’est ce que je disais tout à l’heure : c’est que les fameux 67 ans, on n’y a pas touché. D’accord ? Et donc, aujourd’hui, je rappelle que l’âge légal va passer à 64 ans. Donc, vous allez travailler trois années supplémentaires. D’accord ? Et pour faire simple, votre décote… Enfin, vous n’aurez pas de décote à 67 ans. Mais vous voyez bien que la façon dont vous allez calculer votre pension, vous allez la calculer… Le — je dirais — bonus de votre pension, avant, il était calculé sur les 5 années supplémentaires que vous alliez travailler entre 62 et 67 ans. Et maintenant, vous allez le calculer entre 64 et 67 ans. Conséquence mathématique : les pensions vont baisser. Et pour qui ? Bah, pour les femmes, probablement. Alors, c’est compliqué à évaluer, estimer, mais très probablement, celles qui sont obligées d’aller jusqu’à 67 ans auront des pensions qui vont baisser. Bon… Donc, l’équité entre les hommes et les femmes, grâce à cette réforme des retraites, c’est évidemment pas du tout le cas.
Le deuxième élément, c’est ce qui concerne la maternité. Alors ça, je ne vous l’avais pas dit, mais quand vous êtes une femme, en fait, et que vous avez des enfants, vous pouvez avoir des trimestres supplémentaires liés à votre maternité. D’accord ? Je fais simple : dans le public et dans le privé, ce n’est pas pareil. Mais dans le privé, vous pouvez avoir jusqu’à 4 trimestres par enfant. D’accord ? Et en plus, quand vous les éduquez — il y a eu des petites réformes — vous avez aussi des trimestres liés à l’éducation, au fait que vous vous occupiez de vos enfants. Alors, vous pouvez le partager avec votre conjoint ou votre conjointe, mais vous pouvez aller — je fais simple — jusqu’à 8 trimestres par enfant. D’accord ? C’est pas mal. Sauf que, avec cette réforme, les femmes vont perdre le bénéfice de leur congé maternité. Pourquoi ? Parce que celles, pour le coup, qui ont pu avoir des carrières à peu près complètes — qui auraient cotisé leurs 43 ans — supposons que je prends l’exemple d’une femme qui a commencé à travailler à 20 ans, qui a eu une carrière complète, assez linéaire, qui a fait ses 43 annuités… Elle aurait pu bénéficier de ses congés de maternité, donc elle aurait pu gagner un an — disons aller, quatre trimestres. Voilà.
Et donc, elle aurait pu partir à l’âge de 62 ans, l’âge légal. Qu’est-ce qui se passe maintenant ? Eh bien, tout le bénéfice de ces congés maternité est annulé, puisqu’elle est obligée de travailler jusqu’à 64 ans. Donc, on se retrouve dans une situation étrange, qui est que, quand une femme a réussi à avoir une carrière complète, et qu’elle aurait pu valider les semestres liés à sa maternité pour partir à 62 ou 62 ans et quelques, ou 63 ans — elle a un peu plus — maintenant, elle est obligée de travailler jusqu’à 64. Et ça rejoint ce que je vous disais tout à l’heure : c’est que, quand vous réformez, quand vous repoussez — vous augmentez à la fois la durée de cotisation et vous repoussez l’âge légal — vous allez forcément avoir des situations où des personnes qui auraient eu leur carrière complète et qui auraient pu partir à 62 ans vont devoir travailler jusqu’à 64.Donc, il y a des gens qui vont être lésés. Et les femmes avec des enfants, avec des carrières complètes, vont être lésées. Bon… Donc ça, c’est évidemment — surtout si je vous ai dit tout à l’heure que, dans un régime par répartition, il faudrait quand même continuer à faire des enfants — ça ne va pas dans le sens de faire des enfants, puisque les bénéfices du congé de maternité, pour les femmes qui ont des carrières complètes, elles oublient. Alors, évidemment, les autres qui ont des carrières incomplètes, ça va rentrer dans le calcul, oui. Mais il va y avoir des perdantes. D’accord ?
Et la dernière catégorie qui va perdre dans cette histoire, c’est clairement les plus âgés — ce qu’on appelle les seniors. Alors, je pense que je vais réussir à vous faire sourire, mais un senior aujourd’hui, ce n’est pas quelqu’un qui a 65 ans. Un senior aujourd’hui, sur le marché du travail, c’est quelqu’un qui a 45 ans. Sur le marché du travail, on commence à être vieux à 45 ans. Donc, je résume : vous rentrez sur le marché du travail à 22–23 ans, donc vous êtes super efficace jusqu’à 45 ans. Mais à 45 ans, vous commencez à devenir suspect. On dit : « Ouh là là, il commence à coûter cher » ou « elle commence à coûter cher ». Et bon, d’accord, elle a de l’expérience… Mais alors, qu’est-ce qui se passe dans notre pays ? C’est qu’en fait, on a un taux d’emploi des seniors — alors l’INSEE regarde plutôt les 50 ans et plus — mais on a un taux d’emploi des seniors en France qui est très faible. D’accord ? Et surtout, on a un taux d’emploi des gens entre 60 et 64 ans qui est ridiculement bas. Donc, le taux d’emploi des seniors en France — des 50–64 ans — on est à 56 %, ce qui est très faible par rapport aux autres pays comme l’Allemagne et les pays du Nord de l’Europe. Ils ont presque 20 points de plus. Et un autre problème, c’est à partir des 60 ans — les 60–64 ans — on a un taux d’emploi de 36 %. On n’a qu’un tiers des plus de 60 ans qui sont employés. Donc bon… Donc ça ne va pas du tout.
Vous allez me dire : « Bah, ils sont où ? » Ben, ils sont au chômage, en invalidité, au RSA… Vous avez 40 % des gens qui partent à la retraite qui ne sont pas en emploi, pas en activité, en France. Et donc, vous comprenez bien où je veux en venir : c’est que, si vous dites « on va faire travailler les gens plus longtemps, de 62 jusqu’à 64 ans », mais si déjà, à partir de 60 ans, vous les licenciez, vous ne les embauchez pas, il y a un problème. Et ça, c’est un problème majeur. Parce que, quand vous faites ça, il faudrait absolument mettre en œuvre des mesures pour stimuler l’emploi des seniors. Et ça a été dit tout à l’heure en introduction : moi, j’appartiens à une chaire qui a travaillé sur ces questions-là, et qui a montré que, si on augmentait de 10 points l’emploi des seniors — juste de 10 points — eh bien, on pouvait gagner déjà 10 milliards d’euros. Donc, en gros, on était capables d’effacer notre fameux déficit. Bon… Donc, on voit bien qu’il y a un problème : c’est que vous ne pouvez pas dire « je vais faire travailler les gens plus longtemps, je vais les obliger à travailler plus longtemps », si les entreprises ne les embauchent pas. Donc, les seniors, ils sont clairement en dehors de cette affaire.
Alors, vous avez peut-être vu qu’on a proposé un index senior, pour obliger les entreprises à dire combien elles ont embauché de seniors, et si elles avaient l’intention d’en embaucher.
Il y a eu un petit sondage qui a été fait sur Indeed, auprès d’un certain nombre d’entreprises, et les résultats sont édifiants : vous avez 6 entreprises sur 10 qui déclarent n’avoir jamais embauché un senior de plus de 45 ans — 6 sur 10. Et vous en avez 4 sur 10 qui déclarent n’avoir aucunement l’intention, dans un avenir proche, d’embaucher quelqu’un de plus de 45 ans.
Bon… Alors moi, je veux bien : comment on va soutenir notre système de retraite par répartition, si à 45 ans, on est tous mis au placard ?
Donc, vous voyez que là, il y a un vrai problème. Il y a un problème qui est lié à plusieurs choses.
D’abord, pour conclure, il faut bien comprendre que cette réforme des retraites, elle repose sur un choix. C’est un choix politique. Il y a plusieurs leviers. On a choisi de faire travailler les gens plus longtemps. En réalité, l’effort que… Donc, ça veut dire que, déjà, l’effort que l’on fait peser, on le fait peser sur les actifs. Vous vous rappelez : on ne baisse pas les pensions, on ne fait pas peser cet effort sur les retraités, et on n’augmente pas les impôts ou les cotisations des entreprises. On ne vous fait pas peser l’effort sur les entreprises mais sur les actifs.
Ensuite, je vous ai montré qu’on fait peser cette réforme — l’effort — sur les actifs qui ont commencé à travailler le plus tôt, et qui ont une espérance de vie la plus faible, et qui occupent les travaux les plus… les métiers les plus pénibles. Donc, ce n’est pas du tout sur ceux-là qu’on devrait se focaliser. D’accord ? Clairement, quand vous entrez sur le marché du travail à 22 ou 23 ans, vous ferez vos 43 ans, vous ne partirez pas à la retraite avant 66 ans. Donc, ceux-là, ils ne sont pas concernés. Ces gens-là, de toute façon, ils auraient travaillé plus longtemps.
Donc, quand on dit : « On fait travailler tout le monde plus longtemps », pas du tout. On fait travailler ceux qui ont commencé tôt. Donc, ce n’est pas du tout la bonne solution. D’accord ? Et puis, évidemment, dès que vous commencez à jouer sur les deux tableaux — vous augmentez la durée de cotisation, et puis vous augmentez, vous décalez l’âge — vous allez avoir plein de cas où, effectivement, vous auriez pu partir avec vos années de cotisation tranquillement à 62–63 ans, et puis vous êtes obligé de travailler plus longtemps.
Donc, évidemment, vous comprenez pourquoi les gens grognent. Et en particulier ceux qui sont nés à partir du 1er septembre 1961, puisqu’ils sont totalement concernés. Eux, ils avaient prévu — ils avaient acheté le billet pour partir en croisière — et puis paf, on leur colle trois mois de plus. Et donc, cette idée-là — et c’est vraiment le problème — c’est que vous avez des leviers, mais quand vous jouez sur les deux tableaux, forcément, vous allez créer de l’inégalité, de l’iniquité. D’accord ? Et dernière chose : si vous repoussez l’âge de la retraite, il faut absolument travailler sur l’employabilité des plus âgés. D’accord ? Alors là aussi, il y a une discussion. On vous dit : « Mais oui, il y a un certain nombre d’études qui montrent que, quand vous relevez l’âge de la retraite, les entreprises sont obligées de garder, par définition, leurs seniors, parce qu’elles doivent les garder deux ans de plus. » Donc, ça va faire augmenter l’emploi. Bon… On voit bien que ça n’a pas de sens. Même si, mathématiquement, on voit que ça peut tirer vers le haut légèrement l’emploi des seniors, ce n’est pas comme ça qu’il faudrait raisonner. Il faut mieux les former, les seniors. Faire en sorte que les entreprises les gardent, parce qu’il y a une vraie valeur ajoutée de compétences, qu’ils puissent transmettre leurs compétences aux plus jeunes, etc. Et donc, ça, c’est une révolution aussi — je dirais — mentale à faire au sein des entreprises. Quand on vous dit : « Ah ben non, moi je… je vais quand même pas employer un vieux de 45 ans ! » Bon… Moi, je suis quand même un peu inquiète. D’accord ?
Donc, pour conclure, vous voyez que, finalement, cette réforme — absolument nécessaire ? Eh bien, pas si nécessaire que ça. Ce n’était peut-être pas le bon moment pour la faire. Je vous ai dit : la guerre en Ukraine, la crise énergétique, la Covid, une crise économique, les dettes, le déficit — tout ça qui s’accroît… Bon, déjà, une réforme des retraites, c’est jamais simple. Mais dans un contexte comme celui-là, ce n’était peut-être pas le meilleur moment. Trois : le système est en faillite ? Non. Quatre : il ne faut rien faire ? Non. Mais cinq : il ne fallait peut-être pas le faire comme ça. Et ça sera ma conclusion. Merci.
[Applaudissements]
Hager Jemel-Fornetty
Merci beaucoup Nathalie pour ces éléments qui sont vraiment éclairants. Même pour des personnes qui ont suivi les débats, il y a quand même une structure et des arguments qui permettent de mieux comprendre. Donc, merci pour tout cet effort de pédagogie et tous ces éléments que vous nous avez apportés ce soir.
Alors, il y a — comme on a dit — une partie qui est prévue pour des questions-réponses. Donc, je commence par les personnes présentes en salle. Je sais que, toujours, la première question, c’est un peu difficile… Mais vous voyez, on est entre nous, c’est vraiment le moment de prendre la parole. Il n’y a pas de question inutile. Et bravo à la personne qui va poser la première question. Je vous en prie.
Personne dans le public
— Merci. En fait, ma question, je pense, elle va être un petit peu compliquée… On aurait dû faire comment, du coup ?
Nathalie Chusseau
— Le premier élément de réponse — vous l’aurez compris — c’est : pas comme ça. Bon, très honnêtement, je pense que cette réforme systémique par points, qui essaie d’individualiser la carrière de chacune et chacun, c’est probablement le meilleur système. C’était — effectivement avec la Covid — pas le meilleur moment pour la mettre en place. Mais je dirais que c’est le meilleur système. Mais on n’a pas, à mon avis, réellement la connaissance pour le mettre en place, pour venir remplacer notre système actuel par un système par points. Pour le dire autrement, en fait, on a beaucoup de difficultés à gérer la transition. Parce que, dès que vous réformez, vous faites une rupture radicale entre le système ancien et le système actuel. Et pour faire simple, si vous commencez à — je dirais — avoir une idée du point : voilà, quand vous faites ça, vous avez tant de points, quand vous avez fait ci, vous avez un point… Donc, essayer de reconstituer des carrières, ça a été fait. Il y a des économistes qui ont travaillé là-dessus.
La grande difficulté, c’est : comment on passe du système actuel à un système par points ? Et là, cette transition, elle est compliquée à gérer. Parce que vous ne pouvez pas, du jour au lendemain, introduire ça. Pour vous, qui n’êtes pas encore rentré sur le marché du travail, c’est — enfin — c’est facile. On peut commencer avec vous, avec une carrière. La vraie difficulté, c’est des gens comme moi. Et le pire, c’est les gens à la retraite. Vous imaginez ? Oui, il faudrait qu’on essaie de reconstituer tout ce qu’ils ont fait avec leur carrière, dans un contexte historique, pour qu’ils puissent avoir la valeur du point qui correspond à ce qu’ils devraient avoir. Et là, ça devient extrêmement compliqué.
Après, on peut abandonner une réforme par points. Mais dans ce cas-là, mon opinion, c’est qu’il ne fallait pas reculer l’âge de départ à la retraite. Il fallait jouer uniquement sur la durée de cotisation. Et certainement pas… Parce qu’en faisant ça, vous voyez que ce que vous faites travailler plus longtemps, ce sont ceux qui ne devraient pas le faire. Donc, mon avis, c’est ça : quitte à passer à 44 ans, mais avec — effectivement — des critères, notamment de pénibilité au travail, qui ont été complètement évacués. Donc, on pourrait améliorer cette réforme. Et voilà, je suis convaincue que dans trois, quatre ans, on va recommencer une autre réforme, parce qu’il va falloir s’ajuster, et que probablement, ça n’ira pas.
Hager Jemel-Fornetty
— Merci pour cette réponse. Y a-t-il une autre question dans la salle ? Il y a aussi des questions qui sont arrivées par les personnes qui nous suivent en direct. Je vais commencer par une question — évidemment, c’est peut-être… Enfin, je précise que vous n’êtes pas obligée de connaître toutes les réponses — mais voilà, c’est une question qui se pose, qui est plutôt politique. C’est-à-dire : quelles sont, selon vous, les conséquences politiques de cette réforme ?
Nathalie Chusseau
— Je dirais qu’il y a une conséquence politique directe, qui est liée au fait que c’est la première fois depuis 20 ans qu’on a l’ensemble des syndicats qui sont d’accord pour être contre une réforme. Ce qui — je vous le dis — ça fait 20 ans que ça n’était pas arrivé. Donc, premier élément de réponse. Deuxième élément de réponse : ça a conduit à mettre des millions de personnes dans la rue. Et selon les sondages — qui varient — on a eu jusqu’à 90 % des gens interrogés qui étaient contre cette réforme. Donc, politiquement, on voit bien que c’est compliqué. Dans un système démocratique, si vous avez tous les syndicats et plus de 90 % de la population qui est opposée à une réforme, de continuer à la mettre en œuvre… D’accord ? Ça, évidemment, ça génère — on le voit bien — de l’instabilité politique. Et ça génère aussi des problèmes démocratiques. Je vais pas re-rentrer dans le détail, mais effectivement, on a utilisé un certain nombre d’outils constitutionnels — plus ou moins constitutionnels — pour faire appliquer cette réforme, alors qu’il n’y avait pas de majorité claire au Parlement. Bon… Donc, politiquement, ça pose un problème.
Après, comme je vous le dis, je pense qu’on va probablement faire une réforme dans quelque temps. Et que voilà… Je dirais que le vrai scandale, moi, qui me pose problème, c’est de faire travailler — effectivement — de ne pas prendre en compte la pénibilité. Et donc, je crois qu’on peut au moins essayer d’améliorer les choses, et de trouver d’autres leviers, de compléter ça par d’autres leviers.
Il y a beaucoup de gens qui disent, par exemple, qu’après la Covid — pendant la Covid — et ensuite, grâce à la crise énergétique et à l’inflation, vous avez des multinationales qui ont fait des profits exceptionnels — ce qu’on appelle les superprofits. On pourrait parfaitement considérer que, puisqu’on a besoin de résorber notre déficit, y compris en matière de retraite, on pourrait dire : « À profit exceptionnel, taxe ou impôt exceptionnel. ». Ça peut être un levier. Ce que je veux dire par là, c’est que politiquement, ça va être compliqué de continuer à convaincre les gens qu’il faut qu’ils travaillent, qu’il faut qu’ils continuent à payer leurs impôts, et qu’ils soient les bons petits soldats, alors que ce sont probablement les plus vulnérables et les plus fragiles qui sont touchés par cette réforme. Et ça, ça va être compliqué, à mon avis, à faire passer. Donc, ça peut générer de l’instabilité politique, clairement. Et on le verra dans les prochaines élections.
Hager Jemel-Fornetty
— Y a-t-il une autre question dans la salle ?
Personne dans le public
— Oui, bonjour. C’est juste une question par rapport à la prise en compte des régimes spéciaux. Puisque, par exemple, concernant ma mère — elle est avocate — j’aimerais savoir : est-ce qu’on doit mettre tout dans un système de répartition, selon vous ? Ou laisser les régimes spéciaux ?
Nathalie Chusseau
— Alors là encore, il y a un effort qui est fait sur les fameux régimes spéciaux. Puisque vous savez qu’il y a effectivement des professions qui ont des régimes de retraite particuliers, qui ont des conditions de départ à la retraite qui ne sont pas les mêmes. D’accord ? Et qui partent, en gros, plus tôt que les autres. D’accord ? Donc, il y a ce qu’on appelle les professions dites actives — donc les pompiers, les policiers, etc. Vous avez la légende de la RATP. Vous avez les gens qui travaillent à la Banque de France. Vous avez tout un tas de gens qui, de par la nature de leur profession — et on n’a jamais réformé ça — peuvent partir à la retraite beaucoup plus tôt que les autres. Donc, ce que dit la réforme, c’est que ceux qui sont déjà dans le système vont continuer — par exemple, c’est le cas de la RATP, mais ça a déjà été fait pour la SNCF — vont continuer à bénéficier de cet avantage. Mais les nouveaux, les néo-entrants, les nouveaux entrants, vont être au même niveau que les autres. Ça, c’est ce qu’on appelle la clause du grand-père.
Parce que c’est toujours le même problème : c’est quand vous commencez à réformer, il y a un problème de droit typique. C’est quand vous signez un contrat et vous dites : « Ben, j’ai droit de partir à 55 ans. Moi, je vais rentrer à la SNCF pour partir à 55 ans. » Et puis, quelques années avant ma retraite, on me dit : « Bah non, tu vas travailler jusqu’à 65 ans. » Rupture du contrat de travail. Donc ça, on peut… bon, donc on ne le fait pas. Donc, effectivement, là encore, pour des questions d’équité, ça serait bien que tout le monde soit à peu près au même niveau.
Alors, les catégories actives dont je parlais tout à l’heure, elles vont de toute façon travailler deux ans de plus. Elles continueront à partir plus tôt, mais elles travailleront deux ans de plus. Donc là, l’effort est partagé. Alors après, il y a des gens qui ne partagent pas du tout l’effort. Je ne sais pas si vous avez vu, mais les parlementaires ont aussi un régime spécial — les députés et les sénateurs — et ils n’ont pas voté la fin de leur régime spécial. Bon… Et ce à quoi vous faites référence sur les avocats, c’est qu’effectivement, il y a des régimes qui sont excédentaires, qui sont bien gérés — les régimes notamment complémentaires. D’ailleurs, les régimes des cadres, des salariés cadres, sur la retraite complémentaire, sont excédentaires. Effectivement, il y a de l’argent.
Il y a d’autres régimes déficitaires. Et ça, c’était aussi un levier de dire : « Bon, on n’a qu’à mettre tout dans le pot commun, et puis on n’a qu’à financer les déficits d’un côté par les excédents des autres. ». Bon, moi, personnellement, ça ne me choquerait pas. D’autant plus que — je vous donne un exemple — il y a un régime qui est très difficile, c’est celui des fonctionnaires. Je ne sais pas si j’ai parlé du déficit… Le déficit dont je vous ai parlé tout à l’heure, c’est hors déficit des fonctionnaires, puisqu’en fait, là, par définition, comme c’est l’État qui paie ses fonctionnaires, il paie leur retraite. Donc c’est hors champ. Mais il y a un déficit important. Et il y a notamment un déficit important parce qu’on a réduit beaucoup — et on continue à réduire beaucoup — le nombre de fonctionnaires, en particulier dans les collectivités territoriales et collectivités locales, et dans la fonction hospitalière. Donc, ça veut dire que vous avez eu beaucoup de fonctionnaires à un moment — donc beaucoup de retraités — et de moins en moins de gens pour payer. Donc forcément, à la fin, c’est très difficile.
Donc, ça ne me paraît pas justifié de dire : « Mais regardez, les fonctionnaires, comme d’habitude, c’est mal géré. » Ben non. Il y a de moins en moins de cotisants pour de plus en plus de gens qui sont à la retraite. Donc, évidemment, c’est normal. Donc là, il est normal que l’État — sur vos impôts et les miens — mette la main à la poche. De l’autre côté, vous avez des régimes excédentaires complémentaires qui marchent bien. Mais il me semble qu’il y a un certain nombre de professions pour lesquelles il n’y avait pas de justification. D’accord ? Vous êtes pompier, je comprends que vous partiez plus tôt à la retraite. Vous êtes policier, c’est OK. Bon… Vous travaillez à la Banque de France ? Un certain nombre de mes collègues économistes qui travaillent à la Banque de France… Je ne vois pas pourquoi ils partiraient avant l’âge de la retraite. Il n’y a pas de raison. Donc, il y a aussi des héritages — vous voyez — de privilèges qui datent de très longtemps, et sur lesquels il faudra forcément revenir. Ne serait-ce que pour le fait que, si on est dans un système par répartition, c’est un système collectif. On s’assure mutuellement. Donc, s’il y en a qui travaillent moins longtemps, qui paient moins que les autres, vous voyez, c’est un coup de canif dans le contrat. Donc ça, ça ne fonctionne pas bien. Donc moi, je suis plutôt favorable à ce qu’on arrive à des choses plus claires, et que tout le monde arrive à travailler — voilà — à peu près le même nombre d’années. Sauf, évidemment, cas exceptionnel.
Hager Jemel-Fornetty
— Merci pour cette réponse claire. Y a-t-il une autre question ?
Personne dans le public
— Oui, bonjour. Moi, j’aurais une question par rapport aux nouvelles technologies que vous évoquiez. Est-ce que vous pensez que, justement, ces nouvelles technologies qui apparaissent et qui semblent faciliter les travaux de recherche et d’acquisition de l’information ne vont pas rentrer en contradiction avec le fait de devoir faire travailler plus longtemps, comme vous dites, l’ensemble des actifs, et donc ralentir la mission de cette réforme ?
Nathalie Chusseau
— Alors, c’est une excellente question. Ce que vous me dites, c’est qu’effectivement, l’intelligence artificielle, ou la robotisation, ou le numérique vont probablement remplacer un certain nombre de personnes en emploi. Et c’est le cas. Puisque — je vous ai dit — en tout cas, l’intelligence artificielle… Donc, en fait, ce que l’on sait, c’est qu’il y a un certain nombre de métiers qui vont être impactés. Sur le numérique, on sait qu’on a à peu près 39 % des métiers qui vont être modifiés, et on a à peu près 10 % qui vont être très fortement modifiés. Donc, qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire qu’il y a des métiers qui vont disparaître, ou il y a des tâches dans des métiers qui vont disparaître. Par exemple, un avocat, avant, il faisait beaucoup de jurisprudence. Maintenant, il y a ChatGPT, il fait ça très bien. Pas besoin de… Donc, tous les gens qui faisaient de la jurisprudence — c’est-à-dire qu’allaient chercher les arrêts — tout ça, c’est fini.
Bon… Peut-être bien que, dans un avenir proche, on n’aura plus besoin de professeurs. D’accord ? Ou moins. Ou pas pour faire la même chose. Donc, ce qu’on sait, c’est qu’effectivement, il y a des métiers qui vont être détruits. On anticipe qu’il y aura aussi des nouveaux métiers créés. Le problème — et là, je vous rejoins — c’est que probablement, il y a une partie des gens qui ne seront plus employables, au sens un peu primaire du terme, parce qu’on aura des nouvelles technologies qui permettront de faire ce qu’ils font. Et ça ne sera pas forcément, d’ailleurs, les plus âgés. Et là, vous posez une vraie question, qui est : qu’est-ce qu’on fait des gens qui ne seront pas employables, s’ils sont remplacés par des nouvelles technologies, ou l’intelligence artificielle, ou que sais-je ?
Bon… Et alors là, ça fait assez longtemps que ces questions se posent, parmi les économistes, et aussi parmi — je dirais — les entreprises et les grandes entreprises. Et par exemple, il y a un forum très connu, tous les ans, qui s’appelle le Forum de Davos, où vous avez tous les grands acteurs des multinationales, du monde économique, politique et journalistique, qui se réunissent. Et ça fait déjà une petite dizaine d’années qu’au Forum de Davos, un certain nombre de grandes entreprises disent qu’il va falloir mettre en œuvre ce que l’on appelle un revenu universel, justement pour subvenir aux besoins des gens — des travailleurs — qui ne seront plus employables à cause des nouvelles technologies.
Donc, qu’est-ce que c’est, un revenu universel ? L’idée, c’est que tout le monde aura un revenu minimum, qui est supposé couvrir ses besoins essentiels. Alors, après, comment on définit ça, c’est autre chose. Et en gros, ceux qui peuvent, ceux qui veulent — eh bien, ils travaillent, ils gagnent de l’argent en plus. Mais ça fait 10–15 ans que ces questions sont sur la table. Justement, pour répondre à votre question : parce qu’on anticipe que, probablement, il y a une partie de la population qui ne sera pas employable en raison de ces avancées technologiques. Le problème, c’est qu’on ne fait que ça : de l’anticipation.
Hager Jemel-Fornetty
— Merci beaucoup. Alors, il y a une question aussi qui nous est parvenue tout à l’heure, par une personne à distance. Elle est un petit peu longue et technique, donc il faut se concentrer. Je vais laisser Marion la poser.
Marion Studer
— Oui. Donc, la question concerne les parents aidants, qui accompagnent les enfants porteurs de handicap. Et donc, l’internaute se demande si les parents d’un enfant handicapé à plus de 80 %, qui travaillent eux-mêmes à temps partiel, pourront valider leurs quatre trimestres par an. Et est-ce que ce temps partiel, le droit, sera comptabilisé à 100 % comme du temps de travail, et donc compté à 100 % dans l’assiette pour le calcul de la retraite ?
Nathalie Chusseau
— Ce que je sais, c’est que sur la partie handicap, ils n’ont pas touché ce qui avait été décidé — là, c’est la partie des congés, effectivement, des trimestres donnés pour les aidants. Alors, je ne suis pas sûre — donc ça, il faudrait quand même vérifier dans la loi — mais je ne suis pas sûre que, s’ils sont à temps partiel, ça soit comptabilisé dans leur totalité. Mais ça, il faudrait que je vérifie véritablement dans ce qui est proposé. Ça, malheureusement, je n’ai pas le détail en tête de ça. Mais je ne suis pas certaine que, comme c’est à temps partiel, ça puisse être comptabilisé dans leur totalité des quatre trimestres.
Hager Jemel-Fornetty
— Merci beaucoup. Y a-t-il une autre question dans la salle ?
Personne dans le public
— Bonjour. Vous avez parlé du déficit de la caisse de retraite. Ma question porte sur le financement de ce déficit. Et en fait, ma question posée, justement : comment la France aurait pu financer ce déficit autrement ?
Nathalie Chusseau
— Il y a plusieurs solutions. Je vous ai dit : vous pouvez soit dire que vous décidez de baisser les pensions des retraités — c’est-à-dire que vous leur donnez moins. Donc ça, c’est ce que je vous expliquais tout à l’heure : ça a été exclu, parce qu’en général, ce sont plutôt les retraités qui votent, et que ce n’est pas très populaire. Mais il y a plein de pays qui l’ont fait. En fait, la France — si vous regardez aujourd’hui, si vous comparez la France avec les autres pays — le niveau de vie des retraités est assez proche du niveau de vie des actifs. Donc, on maintient un niveau de vie assez proche, ce qui n’est pas le cas dans la plupart des autres pays. Donc, déjà, on a un système assez généreux. Donc, on pourrait dire : « On est moins généreux. »
Deuxième option : c’est de dire qu’on va faire payer — on va augmenter les cotisations payées par les employeurs et par les salariés, ou les fonctionnaires. Ça a été fait. Je vous ai dit qu’il y avait eu plein de réformes de retraite. Par exemple, on a aligné le régime des fonctionnaires sur le régime des salariés — avant, ils payaient des cotisations retraite plus faibles. On a augmenté leurs cotisations. On aurait pu faire ça : dire « Bon ben, on va payer plus. » Ça, ça a été exclu pour une raison : c’est que le gouvernement a dit « On n’augmente pas les impôts sur les entreprises », parce qu’on ne veut pas augmenter les impôts sur la production. Parce que, si on taxe trop les entreprises, elles vont moins produire, et on va être moins efficaces. Je résume, mais c’est ça. Et on ne pouvait pas dire : « J’augmente les cotisations payées par les salariés, et pas par les employeurs », parce que là, c’était la révolution dans la rue. Donc, ce n’était pas possible. Donc, c’était une option.
L’autre option, c’est celle qui a été choisie, évidemment : faire travailler les gens plus longtemps. Mais dans ce cas-là — c’est l’option que moi je propose — c’est de garder l’âge légal à 62 ans, mais d’augmenter la durée de cotisation. On aurait pu le faire. Et puis après, il y a d’autres propositions. On pouvait augmenter la CSG, parce qu’effectivement, les retraités paient la CSG. C’était un moyen de les faire participer à l’effort collectif. Il y a eu aussi des questions sur les réformes fiscales, parce que les retraités ont des défiscalisations dans leur barème — un certain nombre de choses. Il y a 10 % de réduction pour les retraités et les non-retraités, pour des histoires d’abattement de 10 %. Donc, les fiscalistes ont dit : « Bon, on n’a qu’à enlever cet abattement, ça ne sert à rien. Il n’y a pas de raison de faire un abattement pour les retraités. »
Donc, vous voyez : essayer de trouver de l’argent, des leviers, avec quand même en tête que ça serait bien que tout le monde participe à l’effort. Parce que là, vous voyez qu’en fait, on fait porter l’effort… Bon… Donc, ça aurait pu être des solutions. Ce que je disais tout à l’heure : profit exceptionnel, impôt exceptionnel. Paf ! On a des grandes multinationales qui ont fait des profits extrêmement importants en raison de la guerre en Ukraine. On peut penser qu’il y a un moment, elles peuvent redistribuer.
Vous voyez, en fait, il y a plein de leviers. La décision derrière — elle est, c’est un choix, c’est un choix politique, dans une conception, une certaine conception de l’économie. D’accord ? Donc, typiquement, il y avait plusieurs choses à faire. Et probablement qu’il y aura des choses à faire. Voilà. À partir de cette réforme — ce n’est pas figé dans le temps. On en a connu un certain nombre, des réformes. Et je pense que, avant la fin de ma carrière, il y en aura d’autres.
Hager Jemel-Fornetty
— Y a-t-il encore une question ? Moi, j’avais une question tout à l’heure par rapport au système justement à points. On a bien compris que c’était compliqué de revenir sur les personnes déjà retraitées et les personnes qui ont déjà une promesse active. Mais je me demandais : est-ce que c’est possible d’imaginer un système différent pour chaque génération, sans rompre le contrat social, et qui amène les nouvelles générations à petit à petit basculer vers un système plus durable et plus juste ? Quelle est la barrière pour le faire ?
Nathalie Chusseau
— En fait, c’est tout le problème. C’est ce que je disais tout à l’heure : c’est la transition. C’est-à-dire : comment on passe d’un système comme celui-ci, où on reconstitue… En fait, quand vous faites valoir vos droits à la retraite, on reconstitue votre carrière. Donc, on vous dit : « Vous avez travaillé tant de temps à tel endroit, vous avez cotisé tant, vous avez tant de trimestres. » En plus, vous pouvez avoir de la retraite additionnelle, vous pouvez avoir… Bon, vous pouvez avoir cotisé à différents régimes. Donc, on reconstitue votre carrière. La vraie difficulté, c’est qu’on sait élaborer un modèle de retraite par points…
La question que vous posez, c’est : comment on fait pour passer du système actuel à un système par points ? Et ça, je pense que c’est la réelle difficulté. Et que, pour le moment… Parce que si vous faites des choses différentes pour les différentes générations, quelque part, vous rompez quand même le contrat. Parce que, alors, vous changez les règles du jeu. Encore, ceux qui arrivent, c’est facile, parce qu’ils rentrent dans le système. Mais…Et en plus, je pense qu’il y a des problèmes de calcul réels, en fonction de la carrière passée et de la réévaluation des points des retraités. Ça, ça me paraît très compliqué. Et même des gens comme nous, qui ont déjà une certaine carrière, reconstituer notre carrière et la valoriser avec une certaine valeur du point, c’est… c’est compliqué. Parce qu’en fait, pour faire ça, il faut que vous ayez tous les cas individuels possibles. Il faut que vous ayez un schéma de tous les cas individuels. Ce qui n’a typiquement pas été fait dans cette réforme. C’est-à-dire que, évidemment, il y a plein de trous dans la raquette. Il y a plein de personnes qui se retrouvent dans une situation… qui sont — je veux dire — impactées négativement par la réforme, parce qu’on ne les a pas prises en compte.
Donc, ce qu’il faudrait faire, c’est tous les parcours individuels possibles, et valoriser chaque parcours : sur la pénibilité, sur le congé maternité, sur le congé aidant — tu t’occupes d’un enfant handicapé ou d’un parent handicapé, tu touches des points… Il faudrait, en fait, reconstituer tous les parcours de vie. Et ça, théoriquement, on peut le faire. Le problème que je vois majeur, c’est que je crois qu’on ne sait pas encore bien faire — comment penser la transition. Il y aura forcément, de mon point de vue, au moment de la transition, une génération — il y aura une génération qui va être sacrifiée. Mais il y aura forcément des coûts.
Et puis, un autre problème dont je n’ai pas parlé, c’est la valeur du point. Et ça, il y a beaucoup de gens qui sont frileux. Parce que vous voyez bien que le montant de votre pension va dépendre non seulement du nombre de points que vous allez accumuler, mais du prix du point. Qui décide du prix du point ? Il faut que ce soit négocié avec les partenaires sociaux. Mais si vous avez un gouvernement qui dit, tout à coup : « Moi, je décide de baisser de 50 % la valeur du point », vous voyez bien… la valeur de votre pension, ça va… Et donc ça, il y a un vrai problème. Parce que derrière, il faudrait aussi sécuriser cette question de la valeur du point. Donc, c’est forcément un des meilleurs systèmes à mettre en place. Mais je crois qu’on n’a — honnêtement — pas encore la solution, à mon avis, pour la transition. Moi, je n’ai pas de solution claire là-dessus. Identifier tous les parcours individuels, je vois. Identifier toutes les possibilités — alors elles sont multiples. Mais comment on passe d’un système à l’autre…
Harger Jemel-Fornetty
— Oui, mais comme les syndicats ont beaucoup milité — au moins dans les médias — pour ce système, quelque part, ça intrigue. Et aujourd’hui, on se dit : « C’est une utopie. » Mais finalement, aujourd’hui, on ne sait pas le faire ?
Nathalie Chusseau
— Je ne dirais pas qu’on ne sait pas le faire. Je pense que, déjà, il y a un énorme boulot qui a été fait sur comment on peut — pour justement identifier ces parcours. Et le travail des syndicats, notamment sur la pénibilité — il y a un syndicat qui a beaucoup travaillé là-dessus, c’est la CFDT, pendant 20 ans. Et ça, par exemple, on devrait reprendre tout ce qui a été fait là-dessus. C’est-à-dire qu’on pourrait réinjecter ces questions-là. Donc, je pense que ce n’est pas une utopie. Mais je pense que le point d’achoppement, c’est : il faut qu’on travaille sur la transition. Comment on fait ? Quitte à ce que — s’il y a des générations sacrifiées — il faut l’anticiper, et il faudra financer le sacrifice qu’elles font. Mais je pense que ce n’est pas si simple à mettre en œuvre. Et c’est probablement la meilleure des réformes à mettre en place.
Hager Jemel-Fornetty
— De fait, il y a des générations sacrifiées. Puisque, de ce que votre démonstration montre, on a sacrifié la jeunesse ou les personnes actives, par rapport aux personnes qui sont déjà à la retraite.
Nathalie Chusseau
— C’est mon point de vue. Et c’est mon interprétation. Et c’est un choix. C’est un choix — je vous l’ai expliqué. Je pense que c’est un choix politique, et qui, effectivement, est fortement lié au vote. Mais de mon point de vue, je pense que 14 % de la richesse nationale consacrée aux retraites, dans le contexte qui a été évoqué — la transition démographique, la révolution numérique, etc. — et le problème de notre système éducatif en France, qui, quand même, connaît de nombreux soucis… Je pense que ce n’est certainement pas la bonne orientation. Donc, en clair, moi, je mettrais beaucoup d’argent sur l’éducation, et un peu moins dans les retraites. Ce n’est pas très politiquement correct, ça, non plus…
Hager Jemel-Fornetty
— Non, mais c’est une position qui n’est pas étonnante de la part d’une professeure.Y a-t-il une toute dernière question dans la salle ? Ah, il y a une question qui est venue d’une personne qui nous suit à distance. Donc Marion va la poser.
Marion Studer
— Donc, une question sur les seniors, justement. Vous expliquez que cette réforme des retraites fragilise les seniors. Et la question porte sur la combinaison de cette réforme des retraites avec la réforme de l’assurance chômage. Et est-ce que ce double — cette combinaison — n’accentue pas encore plus cette fragilisation des seniors ?
Nathalie Chusseau
— Absolument. Puisque la réforme de l’assurance chômage — qui est passée, d’ailleurs, un peu comme une lettre à la Poste — va fragiliser les seniors. Puisqu’ils vont être… En fait, pour faire simple, on indexe la durée d’indemnisation du chômage sur le taux de chômage du pays. C’est-à-dire que, si vous avez un taux de chômage qui est relativement faible — et donc il tombe à 6 % — eh bien, vous serez indemnisé moins longtemps. Bon… Jusqu’à présent — alors ça, c’est inspiré de ce qui se fait dans un certain nombre de pays, notamment au Canada — ça pose différents problèmes. Parce qu’un taux de chômage, d’abord, il n’est pas national. Si je regarde le taux de chômage, par exemple, régional ici, et que je le compare au taux de chômage national, il est beaucoup plus élevé. Donc, c’est — de mon point de vue — idiot, déjà.
Et puis surtout, jusqu’à présent, quand vous aviez plus de 50 ans, que vous étiez au chômage, vous étiez indemnisé pendant presque trois ans. Et là, effectivement, de fait, la durée d’indemnisation va être réduite. Mais alors, derrière cette réforme-là, c’est l’idée de dire : « On paie moins longtemps les gens, donc ils vont être plus incités à se battre pour retrouver un emploi. ». Pour ce qui est des seniors, ce n’est pas le problème. La plupart des seniors qui sont soit mis au placard, soit licenciés, veulent travailler. Donc, ce n’est pas le problème de l’incitation au travail. Donc, je pense que cette réforme, pour ce qui est des seniors, va les fragiliser davantage. Et qu’il faudrait, au contraire, mettre en place un certain nombre d’éléments. Moi, je pense qu’un index senior, avec obligation de publier les chiffres, et surtout imposer aux entreprises un plan de recrutement des seniors, et surtout de maintien en emploi des seniors, et de formation, c’est crucial. Aujourd’hui, vous n’avez que 13 % des seniors qui suivent une formation. Pourquoi ? Parce qu’on se dit : « De toute façon, ils sont trop vieux. Et puis, ils ne vont pas se reconvertir. De toute façon, on ne va pas les garder. On ne va quand même pas leur donner du temps pour se former, leur financer une formation… ». C’est idiot. Puisque, de toute façon, si on ne les garde pas dans l’entreprise, ils pourraient — de toute façon — aller travailler ailleurs. Mais là, il faut vraiment changer la façon de penser l’insertion des seniors et leur maintien en emploi. Mais effectivement, c’est une excellente question : la réforme de l’assurance chômage va les fragiliser encore davantage, c’est certain.
Hager Jemel-Fornetty
— Merci beaucoup Nathalie Chusseau pour la qualité de cette conférence et la qualité des réponses aux questions. Merci à toutes les personnes présentes, aussi bien ici dans ce temps-fort, et à distance. Donc, je vous dis bonne soirée, et à très vite avec une prochaine conférence. C’est parti !
À l'occasion du lancement de la saison 2023 de ses conférences ouvertes à toutes et tous, la Chaire Diversité et Inclusion a eu le plaisir d'accueillir Daria Sobocinska, sociologue de la sexualité à l'Université de Lille.
À partir d’une enquête sociologique sur la sexualité sans lendemain, cette conférence questionne les formes diverses et complexes que peut prendre le (non) consentement et la place qui lui est laissée dans les scénarii des rencontres sexuelles. À l’heure d’une progressive démocratisation des discours féministes autour des violences sexuelles et de la diffusion d’un idéal d’égalité, le consentement occupe une place importante dans les débats sur la sexualité.
Conférence - Les aventures sans lendemain à l’épreuve du consentement | EDHEC Business School
Hager Jemel-Fornetty
Bonsoir à toutes et à tous. Bienvenue. Merci d'être parmi nous ce soir pour cette conférence débat. Nous sommes ravis ce soir d'accueillir Daria Sobocinska, qui est doctorante à l'université de Lille 1, au Clersée plus exactement, le laboratoire et qui mène ses recherches sur la sexualité dite « sans lendemain ». Si je me souviens bien aussi, on parle de sexualité récréative et surtout et principalement dans sa recherche chez les jeunes hétéros sexuels. Dans vos travaux, Daria, si je comprends bien, vous avez croisé sociologie et sexualité, de la sexualité et sociologie du genre et vous avez été amené à enquêter sur la question des violences sexistes et sexuelles avec une approche qualitative alors que ce n'était pas au départ l'intention ni l'objet de la recherche. C'est très intéressant. Je pense que vous allez l'expliquer, comment vous êtes arrivé aux violences sexistes et sexuelles et à cette question principale qui nous intéresse beaucoup ce soir, de la question du consentement. Daria a accepté de partager ses travaux de recherche avec nous et nous la remercions. À l'EDHEC, nous avons depuis maintenant plus de deux ans décidé de travailler beaucoup plus sur la sensibilisation de nos étudiants, mais aussi, nous aussi, membres du personnel, toutes les personnes qui souhaitent avoir une meilleure culture, une meilleure formation, une sensibilisation sur la question des violences sexistes et sexuelles.
C'est un véritable fléau, nous le savons, et il y a la question aussi de comprendre, d'appréhender ce phénomène qui parfois peut empêcher qu'on tombe dans certains types de violences sexistes et sexuelles. Cette conférence fait partie aussi de ce cycle de sensibilisation. Merci encore de votre présence. N'hésitez pas à poser des questions. Sachez qu'il y a des personnes avec nous en salle, mais nous avons beaucoup plus de personnes qui nous suivent en ligne et donc je m'adresse à toutes celles et ceux qui sont connectés en ligne et je les remercie de leur intérêt. Je vous dis à toutes et à tous, que ce soit les personnes présentes en salle ou à distance, que vous pouvez poser vos questions tout au long de cette conférence en vous connectant sur le lien que vous voyez ici, sur cette slide. Il y a le QR code, mais aussi pour les personnes qui nous suivent via YouTube live, il y a le lien via lequel vous pouvez poser ces questions. N'hésitez pas à l'utiliser. Nous avons le moyen de voir ces questions et de pouvoir les poser à la fin de la conférence, puisque l'objectif, c'est qu'après que Daria nous présente ses travaux de recherche, qu'elle puisse aussi débattre avec toutes les personnes présentes virtuellement et ici dans cet amphi.
Daria, je vous laisse la parole et à tout de suite pour la session Questions/ Réponses.
Daria Sobocinska
Merci beaucoup pour cette présentation. Bonsoir à toutes et à tous. Je suis très contente d'être ici ce soir. Un grand merci d'être présent et présente, soit en présentiel, soit en virtuel. Et puis, bien sûr, un grand merci à la chaire Diversité et Inclusion de l'EDHEC, qui a organisé ce moment d'échange, mais ce ne sera pas le seul auquel je suis bien évidemment très heureuse de participer. Je suis très contente, bien sûr, de vous présenter mes travaux parce que c'est toujours une joie de pouvoir discuter un petit peu en dehors du cadre de l'université. Mais je suis d'autant plus contente d'être ici ce soir qu'on m'a demandé de venir discuter avec vous de la question du consentement lié aux violences sexuelles, qui est un sujet évidemment ô combien important. La commande qui m'a été faite aujourd'hui pour cette conférence, c'est donc de vous présenter mes travaux sur la sexualité dite « sans lendemain ». C'est une expression qui est extrêmement large. Je reviendrai dessus tout à l'heure, bien évidemment. Je vous en dirai quelques mots pour bien sûr vous présenter et coller à la commande pour vous présenter mes travaux, mais aussi et surtout pour que vous puissiez comprendre d'où est ce que je parle, parce que je ne suis pas une experte des violences sexuelles.
Je ne travaillais pas directement sur les violences sexuelles avant qu'elles s'imposent sur mon terrain. Donc, ça me semble important de vous faire un petit peu de points sur qui je suis et d'où je parle pour que vous puissiez aussi situer mes résultats. L'enjeu de cette conférence, c'est à la fois de vous parler de cette question de la sexualité sans lendemain, en la croisant avec la question du consentement, mais l'idée aussi, derrière ce cadre qui est, finalement, même si on sort un petit peu de l'université que je connais, ça reste un cadre qui est très académique. L'objectif, c'est quand même de vous proposer peut être des outils et notamment des outils sociologiques qui vous permettent, qui nous permettent collectivement de porter un regard critique sur la question du consentement. Et c'est un outil, je vous en parlerai tout à l'heure, qui fonctionne très bien en sociologie, mais qui, je crois, peut avoir un intérêt certain aussi dans notre intimité et dans notre sexualité. Donc voilà, j'ai un peu ce double objectif ce soir, un côté très académique et puis un côté peut être un peu plus intime et militant. Alors, avant d'entrer dans le vif du sujet, je vous propose de vous présenter rapidement ma recherche.
Je me saisis de ma petite télécommande et ça fonctionne très bien. Je n'ai pas l'habitude. Donc mon travail de thèse, je vous l'ai dit, il se penche sur ce qu'on peut appeler la sexualité sans lendemain. La sexualité sans lendemain, c'est une expression qui est extrêmement vague et que j'ai volontairement gardée très vague parce qu'elle permet de recouvrir tout un tas de situations de sexualité différentes. Pour vous donner un petit peu une définition très académique et un peu pompeuse, la sexualité sans lendemain, sur mon terrain, je l'entends comme toute forme de sexualité récréative entre deux partenaires ou plus. La sexualité récréative, c'est une sexualité qui n'a pas pour ambition soit la procréation, soit le support de la conjugalité, ce qui est un peu les deux caractéristiques de la sexualité ordinaire. Cette sexualité sans lendemain, elle est aussi caractérisée par un renouvellement relativement fréquent des partenaires sexuels, c'est à dire qu'on ne reste pas, c'est le concept du sans lendemain » très longtemps avec ses partenaires, même si parfois ça peut durer plusieurs nuits et ce n'est pas tout à fait seulement d'un soir. Et elle se caractérise aussi par un engagement émotionnel et un investissement temporel qui est présenté par mes enquêtés et j'insiste sur le « présenté » parce que c'est bien sûr un peu plus compliqué que ça, qui sont relativement faibles.
Néanmoins, dans toutes les relations qu'on a pu me raconter, le point commun, c'est bien sûr la mise à distance partielle de la figure conjugale, puisque c'est un petit peu le concept de la sexualité sans lendemain, c'est un petit peu l'inverse de la sexualité conjugale. Pour le dire de manière cette fois ci beaucoup moins pompeuse et beaucoup moins élégante, je travaille sur ce qu'on appelle les coups d'un soir ». Au moment où je démarre ma recherche, il y a quatre ans, si on prend le début de mon travail de thèse, en réalité, j'ai réalisé deux mémoires de master déjà sur cette question là. Donc, ça fait six ans que je travaille sur cette question. Au moment où je commence à m'intéresser à cette sexualité dite « sans lendemain », on en parle énormément et on en parle surtout énormément dans la presse. La presse est très, très friande des aventures sexuelles, de ce qu'elle va appeler notamment la génération Tinder. La génération Tinder, c'est le nouveau nom de la Gen Z ou des millennials. Je vous que je m'y perds un peu dans les lettres. Et donc ce serait cette génération qui, finalement, serait incapable de fonctionner sans son téléphone portable au bout du bras et qui serait incapable de trouver l'amour et la sexualité autrement que sur les applications de rencontres.
Donc, on a une masse d'articles de presse qui vont s'intéresser à cette sexualité. C'est des articles qui sont un peu tous plus sensationnalistes les uns que les autres, ce qui s'entend puisque c'est aussi le travail des journalistes que de proposer des choses intéressantes à lire. Mais la sociologie, elle, va mettre quand même un peu plus de temps à se pencher sur cette sexualité là. En fait, on n'a pas de travaux en France en sociologie qui va se pencher directement et exclusivement sur la question de la sexualité sans lendemain. Et la grande oubliée de la sociologie, c'est surtout la sexualité sans lendemain des hétérosexuels, parce qu'on a quand même pas mal de travaux sur la sexualité sans lendemain, notamment chez les hommes gays. Mais chez les hétéros, on en a très peu et surtout, on a très peu d'enquête sur la sexualité récréative des femmes hétérosexuelles. Comme si finalement, même si les sociologues sont censés déconstruire, critiquer, etc, on avait un peu admis le fait que ce n'était pas une sexualité d'hétéro et surtout que ce n'était pas une sexualité de femme. Or, force est de constater, sinon je ne serais pas là ce soir, qu'elle existe bien et qu'en fait, il y a plein de choses très intéressantes à en dire.
L'objectif de mon travail de thèse, ça va être de proposer un regard sociologique sur une sexualité qui est très commentée. Et donc, parmi les discours qu'on va retrouver le plus souvent, on retrouve des discours qui avancent que les « coups d'un soir » — c'est l'expression qui est largement utilisée par les médias — sont déjà caractéristiques de la jeunesse ou des jeunes avec un grand J. Mettez ce que vous voulez à l'intérieur, en fonction des types de presse vers lesquelles on se tourne, on est sur maximum 30 ans. Désolée pour ceux et celles qui sont plus âgés. Et finalement, on a des articles qui décrivent un peu la sexualité sans lendemain comme étant un passage obligé de la jeunesse, comme si tous les jeunes passaient par cette case là. C'est même dans certains articles de presse, un conseil. On vous dit qu' avant vos 30 ans, ça serait bien de manger un piment très fort, de partir en voyage toute seule. Et puis d'avoir un coup d'un soir, ça serait quand même pas mal. Mais bien sûr, avant 30 ans, parce qu'après, il s'agirait de retrouver la vie sérieuse. Et même si c'est de moins en moins le cas, parce que c'est quand même une thématique qui commence un peu à être à être vue et revue, on a même certains médias qui vont s'inquiéter de la disparition de l'amour et qui vont titrer « Tinder a t il tué l'amour ?»
« La fin de l'amour avec les applications de rencontre. » etc. Comme si finalement, Tinder et Consort, qui sont, je le rappelle, juste des applications de rencontre, avaient réussi à annihiler complètement le sentiment amoureux et la stabilité conjugale, ne laissant comme horizon que la sexualité sans lendemain. Ce qui nous indique déjà qu'il y a une forme de hiérarchie aussi dans les sexualités. L'un des objectifs de mon travail, ça va donc être de proposer l'idée que la sexualité sans lendemain, elle repose sur autre chose qu'une propension naturelle des jeunes à vouloir détruire l'amour et à vouloir détruire toute forme de conjugalité. Pour ce faire, je m'intéresse d'une part aux différents parcours qui permettent d'accéder à la sexualité sans lendemain, avec l'idée finalement qu'il ne suffit pas d'être jeune pour entrer dans cette sexualité, mais qu'on a bien tout un tas d'éléments biographiques et de conditions bien particulières qui favorisent l'accès aux “coups d'un soir” ou qui, au contraire, viennent les empêcher. Et puis, je m'intéresse aussi aux usages, aux pratiques et aux significations que peut prendre cette sexualité. En partant de l'hypothèse, hypothèse qui est aujourd'hui en bonne voie d'être très confirmée, puisque j'en arrive à la rédaction de ma thèse.
Donc, en partant de l'hypothèse que cette sexualité sans lendemain, ce n'est pas que une histoire de sexualité et c'est même peut être moins une histoire de sexualité qu'une histoire de tout un tas d'autres choses. Donc, en gros, l'idée générale de ma thèse, et ce n'est rien de très original ici pour une sociologue, c'est de montrer que la sexualité sans lendemain, c'est certainement un poil plus compliqué que ce qu'on veut bien en dire à droite, à gauche. En ce qui concerne ma méthodologie, je m'appuie sur des entretiens biographiques semi directifs rétrospectifs. Moins de IF dans ma phrase, ça nous donne une approche tout simplement en termes de récit de vie, c'est à dire que je vais demander à mes enquêtés, dans des entretiens qui sont relativement longs, de me retracer leur parcours sexuel. Je m'intéresse bien sûr aux récits de vie sexuel, puisque c'est le cœur de mon travail, mais ça me permet aussi de questionner la vie relationnelle de manière plus générale et parfois même la vie amoureuse, puisque mes enquêtés n'ont pas de problème à replacer cette sexualité là au cœur de la totalité de leur parcours. Ces entretiens, ils vont être menés en très grande majorité, on vous l'a dit en présentation, avec des hétérosexuels, hommes comme femmes, qui, pour beaucoup, sont diplômés de l'enseignement supérieur et qui sont plutôt jeunes puisque le gros de mes enquêtés ont entre 20 et 30 ans.
J'ai quelques profils qui sortent de cette idée là, mais ils sont assez rares. Donc, en gros, je travaille sur une grande partie des étudiants de l'EDHEC que je m'attendais à voir ce soir, mais qui visiblement ne sont pas là. Donc ma blague tombe un petit peu à l'eau, mais ce n'est pas grave. Ces entretiens, je vous raconte très rapidement mes quelques résultats avant d'en venir plus précisément à la fin de l'enseignement supérieur, à la question des violences sexuelles. Ces résultats, ils m'ont permis de montrer plusieurs choses. D'abord, je vous l'ai dit qu'on n'accède pas à la sexualité sans lendemain, par hasard, mais qu'il y a tout un tas de caractéristiques qui permettent ou qui vont empêcher l'accès à cette sexualité, qui nécessitent une rupture biographique dans les parcours, puisque collectivement, nous ne sommes pas socialisés à avoir ce genre de pratiques sexuelles. J'ai pu montrer aussi qu'il existe une multitude de raisons qui viennent motiver le maintien dans la sexualité sans lendemain et que le plaisir sexuel n'est pas un des arguments qui est avancé par mes enquêtés pour leur motivation à avoir une relation sans lendemain. C'est assez intéressant à mon sens. J'ai montré aussi que la sexualité sans lendemain, elle peut fonctionner comme un outil qui est extrêmement efficace de remise en question des normes sexuelles ordinaires, mais que cet outil est plus efficace pour certains que pour d'autres.
J'ai quand même certains de mes enquêtés qui me racontent que la sexualité sans lendemain, c'est quand même peu ou prou à peu près la même chose que ce qu'ils et elles avaient connu. Mais, et j'arrête d'accélérer et je rentre maintenant dans mon propos, ce qui a surtout attiré mon attention, c'est aussi que la sexualité sans lendemain, comme toutes les formes de sexualité d'ailleurs, je reviendrai tout à l'heure, elle repose sur ce qu'on appelle des scripts sexuels, c'est à dire des scénaris et que dans ces scénaris, la question du consentement, elle occupe une place qui est assez particulière et qui pose la question de la violence sexuelle de manière un petit peu détournée que ce dont on a l'habitude. Pour questionner la place du consentement dans la sexualité d'un soir, je vous propose de nous intéresser dans un premier temps aux origines des violences sexuelles. Je vous présenterai rapidement quelques éléments autour de la socialisation genrée à la sexualité, qui est la base des inégalités de genre et donc des violences sexuelles. Et puis, j'en viendrai dans une deuxième partie plus spécifiquement à la sexualité d'un soir. Et je vous montrerai comment cette sexualité, elle s'appuie effectivement sur des scripts sexuels et que ces scripts sexuels laissent très peu de place à l'expression du consentement.
J'en profiterai également pour aborder la place qu'occupent les applications de rencontres sur mon terrain et comment elles aussi, en tant que dispositifs techniques, participent à modeler l'expression du consentement de mes enquêtés. Alors, pour comprendre l'enjeu des violences sexuelles, il me semble important de vous dire quelques mots sur les origines de ces violences fondées sur le genre. Alors là, je m'écarte un petit peu de mes travaux spécifiquement et je vais citer beaucoup de mes collègues qui ont fait ce travail mieux que moi. Mais ça me semble important de revenir sur les bases pour ceux et celles qui ne seraient pas sociologues. Et c'est une question qui est très importante parce que même si c'est un discours qui est énormément, ces dernières années, remis en question, notamment par les militantes féministes et notamment par les chercheuses féministes, on a encore beaucoup de discours qui sous entendent que les violences sexuelles, c'est plutôt une affaire de personnes monstrueuses, de personnes malades, de personnes asociales, etc. Or, ce discours, il ne tient pas du tout la route. Et force est de constater que les violences, et les violences sexuelles plus spécifiquement, font en réalité partie de la vie ordinaire, que les victimes de violences sexuelles sont des personnes ordinaires, que les auteurs de violences sont des personnes ordinaires, dans le sens où ce ne sont pas des personnes atteintes de troubles ou quoi que ce soit, ce sont des gens sociaux comme les autres et c'est important de le rappeler.
Et surtout que finalement, les violences, elles s'expliquent socialement et on peut tirer leurs origines avec la sociologie et éviter de tomber dans des explications essentialisantes ou biologisantes. Les violences sexuelles dont les femmes sont majoritairement les victimes, elles découlent directement des inégalités de genre et ces inégalités de genre, elles découlent elles mêmes d'un processus de socialisation différencié. En sociologie, on va parler de socialisation pour désigner le processus par lequel on apprend et on incorpore, souvent de manière inconsciente d'ailleurs, des normes et des valeurs, des guides de comportement qui vont participer à orienter nos actions, nos points de vue, nos idées, notre vision du monde, etc. Cette socialisation, qui est une transmission de normes, de codes, de valeurs, elle passe par ce qu'on appelle des agents socialisateurs ou des agents de socialisation, à savoir nos parents, la famille, l'école, les différentes institutions par lesquelles on va passer, les groupes de pairs, etc. Pairs, P AIRS. Et si la sociologie a montré que la socialisation varie en fonction de nos origines sociales, en fonction des origines culturelles, en fonction de notre âge, etc, elle varie aussi en fonction de notre genre. Donc, on fait tous et toutes face à ce qu'on appelle une socialisation genrée.
Et c'est l'idée, maintenant, je crois, très connue, que défendait Simone de Beauvoir quand elle disait qu'on ne naît pas femme, on le devient. Ce qu'elle dit tout simplement, c'est que ce qui fait de nous des femmes ou ce qui fait de nous des hommes, c'est un apprentissage social de comportement dit masculin et de comportement dit féminin. Ce processus de socialisation, genrés ou pas, tous les processus de socialisation fonctionnent. Il démarrent dés la naissance et dans le cas du genre, on s'aperçoit même que ça démarre un peu avant la naissance. Les baby shower en sont un exemple particulièrement efficace. Ce processus d'apprentissage, il va se poursuivre tout au long de la vie et il va participer à la construction d'un monde social qui est binaire et qui va opposer le féminin et le masculin d'un côté. On va avoir une complémentarité entre une féminité dominée d'un côté et une masculinité dominante de l'autre. C'est sur ces bases que repose la société patriarcale. On pourrait faire une conférence entière sur cette question là, mais je ne suis ni experte de cette question et je ne suis d'ailleurs pas là ici pour ça aujourd'hui. Je vous donne simplement quelques exemples et quelques références, surtout pour rendre à César ce qui est à César et vous donner des références si jamais c'est quelque chose qui vous intéresse.
Mais de manière générale, ce que vont montrer les travaux en sociologie, c'est qu'on a tendance à socialiser les femmes à l'espace domestique et au cercle familial, tandis qu'on va plutôt encourager les hommes à s'ouvrir à des activités extérieures. Tout ça, vous allez le voir, a un impact concret et direct sur la question de la sexualité. On sait, par exemple, j'en viens donc à mes quelques quelques exemples, que dans les familles où il y a plusieurs enfants, ce sont encore les sœurs qui sont appelées à prendre soin de la maison en partageant les tâches ménagères avec les parents et surtout à prendre soin de la famille en participant à l'éducation de leurs frères et de leurs sœurs. Je vous ai mis toutes les références dans le diaporama. Plus tard, je n'insiste pas là dessus parce que je pense que c'est des chiffres qui sont connus et dont on entend beaucoup parler, mais plus tard dans le parcours, pas seulement dans l'enfance, on retrouve cette inégale répartition qui font que ce sont encore les femmes qui prennent en grande majorité le travail domestique, tandis que les hommes, eux, sont poussés vers l'extérieur. On a une opposition entre la housekeeper, la femme qui doit s'occuper de la maison et le breadwinner, celui qui doit ramener du pain sur la table.
Dans la même logique, on voit que ce sont les petites filles qui sont incitées, que ce sont plutôt les petites filles qui sont incitées à faire des activités d'intérieur, qui vont être considérées comme étant plus douces, plus calmes et qui vont souvent nécessiter d'être seules. La question de la sociabilité, elle est extrêmement importante dans les socialisations masculines et féminines. On va plutôt pousser les petites filles à faire de la peinture, de la musique, à travailler sur l'embellissement du corps, etc. Tandis que les garçons, eux, vont être poussés à faire des activités extérieures qui, cette fois ci, seront plus collectives. On pousse les garçons à faire groupe et qui sont souvent plus physiques, plus bruyantes et même parfois plus brutales. Je pense notamment aux sports collectifs ou aux différents jeux de rôle à l'extérieur. On voit qu'on ne valorise pas la même chose chez les petites filles et chez les petits garçons. Donc, ce que nous montrent ces travaux, et je pourrais vous en citer beaucoup d'autres, mais encore une fois, je ne suis pas là pour ça, c'est que les petites filles, et par extension les femmes, puisque je vous le rappelle, cette socialisation, elle court tout au long de la vie, elles sont plutôt socialisées à la douceur, à la sphère domestique, à la sphère familiale et plus généralement à ce qu'on va appeler le travail du “care”, c'est à dire le travail qui consiste à s'occuper, certes de soi, mais aussi et surtout à s'occuper des autres.
Les garçons, eux, vont plutôt être socialisés, à faire des activités physiques, à faire des démonstrations de force et de puissance. Et un garçon qui ne se plierait pas à ces activités là, à ces exigences là, il sera souvent rappelé à l'ordre en étant comparé à une fille de manière insultante. Cette socialisation différenciée entre intérieur et extérieur, douceur et puissance, elle se retrouve aussi dans la socialisation, au sentiment, sentiment amoureux, mais pas que, toute forme de sentiment. Et elle se retrouve aussi dans la socialisation à la sexualité, parce que la sexualité, comme toute activité sociale, repose sur de la socialisation. Les travaux de Kevin Diter montrent par exemple, que les petites filles et les petits garçons n'entretiennent pas du tout le même rapport aux sentiments amoureux et au fait d'avoir des amoureuses et des amoureux à l'école primaire. Lui, il a fait un terrain fascinant d'ailleurs dans des écoles primaires où il a accompagné des enfants plusieurs jours par semaine pendant plusieurs années pour discuter avec eux de ce que c'est que le sentiment amoureux et que le sentiment amical. Ce qu'il a remarqué, c'est que les petites filles, elles semblent beaucoup plus libres, voire même incitées à l'expression de leurs sentiments par leurs copines autour d'elles, mais aussi par les adultes.
Donc elles vont discuter et rire d'amour, de sentiments amoureux avec leurs copines, mais elles vont aussi parler d'amour, des amoureux, rarement des amoureuses d'ailleurs, avec les adultes qui vont les questionner là dessus et qui vont les encourager. Et je pense qu'on a tous et toutes entendu ou même dit cette petite phrase de « Alors, t'as un amoureux à l'école ? » etc. Ça, pour les filles, il n'y a aucun problème. Les garçons, eux, au contraire, ils vont éviter de parler de sentiments amoureux, ils vont éviter de dire qu'ils sont amoureux et ils vont même éviter de tomber amoureux d'une fille, parce que l'amour, dès l'école primaire, c'est considéré comme un truc de fille. Et un truc de fille, ce n'est pas super valorisé chez les garçons. Donc, ils ne parlent pas de ces sujets, ni entre eux, ni avec les adultes. Et quand ils le font, ils sont généralement rappelés à l'ordre par les copains qu'ils les en joignent à se comporter comme des garçons. Plus tard, à l'adolescence, on va retrouver cette idée, encore une fois, que l'amour, c'est un truc de filles et que les garçons, eux, ils sont plutôt du côté du physique et du côté de l'expérimentation.
Et donc, en travaillant sur l'entrée dans la sexualité active partagée des adolescents et des adolescentes, de manière moins pompeuse sur la première fois avec un grand P, mais ce n'est pas l'expression qu'on utilise en sociologie puisque c'est bien sûr beaucoup plus compliqué que ça. Mais donc, en travaillant sur cette première fois, Florence Maillochon, qui est sociologue aussi, a souligné que les adolescents sont beaucoup plus nombreuses que les adolescents, a déclaré que le sentiment amoureux, c'est quelque chose qui est très important dans leur entrée dans la sexualité. Donc elles vont être plus nombreuses à déclarer, chercher l'amour avant de chercher la sexualité. Elles vont être plus nombreuses aussi à vouloir attendre avant d'avoir un premier rapport sexuel. Bref, l'entrée dans la sexualité, ça semble être une étape symbolique plus importante pour les filles que pour les garçons qui, eux, y verraient plutôt une étape physique à franchir avant de passer à l'âge adulte. C'est une idée que confirmait aussi Michel Bozon, que je vous ai aussi mis à l'écran, Michel Bozon, sociologue de la sexualité, et qui va nous dire, et je le cite, que pour les femmes, l'entrée dans la sexualité est largement motivée par l'amour, la tendresse, l'envie de faire plaisir aux partenaires, tandis que les hommes déclarent plutôt que ce sont le désir et la curiosité ou le désir de franchir une étape.
Donc, on voit qu'avec cette socialisation différenciée et genrée, on ne crée pas les mêmes attentes chez les femmes et chez les hommes. Et en termes de sexualité, ça va produire des écarts dans les normes sexuelles. En ce qui concerne la socialisation à l'amour et à la sexualité, on voit que les femmes sont plutôt appelées à être du côté du couple, de l'amour, du sentiment, et que les hommes sont plutôt appelés à être sur le registre de l'expérience, de l'expérimentation physique. Et avec ces exemples, logiquement, si je n'ai pas trop bafouillé, vous voyez déjà où je veux en venir avec mon histoire de consentement et de violences sexuelles. Cette socialisation genrée à la sexualité, elle produit donc des attentes, des normes sexuelles qui varient en fonction du genre. Pour le dire de manière très rapide et très simple, il y aurait une sexualité dite féminine et une sexualité dite masculine. Alors bien sûr, je fais une parenthèse tout de suite sur mes propos, ce sont des expressions qui répondent à des représentations. Il est évident que les sociologues ne défendent pas l'idée qu'il y a naturellement une sexualité de femme et une naturelle ment une sexualité d'homme, bien au contraire, mais que notre apprentissage de la sexualité est tellement différencié qu'on ne crée pas les mêmes normes et les mêmes attentes qui va avoir des impacts concrets sur le parcours sexuel.
Dans nos représentations, les sexualités féminines et masculines vont être pensées sur des registres qui sont complètement différents, qui sont opposés et qui sont en fait dans un cadre hétéronormatif complémentaire. L'hétérosexualité repose sur un système de complémentarité. Les femmes devraient être petites, avec des cheveux longs et toutes faibles et délicates, tandis que les hommes devraient avoir les cheveux courts, être très grands et être super musclés. Je vais pendant cinq minutes me vautrer dans les caricatures. Vous m'excuserez, mais malheureusement, les caricatures, c'est le meilleur exemple qu'on a. Mais donc, il y a vraiment cette idée de complémentarité. Et donc, pas de scoop sous le soleil. Je vais aller droit dans les représentations que vous connaissez sûrement déjà et qui sont bien évidemment de plus en plus remises en question, mais qui y persistent quand même un petit peu. La sexualité des femmes, elle va être plutôt pensée et présentée comme une sexualité qui est douce, qui est délicate, qui serait tournée vers l'émotion, vers le sentiment amoureux et l'amour, et surtout qui serait tournée vers la conjugalité. La sexualité des femmes ne servirait qu'à soutenir la conjugalité. En gros, elle n'aurait pas de sexualité par elle même.
Elle n'aurait de la sexualité que pour servir le couple. À l'inverse, la sexualité des hommes, elle est souvent décrite et encore énormément aujourd'hui, et ça pose un problème, comme une sexualité qui est pulsionnelle. On est sur le vocabulaire de la pulsion. Cette sexualité la elle serait principalement tournée vers le plaisir physique et donc les hommes auraient un désir sexuel incontrôlable, en tout cas moins contrôlable que celui des femmes, pulsionnelle et surtout déconnectée de la conjugalité. Ces représentations, qui naissent de la socialisation différenciée, ont des impacts concrets sur la sur les parcours sexuels. On n'est pas que de l'ordre d'idées vagues qui flottent, Dieu sait où, dans le cloud, mais on est bien sur des représentations qui ont des impacts concrets, et ce, tout au long de la vie sexuelle. Je vais vous donner quelques exemples qui sont issus de l'enquête CSF. L'enquête CSF, c'est l'enquête contexte de la sexualité en France. C'est une grande enquête quantitative qui a été lancée par l'Institut national des études démographiques au début des années 2000. Le compte rendu a été publié en 2008 et c'est aujourd'hui des chiffres sur lesquels on s'appuie largement en sociologie. L'objectif de cette enquête, qui se faisait par administration de questionnaire par téléphone, c'est de proposer une description qui est assez riche des comportements sexuels des Français, tout en questionnant les rapports genrés à la sexualité.
Tous les chiffres qu'on voit passer autour de « Les Français ont X rapports par semaine », sont soit issus de micro trottoirs qui sont relativement peu fiables, soit de ce genre d'enquête qui sont proposées par les grands instituts nationaux. Ce que va montrer cette enquête, c'est que les femmes sont plus nombreuses que les hommes à déclarer, j'insiste sur la déclaration, elles sont plus nombreuses que les hommes à déclarer que la sexualité est associée aux sentiments amoureux. Elles sont 74% à déclarer n'être pas du tout ou pas tout à fait d'accord avec l'idée qu'on peut avoir des rapports sexuels sans avoir de sentiments amoureux. Autrement dit, elles sont 74% à déclarer que la sexualité sans lendemain ne leur conviendrait pas. Et on est à 51% chez les hommes. Donc on a quand même une proportion un petit peu différente. Et donc on voit que... Déjà, on voit que la question du sentiment amoureux ressemble relativement importante pour les deux genres. Mais on voit quand même que du côté des femmes, l'importance du sentiment amoureux semble plus forte dans le parcours sexuel. L'enquête montre également que le désir masculin est encore pensé en priorité.
On voit par exemple que 77% des femmes déclarent avoir déjà eu des rapports sexuels pour faire plaisir à leurs partenaires sans en avoir vraiment envie. Et cette expression du « sans en avoir vraiment envie », on y reviendra tout à l'heure parce qu'elle est extrêmement présente sur mon terrain, contre 53% des hommes, ce qui reste une proportion encore importante puisqu'on a un homme sur deux qui déclare déjà avoir cédé à des relations sexuelles, mais on est de l'ordre de 77% chez les femmes. Dans la même logique, les femmes sont aussi beaucoup plus nombreuses que les hommes à déclarer accepter des pratiques sexuelles dont elles ne veulent pas, notamment les sexualités orales ou la sexualité annale, par exemple, que les hommes qui le déclarent. Ce déséquilibre, dernier chiffre de cette enquête qui me semble extrêmement important, il s'explique notamment par le fait que la sexualité des hommes est pensée serait sur le registre du besoin, contrairement à la sexualité des femmes qui, elles, seraient plutôt cérébrales. Ça, c'est une expression qu'on entend beaucoup et un peu partout. Les femmes seraient beaucoup plus cérébrales dans la sexualité que les hommes. J'y mets toute l'ironie du monde à l'intérieur.
Je pense que vous commencez à percevoir mon opinion sur la question. Dans cette enquête CSF, on a quand même 73% des femmes et 59% des hommes qui déclarent être d'accord ou plutôt d'accord avec l'idée que, par nature, les hommes ont plus de besoins sexuels que les femmes. Et je m'aperçois que depuis tout à l'heure, je ne clique pas au bon endroit et personne ne me dit que les chiffres ne correspondent pas. Donc j'en viens à ces chiffres qui disent que les femmes sont plus nombreuses à déclarer les sentiments amoureux. Là, c'est ce sont les chiffres qui montrent que les femmes sont à 73% d'accord avec l'idée que, par nature, les hommes ont plus de besoins sexuels qu'elles. Et 59% des hommes sont d'accord avec cette idée. Cette essentialisation de la sexualité humaine, c'est à dire la mobilisation d'arguments qui sont biologisants ou naturalisants, sont à la base des violences sexuelles. Ces représentations d'une sexualité féminine qui serait sentimentale, conjugale et de l'autre côté, une sexualité masculine qui serait pulsionnelle, elle continue encore aujourd'hui, l'enquête a quelques années quand même, mais elle continue encore aujourd'hui à infuser nos discours sur la sexualité et à brouiller finalement notre perception des violences sexuelles.
Par exemple, on a encore beaucoup de mal en France aujourd'hui à reconnaître qu'il existe le viol conjugal, qu'un viol conjugal puisse se produire, donc le viol au sein d'un couple, alors qu'on a une loi depuis 1992 qui reconnaît l'existence du viol conjugal. C'est à la fois très tard parce que ça arrive tardivement, mais c'est à la fois il y a très longtemps puisqu'on s'aperçoit que malgré cette loi, les choses ne bougent pas énormément. Si les choses ne bougent pas énormément, c'est parce que la sexualité, elle est considérée dans nos représentations comme étant un pilier fondamental du couple. Un couple qui fonctionne. C'est un couple qui a des rapports sexuels réguliers et on a même certains discours qui nous donnent carrément un chiffre, c'est pratique, puisque la rumeur raconte que les couples fonctionnels auraient trois rapports sexuels par semaine, ce qui, sociologie sauvage, semble ne pas vraiment tenir la route. Mais voilà, j'ai peut être des amis qui sont dans des couples dysfonctionnels, je ne sais pas. C'est évidemment une blague. Je sens que la salle n'est pas avec moi ce soir, mais ce n'est pas grave. Tout ça pour dire que toutes ces représentations là, elles participent à dire « Vous devez avoir tel type de sexualité, sinon vous dysfonctionnez.»
Donc, on a cette idée qu'en fait, il ne peut pas y avoir de violences sexuelles dans le couple, puisqu'il y a un couple qui fonctionne, c'est un couple qui a du désir sexuel. En tout temps, en tout lieu, etc. Ces représentations là, qui nous empêchent de considérer qu'il puisse y avoir des violences sexuelles dans un couple, elles sont tellement puissantes qu'elles compte que parfois, les victimes elles mêmes de violences sexuelles au sein du couple ne s'en aperçoivent même pas. Donc elles ne se déclarent pas elles mêmes victimes. Elles ne s'aperçoivent pas qu'elles ont été contraintes à la sexualité. Et on retrouve cette expression « Je me suis forcée pour faire plaisir. Ça fait longtemps qu'on ne l'a pas fait. » Donc, il faut se plier au jeu de la sexualité, ce qui pose la question du consentement de manière, encore une fois, très particulière. Et ça, on pourrait se dire que les choses évoluent. D'ailleurs, elles évoluent et dans le bon sens grâce à tout un tas de travail de militantes et de chercheuses et chercheurs féministes. Mais sur mon terrain, je vous rappelle, j'enquête avec des femmes et des hommes qui ont entre 20 et 30 ans pour la plupart.
Je retrouve encore ce genre de discours là et j'ai des enquêtés qui, en me racontant leur parcours, vont s'apercevoir dix ans plus tard qu'elles ont été victimes de violences au sein de leur couple, parce que dans leurs représentations, il n'était pas possible qu'on puisse être victime de violences sexuelles. Ça s'explique encore une fois par nos représentations, puisque dans notre imaginaire, un viol, c'est une agression sexuelle dans une ruelle, tard le soir, par un inconnu. Or, on sait aujourd'hui que statistiquement, ces agressions sont relativement rares. Elles existent, mais elles sont relativement rares et qu'en réalité, la majorité des agressions sexuelles se font dans un cercle très proche et parfois même par le conjoint ou la conjointe, plus rarement, mais ça arrive. Je vous donne une autre enquête qui est sur la question des violences sexistes et sexuelles, une vraie référence ces dernières années, c'est l'enquête VIRAGE de l'Ined. Cette enquête la, qui est une enquête de victimation sur 30 000 personnes, avance l'idée qu'on aurait 3,26% des femmes qui se déclarent victimes de viol et 2,98 % qui déclarent avoir été victimes d'un membre de la famille, d'un conjoint ou d'un ex conjoint. On a l'écrasante majorité des victimes de viol qui le sont dans le cadre du cercle proche.
Du côté des hommes, on a 0,47% qui se déclarent victimes d'un viol et 0,27% qui se déclarent victimes d'un membre de la famille. Encore une fois, on est sur une grosse part de ces violences. Vous voyez bien comme nos représentations peuvent avoir un impact direct sur les violences sexistes et sexuelles ou en tout cas sur la manière dont on les perçoit et donc sur la manière dont on lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Dans la même logique, vous avez sur ce moment dû voir passer tout un tas d'affaires médiatiques dans lesquelles on va décrire en détail et allègrement le comportement de la victime de violences. Ces vêtements, en gros, la manière dont elle aurait aguiché son agresseur. Ce que ça nous dit, c'est qu'on part du principe que les hommes agresseurs sont incapables de retenir leurs pulsions sexuelles, pulsions qui, je le rappelle, ne relèvent que des représentations, puisque à ce jour, aucune explosion spontanée n'a été recensée. Et c'est aussi pourquoi on prend aussi peu au sérieux les hommes qui se déclarent victimes de violences sexuelles ou victimes de viols, puisque dans nos représentations, les hommes auraient toujours envie d'avoir un rapport sexuel.
Ce serait eux, de toute manière, qui domineraient la sexualité dans le cadre hétérosexuel, donc ils ne pourraient pas être victimes de violences. Or, le fait est qu'ils existent bien et qu'ils se déclarent, notamment à l'enquête VIRAGE, en moindre proportion, mais en tout cas, ils se déclarent aussi. C'est important, même si je pense que ça commence à être entendu, mais je pense... Répéter, ça ne sert jamais à rien. C'est important de préciser que les agressions sexuelles, elles ne répondent pas à une misère sexuelle, qu'elles ne répondent pas à l'impossibilité de se contenir, qu'elles ne répondent pas à un moment de faiblesse. Au contraire, les violences sexuelles sont le reflet de la domination et de la violence, et que cette domination et cette violence, elles s'appuient sur nos représentations et elles s'expriment tout simplement parce qu'elles peuvent s'exprimer. Parce qu'il est attendu que la sexualité des femmes se subordonne à celle des hommes, parce qu'il est attendu qu'un homme ait toujours un désir sexuel et que ce désir sexuel est de l'ordre de la pulsion, parce qu'il est attendu qu'un couple ait des rapports sexuels, alors la question du consentement peine encore à s'imposer dans de nombreuses relations.
Comme je vous l'ai expliqué en introduction, mes travaux portent plus spécifiquement sur la sexualité sans lendemain, principalement des jeunes hétérosexuels. Et au départ, effectivement, je ne m'intéressais pas du tout à la question des violences sexuelles. En tout cas, ça ne faisait pas partie de mes thèmes de recherche. Et en fait, c'est par l'absence de violences sexuelles que la question a fini par occuper une place très importante sur mon terrain. Puisque après avoir fait quelques entretiens avec mes enquêtés, je me suis aperçue qu'il y en avait très peu. Ce n'est pas moi qui m'en suis aperçue, je mens, c'est mon directeur de recherche à l'époque, qui m'a dit « C'est marrant parce que tu travailles sur la sexualité et en fait, tes enquêtés ne te disent jamais qu'ils ont été victimes de violences sexuelles au sein de la sexualité sans lendemain. » Et donc, en travaillant un peu ces entretiens, je m'aperçois qu'effectivement, j'ai une sur représentation de personnes victimes de violences dans mon terrain, puisque à l'heure actuelle, j'ai plus de 50% de mes enquêtés qui déclarent avoir été victimes de violences, ce qui est beaucoup plus que la population générale. Mais ça s'explique par des biais de recrutement.
Je rentrerai pas dans les détails, mais en tout cas, ça s'explique. Mais donc, il me racontait des violences plutôt dans l'enfance, plutôt au sein du couple, plutôt dans le cadre de la conjugalité et jamais autour de la question de la sexualité sans lendemain. Donc, très naïvement, on pourrait se dire « C'est génial, mes enquêtés ont réussi à trouver la parade contre les violences sexistes et sexuelles dans La sexualité sans lendemain. » ou même mieux, La sexualité sans lendemain rend impossible toute forme de violence. On aurait trouvé la solution. Et puis évidemment, vous vous en doutez, c'est un peu plus compliqué que ça. Et donc, je vous propose maintenant d'entrer dans le vif du sujet de cette communication, il était temps, et de nous questionner sur la place du consentement dans les Rencontres sans lendemains, avec un outil théorique qui m'a beaucoup servi, à savoir les scripts sexuels. Comme toutes les formes de sexualité, la sexualité sans lendemain, repose sur ce qu'on appelle des scripts sexuels. Petit encart théorique, je ne peux pas m'empêcher d'être prof, je suis désolée. La perspective des scripts sexuels, c'est un concept qui va être développé par William Simon et John Gagnon à la fin des années 1960 aux États Unis.
Et Simon et Gagnon, ils sont extrêmement importants en sociologie de la sexualité parce que ce sont eux qui sont parmi les premiers à avoir proposé l'idée que la sexualité humaine est un fait social comme un autre. Et donc ils vont défendre l'idée que la sexualité humaine, elle repose sur un apprentissage social et non pas sur des pulsions biologiques ou des pulsions psychiques, comme on pouvait le dire beaucoup plus à l'époque, mais encore aujourd'hui, encore. Pour Simon et Gagnon, cet apprentissage social, il va reposer sur des scripts sexuels, c'est à dire sur un ensemble de scénaris, de récits, au sens théâtral et cinématographique du terme vraiment, qui vont être acquis de manière plus ou moins consciente. Ces scripts vont venir encadrer nos actes sexuels et ils vont permettre à l'enchaînement d'actions qui aboutissent à une interaction sexuelle. Ces récits là, ils vont s'exprimer et ils vont tirer leurs sources de trois niveaux différents. On a d'abord le niveau culturel, c'est à dire les représentations communes qu'on peut avoir, les productions médiatiques et culturelles, les films, les séries, les romans, la musique, la pornographie et même, chose très intéressante que nous propose Gagnon, les productions académiques aussi.
Lui, il parle plutôt de la psychanalyse, mais on pourrait aussi se questionner sur la place de la sociologie dans nos propres scripts, même si, avouons le, la sociologie peine peut être un peu plus que la psychanalyse à s'imposer, mais bref. Le deuxième niveau, c'est le niveau intrapsychique. C'est le niveau individuel, les désirs, les fantasmes, les souvenirs propres à chacun et chacune. Et puis, le dernier niveau, c'est le niveau interpersonnel, c'est à dire cette fois ci, la confrontation et la rencontre de différents scripts dans les interactions. Je vous rassure, tous ces intrapsychiques, interpersonnels, etc, n'ont que peu d'impact. Je vous donne un exemple juste après. Ces différents niveaux de scripts, ils vont produire des scénarios, au sens vraiment cinématographique du terme, qui vont permettre à chacun et à chacune de comprendre ce qui se joue dans une interaction. Déjà, de savoir reconnaître une interaction sexuelle, sans forcément qu'on dise « Coucou, il y a une interaction sexuelle », et surtout de savoir y réagir, donc en gros, d'adapter son comportement à la situation. Autrement dit, c'est grâce à la diffusion de scripts partagés que l'on est en mesure de reconnaître une interaction sexuelle et qu'on est capable d'avoir un rapport sexuel avec un partenaire ou une partenaire.
Je vous donne un exemple pour que ce soit un peu plus clair et je lâche un peu les grandes théories. En rentrant chez vous après cette conférence, vous croisez un voisin, une voisine qui vous plaît plutôt bien, qui vient d'emménager dans l'appartement, plutôt sympa, plutôt attrayante, et vous entrez ensemble dans l'ascenseur. Tout à coup, panne générale dans le quartier, l'ascenseur se bloque et vous vous retrouvez dans une très forte promiscuité et dans le noir. Et je vois certains sourires en coin que vous voyez déjà où je veux en venir. Je suis contente, ça y est, je commence à voir la salle. À moins d'être claustrophobe et de faire une crise de panique, il y a de très fortes chances qu'une tension sexuelle émerge entre ces deux protagonistes. Ou bien, si une tension sexuelle n'émerge pas, il est fort probable qu'il y ait une gêne qui s'installe, gêne directement liée à cette potentielle émergence de désir sexuel. Pourquoi une boîte métallique qui se suspend en panne serait le lieu potentiel d'un désir sexuel ? Parce que dans nos scripts culturels, on va avoir des mises en scène qui vont nous envoyer le signal en nous disant « Le scénario de la panne, ça marche vachement bien pour avoir un rapport sexuel.»
Dans les films, dans les séries, dans la pornographie, on a plein d'exemples de ce type. Le coup de la panne, en voiture, en ascenseur comme vous voulez, le coup de la panne dans notre culture, c'est un appel à la sexualité. À l'inverse, si vous sortez de l'amphi et que vous croisez quelqu'un ou quelqu'une qui vient vous voir complètement nu en vous disant « J'aimerais un rapport sexuel avec toi. » Il y a très, très peu de chances que vous soyez excité par la situation. Pourquoi ? Parce que dans nos scripts culturels, ce genre de scénario, ça n'existe pas ou en tout cas, ça renvoie pas à « J'aimerais bien avoir un rapport sexuel. » Ça se renvoie plutôt à « OK, je cours très loin et très vite, est ce qui s'entend » On n'a pas de script sexuel qui vienne définir cette situation comme étant sexuelle. Je vous donne ces deux exemples qui sont très légers, mais qui, à mon sens, fonctionnent plutôt bien pour comprendre, pour vous montrer que ces scripts sexuels, ils participent à dresser un champ des possibles sexuels et ils vont indiquer un enchaînement d'actions et d'interactions qui vont être nécessaires à la réalisation d'un acte sexuel.
Si on m'invite au cinéma, que je me touche les cheveux, je rentre dans les caricatures, que je baille, que je pose ma main et que ma partenaire a mon partenaire n'enlève pas sa main de son épaule, alors ça veut potentiellement dire qu'il y a sexualité. Alors que je n'ai pas dit qu'il y en aura. Mais on se dit « OK, on est dans un date ». Si, par contre, je tends la main et que mon partenaire ou ma partenaire me mord la main, on est sur deux scripts qui fonctionnent pas ensemble. Donc il n'y aura pas de sexualité possible derrière ça. C'est ça que propose Simon et Gagnon avec cette perspective des scripts sexuels. À partir de mes entretiens et des rencontres avec mes enquêtés, je me suis aperçue, mais ce n'est pas étonnant puisque toutes les sexualités sont concernées, que les sexualités sans lendemains, les formes de relations sans lendemains, même si elles ne sont pas toutes identiques, elles reposent quand même sur un script qui va être plus ou moins retravaillé et personnalisé. La première étape de ce scénario, ça va être bien évidemment la rencontre du ou de la partenaire, sur une application de rencontre dans beaucoup de cas, mais j'en reparlerai tout à l'heure, ou bien dans des lieux physiques.
La plupart du temps, ces rencontres vont se faire dans un cadre qui est festif, dans un bar, dans une boîte de nuit, dans un lieu de vacances. J'ai très peu d'enquêtés qui me disent rencontrer, par exemple, leur partenaire sur le lendemain sur le lieu de travail, parce que le décor n'est pas bon. Le décor du travail, ce n'est pas propice à la sexualité sans lendemain. J'en ai quelques uns qui l'ont fait, mais c'est plutôt rare. Après un premier contact, on va engager la conversation, souvent autour d'un verre d'alcool. Et ça, c'est un élément qui est extrêmement récurrent dans les récits qui me sont faits, parce que l'alcool, c'est encore une fois, ça pose le cadre, ça pose le décor d'un moment de détente, d'un moment de désinhibition, etc. Et donc, pendant cette discussion là, on va faire attention à découvrir son ou sa partenaire, parce qu'il est assez rare, finalement, que l'idée de coucher avec un parfait inconnu ou une parfaite inconnue soit valorisée. Dans cette discussion, et c'est ça qui me semble assez intéressant et qui nous amène à la question du consentement, la sexualité est très, très rarement abordée de manière frontale. C'est même d'ailleurs plutôt mal vu de parler directement de sexualité et d'exprimer son désir sexuel, de dire à une partenaire ou un partenaire « Je veux avoir une relation sexuelle sans lendemain avec toi.»
Parce que ça renvoie à l'image péjorative d'une sexualité qui serait précipitée, dans laquelle le ou la partenaire, finalement, ne devient qu'un simple objet sexuel, ce qui, selon mes enquêtes qu'on était est assez peu flatteur et vers lequel ils ne veulent pas tendre, contrairement à ce qu'on peut lire beaucoup dans la presse. Au mieux, mes enquêtés vont dire qu'ils ne cherchent ou qu'elles ne cherchent rien de sérieux et on sera sur le maximum de détails donnés. Puisqu'il y a très peu de négociation autour de la relation, les partenaires sexuels vont s'appuyer sur un idéal de spontanéité pour arriver naturellement, et c'est vraiment l'expression qui revient très souvent dans les entretiens, ils veulent arriver naturellement à avoir un rapport sexuel. Cet idéal de spontanéité, qui est d'ailleurs un élément central de la sexualité contemporaine, notamment selon André Bégin, on aime bien jouer le jeu de la sexualité, du coup de foudre amoureux ou du coup de foudre sexuelle. La sociologie montre un petit peu le contraire, mais ce n'est pas grave, restons dans nos bulles de magie. Cet idéal de spontanéité, il va reposer sur l'absence de discussion franche autour de la sexualité. Autrement dit, les scripts qui vont entourer ces relations sexuelles, ils sont tellement efficaces, ils sont tellement puissants que sans que personne ne dise clairement qu'on va avoir un rapport sexuel et sans que personne ne dise clairement que cette sexualité, elle sera à son lendemain, les deux partenaires ou plus comprennent tout à fait qu'on est face à une relation sans lendemain.
Donc, chacun sait faire, chacun sait quoi dire, chacun sait comment agir sans qu'il y ait une négociation. Dans les scripts de « Sans lendemain », c'est principalement la temporalité qui va donner un indice sur la sexualité. En gros, plus on se rencontre tôt et rapidement, plus on a de chances d'avoir une relation sans lendemain, ce qui n'exclut pas les coups de foudre, je vous l'accorde. Mais parmi les éléments importants du script, on va en retrouver aussi les lieux. Je vous en parlais tout à l'heure, principalement des lieux festifs et des lieux publics. Le vocabulaire utilisé aussi, puisque j'ai des enquêtés qui vont rester très, très vagues en disant « Je ne cherche rien de sérieux. Je suis là pour m'amuser. On verra bien ce qu'il se passe, etc. » et ce qu'il se passe, généralement, c'est un rapport sans lendemain. Cette absence de discussion autour de ce qu'il est possible ou non de faire dans une relation sexuelle, elle pose la question du consentement et du désir sexuel de manière un petit peu particulière. Les entretiens que j'ai fait montrent que dans beaucoup de rencontres sans lendemain, le questionnement du ou de la partenaire n'est jamais questionné.
Et d'ailleurs, les personnes que j'ai interrogées ne questionnent pas non plus leur propre consentement. Donc, j'ai beaucoup d'inquiétés, surtout des femmes, qui vont me dire qu'elles ne sont pas vraiment sûres, c'est l'expression qui revient quasiment dans tous les entretiens, que leur partenaire leur plaisait, donc elles ne sont pas sûres de ça. Elles ne sont pas sûres qu'elles avaient vraiment envie d'avoir un rapport sexuel. Et les hommes que j'ai rencontrés, eux, n'abordent même pas la question de leurs propres consentements. Si ce n'est pas moi qui pose la question, ils ne pensent pas qu'ils puissent ne pas être consentants. Donc je suis obligée, moi, d'aller creuser cette question là, parce qu'elle n'émerge pas dans leur discours. Et on en revient à cette idée que de toute façon, les hommes sont toujours consentants, donc eux mêmes, en fait, s'empêchent de penser leur propre consentement, ce qui pose des questions également importantes. Donc ces rencontres sans lendemain, finalement, elles reposent sur une logique d'engrenage. Une fois que la rencontre, elle est planifiée, les retours en arrière, il semble presque impossible. Et même quand la discussion... Il n'y a pas eu de discussion autour de la sexualité. Donc, en fait, tout se passe comme si accepter de rencontrer un partenaire ou une partenaire, ça démarrait automatiquement un scénario dans le scénario qui doit aboutir forcément à une sexualité pénétrative.
Et donc, j'ai des enquêtés qui disent qu'ils ont finalement peu de marge de manœuvre dans cette sexualité là et que finalement, le meilleur moyen de sortir du scénario, c'est d'aller au bout du scénario, qu'on en ait envie ou pas. Je vous donne un exemple qui est issu d'un entretien, c'est celui de Bastien. Bien sûr, les prénoms ont été anonymisés. Bastien, il a 26 ans, c'est un ingénieur d'études en géographie. Il s'intéresse plutôt pas mal à la question de la sexualité. Il rencontre des partenaires sur des applications et il va me a raconté une soirée qui se passe vraiment pas bien pour lui. Il s'est senti très mal à l'aise. Sa partenaire ne lui plaît absolument pas. Dès le moment de leur rencontre, il trouve qu'elle n'est pas du tout à son goût. Et faussement naïve, super technique en entretien, jouer la naïve, ça marche toujours. Faussement naïve, je lui demande « Mais pourquoi tu n'as pas juste arrêté la relation ? Si elle ne te plaisait pas, tu prends tes affaires et tu t'en vas. » Et donc il me répond « Le fait de venir chez quelqu'un, sachant qu'on est là pour ça, en fait, quasiment, tu dois, et il incite sur le tu dois, à avoir un rapport sexuel avec la personne.
C'est ça qui est arrivé en fait. En fait, je suis coincée. C'est moins coûteux de te barrer après que de te barrer pendant. Et donc c'est seulement la fin du rapport pénétratif qui va marquer la fin du scénario et que Bastien sera en capacité de quitter cette relation. Cette situation, Bastien, il va me la raconter plusieurs fois. Ça s'est passé plusieurs fois pendant son parcours sexuel et il est loin d'être le seul parmi mes mes enquêtés ée, je vais y arriver, mes enquêtés femmes et hommes, ce sera plus simple. Il est loin d'être le seul à me raconter ce genre de choses. Finalement, une fois que la rencontre, elle est lancée, il y a assez peu d'alternatives à la sexualité pénétrative. Et ça conduit certains et certaines de mes enquêtés à avoir des rapports sexuels avec des partenaires qui ne leur plaisent pas du tout. Et j'utilise leur mot. Qu'il et elles n'avaient pas vraiment envie d'avoir des rapports sexuels. Et certaines de mes enquêtés, certains, certaines de mes enquêtés me disent même se forcer à avoir des rapports sexuels. Et ce qui est assez intéressant, c'est qu'ils et elles me disent qu'ils se forcent, mais pas qu'ils et elles sont forcés par des partenaires, ce qui vient encore plus brouiller la question des violences sexuelles du consentement, puisque le partenaire ou la partenaire n'est pas comprise, n'est pas vue comme la personne qui crée la violence, puisque c'est finalement le scénario en lui même, le script qui empêche les marges de manœuvre.
Je vous donne un dernier exemple, c'est celui de Camille. Camille, c'est une étudiante en sciences de l'information qui a 24 ans. Elle me résume son parcours en me disant « Je crois que ça m'est arrivé à plusieurs moments de pas en avoir spécialement envie envie, mais en mais de me forcer un peu, de me dire « De toute façon, tu es venue là pour ça. Tu savais très bien à quoi t'attendre. » Donc oui, je crois que c'était plus foutu pour foutu. Et donc c'est ça le rapport qu'elle entretient avec ses scripts, c'est foutu pour foutu. Une fois que je suis dedans, je vais au bout parce que c'est plus pénible de dire non, parce que c'est plus pénible de trouver un subterfuge pour partir que d'aller au bout. Autrement dit, elle a consenti à avoir un rapport sexuel parce qu'elle estimait être là pour ça et que son partenaire était là pour ça aussi. Et on retrouve cette obligation à la sexualité dont parlait Bastien tout à l'heure. Et cette obligation dans les scripts de la sexualité, elle occulte complètement la question du consentement, comme s'il n'y avait pas, pour le moment, de place pour l'expression du consentement et le questionnement du consentement de partenaires dans les scripts de La rencontre sans lendemain.
Parce qu'il faut jouer, finalement, le jeu de la rencontre spontanée, du coup de foudre sexuelle en quelque sorte, et que donc, parler de sexualité, ça viendrait faire un peu tache. J'ai tout un tas d'enquêtés qui me racontent, pour reprendre l'expression de Marianne Carbajal et de ses collègues, qu'ils ont consentis à la sexualité sans en avoir vraiment envie. Donc ça rajoute une couche de complexité encore sur la question du consentement. Avec cette perspective des scripts sexuels, on voit bien comme la question du consentement, celui des partenaires, mais aussi notre propre consentement, est très complexe et que la sexualité non consentie, elle peut prendre des formes qui sont diverses et des formes qui ne correspondent pas toujours, d'ailleurs rarement, à nos propres représentations de ce qu'on peut imaginer être une sexualité non consentie. Parfois, c'est beaucoup plus pernicieux que ce qu'on peut bien imaginer. Je vous propose, pour finir, de nous intéresser plus spécifiquement au rôle des applications de rencontres. Je vais aller assez vite parce que le temps file. Mon travail de recherche ne se réduit pas non plus aux rencontres tissées sur les applications de rencontre. Je ne suis pas une sociologue de Tinder, quoique je le sois devenu au fur et à mesure.
Mais leurs usages est tellement répandu sur mon terrain que j'ai été finalement obligée de me saisir de la question parce que j'ai beaucoup d'enquêtés qui se saisissent de ces outils là pour trouver des partenaires sans lendemain. Et donc, dans le cadre de ma thèse, je me suis plus particulièrement penchée sur deux applications qui sont super populaires dans mon échantillon, Tinder d'un côté et Fruit de l'autre. Pour les présenter très rapidement pour ceux et celles qui seraient tenus éloignés de ces merveilleux mondes que sont les applications de rencontre, Tinder, c'est une application de rencontre gratuite dont certaines fonctionnalités sont payantes, qui a été lancée en 2012 et qui s'est imposée comme la patronne des applications de rencontre. Elle a été téléchargée plus de 340 millions de fois à travers le monde et elle revendique 26 millions de matchs par jour et 30 millions depuis sa création. Pour ceux et celles qui ne savent pas ce que c'est qu'un match, c'est l'expression utilisée par la plateforme pour désigner le fait que deux profils d'utilisateurs se soient indiqués leur intérêt mutuel. Quant à Fruit, c'est la petite sœur française de Tinder. Elle a été créée en 2017.
C'est aussi une application gratuite. Et elle, elle se distingue de ses concurrentes en proposant à ses utilisateurs et utilisatrices de désigner par un fruit le type de relation qu'ils ou elle recherche sur la plateforme. Alors, attention, jeu de mots de qualité en perspective. La cerise, elle sert à trouver sa moitié. Le raisin, c'est pour un verre de vin sans se prendre la grappe. Donc, en gros, aller boire un verre. La pastèque pour des câlins récurrents sans pépin et la pêche pour une envie de pêcher avec toi, ce qui est l'équivalent du coup d'un soir sur cette application de rencontre. Et ce qui est intéressant, pour revenir à cette idée d'importance de la spontanéité, c'est qu'en fait, mes enquêtés, ils sont assez peu nombreux et nombreuses à utiliser cette pêche pour signifier qu'ils recherchent des partenaires sans lendemain, parce qu' à leur sens, ça reviendrait à être trop brutal, à trouver seulement des partenaires qui ne cherchent que du sexe. Et comme la sexualité sans lendemain, c'est que pas que du sexe, on va éviter de tomber sur cette catégorie qui est trop calculée et pas assez spontanée. Donc, ils vont avoir plutôt tendance à trouver, à sélectionner la catégorie raisin pour boire un verre, qui serait l'équivalent du « je ne cherche rien de sérieux ».
Donc, astuce, si vous cherchez des partenaires sans lendemain sur Fruit, il est plus efficace de mettre le raisin que de mettre la pêche, puisque mes enquêtés me disent que sur la pêche, on ne trouve que des chiens de la casse et des charreaux. Je ne rentre pas dans les définitions, mais ce ne sont pas des compliments. En ce qui concerne leur fonctionnement, les deux applications sont relativement similaires. Quand on ouvre l'application, on est donc directement sur le profil d'un autre utilisateur ou d'une autre utilisatrice et on bascule la photo vers la droite pour manifester son intérêt ou on bascule vers la gauche pour marquer son désintérêt. Et immédiatement, une fois que le choix est fait, le profil suivant apparaît, et ainsi de suite. Et on ne peut discuter avec des utilisateurs que s'il y a un match qui se produit. Quand on s'intéresse au fonctionnement de ces deux applications de rencontres, on s'aperçoit que ce n'est pas si étonnant que ça, finalement, qu'elles soient utilisées pour rencontrer des partenaires d'un soir, puisque finalement, elles proposent des interfaces et des outils qui se prêtent tout à fait à la sexualité sans lendemain. Ça, c'était un peu le défi de ma thèse, parce que beaucoup de mes enquêtés me disent « Mais c'est juste évident que les applis de rencontre, c'est fait pour ça.»
Mais sociologiquement, dire « C'est évident, ça ne tient pas la route. »donc j'ai été creuser un petit peu le fonctionnement et effectivement, il y a des choses qui viennent expliquer ça. D'abord, et vous le voyez, les deux applications, elles proposent des visuels et des fonctionnalités qui sont particulièrement colorées et ludiques à l'usage. C'est très amusant d'être sur Tinder et sur Fruits. Elles ont un code couleur qui est très coloré, très joyeux. L'utilisation est aussi très légère, puisqu'on navigue d'un seul coup de pouce entre les différents profils. Et en cas de match ou de smoothie sur Fruity, pour filer la métaphore fruitière, l'écran va s'illuminer, on va avoir des animations sonores, plein de couleurs qui popent partout, comme finalement pour féliciter les usagers et les usagères du succès de leur utilisation. Et plus ponctuellement aussi, par exemple, Fruits va proposer des petits jeux. Une fois de temps en temps, on a un écran qui pop et on a quatre petites cartes qui sont très pailletées, très colorées, qui bougent dans tous les sens en nous disant « Quelqu'un a liké ton profil ? Est ce que tu veux découvrir ton admirateur secret ? » Et en fait, on doit s'amuser à retrouver le profil en question dans les quatre cartes.
Je vous donne ces petits exemples qui n'ont l'air de rien, mais en fait, ce que ça nous indique, c'est que les applications de rencontres, elles sont vraiment pensées comme étant un lieu et un temps amusant. Et donc, on a un lien entre la recherche de partenaires et l'amusement. Autre élément aussi essentiel, c'est que Tinder et Fruits ont pour point commun de proposer un accès massif à des profils d'utilisateurs et d'utilisatrices. Et l'accès à des potentiels partenaires, c'est évidemment un élément essentiel de la sexualité sans lendemain. Parce que le match ou le smoothie, ça n'empêche pas de continuer à utiliser l'application. Ce n'est pas parce qu'on a matché, contrairement à certaines applications qui se veulent être des applications dites de qualité. Tinder et Fruits n'empêchent pas l'utilisation une fois qu'on a matché. Donc, on a des profils qui sont quasiment constamment renouvelés et sur lesquels on peut passer énormément de temps pour trouver des partenaires. Pour résumer... Je vais y arriver... Pour résumer, puisqu'elles mettent à disposition un nombre important de profils et qu'elles s'appuient sur un fonctionnement qui va transformer la recherche de partenaires en jeu, les applications de rencontres, elles sont pensées comme des outils qui fonctionnent très bien pour la sexualité sans lendemain.
Je ne l'ai pas évoqué jusqu'à présent, mais elle présente aussi l'avantage de pouvoir rencontrer des partenaires en dehors de son cercle d'amis, ce qui est, pour mes enquêtés en tout cas, un élément important de ces applications. Ces applications mettent ce qu'on qu'elle met en place ce qu'on appelle un script d'usage, c'est à dire un scénario d'utilisation, un guide d'utilisation qui va être particulièrement propice aux rencontres d'un soir. C'est quelque chose qu'observait déjà Marie Bergström dans ses travaux sur les sites de rencontres, donc dans les années 2000, 2010, elle a notamment travaillé, par exemple, sur Meetic, cette génération là. Et c'est quelque chose que moi, j'ai continué à creuser plus spécifiquement sur les applications de rencontres, là, il y a quelques mois. Et donc, ce scripte d'usage, il semble être particulièrement efficace puisque mes enquêtés sont quasiment tous et toutes d'accord pour me dire qu'effectivement, les applications de rencontre, c'est fait pour ça. C'est fait pour trouver des partenaires sans lendemain et que finalement, les autres types de relations qui s'y tissent, parce que je vous rassure, on peut trouver l'amour sur Tinder, c'est un peu l'histoire un peu mignonne qu'on raconte au milieu de cette flopée de partenaires sans lendemain.
« J'ai trouvé mon partenaire. » Ce qui marque bien que c'est un peu des histoires exceptionnelles qui sont là au milieu. Pour le dire plus simplement et pour reprendre leur mot, tout le monde est là pour ça. Or, et j'en viens à la question du consentement, puisque tout le monde est là pour ça, c'est à dire pour trouver des partenaires sexuels sans lendemain, alors les discussions finalement autour de la nature de la relation deviennent complètement facultatives. Et on en revient encore une fois à l'absence de négociation et de discussion dont je vous parlais tout à l'heure, puisque le fait d'accepter de rencontrer un ou une partenaire trouvé sur une application de rencontre, ce serait en fait dans les représentations, déjà un signe de consentement. Donc finalement, rencontrer quelqu'un ou quelqu'une sur une application de rencontre, ça peut déjà être le pied dans l'engrenage du script. Ça peut être déjà un script sexuel qui s'enclenche et qui ne se terminera que quand il y aura sexualité pénétrative. Et une fois que la rencontre physique est lancée, on retombe dans le script dont je vous parlais tout à l'heure. Et donc on en revient encore à des utilisateurs et utilisatrices d'applications qui ont des rapports sexuels sans en avoir vraiment envie et sans se questionner sur leurs désirs sexuels, puisqu'ils étaient là ou elles étaient là pour ça.
Donc, en somme, l'analyse de la sexualité sans lendemain, à partir de la perspective des scripts sexuels, elle permet de montrer qu'il existe des relations dans lesquelles les violences sexuelles semblent très difficiles à penser, parce qu'elles sont gommées par des scripts sexuels. Parce qu'elles vont reposer sur des scripts sexuels qui sont extrêmement puissants et extrêmement efficaces, on n'a pas l'espace pour questionner et pour exprimer un consentement ou surtout un non consentement et donc dire très clairement qu'il ne peut pas y avoir de sexualité. Ça montre que la question des violences et du consentement, elle est extrêmement complexe et qu' encore aujourd'hui, le consentement n'a pas systématiquement sa place dans la sexualité contemporaine. En tout cas, on ne lui laisse pas l'espace de s'exprimer. Si ma présentation, elle se concentrait principalement sur la sexualité des jeunes adultes hétérosexuels, parce que c'est ce que je connais grâce à mon enquête, elle a aussi pour ambition de montrer que la sexualité est sociale et que toutes les formes de sexualité sans exception reposent sur des scripts sexuels. Cette sexualité, on peut chercher à la comprendre, on peut chercher à la questionner avec des outils sociologiques. La perspective des scripts sexuels, à mon sens, c'est un outil extrêmement intéressant, extrêmement précieux qui peut nous inviter à penser de manière critique nos marges de manœuvre à échelle académique, certes, mais aussi à échelle individuelle, nos manœuvres en termes d'intimité et de sexualité.
J'espère que ma présentation ne vous sera pas seulement, s'en est une, mais une conférence académique, mais qu'elle permettra aussi d'ouvrir des questionnements à une échelle plus individuelle cette fois ci. Je vous remercie pour votre attention et je répondrai à vos questions avec grand plaisir.
Hager
Merci beaucoup, Daria, pour cette présentation et pour votre clarté. C'était vraiment très intéressant. Je me tourne vers la salle pour savoir s'il y a des questions. Vraiment, n'hésitez pas. Nous avons aussi quelques questions qui commencent à arriver sur le formulaire. Nous allons bien sûr aussi les poser. Je commence par les questions de la salle.
Public
Merci beaucoup pour cette présentation. C'était vraiment très intéressant. J'avais juste une question sur les scripts sexuels. Vous parliez du fait que c'était généralement dans les relations hétérosexuelles qu'on pouvait retrouver ces scripts sexuels. Vous finissez par dire que justement, aucune relation n'échappe à ces scripts là. Mais ma question, c'est plutôt est ce que les sexualités queers, justement, qui sortent un peu du script hétéronormatif dont on a l'habitude de voir et d'entendre parler, sortent quand même des scripts sexuels ? Merci et notamment les sexualités lesbiennes. Parce que vous avez parlé des sexualités homosexuelles masculines qui étaient quand même plus...
Hager
Vous pouvez garder le micro, si vous voulez rebondir.
Daria
Est ce que je réponds question par question ou est ce qu'on prend une salve ?
Hager
On peut faire question par question si vous le souhaitez.
Daria
Effectivement, aujourd'hui, je n'ai parlé que des scripts de l'hétérosexualité et l'un des résultats de mon travail, c'est aussi de montrer que la sexualité, c'est un lendemain aussi subversive, peut on la présenter ? La plupart du temps, en tout cas, chez mes enquêtés, on a une reproduction du script hétéronormé ordinaire. Néanmoins, toutes les sexualités, sans exception, reposent sur des scripts. Pour Simon et Gagnon, en tout cas, la sexualité ne peut avoir lieu que s'il y a des scripts. Maintenant, il n'y a pas un seul script. Il y a une multitude de scripts différents. Le script le plus courant, hétérosexuel, hétéronormé, centré autour de la pénétration, etc, et du plaisir masculin, c'est un peu le script dominant. Néanmoins, il y a tout un tas d'autres scripts, et d'ailleurs, beaucoup de gens sortent de cette sexualité là aussi. Mais oui, la sexualité queer, elle repose aussi sur des scripts, qui sont d'ailleurs moins aussi publicisés et qu'on connaît moins. En tout cas, moi, je les connais... Enfin, pas qu'on connaît moins, que je connais moins parce que je maîtrise moins ces travaux là. Mais oui, toutes les formes de sexualité reposent sur des scripts et il y a comme des contre scripts qui se créent, parfois spécifiquement pour lutter contre le script hétéronormatif.
Justement, il y a parfois un enjeu politique à justement sortir du script. C'est une expression qu'on entend souvent, sortir du script de l'hétérosexualité. En réalité, on sort d'un script pour en entrer dans un autre. Mais ce qui ne veut pas dire que l'autre script est aussi quelque chose de très répandu, etc. Simplement, toutes les sexualités reposent sur des scripts puisque si deux individus n'ont pas le même scénario, alors ça va bloquer au milieu. Mais oui, toutes les sexualités reposent sur des scripts et pas que l'hétérosexualité.
Public
Merci beaucoup.
Hager
Y a t il une autre question dans la salle ? Je vais peut être voir les questions qui se posent sur le formulaire. Il y a déjà une question de clarification, de redéfinir si possible le concept de script sexuel. Est ce que c'est possible de...
Daria
Le redéfinir ? Oui, tout à fait. La perspective des scripts sexuels, c'est donc une perspective qui propose l'idée que la sexualité en général, que toutes les formes de sexualité reposent sur l'apprentissage et l'incorporation de scénarios au sens vraiment théâtral du terme, où on définit un décor, on définit des rôles et on définit parfois même carrément des dialogues. C'est cet apprentissage de script qui peut venir... Tout ça en même temps d'ailleurs. On intègre des scripts culturels, c'est à dire tout ce qu'on nous a mis dans la tête à travers la presse, à travers le cinéma, à travers la musique, etc, de comment fonctionne la sexualité. Deux scripts, cette fois ci plus personnels, qui reposent sur les souvenirs sur les fantasmes qui travaillent ces scénarios sexuels. C'est la confrontation de ces deux scénarios, de deux scénarios ou de plus de scénarios s'il y a plus de deux partenaires, qui va permettre de créer de la sexualité. Parce qu'on va savoir comment... On va savoir déjà reconnaître une forme de sexualité, parce que ce n'est pas écrit sur notre front quand on a envie d'un rapport sexuel. Donc, on va savoir repérer les codes et les décors et les paroles, etc, les gestes qui manifestent de la sexualité.
C'est comme ça qu'on arrive à le repérer sans avoir besoin d'être extrêmement explicite dans les paroles. Et ce sont les scripts qui vont nous permettre de savoir réagir à cette sexualité là. Si on enclenche le script de l'ascenseur dont je vous parlais tout à l'heure, alors que je sais que si mon voisin ou ma voisine rigole en rougissant et se rapproche de moi, alors peut être qu'il peut y avoir de sexualité. Si elle me vomit dessus de panique parce qu'elle est claustrophobe, alors là, on n'est pas sur le bon script, donc on n'a pas de sexualité. Je ne sais pas si je suis beaucoup plus claire ou si je me suis enfoncée encore plus loin dans mes explications de script.
Hager
Je pense que c'est clair. S'il y a une autre question sur le script, on y reviendra, mais à mon avis, c'est clair. Alors, je redemande. Il y a une question dans la salle, je passe.
Public
Bonjour, merci beaucoup pour votre présentation. J'avais une question sur les violences sexuelles. Vous en avez parlé tout petit peu. C'est ce que c'était pas le propos de la présentation. Vos enquêtés vous disent que parfois, en tout cas, ils avaient senti qu'ils n'étaient pas consentants, qu'ils s'étaient forcés eux mêmes. Quel est leur regard sur la potentielle violence sexuelle qu'ils auraient subie ? Et est ce que, par ailleurs, ils ont été amenés à subir des viols tels que définis par la loi française pour éviter de dire vrais viols, au cours de leurs relations sans lendemain.
Daria
Merci pour cette question, ce qui était la base d'ailleurs de toute ma réflexion autour de la question du consentement. Et pour être honnête, au départ, ça sera un des chapitres de ma thèse et j'étais partie sur un chapitre sur les violences sexuelles et c'était tellement compliqué à définir d'un point de vue éthique et d'un point de vue sociologique aussi, que je me suis dit que la question du consentement, c'était peut être plus proche de mon terrain. Effectivement, j'ai très peu d'enquêté. Qui me disent être victime de violences sexuelles ou de viols dans le cas de la sexualité sans lendemain.
Et ce qui est assez intéressant, c'est que c'est les mêmes profils qui vont me dire très clairement« J'ai été victime de violences sexuelles à tel moment, à tel moment de mon parcours. » Donc on est sur des enquêtés qui savent reconnaître, en tout cas qui ne sont pas tenues loin de ça ou qui osent me parler de ce genre de choses. Dans la sexualité sans lendemain, effectivement, j'en ai la grosse majorité qui me disent qu'ils se sont forcés et pas qu'ils ont été forcés. Et c'est ça la difficulté théorique et académique, mais aussi en tant que femme féministe qui me tracasse et de comment est ce que je peux réussir à l'exprimer, c'est qu'en fait, tout ça n'est pas vécu comme une agression. Le vocabulaire qui m'est raconté, c'est « J'étais mal à l'aise. Je me suis sentie sale. » Ça, j'en ai beaucoup surtout chez les femmes qui me disent qu'elles sortent salies de ces relations là. Donc, les mots sont quand même assez forts. Elles se sentent vraiment dans une situation presque de détresse, mais qui pourtant n'analyse pas ça comme des violences. Parce qu'en fait, le partenaire n'a pas fait preuve de violence.
C'est et elle, elle l'analyse, il et elle l'analyse, parce qu'il y a aussi des hommes, comme s'être forcée soi même et ne pas être forcée par les autres. J'ai quelques cas de sexualité sans lendemain et je crois que c'est seulement dans les enquêtés homosexuelles que j'en ai eu, qui me déclarent être victime de violences sexuelles et plus précisément de viols sur la sexualité sans lendemain, où là, du coup, c'est très clair, mais où on rentre dans des scénarios qu'on imagine comme étant de la vraie violence, entre gros guillemets, bien sûr, comme un vrai viol, entre gros guillemets, encore une fois. Et donc ça met complètement fin à la sexualité sans lendemain. On n'y retourne plus parce qu'on associe ça à du danger. Mais pour le gros de mes enquêtés et notamment chez mes enquêtés hétérosexuelles, ce n'est pas vécu comme de la violence. J'ai même des profils qui travaillent dans la sexualité, qui travaillent notamment dans des associations féministes et qui, en fait, me racontent ces scénarios sans y percevoir de violence. Donc, il y a un sentiment de malaise, il y a un sentiment parfois de dégoût, mais il n'y a jamais de déclaration de la violence.
Et c'est pour ça qu'il me semble plus pertinent, en tout cas, c'est peut être un manque de courage de ma part aussi, mais plus pertinent de parler plutôt de la question de l'expression du consentement, plutôt de la question d'être victime de violences, parce que ces personnes là, elles ne considèrent pas qu'elles sont victimes. Moi, ça me pose la question de « Est ce que j'ai le droit de le dire à leur place ? » Est ce qu'il peut y avoir de violences par un cadre et non pas par un partenaire qui, certes, n'a pas questionné sur le consentement, mais qui n'a pas été questionné non plus et qui n'a pas reçu de contre indication. Je ne sais pas si je réponds à la question.
Hager
Il y a une autre question juste à côté.
Public
C'est pour rebondir un petit peu. Est ce que vous avez des enquêtés qui ont regretté ces relations sexuelles a posteriori, qui vous ont dit « Je n'ai pas subi de violences, je me suis forcée, mais je l'ai regretté. » Même si c'est quelque chose qu'elles se sont imposées elles mêmes, ces victimes, est ce qu'elles reconnaissent quand même que ce sont des victimes et qu'elles ont été dans une forme de viol et qu'elles ont subi ça ?
Daria
Effectivement, j'en ai quelques unes qui regrettent leur sexualité sans lendemain. Je vais le dire tout de suite, pour beaucoup de mes enquêtés, la sexualité sans lendemain, c'est quelque chose de très cool et de très sympathique. C'est pas noicir le tableau, mais effectivement, il y en a quand même plusieurs qui m'ont dit avoir regretté d'avoir des rapports sexuels sans lendemain, soit parce qu'effectivement, il y avait ce côté « Non, mais en fait, je me suis forcée, je me sentais pas bien » et directement après, elles ont participé à ça après la relation. Soit plutôt de manière rétrospective en disant « Mais en fait, à cette époque là, j'ai enchaîné les relations sexuelles sans lendemain et aujourd'hui, avec le recul, je m'aperçois que c'était pas quelque chose de cool.
Je m'aperçois que c'était pas quelque chose dont j'avais envie. » et j'ai notamment quelques enquêtés qui me racontent qu'elles ont eu recours à la sexualité sans lendemain parce qu'elles allaient mal et qu'elles avaient besoin de se faire encore plus de mal. Et ça, pendant longtemps, je n'ai pas trop su quoi faire avec parce que je me suis dit « Là, ça ne relève pas de la socio, ça relève de la psycho. C'est quoi cette histoire de « je vais mal donc je veux aller encore plus mal » ? Et donc effectivement, j'ai ces enquêtés là qui veulent se punir de choses qui n'ont rien à voir avec la sexualité d'ailleurs, qui utilisent la sexualité sans lendemain pour en fait orienter leur état. Et donc effectivement, il y en a quelques unes qui me racontent ça, mais qui jamais ne basculent dans le discours sur les violences sexuelles, c'est à dire qu'elles ont conscience. Elles me disent qu'elles se sont aperçues qu'elles se sont salies, qu'elles ne se sont pas respectées. Et ce n'est pas dans une idée de se dire « La sexualité sans lendemain, de manière générale, c'est sale. » ou « Les gens qui font ça, c'est sale.
C'est d'une manière beaucoup plus individuelle de dire « Moi, je l'ai fait pour les mauvaises raisons. Si c'était à refaire, je ne leur ferais pas comme ça en tout cas. Mais elle ne rentre pas dans le discours de se dire « OK, j'ai été victime de violences sexuelles parce que j'ai fait ça. » Il y a une barrière qui n'est pas franchie parce que je pense que ce n'est pas dans leurs représentations. Elles se sont salies, elles se sont fait du mal, elles sont victimes de quelque chose en tout cas, mais elles ne sont pas victimes de violences sexuelles. En tout cas, elles ne se disent pas victimes de violences sexuelles.
Public
Oui, du coup, en vous écoutant, je m'interroge sur quelque chose Est ce qu'il y a eu des travaux similaires sur des publics plus âgés ? Est ce que ces personnes qui se sont retrouvées, vous avez dû employer les mots coincés, qui se sont forcées, selon certains scripts, à avoir une relation pas forcément consentie auraient eu la même réaction si elles avaient eu 30 ans de plus ? Ce qu'on fait à 20 ans, ce n'est pas ce qu'on fait à 50 ans. Une affirmation de soi et un décodage de ses propres désirs plus avancés. Est ce qu'il y a eu des travaux là dessus ?
Daria
Je ne veux pas répondre de manière catégorique parce qu'on ne sait jamais. Je n'ai pas un œil laser, mais je ne crois pas. En France, il y a très peu, si vraiment pas du tout, de travaux sur la sexualité sans lendemain. À l'étranger, c'est beaucoup de la sexualité sans lendemain sur les campus, notamment les campus américains, les Américains sont friands de la sexualité sans lendemain, mais spécifiquement sur les étudiants. Je ne crois pas qu'il y a beaucoup de travaux, par contre, sur la sexualité plus adulte. On ne s'occupe pas que des jeunes, loin de là, mais je ne crois pas, en tout cas, je n'ai pas en tête de sociologue qui aurait travaillé précisément sur la sexualité sans lendemain des personnes plus âgées. Par contre, mais peut être. Par contre, élément de réponse peut être un peu vague, mais ce dont je m'aperçois aussi sur mon terrain, c'est que la sexualité sans lendemain, ça peut aussi être un outil d'apprentissage extrêmement efficace et extrêmement rapide, parce qu' on va multiplier les rencontres. Donc, en termes d'apprentissage de la drague, ça va très vite. En termes d'apprentissage de la sexualité, ça va très vite.
Même de comment on s'éclipse discrètement, ça va très vite. Mais apprentissage aussi de comment on gère sa propre féminité ou sa propre masculinité, quel rôle sexuel on veut jouer, quel rôle de partenaire on veut jouer, qu'est ce qui nous plaît ? Qu'est ce qui ne nous plaît pas. Et chez les femmes notamment, et pour le coup, c'est majoritairement les femmes qui me le disent, la sexualité sans lendemain, elle a cet avantage là que, puisque officiellement, bien sûr, c'est un poil plus compliqué que ça, mais on ne doit rien à son partenaire qu'on a en face, parce que de toute façon, on ne le reverra pas. Le deal, c'est que chacun s'amuse, on s'amuse ensemble, mais après, il n'y a pas d'engagement plus que ça. Et bien, en fait, on peut expérimenter, on peut essayer des choses, on peut découvrir sa propre sexualité, ses propres limites, etc. Je pense que c'est pour certaines en tout cas, et certains, un outil qui peut justement participer à gagner, comme vous disiez, de l'affirmation de soi et à savoir reconnaître ce qui ne va pas dans une relation, ce qui nous convient ou pas dans la sexualité.
Maintenant, cet outil, il n'est pas efficace pour tout le monde et on s'aperçoit qu' il y en a plus expérimentés que d'autres et il y en a qui n'arrivent pas à se saisir de cet outil. Non pas parce qu'il y aurait une manière de se saisir de l'outil, mais tout simplement parce qu'ils n'ont pas les dispositions qui permettent de le faire. Je ne crois pas qu'il y ait de travaux sur cette question là, mais effectivement, ce serait très intéressant. Et le but de ma thèse au départ, c'était ça, c'était d'interroger tout plein de gens et surtout des personnes qu'on ne pense pas pouvoir avoir des relations sans lendemain. Malheureusement, le financement public, sont ce qu'ils sont, j'ai dû réduire mon travail. Mais ce serait très intéressant parce qu'effectivement, il y a un apprentissage de la sexualité qui fait qu'on n'a pas la même sexualité à 18 ans que à 35, 40, 45 ans.
Hager
Merci beaucoup. Je crois qu'il y a des questions qui sont arrivées sur le formulaire. Je laisse Marion poser les questions.
Marion
Oui, il marche. Oui, il y a une question en ligne pour revenir sur le consentement, la personne explique que se forcer, finalement, elle se demande si ce n'est pas déjà aller à l'encontre de la caractéristique même du consentement qui est un choix éclairé et libre. En partant de ça, est ce que le fait de ne pas savoir ce que l'on veut, c'est déjà s'éloigner du consentement et du coup, de fait, dès qu'on n'est pas certain de savoir ce que l'on veut, toutes les relations qui suivent, elles signifient finalement qu'on n'est pas consentant.
Daria
Oui, tout à fait. Ce qu'effectivement, se forcer, c'est ne pas consentir. Là dessus, je pense que même mes enquêtés sont d'accord, même pour celles qui sont plus dans le flou et je pense qu'on sera tous et toutes d'accord. Le concept du consentement libre et éclairé, c'est un oui clair et net avec l'envie derrière. Néanmoins, je ne dirais pas que mes enquêtés ne savent pas ce qu'elles veulent. Je dirais plutôt qu'ils et elles se sont lancés dans un script et que le script est tellement efficace qu'en fait, c'est très coûteux d'en sortir. Très coûteux parce qu'il y a la crainte des insultes, il y a la crainte de la gêne, il y a la crainte, et ça, je le retrouve beaucoup, de blesser.
J'ai mes enquêtés hommes comme femmes, qui quand je leur demande « Mais pourquoi, du coup, tu as eu des rapports avec ce gars là ou cette meuf là alors qu'il ne te plaisaient pas ? », je n'allais pas lui dire qu'il était moche, ça ne se dit pas. Et c'est des choses aussi qui paraissent aussi légères que ça, qui en fait maintiennent dans le script, c'est la peur de blesser, la peur de créer de la violence aussi en face, violence verbale, mais aussi parfois violence physique. J'ai des enquêtés qui me disent quand même « On part chez des inconnus, on ne sait pas qui ils sont. Si je réagis mal, on ne sait pas ce qui peut m'arriver. » Et ça, elles sont très nombreuses à le dire. Il y a vraiment une vulnérabilité qui est intériorisée chez mes enquêtées. Donc, ce n'est pas tant qu'elles ne savent pas ce qu'elles veulent, c'est qu' une fois que le script est lancé, c'est trop coûteux de sortir et ça devient moins coûteux de consentir sans en avoir vraiment envie. Donc ça, je reprends l'expression que j'ai utilisée tout à l'heure de Marianne Carbajal, mais en réalité, oui, il n'y a pas de consentement.
Quand on n'en a pas vraiment envie, il n'y a pas de consentement, évidemment. Mais ce n'est pas tant une histoire de ne pas savoir ce qu'on veut, c'est une histoire de ne pas pouvoir faire autrement, je pense.
Public
J'avais une question sur les motivations qui sont évoquées par vos enquêtés. Pour rester dans les sexualités sans lendemain. Vous avez dit que le plaisir sexuel n'était pas une des motivations évoquées. Je me demandais quelles. étaient les autres motivations qui étaient évoquées par les enquêtés ?
Daria
Effectivement, quand mes enquêtés me racontent leurs relations sexuelles sans lendemain, ils sont nombreux et nombreuses à me dire que finalement, sexuellement, en termes physiques, ce n'est pas si réjouissant que ça. En tout cas, ça ne vaut peut être pas la fatigue. Parce que c'est vrai que quand mes enquêtés me racontent ce que c'est que d'avoir des relations sexuelles sans lendemain, notamment certains et certaines qui rencontrent plusieurs partenaires par mois ou plusieurs partenaires par semaine, c'est beaucoup de travail, c'est beaucoup de budget boisson, c'est beaucoup de dates, etc. Et ils me disent, si il n'y avait que la sexualité, ça ne vaudrait pas le coup. Et la chose qui revient en grande majorité, c'est le fait tout simplement de... J'ai oublié ce que je voulais dire, de s'exercer à la rencontre. Pas dans le sens « je ne sais pas séduire, donc je vais avoir des relations sans lendemain, comme ça, je vais être super efficace. » Mais plutôt d'expérimenter son rôle de partenaire. J'ai beaucoup d' enquêtés qui me disent que le meilleur dans la sexualité sans lendemain, ce n'est pas la sexualité, c'est tout ce qu'il y a avant.
Parce qu'il y a un vrai plaisir à plaire, il y a un vrai plaisir à séduire. Et puis cette idée de rencontrer toujours des gens qu'on ne connaît pas, de toujours s'adapter à ces gens là. Au final, on rentre quand même dans le même script, mais il y a une vraie volonté de plaire. Et en fait, il y a aussi un côté un petit peu... J'utilise le terme de narcissique parce que c'est ce que Michel Bozon explique quand il parle des usages de la sexualité. Il va nous parler d'un usage narcissique de la sexualité. Non pas que les gens s'adorent eux mêmes, mais plutôt que la sexualité, ça renvoie aussi à notre propre identité. Notre rôle sexuel, ça nous construit aussi en tant qu'individus. Et du coup, être un partenaire sexuel ou une partenaire sexuelle qui sait plaire, qui sait draguer, qui sait faire plaisir à l'autre, qui sait se donner dans la sexualité, ça, c'est quelque chose que je retrouve de plus en plus, et notamment chez les hommes qui font beaucoup d'efforts pour faire plaisir sexuellement à leurs partenaires. En fait, c'est une forme de valorisation de soi aussi. Et donc, on ne prend pas de plaisir sexuel, mais on mais par contre, on prend du plaisir sexuel à séduire.
Parmi les motivations, on a aussi ceux et celles qui cherchent un peu leur féminité ou leur masculinité, qui ne savent pas trop comment ça serait quoi la bonne manière d'être pour eux, qu'est ce qui convient à eux, qu'est ce qui est bien, bien, qu'est ce qui est efficace. Donc on va tester ce genre de choses. Et puis, de manière beaucoup plus terre à terre, parmi les motivations, j'en ai aussi certains qui souhaitent être en couple, mais qui n'y arrivent pas, tout simplement. Ça fait partie des motivations aussi.
Public
Merci.
Daria
Et peut être, pardon, chose que j'ai oublié, une des motivations aussi et qui rejoint les violences sexuelles aussi, c'est que la sexualité sans lendemain, elle est aussi parfois utilisée par mes enquêtés comme une manière de se reconstruire psychologiquement et physiquement après des épisodes de violences sexuelles. Quand les épisodes de violences sexuelles ont lieu, notamment dans le cadre conjugal, le couple est associé directement à un danger et donc, ces enquêtés là veulent retourner à la sexualité sans prendre le risque de se remettre en couple, sans s'enfermer dans un couple. Et donc elles vont aller vers la sexualité sans lendemain pour se reconstruire au fur et à mesure et pour finalement reprendre le dessus sur leur sexualité.
J'avais oublié celle là, pardon.
Public
Merci. J'avais une deuxième question par rapport à l'enquête dont vous avez parlé. La grande enquête. Sur la sexualité en début des années 2000.
Daria
C'est le contexte de la sexualité en France, oui.
Public
Et je me demandais si le fait que ça soit dans les années 2000, il n'y a pas des différences d'époque qui vont jouer parce qu'il y a eu #metoo depuis, il y a eu d'autres choses...
Daria
C'est effectivement une question qui se pose et il serait temps d'ailleurs de refaire une grande enquête. Et il me semble, si les rumeurs sont vraies, que l'Ined est en train de y réfléchir. Mais ça coûte beaucoup d'argent, bien sûr. Donc effectivement, la question se pose et elle se pose d'autant plus que l'enquête Contexte de la sexualité en France, ce n'est pas la première grande enquête. On a eu l'enquête Simon dans les années 70 et l'enquête « Analyse du comportement sexuel des Français dans les années 80 ». Et en comparant les trois enquêtes, ce que font les sociologues de l'enquête Contexte de la sexualité en France, CSF, donc les années 2000, c'est qu'on voit que là, il y a une évolution dans les déclarations qui vont vers de plus en plus d'égalité, qui vont vers de plus en plus de réciprocité. Et donc, on voit que les parcours sexuels des femmes et des hommes ont tendance à se rapprocher. Donc, effectivement, l'hypothèse qu'on pourrait faire si on suit tout simplement les courbes, c'est que de plus en plus, on est en train de... Par exemple, cette idée que les hommes ont naturellement une sexualité pulsionnelle et que les femmes n'ont naturellement pas de sexualité, c'est quelque chose dont on entend beaucoup parler aujourd'hui, qu'on remet beaucoup en question.
Le vocabulaire de la pulsion, c'est pareil. Beaucoup de féministes ont appelé à arrêter de penser comme ça parce que c'était extrêmement dangereux. Donc c'est vrai qu'on peut se poser la question d'« Est ce que les choses n'évoluent pas ? » Et je pense, en tout cas, j'espère qu'elles évoluent dans le bon sens. En tout cas, si on suit les courbes, logiquement, ça devrait aller dans ce sens là. Néanmoins, je ne pense pas que ce soit des chiffres qui sont non plus complètement à côté de la plaque, parce que sur mon terrain, ça reste un terrain qualitatif, donc je n'ai pas de grands chiffres à sortir, mais je vois que quand bien même j'ai des enquêtés qui sont jeunes, quand bien même j'ai des enquêtés qui aussi s'intéressent beaucoup à la sexualité, puisqu'on ne va pas se mentir, qui acceptent de faire quatre heures ou cinq heures d'entretien avec une sociologue qui vous questionne et qui vous charcute votre parcours sexuel ? C'est les gens qui sont intéressés politiquement par ces questions là. J'ai quand même un profil d'enquêté qui est a priori plutôt vers une déconstruction de la sexualité, etc. Et pourtant, je vois quand même dans les parcours qu'il y a un peu des persistances de ces idées là autour d'un besoin plus grand des hommes.
Même si on n'est pas sur le vocabulaire de la pulsion, on a quand même des femmes qui disent qu'elles veulent faire plaisir aux partenaires et qu'elles peuvent prendre un peu sur elles, etc. Donc oui, je pense que ça évolue. Logiquement, ça évolue si on suit les courbes, mais ce n'est pas non plus des chiffres qui sont complètement à côté de la plaque. En tout cas, il reste ce genre de représentation là aujourd'hui quand on regarde un peu les discours qu'on a autour de nous sur la sexualité. Néanmoins, il y a aussi des contre discours qui prennent de plus en plus de place pour rappeler à l'égalité, à la réprocité. A la réciprocités qui sont aussi très présentes sur mon terrain également.
Public
Merci.
Hager
Merci beaucoup pour toutes ces réponses. Je me demandais, par rapport à ce que vous expliquez, est ce que vous avez donné des réponses à toutes ces questions, sans préciser s'il y a des différences de genre dans les réactions et dans le vécu des personnes, sachant que vous avez bien expliqué au début qu'il y a un processus de socialisation qui amène aussi à des mythes par rapport à la sexualité d'un homme versus la sexualité d'une femme, les besoins, mais aussi les devoirs. Pourquoi on le fait et comment on doit le faire ? Ça m'aurait intéressé de savoir est ce que dans vos réponses que vous avez eues et vos observations, vous avez vraiment des différences par sexe dans comment on perçoit aussi son rôle dans ce script en tant que femme et en tant qu'homme ?
Daria
Oui, tout à fait. Les scripts et du coup, notamment dans le cadre hétérosexuel, ils définissent des rôles et les rôles sont genrés. De toute façon, le concept même de l'hétérosexualité, c'est la complémentarité des genres. Donc, on ne peut pas avoir le même comportement. Il faut qu'il y ait un dominant et une dominée. Il faut qu'il y ait un pénétrant, une pénétrée. Et puis, dans l'idéal, si on n'inverse pas les rôles, ça serait mieux quand même. En tout cas, dans l'hétérosexualité ordinaire, c'est ce qu'on voit. Et donc, effectivement, il y a cette idée là de ce qui est attendu d'un homme, de ce qui est attendu d'une femme. Ces idées là, elles sont quand même un petit peu bousculées chez mes enquêtés. Un exemple tout bête, mais dans le script de La rencontre sans lendemain, on va aller boire un verre. Dans le script ordinaire, puisqu'on a cette opposition entre les hommes qui ramènent le pain sur la table et les femmes qui sont plutôt du côté du domestique, etc, même si les choses sont de plus en plus remises en question, je vous l'accorde, c'est plutôt monsieur qui va payer un verre à madame parce que c'est comme ça qu'on fait traditionnellement.
Daria
Ça, chez mes enquêtés, ça ne va pas du tout. Déjà parce qu'on est en 2023, qui va encore se faire payer tous ses verres par un homme ? Ensuite, parce que déjà, on n'est pas en couple, donc il n'y a pas d'histoire d'argent, etc. Et ensuite, c'est mieux s'il n'y a pas d'histoire d'argent d'ailleurs, parce que s'il y a des histoires d'argent dans La rencontre sans lendemain, on bascule sur un autre script et un script qui fait peur, le script de la prostitution. Je ne développe pas plus que ça, sauf si ça vous intéresse plus tard dans la question. Mais oui, il y a effectivement des rôles genrés dans le script qui sont remis en question. Maintenant, là où par contre, il y a quelque chose qui perdure et qui s'accroche sur les représentations, c'est sur la question du consentement. Puisque, comme je l'ai très rapidement évoquées, les femmes me racontent plus facilement ou analysent plus facilement leurs relations à l'aune du consentement parce qu'elles ont l'habitude, parce que ce sont aussi des femmes qui sont pour certaines, féministes, pour d'autres qui s'intéressent beaucoup à la sexualité. Elles ont l'habitude de ce genre de discours.
Donc je pense qu'elles voient à peu près où je vais dans l'entretien. Par contre, du côté des hommes, la question du consentement liée aux représentations, elle n'est absolument pas posée. J'ai un seul enquêté homme hétérosexuel qui m'a dit avoir été victime de violences sexuelles. Un cadre un petit peu particulier de vengeance ou je ne sais pas trop quoi. Donc je ne sais pas encore comment le traiter. Et puis c'était un peu un peu flou. Et tous les autres m'ont dit avoir couché avec des femmes qui ne leur plaisaient pas, m'ont dit que... Et qui en plus disent voilà, il faut quand même pas blesser les gens. Il faut que je me mette à fond dans cette relation. Il y a quand même aussi la question de la performance. Il faut pas que je me tape la honte sur cette sexualité là. Mais alors pointer et leur pointer sous les yeux. Mais en fait, tu n'avais pas envie de cette relation. Si c'est pas moi qui pose la question du consentement et je l'ai fait, j'ai fini par le faire. J'évite de mettre des mots dans la bouche de mes enquêtés parce que ce n'est pas ce qu'on fait en sociologie.
On tournait autour du pot, on tournait autour du pot et j'ai des enquêtés où j'aurais dit « Tu me parles du consentement de ta partenaire, mais ton consentement à toi, est ce que tu questionnes ? » Ah mais non, je n'y avais pas pensé. Je n'y avais pas pensé du tout. Parce que cette sexualité masculine, dans ce script de la rencontre, ce sont les hommes qui dominent la situation, ce sont eux qui leadent, ce sont eux qui invitent et ce sont à eux de faire attention à leur partenaire qui est plus fragile, plus délicate, etc. Et donc, se poser la question de sa propre fragilité et de sa propre vulnérabilité, ça ne fait pas partie de leurs représentations. Je me suis peut être un peu partie un peu loin.
Hager
Non, c'est très intéressant. En fait, oui, c'est à dire que l'idée, ce qui est intéressant, c'est de voir que ces représentations amènent certainement les hommes aussi à être victimes de violences, mais non seulement ils sont victimes, mais ils s'en rendent compte moins que les femmes parce qu'ils ne sont pas censés pouvoir être victimes de violences.
Daria
Tout à fait. Ce qui explique en partie l'écart, en partie seulement, puisque ça ne peut pas tout expliquer, mais l'écart de déclaration dans l'enquête VIRAGE dont je parlais tout à l'heure, parce qu'il faut se rendre compte déjà qu'on est victime de violences, ce qui n'est pas évident jamais, ce qui n'est jamais évident, mais ce qui n'est pas évident non plus quand on est un homme et qu' on pense qu'on ne peut pas être violé. Et puis, plus tard dans le parcours, là, VIRAGE ne prend absolument pas en compte les suites pénales ou juridiques ou quoi que ce soit, mais déclarer aussi à quelqu'un être victime de violences quand on est un homme, ça fait flop, parce qu'on ne peut pas imaginer que ce genre de choses existent. Or, bien sûr qu'elles existent.
Hager
Y a t il une question dans la salle ou sur le formulaire en ligne ? Marion, je crois qu'il y a une question ?
Marion
En ligne, il y a deux questions. La première, c'est si on voit effectivement que l'enjeu se situe plus dans la socialisation des jeunes filles, des jeunes garçons et plus tard des adolescents et tout au long de la vie, pourquoi les formations de prévention contre les violences sexistes et sexuelles continuent à mettre l'accent plutôt sur l'aspect juridique ? Et comment on pourrait faire pour mettre plus en avant cet aspect de socialisation dans les formations ?
Daria
Financer beaucoup plus les sociologues ? Non, c'est une très bonne question et j'avoue que je m'y attendais de quelle est la solution. Malheureusement, si on en avait une, je pense qu'on aurait partagé avec grand plaisir. Effectivement, la … Mais je pense que c'est encore lié, une fois, à nos représentations. Déjà, soyons très clairs et très honnêtes, je pense que les sociologues ont moins de tribunes que d'autres types de professions et donc notre histoire de socialisation, ça intéresse peut être certaines personnes, mais ça n'intéresse peut être pas tout le monde non plus. Donc ça doit certainement jouer. C'est vrai qu'aujourd'hui, les formations qui déjà interviennent très très tard, on pourrait se poser la question de l'éducation, qu'est ce qui pose grand débat d'ailleurs, à la vie sexuelle et affective des enfants et de leur apprendre le consentement.
Il me semble que ça se fait de plus en plus, parfois aussi par des moyens qui sont tout à fait privés et individuels, avec, je crois, beaucoup de livres aussi qui sortent autour de ça. Un peu plus de réticence de la part des pouvoirs publics, peut être, à investir cette question là. Mais oui, je pense que c'est une histoire aussi de représentation, puisqu'on a cette représentation qu' un viol, c'est forcément brutal dans la rue et qu'on ne peut rien y faire. On ne peut rien y faire de fait, mais que ça nous tombe le soir et qu'en fait, il faudrait juste s'empêcher de sortir parce que juste, on est trop vulnérable. En fait, oui, si on a cette représentation là, alors il faut avoir des réponses. Une des réponses, ça pourrait être la question juridique. Maintenant, si on commence à expliquer que le consentement, c'est un peu flou, il faut inviter les gens à vraiment se questionner individuellement, etc, ça s'éloigne de cette image là et c'est peut être moins facile à traiter. Maintenant, la solution, c'est tout simplement faire des cours de socio très, très, très, très tôt, faire des cours sur le consentement très, très, très, très tôt.
Et tout de même, on voit qu'il y a quand même une évolution puisque mes enquêtés... Je pense que si j'avais fait cette enquête 30 ans plus tôt, la question des violences, elle aurait peut être même pas été évoquée parce que peut être que mes enquêtés m'auraient pas vraiment dit« Je crois que je suis pas très à l'aise avec cette histoire là. » Donc tout ça pour dire que j'ai brodé longtemps et vous voyez bien qu'en fait, je n'ai juste pas de solution à vous proposer. Mais si j'en avais une, bien évidemment, on l'aurait partagée depuis bien longtemps.
Marion
Merci. Il y a une seconde question. Est ce que tu as aussi des informations sur la place des aventures sans lendemain dans le cas des tromperies ? Est ce que tu as rencontré ce cas là parmi tes enquêtés ? Est ce que tu as des infos sur ça ?
Daria
Oui, j'en ai rencontré et assez peu. C'était encore une fois un questionnement qu'on m'a très vite posée en me disant « C'est marrant, il y en a très peu qui font ça dans le cadre de tromperie. » J'en ai très peu qui me le racontent. C'est souvent sur des profils plus âgés.
Je pense que dans les parcours des enquêtés les plus jeunes, la question de la conjugalité, elle se pose de manière un petit peu différente puisqu' on admet dans la jeunesse sexuelle, la jeunesse sexuelle, c'est cette période entre l'entrée dans la sexualité active et la mise en couple très stable avec une conjugalité très installée, peut être faire des enfants, s'installer ensemble, etc. Entre deux, il y a toute cette jeunesse sexuelle et dans la jeunesse sexuelle, on admet que les jeunes adultes, ils ont le droit de s'amuser, ils ont le droit de découvrir si à 22 ans, vous n'êtes pas mariés, ce n'est pas un grand drame. Je dis 22 au pif. La question de la conjugalité, elle se pose peut être de manière un peu moins solide. Si on a envie de coucher avec d'autres gens, on va juste arrêter de se voir ou bien se mettre en couple libre et coucher avec d'autres gens. Chez ces enquêtés là, qui sont les plus jeunes, ce qui est assez intéressant, c'est que la question de la conjugalité, elle est très précieuse. On va quitter son partenaire avant d'aller avoir des aventures sans lendemain ou alors on va le prévenir, on va négocier.
Parce qu'en fait, le couple, ça reste quand même quelque chose d'important et qu'on a du respect pour son ou sa conjointe. Et donc, c'est ça qui est assez intéressant dans cette sexualité sans lendemain, c'est qu'il y a un très, très grand respect de la conjugalité. Et comme il n'y a pas vraiment de contraintes à être absolument en couple, si ce n'est bien sûr les contraintes sentimentales, etc, mais je ne suis pas une sociologue de l'amour, donc je ne m'aventurerai pas sur ce terrain là. En fait, on peut tout simplement sortir de cette conjugalité. Pour les autres, ceux et celles qui... Enfin, ceux d'ailleurs qui m'ont raconté... Désolée. Ceux qui m'ont raconté que c'était dans le cadre d'un adultère, en fait, c'est vécu de manière extrêmement... En tout cas, c'est joué de manière extrêmement négative, puisque ce n'est pas quelque chose dont on va se vanter. Il me raconte qu'il aurait été mieux de faire autrement et qu'il se sentait coincé, que du coup, la sexualité, son lendemain, c'était l'occasion, après un couple très, très long, de découvrir de nouvelles choses, etc. Mais toujours avec cette idée que l'adultère, ce n'est pas quelque chose de valorisable et de valorisant.
On voit que peu importe le profil, le poids de la conjugalité, il reste encore extrêmement important. Et d'ailleurs, chez mes enquêtés, la sexualité sans lendemain, ça ne peut durer qu'un temps. Il faudra un jour retourner à la sexualité. Ils et elles sont toutes et tous d'accord pour me dire qu' on s'amuse quelques années et puis ensuite, on va aller du côté de la conjugalité. Parce que ce n'est pas un modèle qui bouscule assez fort la conjugalité pour qu'elle puisse être pensée comme étant facultative. Et j'ai même des enquêtés qui me disent « J'ai prévu d'être dans la sexualité sans lendemain, deux ans et/ou d'avoir 50 partenaires. » Une fois que j'ai fait ça, c'est bon, je retourne à la conjugalité parce qu'il ne faut pas déconner. J'en ai carrément quand des plannings de sexualité, notamment chez les plus âgés qui s'organisent visiblement un petit peu mieux.
Public
J'avais une question, plus d'ordre méthodologique. Je me demandais comment vous recrutiez vos participants et participantes ?
Daria
Au départ, j'ai recruté mes enquêtés par appel à témoignage. J'ai fait circuler tout un tas de petites affichettes pour trouver les premiers enquêtés, on va dire la première dizaine. Et puis après, ça s'est fait au bouche à oreille, c'est à dire que mes enquêtés... Voilà, on parlait de mon enquête à d'autres types enquêtés, ce qui m'a permis de m'éloigner un petit peu au fur et à mesure de mon cercle de départ, parce que c'est ça le risque en sociologie, c'est que voilà, une fois qu'il y a un filon qui fonctionne bien, on va piocher dedans, ce qui explique notamment pourquoi j'ai majoritairement des jeunes hétérosexuels aussi, c'est parce qu'ils se renvoient la balle les uns aux autres. Ça a fonctionné un temps et ça a fonctionné notamment beaucoup chez les femmes. J'ai enquêté beaucoup de profils qui étaient moi, tout simplement. Les jeunes adultes femmes aimaient beaucoup venir discuter avec moi, mais comme je travaillais sur l'hétérosexualité, je me suis dit que c'est quand même dommage de ne pas avoir d'homme. C'est pour ça que j'ai publié un article dessus. J'ai profité de l'expérience. Je me suis inscrite sur les applications de rencontres, notamment Fruits et Tinder, pour trouver des enquêtés qui sortaient un petit peu de mon cadre, mais qui, du coup, sont des enquêtés qui sont sur les applications de rencontres.
Et s'il vous prend l'idée de faire de la sociologie, je ne vous invite pas à cette technique parce que c'est quand même beaucoup de charge mentale. Mais voilà, d'abord des affichettes, ensuite l'effet boule de neige et puis des applications de rencontres.
Hager
Juste une petite précision sur les applications de rencontre, vous faisiez passer pour quelqu'un qui cherchait un partenaire ou vous étiez très sincère dès le début ?
Daria
Tout à fait. Très transparente. D'ailleurs, il se peut que vous croisiez un logo de l'Université de Lille sur Tinder et Fruits, c'est moi. Je n'ai pas demandé l'autorisation d'ailleurs, je suis désolée. Je précise que ce n'est moi, ce que c'est moi et pas le président de l'université. Non, mais il y a mon nom bien sûr, etc. Mais en fait, je voulais vraiment faire un profil qui était le plus désintéressant possible. C'était vraiment la stratégie. Donc j'ai mis simplement les choses où j'étais obligée de mettre mon appel à témoignage et il était extrêmement clair que je n'étais pas là pour avoir des rapports sexuels puisque j' appelais vraiment les gens à me contacter via mon adresse mail universitaire, etc. Ce qui a fonctionné. J'ai rencontré des gens qui étaient super, si vous passez sur YouTube, je vous salue, qui ont vraiment joué le jeu et qui étaient super intéressants et intéressés. Mais de fait, ça n'a pas suffi. Alors déjà, mon profil était féminin, chose intéressante, en deux ou trois heures, j'y avais déjà plus de 99 likes. Je n'ai pas su combien parce que je n'ai pas payé le truc premium. Le logo de l'Université de Lille est extrêmement populaire, puisque ça a très bien fonctionné.
Mais ça n'a pas empêché certains enquêtés de me faire quand même des propositions ou de ce genre de choses. C'est pour ça que je dis que ça demande quand même un petit peu d'organisation, parce qu'il faut gérer tout ça. Mais non, je ne me suis pas fait passer... C'est une question qu'on m'a souvent posée d'ailleurs, est ce que la meilleure manière de capter un script, ce n'est pas de soi même rentrer dans le script ? Et je pense que c'est une mauvaise stratégie. Déjà parce que je n'en ai pas envie et que ça devrait suffire comme argument, mais aussi parce que rentrer artificiellement dans un script, une fois que je suis dedans, qu'est ce que je fais ? Ça me semble pas fonctionner des masses. Donc non, c'était quelque chose de très professionnel.
Hager
Je vais rebondir sur quelque chose que vous avez dit tout à l'heure. Vous avez parlé justement de faire la part des choses dans les scripts, entre un script qui est en tout cas d'égal à égal ou je ne sais pas comment le dire, où il n'y a pas de transaction et un script où il y a un soupçon de prostitution. Qu'est ce que vous avez vu ou entendu sur ce sujet ?
Daria
Oui, la question de la prostitution, elle est apparue très, très tôt dans mon terrain, exclusivement chez les femmes, qui m'ont dit de manière plus ou moins claire, certaines de manière très claire, d'autres qui sont un peu passées par quatre chemins, que leur crainte, c'était d'être prise pour des prostituées. Il y a deux spectres. Il y a le spectre de la prostitution et le spectre de l'adultère qui planent autour de cette sexualité sans lendemain. Puisque c'est une sexualité qui est très éphémère, qui est présentée comme étant uniquement axée sur la sexualité. J'ai des enquêtés qui se disent « Ah ouais », alors elles ne le disent pas comme ça, bien sûr. Je ne fais pas des cours sur les scripts à tous mes enquêtés, mais qui se disent « Ah ouais, quand même, le script qu'on est en train de jouer, il se rapproche très, très fort du script de la prostitution. » Et donc, il faut absolument ne pas tomber à l'intérieur, ce qui suppose qu'il ne doit y avoir aucune transaction financière. Et quand je dis « aucune », c'est certaines qui ont même du mal à se faire payer un verre parce qu'elles ont l'impression, et j'ai une enquêtée qui m'a dit ça très clairement, qui m'a dit « Je ne veux pas qu'on me paye pour passer du temps avec moi.»
Donc on va refuser les transactions. Autre élément du script dont je vous parlais tout à l'heure, il y a aussi la question du décor. La quasi totalité de mes enquêtés ont des rapports sexuels chez eux, dans leur logement, à eux ou à elles ou chez leurs partenaires, parce que louer un lieu pour ça, ça nous fait tomber dans la prostitution ou alors ça nous fait tomber dans la question de l'adultère. Et je pose la question très naïvement de « juste, t'es dans le centre » parce que j'ai une enquêtée qui me dit « Oh là là, c'était horrible, mon enquêté, il habite au fin fond du Nord Pas de Calais, j'ai dû prendre sa voiture toute seule avec lui pour aller coucher chez lui parce qu'en fait, chez moi, il y avait mes parents. Du coup, c'était hyper compliqué. Et je lui ai dit naïvement « Pourquoi vous trouvez pas un coin dans le centre ville ? » « Non, quand même, on va pas payer pour coucher et je vais pas me faire payer pour coucher avec quelqu'un ». Et puis, il y a aussi la question de la temporalité. Ça, c'est un exemple que j'ai eu en master et du coup, je l'utilise pas dans ma thèse, mais je trouve que c'est le meilleur exemple sur le détournement des scripts.
J'ai une enquêtée très jeune, enfin, très jeune, beaucoup plus jeune que son partenaire. Elle a 18 ans et elle rencontre, elle me le décrit comme un quadragénaire de grandes banques ou je sais pas quoi, qui vient la chercher. Donc elle, elle est en étudiante, en jean. Ils se redonnent rendez vous dans un parking. Il vient la chercher, elle me dit, avec sa grosse BM noire et son costume. Il me fait monter dans sa voiture. Il loue une chambre d'hôtel entre midi et 2h00 et elle me dit « Mais entre midi et 2h00 ? » Cette expression, déjà, « Entre midi et 2h00 ? » Elle est vraiment choquée par cette expression. Ils ont un rapport sexuel qu'elle me décrira comme étant complètement nul. Ils la redéposent dans ce même parking souterrain et elle s'en va. Et là, ce qu'elle me dit, ce n'était pas une sexualité sans lendemain. J'avais l'impression soit d'être sa maîtresse, soit d'être une femme pour qui il payait pour avoir de la sexualité. Donc, il y a vraiment ce spectre qui flotte et il faut faire attention à ne pas attraper les codes de la prostitution, soit de l'adutère , pour ne pas être associée à ce genre de pratiques qui sont déconsidérées par mes enquêtés.
Hager
S'il n'y a pas une dernière question dans la salle, je vois qu'on est arrivés à l'heure prévue pour la fin de cette conférence et ce débat qui s'est passé très vite, très enrichissant. Je vous remercie, Daria, de votre présentation, de vos réponses et merci à toutes les personnes présentes dans cet amphi et en ligne d'avoir posé toutes ces questions et de leur intérêt pour ce thème. Merci à toutes et à tous et je vous souhaite une très bonne soirée.
Dans le cadre du Tremplin de la Diversité et de l'Inclusion, près de 700 élèves de Pré-Master ont suivi une conférence donnée par Julie Dachez, docteure et chercheuse en psychologie sociale. Cette conférence portait sur la manière dont les comportements des personnes autistes sont marginalisés mais aussi sur les clés pour intégrer au mieux ces individus dans le monde professionnel.
Dans le cadre de leur rentrée à l'EDHEC, 700 élèves de Pré-Master ont suivi une conférence intitulée « Aux origines des violences sexistes et sexuelles : comprendre les mécanismes de différenciation et de domination ». Cette conférence a été donnée par Ophélie Latil, directrice de Dames Oiseaux et fondatrice de Georgette Sand.
Le jeudi 26 août 2021, plus de 700 étudiants et étudiantes de pré-master (1ère année) ont assisté à la conférence intitulée « Les hommes, les femmes et le reste du monde : que nous apporte une vision politique des genres ? » donnée par Sam Bourcier, Maître de Conférence en sociologie et spécialiste des études de genre et les études queers.
Il s'agit d'offrir aux élèves un cadre de réflexion ainsi qu'un ancrage conceptuel - philosophique et sociologique - aux représentations de genre, des corps et des sexualités. L'objectif est d'aider les jeunes à mieux comprendre les mécanismes conduisant aux violences sexistes et sexuelles afin de les combattre plus efficacement.