Conférences
Découvrir les interventions des membres de la Chaire et de ses invité‧es portant sur les thématiques de diversité et d'inclusion.
LES INTERVENTIONS DE LA CHAIRE
Hager Jemel-Fornetty, directrice de la Chaire Diversité & Inclusion, était l'invitée de l'épisode « Peut-on mesurer la diversité en entreprise?» de la série de podcasts « Diversité des origines en entreprise » proposée par Big Bloom et Impact Tank.
Invitée par Yvan Gatignon, qui a animé la discussion, elle a pu échanger avec Aïssatou Touré, consultante Diversité et Inclusion chez Mixity et Carine Mira, post-doctorante à CY Cergy Paris Université et rédactrice du groupe de travail d’IMPACT TANK.
Hager Jemel-Fornetty, directrice de la Chaire Diversité & Inclusion, a participé aux Assises de la Parité 2023, dont l'EDHEC est partenaire. À cette occasion, la Chaire a lancé le premier test pour mesurer l’inclusion dans les jeux vidéo intitulé Test for D&I in Gaming. Hager Jemel-Fornetty a présenté en avant première les premiers résultats du test appliqué à 51 jeux vidéo.
Hager Jemel-Fornetty, directrice de la Chaire Diversité & Inclusion, a participé aux Assises de la Parité 2023, dont l'EDHEC est partenaire. À cette occasion, Hager Jemel-Fornetty était l'invitée d'une table-ronde sur la parité et le leadership.
Le congé de paternité et d'accueil de l'enfant
PATH, le podcast qui questionne le bien être des parents et futurs parents au travail.
[Musique]
Journaliste de PATH
Nous l'avons constaté dans l'épisode précédent, environ un père sur dix est touché par la dépression du postpartum. Maria Melchior, épidémiologiste et directeur de recherche à l'Inserm, a mené un travail de recherche sur l'impact du congé paternité sur la dépression du postpartum des pères. Nous sommes allés à sa rencontre.
Maria Melchior
Donc, c'est le travail d'une étudiante en thèse qui s'appelle Catherine Barry, qui mène sa thèse sur les liens entre différentes formes de politique familiale et la santé mentale des parents et des enfants. Et nous nous sommes intéressés au congé paternité parce que d'abord, on sait que les congés parentaux sont plutôt bénéfiques pour la santé des parents. On a aussi de plus en plus de données montrant que certes, les femmes ont une probabilité plus élevée de déprimer après la naissance d'un enfant, mais ça arrive aussi chez les pères. Et quand ça arrive chez les pères, il y a des répercussions négatives sur les femmes, sur les enfants. Enfin voilà, il y a une espèce de cercle un peu compliqué qui peut se mettre en place. Or, on comprend encore assez peu, assez mal, les facteurs qui peuvent être associés à la dépression des pères, alors à la fois les facteurs de risque, mais aussi les facteurs protecteurs.
Journaliste de PATH
Quels ont été les résultats de ces recherches ?
Maria
On a observé dans cette étude qu'environ 5% des pères étaient en effet déprimés deux mois après la naissance de leur enfant. Les données sont basées sur les données de la Cohorte Elfe, qui est une étude qui a recruté 18 000 enfants nés en France en 2011 à travers tout le pays et qui est une étude représentative des enfants nés cette année là en France. Donc, on a observé que 5 % des pères avaient des symptômes de dépression deux mois après la naissance de leur enfant et qu'environ 70 % des pères avaient pris un congé paternité à cette date ou comptaient le prendre, ce qui correspond aux estimations nationales. Et donc, par rapport aux pères qui n'avaient pas pris de congé paternité, ceux qui avaient pris un congé paternité avaient une probabilité d'être déprimés réduite de près de 25 %, ce qui est assez important. Ce sont des petits chiffres, il n'y a que 5 % des pères qui sont déprimés, mais malgré toute la différence relative entre ceux qui prennent un congé paternité et ceux qui n'en prennent pas est assez importante.
Journaliste de PATH
Et on parle d'un congé paternité de combien de temps à ce moment là ?
Maria
Alors, c'était en 2011, donc c'est un congé paternité de deux semaines. Et puis évidemment, les pères qui prennent un congé paternité sont différents de ceux qui n'en prennent pas, pour plein de raisons différentes, liées à leur emploi, à leur situation familiale, etc. Donc ces résultats sont obtenus en prenant en compte tous les facteurs qui peuvent influer sur la prise de congé paternité.
Journaliste de PATH
Quelles sont les conclusions de ce travail de recherche ?
Maria
Les conclusions, c'est que tout d'abord, il faut s'intéresser à la santé mentale des deux parents et le plus possible inclure les pères dans les évaluations qui portent sur ce qui se passe au moment de la naissance et après, parce que les pères sont importants. [RIRE de la Journaliste] Ce qui est important aussi, c'est que clairement, les politiques familiales qui soutiennent les familles au moment de la naissance de leur enfant, mais aussi à plus long terme, sont aussi importantes. Et là, il y a tout un corpus de recherches qui commence à être maintenant très étayé, qui montrent que ce n'est pas pareil de laisser les gens se débrouiller ou de les soutenir à la fois sur le plan financier, mais aussi sur le plan des congés qui leur permettent d'accueillir l'arrivée d'un enfant qui est bien sûr une source de joie et de bonheur, mais qui chamboule pas mal la vie des gens, qui peut être une source de stress, de conflits au sein du couple, etc. Et qu'il faut absolument que les gens aient le temps et la possibilité de pouvoir s'adapter à cette nouvelle situation.
Journaliste de PATH
Et quelles sont les perspectives de ce travail ? Est ce que des nouvelles études vont voir le jour prochainement ?
Maria
Oui, bien sûr. Dans la Cohorte Elfe, tout d'abord, ce qu'on va pouvoir étudier, c'est le lien entre le congé paternité des pères et la possibilité qu'il y ait un effet sur le développement des enfants. Parce qu'en fait, c'est tout un enchaînement. C'est à dire que si, grâce au congé paternité, les pères vont mieux, on sait par d'autres études qu'ils s'impliquent plus aussi auprès de l'enfant et au sein du couple et au sein de la famille. Donc, ils sont plus présents, s'occupent plus des tâches domestiques, etc. Ce sont des éléments qui pourraient avoir des effets positifs pour à la fois le développement psychomodeur des enfants très tôt, mais aussi leur bien être émotionnel à plus long terme. Donc ça, c'est quelque chose qu'on va pouvoir vérifier à partir des données d'Elfe. Et puis, ce qu'on aimerait savoir maintenant que la durée du congé paternité a été prolongée à un mois en 2021, on aimerait savoir si cet allongement de la durée du congé paternité confère des bénéfices aux parents. Et donc, on réfléchit aussi avec d'autres collègues à un projet pour essayer de comparer ce qui se passe avant et après le changement de cadre.
[Musique]
Journaliste de PATH
Depuis le 1ᵉʳ juillet 2021, le congé de paternité et d'accueil de l'enfant est passé de 14 à 28 jours, dont sept obligatoires. Concrètement, que nous dit cette loi ? Élise Fabing, avocate spécialiste en droit du travail, nous informe.
Élise Fabing
Le congé deuxième parent a été allongé à compter du 1ᵉʳ juillet 2021, de 11 à 25 jours et auxquels on ajoute les trois jours obligatoires du congé de naissance. Donc ça fait 28 jours. Ces jours de congé peuvent être pris dans le délai de six mois à compter de la naissance de l'enfant, en continu ou en plusieurs périodes, et en cas de naissance multiple, le congé second parent est de 35 jours au total en comptabilisant le congé de naissance initial. Donc, le congé second parent, il est applicable que le second parent soit un homme ou une femme, et ça, c'est important de le dire, non binaire, fonctionnaire, travailleur indépendant, salarié. Et, pour en bénéficier, le second parent, il doit consommer au minimum sept jours en continu immédiatement après la naissance de l'enfant, soit trois jours de congé naissance suivis de quatre jours du congé second parent sur le quota des 25 jours. Et il doit prévenir son employeur au moins un mois à l'avance de la date prévue de la naissance. Donc ça, c'est à prendre en considération aussi. Et le congé second parent et d'accueil de l'enfant, il est pris en charge par la Sécurité sociale et l'indemnisation du congé second parent est alignée sur celle du congé maternité.
Journaliste de PATH
Est ce que l'employeur a le droit de refuser un congé deuxième parent ?
Élise
Non, il n'a pas le droit. C'est un congé qui ne peut pas être refusé par l'employeur. Néanmoins, dans les faits, il y a le droit et il y a la pratique. Moi, j'ai beaucoup de pères qui n'osent pas prendre ce congé second parent ou à qui on a fait comprendre que ce serait extrêmement mal vu de prendre ce congé second parent, donc ils ne le prennent pas. Parce que la pression, parce que la discrimination à la parentalité aussi, parce que quand on vient d'avoir un enfant, on doit montrer qu'on est incroyable, qu'on est toujours aussi performant et que surtout, ça ne change rien. C'est vrai que moi, je suis très pro congé deuxième parent d'égal durée, parce que je pense que c'est un bon moyen de réduire les inégalités femmes hommes, mais ça, c'est un autre débat. Et souvent, on m'oppose que oui, c'est la femme qui souffre après l'accouchement, que c'est elle qui met au monde. Mais justement, justement, ne la laissez pas seule.
Journaliste de PATH
Que risquent les employeurs s'ils respectent pas ? Enfin, s'ils refusent ?
Élise
Il y a des sanctions liées à la discrimination parentale, je suppose. Et puis, on pourrait dire aussi que cela relève du harcèlement discriminatoire. Après, c'est trop nouveau pour qu'il y ait encore vraiment beaucoup de recul jurisprudentiel là dessus. Et je n'ai pas eu de sujet encore sur ce volet là. Ce que j'ai vu, c'était des hommes qui négociaient à leur départ parce qu'ils commençaient à être écœurés par leurs conditions de travail. Et un des déclics pour certains a été qu'on leur refuse le congé paternité mais un refus évidemment pas écrit, improuvable, etc. Et puis, si vous voulez, c'était une pression pour ne pas le prendre plus qu'un refus. Donc, on a négocié dès le départ et on a mis ce fait là en avant. Concernant le congé paternité, il y a une sanction qui est prévue de 1 500 € en cas de refus de l'employeur d'accorder ce congé paternité. Ce qui n'est pas grand chose, ce n'est pas très, très dissuasif. Mais en tout cas, je n'ai jamais vu de cas où ça arrivait de façon explicite. C'était plus une pression pour que le père ne prenne pas le congé.
[Musique]
Journaliste de PATH
En juin 2020, un collectif de pairs s'était monté pour écrire une tribune réclamant l'allongement du congé deuxième parent, publié sur le Huffington Post. Mais pourquoi la présence du coparent est elle importante à la naissance d'un enfant ? Pascal Van Hoorne, papa de jumeaux, conférencier sur les sujets autour de la parentalité et l'équilibre de vie et co signataire de La Tribune, nous en parle.
Pascal Van Hoorne
Ce congé paternité, il existait dans sa forme actuelle depuis très longtemps et il n'avait pas du tout évolué, alors que globalement, la société, elle a largement évolué. Les aspirations des pères, des mères, évidemment, ont beaucoup bougé sur le sujet. Et il y a également une impulsion donnée par l'Europe, puisqu'il y a une directive européenne qui date de 2019 pour demander aux pays membres de l'Union européenne d'avoir un congé paternité de minimum dix jours. La France en y était, mais on était juste à ce qui a été demandé par l'Europe. Du coup, quand même, bonne élève, la France s'est dit « Il faut qu'on fasse plus. » Sauf que ça bougeait pas. Et donc, effectivement, on a réuni un collectif de papas, de papas engagés. On est dix papas engagés sur ce sujet et on s'est dit « Il faut remettre la lumière sur ce congé paternité, congé second parent. » On a coécrit une tribune qu'on a diffusée en exclusivité sur le Huffington Post. Avec cette tribune, on a fait également un appel au témoignage et on en a reçu plus de 500 en cinq jours, donc très conséquents et c'était très riche d'enseignements. L'idée, c'était vraiment de se dire « Non, le congé paternité, il faut qu'il augmente. Nous, on demandait un mois minimum. On était sur hashtag #UnMoisMinimum. » Pourquoi un mois ? Parce qu'on aurait pu demander plus ? Parce qu'on s'est dit que la société n'était pas encore complètement prête et que si on demandait tout de suite deux mois, trois mois, quatre mois, ça risquait plutôt de faire un blocage que l'inverse. Ce qu'on voulait, c'était déjà qu'il y ait un premier pas. Parce que, encore une fois, moi, je crois beaucoup aux petits pas qui permettent d'avancer progressivement dans une société. D'où ce congé paternité effectivement de un mois qu'on a demandé. La petite blague, c'est qu'on a eu le mois le plus court de l'année puisqu'on a eu 28 jours. On a eu le mois de février puisqu'on en a un mois, on a eu 28 jours. Mais effectivement, c'est déjà pas mal. Après, ça reste une loi et tout l'enjeu aujourd'hui, c'est de l'accompagner pour qu'il soit réellement pris par les nouveaux papas. Ce qui est très intéressant dans ces témoignages, c'est qu'on voit qu'il y a déjà une forte inégalité sociale sur le congé paternité en fonction de plein de choses, en fonction de l'éducation, en fonction du territoire géographique et en fonction de ce qu'on appelle les CSP, les catégories sociaux professionnelles.
Et qu'en gros, finalement, les catégories qui prennent le plus le congé paternité, c'est ce qu'on appelle la classe moyenne. Mais par contre, là où on est, où le congé paternité était bien moins pris, c'était pour les populations plus aisées ou à l'inverse, moins aisées. Pour des raisons évidemment complètement différentes. Pour les raisons plus aisées, il y a un vrai frein psychologique qui est de dire « Mais non, ça va nuire à ma carrière professionnelle » parce qu'on sait culturellement, les hommes se surinvestissent dans le monde du travail et donc pour la population CSP+, non, je ne peux pas, je suis hyper engagé dans mon boulot. Et pour à l'inverse, les catégories socio professionnelles un peu moins aisés, il y avait cette idée de dire « Non, j'ai peur. » On a beaucoup eu comme témoignage cette notion d'auto censure et de peur du jugement. « J'ai peur de la façon dont ça va être perçu par mes boss, par mes managers. J'ai peur de la façon dont ça va être perçu par mes collègues. » Et donc, du coup, je ne n'ose pas. Je ne n'ose pas. Une de nos motivations de notre engagement sur l'augmentation de la durée du congé paternité, c'était d'impacter sur l'égalité entre les femmes et les hommes.
On le sait aujourd'hui, les femmes gagnent en moyenne 20% de moins que les hommes pour le même job et à compétences égales. L'écart de rémunération tend à diminuer très faiblement. Ce qui est intéressant de regarder au delà de ce chiffre, c'est à quel moment le décrochage de rémunération se fait. Le décrochage de rémunération se fait au moment où la jeune professionnelle devient maman. D'un seul coup, au niveau des entreprises, elle est semble t il perçue comme un peu moins professionnelle. Le décrochage de rémunération se fait à ce moment là. Nous, notre conviction, c'est de se dire si on change le regard de la société sur la paternité, le fameux risque maternité se transforme en risque parentalité, qui est portée aussi bien par les femmes que par les hommes, ce n'est plus un risque, c'est un fait juste à prendre en compte, à intégrer et donc, une diminution de l'inégalité entre les femmes et les hommes. Nous venons d'échanger sur l'inégalité entre les femmes et les hommes sur la dimension salariale, mais il n'y a pas que ça. On sait aussi que la majorité, 53 %, des femmes diminuent leur temps de travail après la naissance de l'enfant et descend à 80 %, alors qu'il n'y a qu'un père sur neuf qui diminue son activité professionnelle.
Ça, c'est un vrai risque. Si on rajoute une autre dimension dans l'équation qui est les divorces, les séparations, un couple sur trois divorce, dans la première année de l'enfant et un sur deux en général. Forcément, pour la maman qui est passée à 80 %, risque de précarisation sur l'instant et sur la durée. On connaît la théorie des pots de yaourt peut être haute vecteur, à mon sens d'égalité sur le congé paternité, c'est ce qu'on appelle la fameuse charge mentale et la gestion au quotidien. Pareil, les études le disent, plus de 70% des tâches domestiques et familiales sont gérées par les femmes. On a cru que ça allait évoluer suite à la crise du Covid et les confinements et malheureusement, ça n'a absolument pas bougé d'un pouce. On peut imaginer qu'avec les nouvelles générations, ça change, parce que les nouvelles générations ont quand même, semble t il, une sensibilité différente sur le sujet, à voir si ça va être traduit quand ils ne deviennent parents, mais aujourd'hui, ça n'a pas changé. Avoir un père qui est impliqué dès la première mois de naissance de l'enfant, tout simplement, c'est créer une nouvelle dynamique de couple.
C'est créer une nouvelle dynamique de couple qui permet de moins abîmer le couple et donc, justement, de favoriser les égalités et notamment, effectivement, les égalités sur la notion des tâches domestiques. C'est à dire que le père, il comprend ce que c'est une journée entière avec un bébé et que oui, peut être que le soir, il n'y a pas vraiment le temps d'avoir un appartement ou une maison qui est super clean, d'avoir un super repas qui est posé sur la table, non, parce qu'en fait, on n'arrête pas sur les premiers jours, semaines et mois de l'enfant, et même après d'ailleurs. Donc effectivement, le père qui est vraiment engagé pendant ces 28 jours là et qui est très présent, il le voit, il le constate et donc forcément, il est plus compréhensible derrière. C'est toujours la différence entre la théorie et la pratique. C'est bien d'intellectualiser les choses, mais c'est vraiment quand, encore une fois, on met les mains dedans qu'on comprend la situation. On peut imaginer également, en termes d'égalité, que les impacts sur la durée. C'est à dire que, on ne parle pas des premières semaines, mais encore une fois, l'idée, c'est que ça lance une dynamique, donc ça se poursuive ainsi au sein du foyer.
Et donc les enfants, quand ils vont grandir, ils ont devant leurs yeux un modèle égalitaire. Donc, on peut imaginer que quand ils deviendront à leur tour parents, ou en tout cas quand ils seront en couple, ils reproduiront ce modèle égalitaire qu'ils ont pu voir une fois enfants. C'est vraiment cette idée de se dire « Impacté dès la naissance de l'enfant », c'est contribuer à une société plus juste et plus égalitaire sur l'instant, mais sur dans 20 ans, sur dans 30 ans.
Journaliste de PATH
Qu'attendent les pairs de la génération Y en matière d'équilibre, vie pro, vie perso ?
Pascal
C'est très intéressant de voir que la nouvelle génération, pour eux, la notion d'équilibre, ce n'est pas un besoin. Ça, c'est la génération des 30, 40 ans pour qui ça a été un nouveau besoin qui a émergé. La génération aujourd'hui qui a 20 ans, ils ne sont pas encore parents, mais ils le seront dans dix ans, ce n'est pas un besoin, c'est un fait posé, implacable, non négociable. Et donc, il n'y a pas le choix. Aujourd'hui, les organisations, entreprises, collectivités, peu importe, associations, elles sont obligées de prendre en compte ce besoin d'équilibre de la nouvelle génération. Ils le souhaitent parce qu'ils souhaitent un vrai épanouissement. Ils ont aussi une relation au travail qui est différente. Il n'y a pas de temps à dire est ce que c'est bien, ce n'est pas bien. C'est juste un fait qui doit être pris en compte et notamment, effectivement, la parentalité est un sujet.
Journaliste de PATH
Comment peut on intégrer sereinement le congé paternité dans la vie d'une entreprise ?
Pascal
L'intégration du congé paternité en entreprise, elle est essentielle. Encore une fois, le congé paternité, c'est une loi comme toute loi, ça s'accompagne. Et là, en plus, on parle d'une loi qui impacte un changement culturel, sociétal. On parle quand même de redessiner un modèle patriarcal qui existe depuis des siècles et des siècles. Les entreprises, elles ont un rôle majeur à jouer sur le sujet de la parentalité et de la paternité. Juste un chiffre. 83% des salariés sont parents. On s'adresse quand même à la très grosse majorité de ces salariés. On est parents d'un petit enfant, mais aussi d'un ado. On n'est pas parents juste sur les premières semaines. C'est ce dont on parle, mais c'est effectivement sur toute la durée. Les entreprises se doivent d’intégrer ce congé paternité. Ça passe par plein de façons différentes, il y a plein d'actions. Il y a un premier sujet qui est la notion d'information et de sensibilisation. Les études le montrent. Aujourd'hui, les pères qui prennent peu ou pas leur congé paternité, c'est parce qu'ils manquent d'informations sur le sujet. Ils ne savent pas forcément qu'ils y ont droit, comment ça fonctionne. Ils n'apprennent pas forcément les bonnes notions en termes d'indemnisation.
Le congé paternité est plutôt bien indemnisé. Donc, il y a une première action à mettre en œuvre par les entreprises qui est de sensibiliser les collaborateurs. Ça peut prendre plein de formes différentes. Ça peut prendre la forme de conférences, ça peut prendre la forme d'ateliers, ça peut prendre la forme de formation. Il y a aussi toute une action à mener au niveau des managers. Les managers et les RH, mais les managers, c'est ceux qui sont en direct. En fait, la paternité, mais la maternité, c'est la même chose, à la base, c'est quand même plutôt une bonne nouvelle. Et aujourd'hui, il y a beaucoup de gens qui ont peur de l'annoncer. C'est quand même un truc un peu bizarre. C'est une bonne nouvelle et on a peur de l'aborder au niveau de son entreprise. Et donc, effectivement, le manager, il a un rôle clé sur le sujet. La première des choses, c'est d'accueillir la nouvelle du congé paternité avec bienveillance et après, d'encourager le collaborateur à dire « Tu ne prends pas que tes sept jours, tu prends tes 28 jours. » Pour ceux là, ça s'anticipe. Un congé paternité comme un congé maternité, ce n'est pas une maladie.
Ce n'est pas « on ne se casse pas la cheville et on ne peut plus venir au boulot. Non, il y a neuf mois de grossesse, donc on peut l'anticiper. Moi, j'encourage toujours les entreprises à dire « préparons ensemble ce congé paternité. » En gros, on attend les trois mois, quatre mois de grossesse pour l'annoncer. Et puis, à partir du quatrième, cinq mois grand max, on l'annonce et donc on prépare ensemble un plan d'action. Quand je dis « ensemble », c'est parce que moi, je crois beaucoup à l'idée de la co responsabilité. T'as le manager, mais t'as le collaborateur. Et comment, ensemble, on prépare un plan d'action pour anticiper cette absence dans un mois. En vrai, quand on y regarde de près, c'est très chouette parce que ça fait du transfert de compétences au niveau de l'équipe. Ça génère de la solidarité et je crois qu'on en a un peu besoin dans notre monde aujourd'hui. Ça génère plein de choses très positives au niveau managérial et au niveau de l'équipe, il y a aussi un autre point, c'est l'exemplarité. Ça veut dire que, que ça soit dans les managers ou que ça soit dans le comité de direction, c'est important que ces hommes la, qui deviennent papa prennent leur congé paternité, parce que ça libère.
Si le boss l'a fait, ça veut dire que moi, je peux le faire. L'exemplarité, c'est ce par quoi un modèle sociétal évolue. C'est quand on a ce qu'on appelle des « role models », donc des femmes, des hommes inspirants, engagés, qui s'impliquent et qui osent faire des choses. Quand on fait quelque chose pour soi, je dis toujours ça, quand on fait quelque chose pour soi, on le fait pour les autres. Ça a forcément un impact.
[Musique]
Journaliste de PATH
Pour comprendre pourquoi certains pères et coparents ont du mal à recourir aux congés de paternité et d'accueil de l'enfant, la Chaire Diversité et Inclusion de l'EDHEC a réalisé une enquête auprès de plus de 780 personnes. Hager Jemel-Fornetty, directrice de cette chaire, nous en dit plus.
Hager Jemel-Fornetty
Nous avons décidé de mener cette étude depuis longtemps, mais la mise en œuvre a été un peu plus longue. D'abord, nous avons, à l'occasion de certaines études sur l'égalité femmes hommes, été frappés par le récit de plusieurs femmes qui disent qu' à partir du moment où elles ont annoncé leur grossesse, où elles ont accouché. Leur avenir dans l'entreprise, leur carrière a connu une stagnation. Il y a eu un avant et un après et la stagnation, c'est aussi bien au niveau des promotions, aussi au niveau des salaires. Et nous nous sommes interrogés par rapport à ce phénomène qui est beaucoup plus important qu'on ne le pensait. Et une des choses qui nous a été suggérées et auxquelles on a pensées, c'est que si on en est là, c'est parce qu'il y a une inégalité au niveau de la parentalité qui amène toujours les femmes à être considérées comme le parent qui va prendre en charge l'enfant, qui va s'en occuper naturellement et donc qui va privilégier la vie familiale par rapport à sa vie professionnelle. Nous avons donc fait le constat que, aussi, certains pères souhaitaient vivre cette parentalité, contribuer à la vie de famille, à l'éducation de plusieurs façons possibles, pas uniquement de la manière traditionnelle, en étant pourvoyeur de fonds et garant de la discipline, mais aussi en s'investissant dès le plus jeune âge et que ces pères aussi étaient quelque part privés, parce qu'il y a cette injonction aussi qui les met dans une posture où ils sont incapables de prendre ce temps et où aussi c'est mal vu de prendre ce temps de s'occuper de l'enfant, en plus du fait qu'ils n'ont pas une égalité au niveau de l'accès au congé paternité.
Donc à partir de là, on s'est dit « Regardons ce qui se passe au niveau du congé paternité. Est ce que le fait qu'il y ait un allongement, comme ça s'est passé en France en 2021, est ce que c'est quelque chose de positif ? Comment les parents l'accueillent ? Est ce que c'est suffisant ? Et surtout, on en a profité pour voir quelles sont les représentations autour du congé paternité.
Journaliste de PATH
Qui sont les personnes que vous avez questionnées pendant cette étude et comment ont ils été sélectionnées ?
Hager
Pour cette étude, nous avons eu 784 réponses exploitables avec 249 hommes et 535 femmes qui ont répondu. Ce qui est important à dire, c'est que c'est un échantillon qui n'est pas représentatif de tous les hommes et de toutes les femmes qui travaillent en France, puisque notre échantillon, il est vraiment sur représenté par des cadres, 75% au total des personnes fortement diplômées. Et ça, c'est dû certainement à la façon avec laquelle nous avons administré notre questionnaire, parce que nous nous sommes appuyés sur les réseaux d'entreprises partenaires, nos réseaux aussi de diplômés EDHEC, mais aussi les réseaux sociaux comme LinkedIn où il y a forcément une surreprésentation de cadres.
Journaliste de PATH
Quels sont les constats faits à partir de cette étude ?
Hager
Plusieurs constats. Tout d'abord, qu'il y a encore un besoin d'informer les pères de leurs droits. Nous avons compris qu'il y a encore plus du tiers des pères, en tout cas de notre échantillon, qui n'ont pas pris leur congé paternité, juste parce qu'ils ne savaient pas qu'ils avaient droit à ce congé paternité. Il y a aussi, en plus de la méconnaissance, une peur. Ça veut dire qu'il y a vraiment un besoin de sécuriser les parents et les pères en particulier par rapport au fait que s'ils prennent ce congé, ils ne vont pas avoir de conséquences négatives sur leur carrière et que ce n'est pas mal vu. On a eu environ 7% qui ont déclaré ne pas avoir pris ce congé parce qu'ils n'étaient pas dans des conditions favorables, soit précaires, soit de d'autres raisons qui n'étaient pas sécurisantes. Les autres constats aussi, c'est qu'il y a vraiment un besoin d'anticipation dans les entreprises. Il y a donc un appel à cette anticipation, à aussi organiser les choses de sorte à ce que certaines responsabilités ne pèsent pas que sur une seule personne, surtout dans des moments charnières et importants de la vie de ce type.
Ce qu'on voit aussi à travers cette étude, c'est qu'il y a aussi le poids des représentations qui est encore très lourd et qui empêche des pères de prendre leur congé paternité, parce que soit ils considèrent que le rôle du père n'est pas d'être là auprès de l'enfant à sa naissance et de s'en occuper par rapport aux soins. Donc on est dans une vision très stéréotypée du rôle du père qui est plutôt là pour apporter la sécurité, l'argent, la discipline et entourer le foyer de cette façon avec une mère plutôt nourricière qui apporte le soin et qui est disposée, entre guillemets, naturellement à s'occuper d'un nouveau né. Donc cette représentation très stéréotypée, traditionnelle, amène des pères et aussi des mères à considérer que le congé paternité n'est pas forcément utile, mais aussi, il amène les parents à avoir peur de la représentation des autres, pensant aussi que s'ils s'engagent dans cette voie, il serait mal perçu que le père soit, par exemple, perçu comme fainéant ou pas assez viril. Donc, il y a vraiment un besoin aussi de travailler sur ces représentations, notamment en entreprise, dans la société aussi, à travers l'éducation.
Journaliste de PATH
Qu'attendent les parents et futurs parents en matière de politique parentale dans leurs entreprises ?
Hager
Ce qu'attendent les parents en particulier, c'est une meilleure information au sein de l'entreprise sur les droits des parents et en particulier des pères, parce que les mères c'est un peu rentré dans les mœurs depuis longtemps. Mais parler du deuxième parent, qu'ils soient père ou mère, de leurs droits à accéder à ce congé, ça, c'est une première chose. Nous avons aussi un fort appel à ce que le congé soit entièrement obligatoire. On a eu une avancée avec sept jours obligatoires à la naissance et il y a beaucoup, beaucoup de personnes qui attendent que tout le congé, les 28 jours, soit obligatoire, même à l'allongé. Et il y a une forte attente par rapport à l'indemnisation. Aujourd'hui, on voit que les pères qui gagnent moins que le seuil légal d'indemnisation par la Sécurité sociale recourent plus fortement au congé paternité et que dès qu'on dépasse le seuil légal d'indemnisation par la CPAM, donc qui est de 3 666 € brut mensuels depuis 2023, on a un recours moins important au congé paternité. Vraiment, les premières tranches de salaire, on a 92, à peu près 90 %, 88 %, une fois qu'on dépasse ce seuil, on descend à 80, voire 62 %, et pour les salaires les plus élevés, on est à 55 % de taux de recours.
Donc, ça amène à penser qu'une meilleure indemnisation amènerait les pères à recourir plus à ce congé paternité.
Journaliste de PATH
Avez vous été étonnés des résultats d'études ?
Hager
Globalement, il y a des éléments qui ne nous surprenaient pas, qui confirmaient certaines choses que nous avions déjà vues, notamment dans la littérature. Ce qui nous a quand même un petit peu surpris, c'est la prégnance des stéréotypes des rôles des parents, en particulier les rôles des pères et des mères selon les sexes, qui empêchent clairement certains pères à recourir à leur congé paternité, mais aussi à quel point il y a un besoin de la part des entreprises d'information, de sécurisation et d'exemplarité pour encourager les pères à prendre ce congé paternité. Cet appel des pères et des mères au rôle des entreprises, pas uniquement de la société, nous a assez surpris. Et finalement, ça s'explique parce que c'est vraiment lié au travail, c'est à dire que les pères et les mères, forcément, ils vont être influencés par les rôles sociaux. Mais ce qui pèse beaucoup sur les pères, c'est aussi la peur d'avoir un problème de perception dans leurs entreprises, la peur aussi de laisser une grande quantité de travail à leurs collègues, cette culpabilité. Cette demande sociale qui est faite aux entreprises nous a aussi surpris.
Journaliste de PATH
Quelles suites allez vous donner à cette étude ?
Hager
Plusieurs objectifs possibles. Tout d'abord, on se rend compte à quel point c'est important d'éduquer. Et donc, on se dit qu'il faut qu'on amène le plus possible d'éléments à nos étudiants à travers nos cours sur le congé paternité, ce qui n'est pas encore quelque chose de très abordé. Et donc ça, ça peut être dans des cours de ressources humaines, de leadership, de management et autres. Mais aussi l'importance de continuer à mener des recherches pour mieux cerner quels sont les freins à ce recours et aussi comment on peut arriver à dépasser cette vision binaire des parents, parce que là dessus repose aussi bien un bien être au travail, mais aussi une société plus égalitaire.
[Musique]
Journaliste de PATH
Certaines entreprises mettent en place des congés plus longs que ce que la loi propose pour leurs salariés. C'est le cas d' Accenture, un cabinet de conseil à dimension internationale. Émilie Desriaux, chargée de projet inclusion et diversité, nous parle des engagements du cabinet.
Émilie Desriaux
Au sein d' Accenture, on est engagé sur l'inclusion et la diversité depuis plus de 20 ans et on s'est engagé plus précisément sur le segment de la parentalité en 2009, en signant la Charte de la parentalité, puis plus tard, de la monoparentalité. L'idée, c'est vraiment d'accompagner les collaboratrices et les collaborateurs dans l'articulation de leur vie professionnelle et de leur vie familiale, mais on s'engage aussi à respecter le principe de non discrimination dans l'évolution professionnelle. Chez Accenture, on veut vraiment renforcer l'égalité au sein du couple. Et donc, pour cela, on propose depuis le 1ᵉʳ septembre 2022 l'allongement du congé coparent afin de le porter à une durée totale de huit semaines. Ce congé, il est ouvert aux coparents sans distinction de genre et il est pris en charge à 100 % par Accenture.
Journaliste de PATH
Vous parliez justement de cadre d'égalité. Pourquoi c'est important d'allonger ce congé coparent ?
Émilie
Chez Accenture, on a une politique volontariste en faveur de l'égalité de genre et cela passe aussi par ces mesures d'accompagnement aux familles, aux coparents, afin que la gestion des enfants ne repose pas uniquement sur les mamans. Prendre en compte nos collaborateurs dans la globalité, dans leur rôle de père et de mère, nous paraît aujourd'hui fondamental. En effet, c'est vraiment un monde où les frontières entre vie pro et vie perso sont de plus en plus fines et les moments pros et personnels ne se jouent plus sur des temps et des lieux complètement étanches.
Journaliste de PATH
Comment communiquez vous en interne sur ces sujets ?
Émilie
On communique sur nos différentes mesures et nos actualités par différents moyens. On a des pages internes dédiées, on a des relais et des sponsors sur nos sujets. On a également un Teams dédié. C'est quelque chose qu'on utilise beaucoup chez Accenture. Et on a également le mois de mai qui est le mois dédié à la parentalité, qui permet de rappeler ses mesures et durant lequel on propose aussi énormément d'événements et de conférences sur le sujet de la parentalité.
Journaliste de PATH
Comment accueillez vous le retour des coparents après ce congé de deux mois ?
Émilie
Du coup, le congé est plus long, donc il nous a paru aussi nécessaire de pouvoir les accompagner dans leurs reprises. En plus du workshop “Retour de congé maternité”, on propose maintenant un workshop “Retour de congé coparents”. Ce workshop, il est animé par une coach parentale. Il permet d'échanger, de partager son expérience et de découvrir des clés adaptées aux métiers du conseil pour aider au quotidien à mieux profiter de la vie de famille, tout simplement. C'est un workshop qui dure une demi journée. Il est proposé à tous les collaborateurs. Il n'est pas obligatoire, mais se fait sur la base du volontariat.
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Journaliste de PATH
Dans le prochain épisode, nous parlerons des enjeux associés à la reprise du travail après la naissance de l'enfant, que ce soit pour la mère ou pour les pour le deuxième parent. PATH est un podcast réalisé dans le cadre du projet européen Pathways to Improving Perinatal Mental Health, porté en France par le Centre collaborateur de l'OMS pour la recherche et la formation en santé mentale. Un service de l'EPSM Lille Métropole. Rendez vous sur votre plateforme d'écoute habituelle pour vous abonner au podcast et ne manquer aucun épisode.
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Hager Jemel-Fornetty, directrice de la Chaire Diversité et Inclusion, a participé au podcast PATH, le podcast qui questionne le bien-être des (futurs) parents au travail. Elle est intervenue dans le 7ème épisode, consacré au congé de paternité et d'accueil de l'enfant et a présenté certains résultats de l'enquête "le congé de paternité et d'accueil de l'enfant : représentations et attentes" menée par la chaire en 2022.
Guergana Guintcheva, professeure de marketing à l'EDHEC et Hager Jemel-Fornetty, directrice de la Chaire Diversité et Inclusion, étaient les invitées du Festival Pix. Elles ont présenté leurs travaux de recherche sur la représentation des femmes dans les jeux vidéos.
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[Voix masculine] Si rien ne change.
[Voix féminine] Il faudrait 33 ans pour atteindre la parité dans les instances de décision.
[Ensemble] Il est temps d'aller plus vite.
[Voix masculine] Accélérons le mouvement.
[Voix féminine] Assise de la parité, le 28 juin 2022. Inscrivez vous sur assise-parite.com.
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Assises de la partité 2022
Replay Table ronde 4 : Management : les nouveaux codes du travail et l'équilibre vie pro vie perso
Gilbert Azoulay
Rebonjour. Je ne sais pas s'il y a des gens qui étaient connectés avant, mais je reprends l'antenne pour une nouvelle table ronde consacrée au management, les nouveaux codes du travail et l'équilibre vie pro vie perso. L'équilibre vie pro vie perso est sans doute une question centrale au regard des transformations que nous connaissons et que nous avons abordées depuis le début de cette matinée. Non pas que ce sujet n'avait pas été traité avant, parce qu'on en parlait déjà depuis longtemps, mais aujourd'hui, avec la crise que nous avons connue, notamment, et les attentes des nouvelles générations, cette problématique est d'autant plus d'acuité. On rappelle que dans son rapport annuel en 2021, le Haut Conseil à l'égalité entre hommes et femmes revient sur les impacts de la crise sanitaire et sur les trajectoires professionnelles de femmes. Deux tiers des femmes en télétravail subissent une charge physique et mentale considérable dans la mesure où elles cumulent leurs jobs de tâches domestiques, parentales, l'école, la maison, souvent dans des espaces exigus. Donc, il faut agir sur l'équilibre vie personnelle, vie pro, même quand ça se passe à la maison.
Et on le verra. Mes invités, Sara Dalmasso, vice présidente et General Manager International, je le dis en anglais, ça fait toujours plus chic, chez Omnicell. Bonjour Sara. Omnicell, ce sont les armoires connectées qui permettent... On avait travaillé un peu ensemble déjà, c'est pour ça que je connais. J'avais ma petite antisèche. En deux mots ?
Sara Dalmasso
En deux mots, on fournit les hôpitaux et les officines de pharmacie pour tout ce qui est optimisation, automatisation et logiciel pour la gestion du circuit du médicament.
Vaste sujet qu'on abordera plus tard.
Gilbert
J'ai découvert d'ailleurs que le circuit du médicament, quand il n'est pas respecté, il est notamment, quand il est fait de manière manuelle, il y a beaucoup d'incidents, voire d'accidents graves.
Sara
Beaucoup d'erreurs médicamenteuses.
Gilbert
On n'est pas là pour plomber l'ambiance, mais si on peut régler ce problème... Marie Rouen, de la Banque Palatine. Vous cumulez plusieurs fonctions. Si j'ai bonne mémoire. Je vous laisse les énoncer pour ne pas commettre d'erreurs.
Marie Rouen
Bonjour Gilbert. Effectivement, je suis directrice ressources et services, dont les ressources humaines, les services de production bancaires, l'environnement de travail et la communication interne et externe. Banque Palatine, qui est la banque des ETI, des dirigeants et de la gestion privée.
Gilbert
Vous nous direz comment vous voyez un peu la vision que vous portez sur cet équilibre ? Quand on préparait, vous me disiez c'est avant tout une politique RH. Il n'y a pas de spécificité entre les hommes et les femmes. Il faut avoir une vision globale et non pas parcellaire. Dalila Zein, directrice générale de l'AFP. L'AFP est une société iconique en France, dans le monde d'ailleurs.
Dalila Zein
Bonjour Gilbert. Oui, dans le monde, contrairement à son nom, c'est une agence mondiale présente dans 150 pays avec 2 400 collaborateurs, dont la moitié est en France et la moitié partout dans le monde.
Gilbert
Des journalistes, donc ?
Dalila
Beaucoup de journalistes, oui, absolument.
Gilbert
Et aussi de...
Dalila
Toutes les fonctions pour accompagner le métier.
Gilbert
Et là aussi, beaucoup d'actions menées au niveau de l'institution pour, évidemment, accompagner cet équilibre. Parce que l'actualité n'attend pas. C'est H24.
Dalila
L'actualité n'attend pas. Il y a des feux partout dans le monde.
Gilbert
C'est vrai que 35 heures chez les journalistes, je peux témoigner, ça n'existe pas. Je ne devrais peut être pas dire ça. Il y en a qui vont se lever en disant « Qu'avez vous dit, Gilbert Azoulay ? » Et Louis Verdier, le directeur général de la Maison Bleue. Maison Bleue ?
Louis Verdier
Bonjour Gilbert.
Gilbert
Bonjour, Louis.
Louis
On est un groupe de crèches. On gère des crèches en délégation de service public et des crèches inter entreprises.
Gilbert
Oui, et là, on touche du doigt cet équilibre parce que vous apportez une solution à des problématiques.
Louis
On apporte des solutions. On est, nous aussi, confrontés aux mêmes problématiques pour nos propres salariés. Il y a quand même un effet de mise en abîme et on le fait en France et on a quelques retours aussi sur l'Angleterre, la Suisse, le Luxembourg, on est présents également.
Gilbert
Et on verra tout à l'heure avec vous qu'il faut s'intéresser au parcours des femmes, mais aussi à celui des enfants. Et c'est ce mixe qu'il faut cumuler quand on parle équilibre vie pro / vie perso. Et à distance, vraiment très raisonnable, mais je pense qu'il vaut mieux être à distance très raisonnable avec elle, si je ne m'abuse. Bonjour, Hager Jemel-Fornetty. Vous êtes professeur à l'EDHEC Business School, une grande école de commerce reconnue mondialement, on peut le dire. Et vous avez travaillé sur le sujet de la parentalité. Donc, on est au cœur de la machine, si je puis dire. D'abord, est ce que vous allez bien ? Vous avez l'air d'aller bien.
Hager Jemel-Fornetty
Oui, ça va bien, merci. Je suis désolée de ne pas être avec vous sur le plateau, mais j'ai découvert hier soir que j'avais le Covid, mais les symptômes sont légers, donc je peux intervenir à distance. Juste, je dois m'isoler pour protéger les autres.
Gilbert
Vous nous protégez, j'en suis sûr. Est ce que ça vous embête ? Je commence par une question pour vous, si vous en êtes d'accord. Parce que quand, là encore, on était en train d'élaborer le plan de cette émission, vous me disiez « Gilbert, attention. Attention de faire la différence entre flexibilité et équilibre. » Je crois que ce n'est pas une nuance innocente.
Hager
Effectivement, on parle de plus en plus de flexibilité comme source d'équilibre entre la vie perso et la vie professionnelle. Or, c'est un grand leurre parce que ce qu'on voit dans plusieurs études, dont nous avons connaissance et que nous avons aussi mis au point, c'est que la flexibilité peut au contraire accroître ce manque d'équilibre. Parce que quand on bénéficie de flexibilité, ça veut dire qu'on peut travailler à distance, qu'on peut adapter ses horaires au bureau. Et ce qui se passe souvent, c'est que soit il y a un sentiment de culpabilité, parce qu'on a en France cette culture du présentéisme en particulier, et donc on a l'impression qu'il faut qu'on reste encore plus devant son ordinateur tout le temps connecté ou avec son téléphone. Il y a aussi des attentes aussi de certains managers qui pensent que lorsque leurs équipes ont cette flexibilité et qu'ils sont à distance, ils peuvent être joignables à toute heure de la journée et on peut faire des réunions à toute heure de la journée. Donc, ça rompt cet équilibre, ça le rend même encore plus fragile. C'est pour ça que je m'étais permis de dire « Flexibilité, attention, ce n'est pas du tout synonyme d'équilibre.
En tout cas pas toujours. » Il y a même une étude récente menée par d'autres collègues de l'EDHEC sur les entreprises familiales, parce que dans les entreprises familiales, il y a plus de flexibilité mais en revanche, il y a une vie perso et pro qui est un peu plus déséquilibrée.
Gilbert
C'est une nuance importante. Je voulais commencer par cela, parce que vous le constatez, il y a un peu une confusion sur cette notion. Vous présenterez les chiffres tout à l'heure, on est d'accord, Hager ?
Hager
Tout à fait.
Gilbert
D'accord, des chiffres passionnants qui incarnent ce qu'on est en train de dire. Sarah, première question pour vous. Comment vous réagissez justement à ce propos, à la flexibilité ? Attention, piège.
Sara
Oui, attention, question piège. Je suis tout à fait d'accord. C'est vrai qu'on a tendance à se dire que puisqu'on est tous en télétravail, on peut complètement effacer ou effacer les frontières entre le boulot et la vie perso, mais c'est très important, justement, pour rebondir là dessus, d'avoir un droit à la déconnexion. Nous, chez Omnicell, on a mis en place une charte de la déconnexion. Évidemment, ce sont des guidelines, tout le monde est libre de les suivre ou de pas les suivre, mais en tout cas, on essaye d' implémenter des règles de bon usage de tous nos outils numériques et de faire en sorte qu'on ne demande pas des réunions à 20h00 le soir, à 8h00 du matin, quand on sait que c'est l'heure pour accompagner les enfants à l'école, etc. Donc oui, effectivement, il y a un vrai problème. Il faut vraiment mettre des règles et des frontières beaucoup plus limitées.
Gilbert
Est ce que vous formalisez cette notion « équilibre vie perso vie pro », est ce que c'est quelque chose qui apparaît comme ça dans votre organisation ?
Sara
C'est quelque chose dont on parle beaucoup parce qu'on fait beaucoup d'enquêtes de satisfaction en interne pour savoir quel est le bien être de nos employés. C'est vraiment quelque chose qui ressort beaucoup, notamment suite au Covid et le passage de tout le monde en télétravail. Il y a eu vraiment une ampleur beaucoup sur ce sujet là et il a dû, en réponse à cette enquête où tout le monde se plaignait, justement de ce problème d'équilibre. Pas forcément de pression, parce que les managers n'avaient pas l'impression de mettre la pression, mais toutefois, quelque chose de ressenti par les employés d'être disponibles H24. Il a été nécessaire de réexpliquer quelles étaient les règles. Je pense que quand les managers le disent et qu'ils montrent l'exemple, de ne pas envoyer des e-mails tard le soir, de ne pas envoyer d'autres ou très tôt le matin ou de ne pas organiser des réunions, du coup, on commence à atteindre ou à tendre vers quelque chose d'un peu plus équilibré. Je pense aussi que chacun doit d'abord montrer l'exemple, mais aussi...
Gilbert
Être responsable.
Sara
Être responsable. Moi, par exemple, je veux dîner avec mes enfants tous les soirs, donc je bloque mon calendrier. Tout le monde respecte ça. Après, c'est plus facile pour moi peut être qu'à d'autres niveaux, mais je pense que chaque manager doit autoriser ses employés à bloquer du temps et à justement avoir une certaine flexibilité, mais être aussi...
Gilbert
Responsable de son équilibre.
Respectueux et respectueux... Marie Rouen, la vision de l'équilibre vie perso chez Banque Palatine, c'est aussi quelque chose d'important.
Marie Rouen
Oui, c'est fondamental aujourd'hui. On vit un principe de réalité. Le télétravail s'est imposé à nous. Ça peut être une bonne chose, mais ne tombons pas de l'autre côté du cheval. Soyons vraiment dans l'accompagnement des collaborateurs, des managers, parce qu'en fait, nos managers sont devenus aussi des managers hybrides. C'est un principe d'accompagnement, de formation, de coaching. Je suis tout à fait d'accord avec ce que Sara disait, l'exemplarité vient du haut, donc il faut que les managers soient exemplaires. Nous, on a une charte équilibre vie pro, vie perso. On est très présents pour accompagner les équipes sur ce point là, pour garder ce juste équilibre et faire que la notion de bien être au travail ne soit pas juste du marketing.
Gilbert
Vous insistiez aussi que quand on décide, on décrète avec un texte, avec un règlement, la déconnexion et tout ça, c'est une organisation et du travail qu'il faut repenser complètement ?
Marie
Oui, il faut repenser l'organisation du travail. On a vécu avec la crise sanitaire la mise en place d'outils. C'était une chose finalement assez simple. Après, il y a l'organisation, le management, l'accompagnement. Comment on s'organise avec du management visuel, comment on organise des réunions à partir de 9h00 ou pas après 18 h00. On repense l'intégralité du fonctionnement.
Gilbert
Est ce qu'on est arrivés au bout de la réflexion aujourd'hui ?
Marie
Non, on n'est pas arrivés au bout. On est encore en période de test et puis on va revenir sur des choses qu'on a mis en place. D'ailleurs, moi, le premier accord Télé Travail que j'avais mis en place avant la crise sanitaire, c'était un accord sur une année en se disant « On va tester ça en grandeur nature et puis on se recalera.»
Gilbert
Je ne sais plus qui me disait que... En fait, la nouvelle génération est... Oui, c'est Sara qui me disait. Vous avez cassé ma démonstration. Le retour à... On va le dire tout à l'heure. Les gens veulent télétravailler, en fait ? Parce que c'est un peu la question au fond, au creux de tout ça, est ce que...
Marie
À la Banque Palatine, les collaborateurs veulent télétravailler. Mon propos, c'est de dire oui, télétravail, ne tombons pas de l'autre côté du cheval, parce que le télétravail, il y a l'hyperconnexion, il y a le distanciel qui ne crée pas de cohésion et autres. Comment on arrive, entre des collaborateurs engagés et qui veulent travailler, à garder la cohésion sociale, à garder l'esprit d'entreprise, à garder l'engagement ? C'est des réglages qu'on doit faire au quotidien.
Gilbert
Dalila, c'est vrai que l'engagement, c'est quand même le cœur de la machine. Quand on est dans une entreprise, avoir des collaborateurs engagés, c'est quand même le gage de succès. Justement, comment on maintient ça ? Parce que vous avez mené plusieurs actions dans ce domaine chez vous. Comment, justement, vous avez adressé ce sujet ?
Dalila
Le sujet de l'engagement, il faut que les collaborateurs sentent qu'on se préoccupe de leur équilibre. Je pense au plus haut niveau de l'entreprise. La question posée aujourd'hui dans le débat, elle porte beaucoup le poids du succès du travail hybride sur les managers, mais je pense que c'est aussi un peu une erreur. Ils ont été la cheville ouvrière, bien sûr, de la période de la pandémie. Pour certains, ils ont eu une énorme charge mentale, charge de travail. Je pense que c'est illusoire de penser qu'on a besoin de super managers dotés de super pouvoirs qui vont régler tous les problèmes. Je pense qu'il faut que l'entreprise se mouille, qu'elle définisse une politique d'entreprise, justement, et qu'elle se mouille au plus haut niveau de l'organisation. Ça veut dire quoi se mouiller au plus haut niveau de l'organisation ? Ça veut dire s'engager. Nous, on vient de signer avec nos partenaires sociaux un accord qualité de vie au travail et égalité professionnelle. Le travail à distance a été évidemment au cœur du débat. Pour ma part, en tout cas, je trouve que le travail à distance, c'est un énorme actif pour les entreprises. Justement, il faut qu'on se dotte de moyens pour que ça se passe bien.
Un des moyens, c'est de s'engager.
Gilbert
Comment fixe la jauge ? C'est un jour, c'est deux jours, c'est trois jours, c'est à la discrétion du manager ? Comment, justement, on fixe la bonne juge dans ce domaine ?
Dalila
En fait justement, il faut un cadre. Et le cadre, par exemple, à l'AFP, c'est de dire qu'on peut aller jusqu'à deux jours. Déjà, ce n'est pas obligatoire, bien sûr. Ceux qui ne trouvent pas leur compte dans le télétravail ne sont pas obligés de faire du télétravail. On n'a pas d'économie de mètres carrés ou de choses associées, donc c'est un choix personnel.
Gilbert
Ça peut être une question, après, vu le prix du mètre carré à Paris.
Dalila
À l'AFP, ce n'est pas ça. Chacun a le choix ou pas d'être en télétravail. Par contre, il faut pouvoir mettre en place tout ce qu'il faut pour que chaque personne qui a envie d'être en télétravail le vive bien.
Gilbert
Les jeunes journalistes qui arrivent chez vous ou pas, d'ailleurs, ils vous disent « Il y a du télétravail parce que je crois que c'est...»
Dalila
Chez nous, il y a à peu près 85% des collaborateurs qui ont opté pour le télétravail.
Gilbert
Un contrepoint juste en une minute, parce que Sara me disait... Moi, je suis surpris, les nouvelles générations, ils ne veulent pas de télétravail. Ils veulent travailler dans un bureau.
Sara
Il est vrai que la semaine dernière, c'est ce que je te racontais plus tôt aujourd'hui, la semaine dernière, on a fait deux offres à des collaborateurs, ce qu'on aurait aimé avoir, des futurs collaborateurs qui ont été refusés parce que les jobs étaient 100% en télétravail.
Gilbert
100%, c'est beaucoup quand même.
Sara
Nous, on a trouvé chez Omnicell que l'avantage du télétravail, ça nous permettait d'embaucher plus de talents et plus de femmes, pas forcément à Paris, pas forcément là où on a un bureau. En revanche, ce qu'on a mis en place et qu'on a peut être mal expliqué dans le cas présent, c'est qu'une fois par trimestre, on organise une semaine où tout le monde se rencontre. Et puis, on organise un certain nombre de...
Gilbert
Tu disais que c'étaient des hommes ou des femmes qui postulaient ?
Sara
On a eu une femme et un homme.
Gilbert
Donc, en l'occurrence... 50/50. Donc, il n'y a pas de vérité. Pas encore, en tout cas. Marie, c'est compliqué. Je n'aimerais pas être à votre place.
Marie
Non, il n'y a pas de vérité. Ça, c'est une certitude.
Gilbert
Avant de passer la parole à Louis, Hager, est ce que vous êtes là ?
Hager
Oui, toujours. J'écoute avec attention.
Gilbert
La professeure que vous êtes, est ce que c'est intéressant ce qu'on dit ? Parce que c'est quand même quand on est professeur que...
Hager
C'est très intéressant. Ça me fait penser...Je suis professeure de langues…
Gilbert
Un petit commentaire.
Hager
Oui, un petit commentaire par rapport au refus de télétravail, ça peut être lié à différentes choses, mais il y a quelque chose aussi d'important à souligner, c'est qu'on sait aujourd'hui que la non présence au bureau, dans le cas surtout d'entreprises non familiales, c'est une cause d'ascension moins importante dans l'entreprise en termes de promotion, de salaire. Et ça, je pense qu'il y a plusieurs personnes qui en sont conscientes. Ça peut expliquer éventuellement, mais aussi, je pense que les personnes cherchent vraiment à avoir le choix, c'est à dire à pouvoir s'épanouir, avoir ce sentiment d'appartenir. Et surtout, les plus jeunes, ils ont besoin de ce sentiment d'appartenance à une équipe qui peut être moins important quand on est à 100% en télétravail. Ça, c'était par rapport à la dernière remarque.
Gilbert
Et ce qui a été dit avant ?
Hager
Pardon, juste parce qu'on parle d'égalité femmes hommes, justement, quand on parle de flexibilité et télétravail, systématiquement, on pense aux femmes. Pourquoi aussi ? Parce que dans l'imaginaire collectif, on persiste à penser que la place des femmes est surtout auprès de leurs enfants pour s'occuper des tâches familiales et donc leur donner plus de flexibilité, ça leur donnera la possibilité de participer à l'activité économique, ce qui est quelque part sympa, mais j'ai envie de dire, on ne leur facilite pas...
Gilbert
Vous nous dites qu'on remet la femme à la maison. C'est ce que vous nous dites. Il y a un risque. Les femmes à la maison, double job. C'est ce que vous nous dites en creux. C'est vrai qu'on mesure pas toujours. Une bonne idée peut parfois cacher un risque ou ou un effet caché ou indésirable. C'est vrai que la charge mentale est peut être décuplée quand on est à la maison, y compris quand on gère un COMEX ou une réunion commerciale ou whatever. Louis, quand on prépare... Vous êtes, j'allais dire, au cœur de cette problématique. Quand on parle de charge mentale, on parle beaucoup des enfants. Quand on parle de flexibilité, on parle aussi des enfants, parce qu'on dit effectivement s'organiser, mais s'organiser autour de sa vie familiale. Vous, vous vous rappelez toujours... D'abord, est ce que c'est un sujet dont les entreprises se servent pour rééquilibrer cet équilibre vie perso, vie pro, les crèches d'entreprises, notamment ?
Louis
Oui, jamais assez, bien sûr, mais oui. Je voudrais juste revenir sur la notion d'équilibre. Il y a un côté un peu statique. Quand on définit un cadre pour un équilibre, les entreprises, c'est des objets, des artefacts qui sont dynamiques. Et nous, ce que nos clients nous disent, nos clients, c'est des DRH, des directeurs généraux, directrices générales, ce sont qu'ils ont besoin et que les collaborateurs attendent des moments pour pouvoir adapter les éléments constituants de cet équilibre là. Penser que le cadre qui a convenu pendant le Covid, la première vague, pendant la deuxième puisse être perduré, les circonstances n'étaient pas les mêmes, les entreprises n'ont pas les mêmes besoins. Il faut aussi assumer en tant qu'entreprise d'avoir des besoins qui évoluent et les collaborateurs n'ont pas les mêmes besoins au même moment. Donc, la notion d'équilibre, je préfère une notion d'équilibre dynamique, probablement. Ce que nous disent nos clients par ailleurs, c'est qu' au delà du sujet logistique, c'est que les familles ont laissé rentrer leurs employeurs chez elles dans le cas du Covid, à la fois parce que le poste de travail est devenu partie intégrante du foyer et que dans un contexte de désengagement un peu politique, elles attendent leurs employeurs à un soutien sur des sujets qui ne sont pas que logistiques.
Dans les crèches, on a de plus en plus de demandes sur... C'est une solution logistique qui permet le retour à l'emploi des femmes après un congé maternité, le non recours à des congés parentaux non voulus, parce qu'il y a une solution de garde, mais on est parents quand on est salarié avec des jeunes enfants et on attend aussi des solutions éducatives. Il y a une grosse attente.
Gilbert
Le soutien éducatif aussi. La flexibilité, c'est le choix éducatif. Les entreprises, vous dites, elles sont rentrées dans l'entreprise, elles sont rentrées aussi sur des thématiques comme celle là ?
Louis
Les salariés attendent que leurs employeurs soient à force de proposition sur les choix éducatifs, pas uniquement sur l'angle mode de guerre des solutions logistiques.
Gilbert
Ça, c'est nouveau ou c'est quelque chose qui prend de la puissance ici ?
Louis
C'est quelque chose qu'on avait un peu oublié parce que dans les entreprises de crèche, le sujet, c'est l'enfant, mais le modèle économique, il tient parce qu'il y a des employeurs qui ont recours aux crèches d'entreprises. Initialement, la proposition était : “vous aurez des salariés performants parce que sereins logistiquement”. Au fur et à mesure...
Gilbert
La crèche est ouverte jusqu'à 22 h00, vous pourrez bosser jusqu'à 22 h00.
Louis
Exactement. En oubliant parfois un peu que nous, on a 4 000 collaborateurs, plutôt trice en France, 3 800 dans les crèches. Elle, elle se lève le matin pour l'enfant, pas pour la performance des salariés qu'elle voit comme des parents.
Gilbert
Vous disiez quelque chose de très, très, mais très juste à chaque fois que je le disais, on soulève un lièvre. La flexibilité professionnelle, ce n'est pas la flexibilité de l'enfant.
Louis
C'est vrai que c'est une des grosses attentes des familles. Elle demande de la flexibilité, donc le télétravail, l'hybridation du travail. Vous pouvez avoir besoin d'une crèche près de chez vous, près de votre siège social, le cas échéant, près du siège social du conjoint ou de la conjointe, pour ne pas que la charge de la logistique de la crèche ne soit que dévolue à la mère. C'est souvent l'entreprise par la mère, souvent, que les réservations se font. Donc 90 % des demandes sur le web de place de crèche émanent d'adresses féminines. Il y a culturellement encore un travail à faire sur la charge mentale de manière beaucoup plus large.
Gilbert
Sara voulait ajouter quelque chose sur ce thème. Comment ça se passe dans votre organisation ? 450 collaborateurs, c'est ça, chez Omicell France, mon souvenir.
Sara
J'aimerais beaucoup qu'on soit 450 en France. On est 450 en Europe.
Gilbert
En Europe, pardonnez.
Sara
On est 80 aujourd'hui en France, mais on augmente chaque année.
Gilbert
Comment ça se passe ? Juste concrètement, ça veut dire quoi quand on met en place un accord, quand on met en place cet équilibre, quand on l'impose à tout le monde...On le propose à tout le monde ?
Sara
On le propose à tout le monde. Après, encore, chacun est libre de faire ce qu'il veut, mais comme on le disait, c'était un travail d'abord d'écoute de nos employés, de discussion avec le comité d'entreprise pour savoir quelles sont les différentes choses qu'on pouvait mettre en place. La première chose qu'on a mis en place, vous avez dit que le poste de travail est maintenant au cœur du foyer. Déjà, premièrement, c'est s'assurer que tous nos collaborateurs ont un bon poste de travail. Évidemment, l'entreprise donne une dotation par mois à chaque employé, mais en plus de ça, on a équipé tout le monde de doubles écrans, de chaises ergonomiques, etc, en espérant que chacun puisse avoir une place dédiée dans son appartement ou dans sa maison. On se rend compte aussi que, je parlais tout à l'heure, d'avoir des gens en télétravail plutôt en province et pas forcément à Paris, où les maisons sont plus grandes, où c'est plus facile souvent d'avoir ce genre de choses. Mais en plus de ça, pour en revenir à ce qu'on disait juste avant, on a mis en place une charte du bon usage du numérique, avec un certain nombre de recommandations.
Gilbert
Ce n'est pas que numérique, quand même, quand on parle de vie pro / vie perso. Je suis d'accord avec vous, Sara, et je ne vous contredis pas, en tout cas en public.
Sara
Bien sûr que non.
Gilbert
C'est vrai que ce n'est pas simplement dire « On n'écrit pas entre 10h00 et 5h00 du matin », mais c'est aussi autre chose. Ça change profondément … Je parlais d'organisation avec Marie tout à l'heure, mais ça change profondément la perception qu'on a de l'organisation et du travail aussi.
Sara
Tout à fait. Nous, on a quand même un certain nombre de nos employés qui sont sur la route. On a des vendeurs, on a des techniciens, etc. Le télétravail était déjà implémenté en amont. C'est sûr que la crise sanitaire a mis d'autres choses en place. Maintenant, il a fallu aussi qu'on s'adapte des choses... Par exemple, je pense que tous les employés connaissent mes enfants, parce que a 18 h00...
Gilbert
Parce que...
Sara
Quand ils rentrent à la maison, ils viennent dire bonjour à leur mère. C'est toléré, chose qui ne l'aurait probablement pas été il y a quelques années. Je connais aussi les enfants de la plupart de mes collaborateurs comme ça, on dit bonjour, etc. Ils participent d'une façon ou d'une autre à certaines réunions. Il y a ça, mais il y a aussi...
Gilbert
Je crois qu'on parle de bienveillance, d'écoute, de bienveillance, compréhension. Je crois que le collaborateur, c'est toute sa diversité. C'est ça que ça peut...
Sara
Malheureusement, c'est vrai que ça efface un peu les frontières dont on parlait tout à l'heure. Je ne suis pas sûre que ce soit bien...
Gilbert
C'est encore vous le boss, comme vous nous le parlez.
Sara
Peut être que le fait qu'ils voient que mes enfants sont tolérés à l'écran, etc. Après, il y a aussi la question de la caméra. Est ce qu'on oblige à mettre la caméra ou pas ?
Gilbert
Marie me regarde. Je crois qu'elle a envie de commenter tout ce qui est dit, évidemment, parce que quand on met en place, moi, j'aimerais... Banque Palatine, c'est un peu plus de monde. Le ruissellement par le management est essentiel. Je crois que l'organisation et comment ça se passe concrètement, c'est important de mesurer cette dimension.
Marie
J'écoutais attentivement ce que disait Sara parce qu'effectivement, cette notion de bienveillance, elle est importante. Moi, je parle de management du care, mais c'est un peu ça quand même. C'est vrai que très vite, on a accompagné nos managers et nos collaborateurs à comment fonctionner en télétravail, quels étaient les bons codes pour justement éviter de tomber dans ces travers de l'hyperconnexion, du distanciel où plus personne ne se connaît, plus personne n'a envie de travailler ensemble. C'est vrai que le management, on les a formés au management à distance, on les a formés à l'intelligence émotionnelle, parce qu'on ne ressent pas les mêmes choses quand on est à distance que quand on est en présentiel. Les signaux faibles, on les voit beaucoup moins à distance que quand on est en présentiel. Et puis, on a fait aussi des formations de manager leader, leader coach, pour prendre le temps d'accompagner ses collaborateurs, d'être dans l'écoute. Et tout ça, bien sûr, au service de l'efficacité, parce que la bienveillance doit aussi s'accompagner d'efficacité.
Gilbert
De toute façon, je pense que l'équilibre vie pro/ vie perso, indépendamment du télétravail, s'il n'y a pas de bienveillance, ça ne marche pas non plus.
Marie
Ça ne fonctionne pas.
Gilbert
C'est mort à la base. Moi, je vous le dis de toute façon, le care. Dalyla, même question. Vous vous retrouvez dans tout ce qui est dit, déjà ?
Dalila
Je me retrouve complètement dans ce qui est dit.
Gilbert
Justement, l'organisation, parce que c'est important. Chaque entreprise est différente, chaque organisation est différente. Comment vous vous êtes descendues au niveau le plus intime de chaque collaborateur pour organiser cela ?
Dalila
Justement, c'est là où on s'appuie sur les managers. L'entreprise définit un cadre. On se disait deux jours de télétravail maximum, mais il y a des services ou des bureaux où on a deux ou trois personnes pour lesquels ça devient vite invivable. Donc, il y a un cadre et il y a après l'intelligence du groupe qui décide de la manière dont s'applique le cadre.
Gilbert
Vous parlez d'intelligence, je crois que le nœud du problème est là. Ça peut être deux jours, ça peut être trois jours, c'est évidemment à la main du manager et du service concerné.
Dalila
Voilà, la clé, c'est d'arriver à quand même ne pas laisser s'installer autant de situations que de managers ou autant de situations que de collaborateurs, parce que notre responsabilité, c'est quand même de vérifier que tout ça est équitable, qu'on n'a pas des managers qui, justement, prennent certaines décisions et que d'autres sont plus fermes sur le même type de décision. Je reviens sur l'idée que l'entreprise doit quand même tracer la voie et laisser une part de flexibilité, mais qui est quand même encadrée pour éviter de retomber sur d'autres justement...travers
Gilbert
Juste avant de vous passer la parole, oui, il n'y a pas eu de dégâts collatéraux quand vous avez travaillé sur l'équilibre perso/vie pro. Ça a au contraire, a magnifié l'entreprise, l'activité ?
Sara
En tout cas, on a vu... Je vous parlais des enquêtes tout à l'heure, on a vu ce côté là monter. Je pense.
Gilbert
Que c'est un plus.
Sara
C'est un plus.
Gilbert
Marie, même.
Marie
On écoute ce que les collaborateurs nous disent et on essaye de s'adapter.
Gilbert
C'est que je veux dire, en termes de performance, il n'y a pas eu de...
Marie
Non, du tout.
Gilbert
L'info était toujours de qualité à l'AFP après la COVID. Toujours on board sur l'information. Encore un mot, Dalila, ou...
Dalila
Oui un mot peut être pour dire que justement, il y a deux volets. Il y a le volet prévention et il y a le volet « Comment on utilise le travail à distance pour motiver ? » Le volet prévention, il est clé pour justement tous les risques qu'on peut associer autour du travail à distance, la perte des frontières vie personnelle, vie pro. L'entreprise doit s'organiser pour pouvoir détecter les signaux faibles à distance, mais il y a des solutions qui existent et surtout offrir des outils aux collaborateurs, justement, de prévention des risques psychosociaux. L'AFP, notamment pendant la crise, a déployé un programme qui concerne tous ses collaborateurs. N'importe quel collaborateur de l'AFP, dans n'importe quelle langue peut avoir accès à un psychologue, parce qu'on a traversé tous des périodes extrêmement difficiles et on a beau mettre tous les systèmes de prévention possibles, il y a des collaborateurs qui, à un moment donné, se retrouvent en situation d'avoir besoin. Ça, c'est le volet prévention. Il y a le volet « Comment utiliser le travail à distance comme outil de motivation ? » ou en tout cas pour coller parfois à des situations que traverse le collaborateur. Là, dans le nouvel accord de l'AFP, on a prévu des dispositifs pour du télétravail quand.. a un stade avancé de la grossesse, quand on est parent d'enfant en situation de handicap, quand on a ponctuellement des problèmes pour se déplacer, quand on va en accompagnement de la période de pré retraite aussi, l'année avant la retraite, pour pouvoir...
Gilbert
Décrocher doucement.
Décrocher en douceur. Ça, ça veut dire qu'on réévalue à la hausse par rapport au cadre des deux jours. On peut aller plus loin sur des périodes données pour accompagner un collaborateur.
Gilbert
Je le dis à Marie en commentaire, je vous voyais.
Marie
Non, je suis tout à fait d'accord avec ce qui est dit. C'est vrai qu'il faut accompagner. Moi, je vois, on a mis en place les formations, concilier la vie professionnelle et la vie privée. C'était essentiel. Au départ, les collaborateurs nous regardent avec des gros yeux, mais c'était essentiel pour vraiment ne pas tomber dans les travers du télétravail. Et puis, tout l'accompagnement qui est fait sur le télétravail en fonction des situations, là aussi, elle est essentielle. On a... Je dis toujours dans l'entreprise, c'est la symétrie des attentions. On met vraiment des choses sur mesure pour nos clients. Il faut qu'on puisse les mettre sur mesure pour nos collaborateurs également.
Gilbert
Louis nous fera un commentaire juste après à Hager. Est ce que vous êtes toujours là ?
Hager
Oui, toujours.
Gilbert
Comment ça fait d'ailleurs de faire une conférence à distance ? Je n'ai jamais posé, j'en ai fait plein d'ailleurs, mais c'est la première fois que je pose la question. Est ce que vous vous sentez avec nous ?
Hager
Je me sens totalement avec vous. J'écoute. Peut être que vous, vous me voyez moins forcément, mais en toute sincérité, j'aurais préféré être avec vous, mais ça se passe très bien.
Gilbert
Un petit commentaire vu d' en haut, si je puis dire, puisque vous êtes un peu éloignée de nous et vous pouvez peut être un peu prendre du recul sur ce qui a été dit ?
Hager
Moi, ce que j'entends évidemment, c'est qu'aujourd'hui, on en parle beaucoup plus et ça fait vraiment plaisir d'écouter toutes ces entreprises qui défendent l'équilibre vie pro, vie perso. Je pense qu' aujourd'hui, c'est plus que nécessaire, mais juste garder en tête que ce n'est pas uniquement un sujet de femmes. Aujourd'hui, c'est un sujet de femmes et d'hommes si on veut vraiment aller vers plus d'égalité, mais pas seulement pour avoir vraiment une marque employeur qui attire les plus jeunes. Parce que ce qu'on voit, c'est que les plus jeunes générations qui arrivent sur le marché du travail et qui y sont même aujourd'hui, sont beaucoup plus sensibles à cette question d'équilibre. Parce que je pense qu'ils ont vu leurs parents passer un temps monstrueux dans leurs entreprises.
Gilbert
Ils ont vu leur papa passer un temps un peu fabuleux avec...
Marie
Leur maman aussi. Leur maman aussi.
Gilbert
Je dis ça, c'est parce que je reviens sur les stéréotypes, au contraire. C'est marrant, mais on peut rien dire, décidément. Hager finissez...
Hager
Oui. Donc, en fait, on le voit à travers les différentes études que nous mêmes on fait avec nos jeunes générations qui sont très sensibles à ces sujets. Et donc, les entreprises aujourd'hui, voilà, doivent se saisir de ce sujet et vraiment, ça fait plaisir de voir toutes celles, notamment celles qui sont aujourd'hui représentées sur le plateau, le faire. Je veux justement lutter contre ces stéréotypes de dire le télétravail et la flexibilité, c'est pour permettre aux femmes d'accéder à des postes, d'accéder au travail. C'est vraiment aujourd'hui de plus en plus un besoin qui s'exprime dans toutes les sphères. Tout à l'heure, quand je vais présenter l'étude sur le congé paternité on va forcément l'évoquer puisque le congé paternité aujourd'hui, il est totalement inégal par rapport au congé maternité. Et donc le risque de parentalité pèse toujours encore sur les femmes et aussi la répartition des tâches est encore inégale. Bien sûr, il y a un sujet social de toute la société, le législateur, mais il y a aussi des attentes vraiment très importantes vis à vis des entreprises.
Gilbert
Merci pour ce commentaire toujours intelligent. Merci beaucoup, Hager. C'est vraiment passionnant. L'étude, je vous recommande de l'écouter parce que vraiment, il y aura des chiffres passionnants à écouter. Louis, je ne vous ai pas oublié. Vous avez vu que si j'oublie quelqu'un ou si je dis quelque chose de travers, je me fais sermonner dans la seconde. Vous revendiquez le fait de dire « Il faut être aligné avec ses valeurs et sincère dans sa communication, continuellement entreprise. » Si on ne peut pas, si on a du mal à mettre du télétravail, il faut l'assumer, il faut l'expliquer et convaincre le cas échéant ses collaborateurs avec une vraie stratégie, une vraie vision.
Louis
De toute façon, on n'a pas le choix. Vu les difficultés de recrutement, tout secteur, tout type de profil, le marché s'impose quelque part sur le sujet de la sincérité et de l'accord avec ce qu'on est et ce qu'on dit. Je veux juste faire une remarque sur ce que nous remontent nos clients sur les sujets de télétravail. Nous, on l'a vu aussi en interne, on a 90% de nos salariés qui ne peuvent pas télétravailler puisque dans les crèches, c'est un travail... Pour que tout le monde puisse télétravailler ou puisse avoir une flexibilité plus forte, il faut que d'autres, essentiellement des femmes, acceptent des formes de travail qui sont plus ouvrières, puisqu'on est sur du travail posté avec des horaires, avec un emplacement physique. On a eu beaucoup de clients qui sont dans la même situation, qui ont à gérer des populations mixtes et qui voient maintenant, notamment par les partenaires sociaux, remonter une forme d'attente que les salariés qui n'ont pas été concernés depuis deux ans par cette hybridation du travail, fassent aussi l'objet d'attention et que ce n'est pas parce qu'on n'est pas télétravaillable que le top management, les équipes RH, la direction ne doit pas considérer l'évolution du travail par ailleurs.
Ça, c'est beaucoup remonter des échanges avec nos clients, les entreprises de transport, les entreprises de production sont très vigilantes au fait que les salariés et les cols bleus, ceux qui ne peuvent pas télétravailler, ne soient pas exclus des politiques RH et de l'accompagnement managérial qui est fait.
Gilbert
Que ce soit les jobs postés, c'est compliqué... Vous voulez dire un mot, Sara ?
Sara
Je voulais juste revenir. Je pense effectivement qu'on n'y pense pas suffisamment. Nous, on a quand même beaucoup de notre force vive qui est sur le terrain, à la fois des vendeurs, mais aussi des ingénieurs de terrain, de service, qui vont de client en client. Une chose qu'on a mis en place pour ça, c'est qu'une fois par trimestre, l'entreprise décide d'un “recharge day”, qui est un jour donné à l'entièreté de la population, qu'on donne peu à l'avance, on ne donne pas de visibilité sur quand est ce que va être ce jour pour que toute l'organisation soit off ce jour là.
Gilbert
Recharge, ça veut dire on recharge ?
Sara
On recharge ses batteries.
Gilbert
On recharge ses batteries.
Sara
On recharge ses batteries. Ce n'est pas donné suffisamment à l'avance pour qu'on ait pas le temps d'organiser un week end, etc. C'est vraiment un jour pour soi.
Gilbert
Quand vous sentez que la coupe est pleine, vous dites « C'est le recharge day... »...
Sara
Je pense que c'est assez bienvenu, justement, par ces populations qui, effectivement, n'ont pas vécu cette hybridation du travail et du travail à distance.
Gilbert
Un dernier point que j'aimerais aborder, même si on l'a abordé, on l'a survolé tout à l'heure, c'est les nouvelles générations et l'enjeu d'attractivité quand on parle équilibre. Louis me disait quand on préparait les jeunes, les crèches, mais en même temps cet équilibre en creux, ça répond aux angoisses des futurs parents. C'est vrai que les jeunes, quand ils arrivent, ils se positionnent déjà comme futurs parents. Est ce que je pourrais m'investir dans un projet de long terme ?
Louis
Oui. Ça a été mentionné, le fait d'être exemplaire et d'avoir des actes très concrets, très réels, qu'on comprend pour...ça a été dit à la table ronde précédente. On a des rôles modèles. C'est quoi les modèles organisationnels auxquels on croit quand on vient candidater à une entreprise ? La crèche, c'est quelque chose de très concret. On y a été soi même, parfois. On a des gens autour de nous qui ont des enfants, on en voit dans la rue. C'est quelque chose de réel et il y a malheureusement un déficit tel qu'on sait, notamment dans les grandes villes, que c'est, avant même d'être parents, la première source de stress des futures familles. Donc, en tant qu'employeur...
Gilbert
Je confirme.
Louis
En tant qu'employeur, c'est un élément... Évidemment, je ne prêche pas ma paroisse, mais intégrer les sujets de parentalité, c'est accepter le fait que les salariés viennent aussi comme citoyens, ils viennent aussi comme individus sociaux. Ils ne sont pas uniquement avec un CV et des compétences, ils viennent comme ils sont, pour reprendre une expression célèbre. C'est à nous, en tant qu'employeur, de les accueillir comme tels.
Gilbert
Dalila, ces nouvelles générations, il faut en renouveler, les journalistes. Vous allez me dire, il n'y a pas que des journalistes, j'ai bien compris, pardonnez moi, mais après, je prends ma paroisse. Ces nouvelles générations attendent de vous quelque chose et c'est aussi un enjeu d'attractivité. Je crois qu'on a des entretiens parfois... J'ai recruté souvent des journalistes, ils ont des exigences, ils attendent. C'est quoi votre plan de formation ? Ça, c'est quasiment assez normal, mais aussi plein d'autres atouts que l'entreprise a et que vous devez évidemment équiper.
Dalila
Absolument. Ce qui est important, c'est quand on est journaliste, puisque vous parlez des journalistes, travailler à l'AFP, en soi, c'est une énorme attractivité, mais ce n'est pas pour ça que l'entreprise ne doit pas arranger le reste. Et notamment sur la parentalité, nous, c'est un sujet qui nous tient énormément à cœur. Le nombre de crèches qu'on cofinance avec le CSE a augmenté. On est à peu près à 1 %. Je ne sais pas si c'est un bon ratio de notre effectif.
Gilbert
Vous vous mettez à risque, vous prenez un risque. Dites oui !
Louis
C'est bien 1 %.
Dalila
On était en dessous en tout cas il y a quelques années. Donc oui, il y a le financement des places de crèche.
Gilbert
On sent la financière chez vous. Vous êtes pointues sur les chiffres, à l'euro près.
Dalila
Absolument. Mais malgré tout, même si on regarde nos comptes de près, par exemple, sur le congé paternité, accueil de l'enfant, puisque Hager a en parlé justement, l'AFP finance la totalité. En tout cas, tout ce que la Sécurité sociale, les 25 jours, en fait, que l’AFP a pris la décision de financer sans... Enfin, la totalité du maintien de la rémunération.
Gilbert
Vous allez voir, c'est une Hager. Vous êtes apparus à l'écran à ce moment là, comme s'il y avait un appel divin, c'est à dire que vous avez traité ce sujet là. Vous avez démontré notamment que les Français demandent à ce qu'il soit allongé ce congé... Comment on dit ? Paternité ?
Dalila
Le congé paternité
Hager
Effectivement, l'étude que nous avons menée montre qu'aujourd'hui, le problème d'indemnisation est un problème qui se pose pour les pères en particulier. C'est une excellente réponse de la part de l'AFP.
Gilbert
Vous mettez combien sur 20 alors ?
Hager
Je donne 20 sur 20.
Gilbert
D'accord, voilà.
Dalila
Merci.
Hager
Parce que mon voisin n'a pas rebondi sur le 1%.
Gilbert
1%, ça vaut 20, donc ça aurait été 2%...
Hager
Encore mieux.
Gilbert
Hager, je suis désolé parce qu'on donne beaucoup de chiffres que vous allez déjà donner tout à l'heure. Je vous ai pas dévoilé les éléments qu'on doit donner en exclusivité tout à l'heure, mais évidemment, ça éclaire notre débat, vous imaginez. J'ai compris. Il nous reste trois minutes. Vous savez, il y a des panneaux comme dans les matchs de boxe qui passent et qui circulent. C'est un garçon qui me présente le panneau et non pas, comme dans les matchs de boxe, quelqu'un d'autre. Marie, un dernier mot aussi sur cet enjeu d'attractivité.
Marie
Oui. C'est vrai qu'on on est confronté au travail hybride, on est confronté à des talents exigeants. Comment on arrive avec tout ça...
Gilbert
Est ce que parfois, ça vous agace un peu ? Parce que parfois, on me raconte des entretiens avec des jeunes générations qui sont très exigeants, qui font la liste des atouts de ce qu'ils attendent, des avantages.
Marie
Non, ça ne m'agace pas. Je me dis que finalement, si demain, dans le monde de l'entreprise, ils sont aussi exigeants sur les tâches qu'on leur confie ou avec les clients, c'est gagné.
Gilbert
Vous y voyez comme une exigence par rapport à leurs futurs jobs. Sarah, également un mot ?
Sara
Oui, je pense que sur cette attractivité, on n'a pas beaucoup parlé de culture d'entreprise, mais c'est vraiment des questions qui ressortent énormément. Dans quelle culture est ce que ces jeunes se voient évoluer ? Je pense qu'on a parlé pas mal d'authenticité, de dirigeants qui disent ce qu'ils pensent et qui pensent ce qu'ils disent. Et ça, c'est très, très important. Et je pense qu'effectivement, si des leaders comme ceux ici aujourd'hui et d'autres peuvent montrer justement qu' on est ouvert au sujet et engagé vers un nouveau monde dans le télétravail, une nouvelle hybridation du travail, mais surtout, pour en revenir à cette flexibilité et cet équilibre, j'ai bien compris que ce n'est pas tout à fait la même chose, vie pro et vie perso, ça doit être ancré dans la culture de l'entreprise. C'est ça qui est très important.
Gilbert
Merci beaucoup. C'était passionnant encore. Quelle densité des échanges aujourd'hui à ces assises de la parité. C'est un vrai plaisir. On va aller encore un peu au delà avec une chercheuse qui a piloté une étude à la EDHEC Business School. Est ce que vous êtes là, Hager ?
Hager
Oui, je suis là et je suis ravie de partager les résultats.
Gilbert
Chère Hager, je vous laisse la scène, si je puis dire. C'est à vous maintenant, pendant 15 minutes, vous allez nous présenter. Vous pouvez rappeler le titre de l'étude, simplement pour que nos auditeurs puissent savoir de quoi on va parler ?
Hager
Oui, on va parler du congé paternité et d'accueil de l'enfant, le recours, les représentations et les attentes qui y sont associées.
Gilbert
Merci Hager, très bonne journée. Merci à tous et à très bientôt. On se retrouve encore dans l'après midi pour plein d'échanges. À très bientôt.
Hager
À très bientôt.
La directrice de la Chaire Diversité & Inclusion, Hager Jemel-Fornetty, est intervenue dans le cadre des Assises de la Parité 2022 dans une table ronde portant sur les nouveaux codes du travail et l'équilibre vie pro-vie perso.
[Musique]
2èmes Assises du Mentorat, VERS UN DROIT AU MENTORAT
Assises du Mentorat 2022 | Être mentor, un engagement révélateur des compétences du 21ème siècle
Isabelle Giordano
Être Mentor, un engagement révélateur des compétences du 21ème siècle. C'est en effet le sujet de la table ronde que nous allons animer maintenant.
[Musique]
Voilà, les questions continuent d'arriver. On pourra les poser à mes prochains invités. C'est interactif, vous qui nous regardez, je le rappelle, si vous prenez l'antenne ou si vous êtes branchés, inscrits à l'instant même. Nous sommes au cœur même, le cœur vivant de ces deuxièmes assises du Mentorat où l'on réfléchit, on débat, on compare. On essaye aussi de s'interroger sur comment s'améliorer, comment faire progresser la cause du mentorat, faire en sorte que d'une grande cause nationale, elle devienne une grande cause internationale et européenne. Voici mes trois invités. Jean-Marc Merriaux, vous êtes inspecteur général de l'éducation...
Jean-Marc Merriaux
Bonjour.
Isabelle
Sport et jeunesse aussi, bien sûr. Et surtout, vous êtes un spécialiste des compétences du 21ème siècle. Vous allez nous expliquer ce que c'est que les compétences du 21ème siècle. Karima Sherifi, bonjour.
Karima Cherifi
Bonjour.
Isabelle
Vous êtes la DRH de Nexans et vous êtes une ancienne mentorée de Nos quartiers du talent. Je ne sais pas si vous l'avez mis sur votre CV, ça ?
Karima
Bien sûr.
Isabelle
Oui ? Vous allez nous dire si c'est... Est ce que c'est utile ou pas ? On va le savoir dans un instant. Hager Jemel, bonjour. J'ai bien prononcé votre prénom ?
Hager Jemel
Tout à fait.
Isabelle
Ça va ?
Hager
Merci.
Isabelle
Vous êtes professeure en management et directrice du Centre EDHEC Open Leadership. Donc vous aussi, votre porte parole aussi du monde enseignant et vous parlez aussi au nom de l'université. On l'a fait un peu tout à l'heure, mais on va progresser dans l'idée de comment ça se travaille, ce lien entre les jeunes, les mentors et les enseignants. Avec vous, peut être, on démarre sur les compétences du 21ème siècle, une définition? Il y a des compétences spécifiques à notre époque ?
Jean-Marc
Communément, on résume ça autour des quatre C. D'accord ? Savoir communiquer, savoir collaborer, savoir créer ou en tout cas, développer sa créativité et savoir aussi développer son esprit critique.
Isabelle
Tout ça, ça ne s'apprend pas à l'école, à l'université ?
Ça, c'est l'école de la vie, vous me décrivez.
Jean-Marc
C'est l'école de la vie, sauf que si vous êtes amené à boire... C'est des soft skills. Voilà, c'est des soft skills. À côté de ça, on peut aussi rajouter des compétences socio comportementales, la confiance en soi, la résolution de problèmes complexes, un certain nombre d'autres compétences.
Isabelle
Ce n'est pas seulement lire et écrire, compter ?
Jean-Marc
Non, mais par exemple, le ministre insiste beaucoup sur le respect d'autrui, qui fait aussi partie de cet enjeu autour des compétences du 21ème siècle, parce que l'enjeu, c'est qu'il faut que chaque élève et chaque étudiant et chaque citoyen soient en capacité de pouvoir être à même de développer ces compétences pour s'adapter à un monde totalement en mouvement.
Isabelle
Si je peux me permettre, parce qu'on a l'air de sourire, mais on est quand même au cœur de vraies problématiques, ce sont aussi des compétences qu'on peut acquérir dans l'entreprise. J'ai entendu, pas plus tard qu'hier, dans un débat extrêmement intéressant sur la télévision publique, à la suite d'un très beau documentaire sur Les Noirs en France, un gros sujet quand même très important sur les discriminations, que l'entreprise pouvait être aussi un lieu d'apprentissage de la citoyenneté. Et les quatre C dont vous parlez peuvent être aussi apprises dans un lieu comme l'entreprise. Pas seulement, bien sûr, mais l'entreprise peut à son rôle à jouer.
Jean-Marc
Je pense que l'entreprise est là aussi pour venir renforcer ses compétences, c'est à dire c'est un cheminement et ces compétences là, elles peuvent être tout au long de la vie amenées à s'enrichir. Et donc l'enjeu, c'est que l'entreprise doit aussi offrir un cadre pour faire que ses compétences puissent s'enrichir tout au long de sa carrière. C'est ce continuum là qu'il faut créer.
Isabelle
C'est très intéressant. Dans la scolarité, jusqu'au monde professionnel.
Jean-Marc
Et surtout, qu'on identifie ses compétences.
Isabelle
On les redit, créer, collaborer.
Jean-Marc
Communiquer, développer son esprit critique.
Isabelle
Et développer son esprit critique. Et très sérieusement, vous pensez vraiment que ces quatre qualités, elles sont valorisées aujourd'hui dans l'entreprise et également à l'école ou à l'université ?
Jean-Marc
Elles ne sont pas suffisamment valorisées, mais vous reprenez un exemple. Vous étiez dans un débat hier.
Isabelle
J'étais derrière ma télé. Je n'étais pas dans le débat. Mais c'était très intéressant.
Jean-Marc
Si vous prenez par exemple l'éducation média et à l'information, vous êtes dans un champ d'intervention qui permet de développer ses compétences. Quand vous êtes amené au sein de l'école à faire de l'éducation, au média et à l'information, vous savez, par rapport à une approche purement disciplinaire, que vous êtes en capacité, là aussi de développer ses compétences. Quand vous faites un média dans un établissement, vous allez développer votre créativité parce que vous allez créer...
Isabelle
Il y a beaucoup de jeunes qui créent des journaux au ycées, par exemple.
Jean-Marc
Voilà, et des radios et.
Isabelle
Ça peut être valorisé ensuite ?
Jean-Marc
Après, l'enjeu, c'est...
Isabelle
Parcours sup, au bac ?
Jean-Marc
L'enjeu, c'est aussi de certifier ses compétences. Frédérique Alexandre- Bailly, tout à l'heure, revenait un peu sur cet enjeu d'identification et sur le programme avenir qu'elle est amenée à porter. Dans ce projet là, il y a aussi la capacité à chercher à certifier ses compétences, parce que à un moment donné, il faut qu'on comprenne qu'on a ces compétences. On a travaillé, il y a de ça depuis maintenant quatre ans, sur un outil de certification qui était plus lié aux compétences numériques qui s'appelle Pix, mais sur ce principe de certifier les compétences.
Isabelle
Très bien, Pix
Jean-Marc
Exactement, de certifier ses compétences, ça permet aussi demain de les valoriser. Parce que sans certification, beaucoup plus difficile de les valoriser et de trouver d'autres moyens d'appropriation, de certification, d'identification et en utilisant aussi, bien évidemment, les outils numériques tels qu'on en dispose aujourd'hui.
Isabelle
Karima Cherifi, à la fois en tant que DRH, vous embauchez des gens ou vous les virez, pardon, ça dépend. On va...
Karima
Parler plutôt des embauches.
Isabelle
Il vaut mieux dire que vous les embauchez, surtout en ce moment, dans la période économique qui est quand même profitable. En tant qu' ancienne mentorée, est ce que vous pourriez nous dire si ces soft skills sont valorisés ? Est ce que très sérieusement, on n'a pas encore des choses à apprendre, notamment d'autres pays ? J'ai parlé du Québec, je ne sais pas si c'est le bon exemple, mais est ce qu'on n'est pas un peu en retard en France par rapport à la reconnaissance de ses compétences ?
Karima
On est en retard, mais on est en train de s'améliorer. Moi, je le vois à Nexans dans notre politique de diversité, d'inclusion. Ce qui va être intéressant, on a fait un partenariat avec nos quartiers ont du talent. En plus, en tant qu' ancienne mentorée de nos quartiers ont du talent, l'idée, ça a été vraiment d'injecter cette question de comment capter des mentors via NQT pour réellement, par la suite, pouvoir les embaucher et les intégrer en entreprise. Ça, c'est super. Si on y arrive, ça veut dire qu'on a tout gagné. L'idée, c'était quoi ? C'est qu' on a identifié des mentors au sein de l'entreprise. L'idée d'abord, c'était d'avoir des volontaires motivés, qui ont une expérience professionnelle, une certaine expérience et qui connaissent l'entreprise. Après, l'idée, par la suite, c'est de se dire « On va les mettre en contact avec des jeunes issus des quartiers populaires, de chez NQT, entre Bac+3 et plus, et de les accompagner. »ce qui a été assez intéressant, c'est que déjà, l'effet positif sur ces mentors, sur nos cadres, au sein de Nexans, ça a été vraiment une... Ça a vraiment enclenché une motivation supplémentaire au quotidien, de se faire cette petite minute de pause en se disant « Je vais aider mon jeune et puis derrière, ça leur a ouvert l'esprit. C'est la rencontre de deux mondes. Moi, je suis très heureuse quand je vois, par exemple, qu'on a fait un programme de haut potentiel et que parmi notre programme de jeunes haut potentiel, on a des jeunes qu'on a recrutés via NQT, qu'on n'aurait peut être pas pensés. Dans notre politique, on s'est dit, on a souvent l'idée de se dire, on fait un focus sur les grandes écoles. Non. Moi, j'ai des jeunes dans notre programme haut potentiel qui viennent des QPV, qui viennent de l'université et quand on regarde le CV, on se dit « Je vais peut être pas sélectionner ce CV là en premier. » Et c'est là où on se dit « En tant que DRH, on a gagné.
Isabelle
Donc le mentorat, c'est le lien, c'est le pont. Entre deux mondes qui parfois s'ignorent, ne se connaissent pas. Et on a entendu Frédérique Granado qui s'exprimait ce matin, notamment au nom des entreprises, au nom de Sanofi, la directrice de la RSE. Elle disait qu'en fait, le mentorat, ce qui est intéressant, on ne le voit pas souvent comme ça, c'est la première porte vers la diversité dans l'entreprise.
Karima
C'est la première porte vers la diversité, exactement.
Isabelle
Et ça, on ne pense pas toujours à faire le lien quand même.
Karima
Pourtant, c'est quand même, je veux dire, c'est une manière de lutter déjà, premièrement, contre le déterminisme social. Moi, j'en suis un exemple. J'ai grandi en QPV à Villeneuve la Garenne. Je suis DRH maintenant de la France, de Nexans France. J'ai un scope de 3 000 salariés, donc on peut y arriver. L'idée, c'est quoi ? C'est de se dire on ouvre cette porte là, on est focus sur des compétences et ça permet aussi vraiment, c'est d'ouvrir la porte à l'égalité des chances, peu importe d'où on vient. On va y arriver et on est mentoré et c'est comme ça qu'on va y arriver. Vraiment, ce qui était... Quand je discute même avec les cadres qui suivent des jeunes de chez NQT, ils se disent « J'avais plein d'a priori, plein de préjugés et en fait, ça m'a permis de me remettre en question. » Et donc ça, c'est super aussi parce que pour la suite, en tant que cadre en entreprise, on se remet en question pour évoluer en termes de soft skills. On développe notre écoute active, recevoir des feedbacks, donner des feedbacks et ça, après, derrière, sur toute la capacité, je vais donner la parole à Hager, sur toute la partie leadership, gestion du changement, créativité. Et puis, pour renforcer notre politique de diversité, c'est juste super.
Isabelle
Vous en parlez très bien. C'est vrai que vous êtes trois ambassadeurs du mentorat, mais c'est vrai qu'on sent aussi le vécu. Peut être, est ce que vous avez encore le temps d'être mentor ? Vous avez des sujets jeunes que vous mentorez ?
Karima
Bien sûr, je suis deux jeune en ce moment. Je continue à le faire parce que je pense que c'est...
Isabelle
Vous avez le temps, c'est pas trop chronophage. Non, mais en fait... Ça vous prend combien de temps, concrètement ?
Karima
Moi, j'ai un point une fois par semaine avec chacun de mes jeunes d'une heure. Je trouve que ce n'est pas du travail. Ce n'est pas du travail, c'est vraiment quelque chose, c'est comme se faire sa pause. Moi, c'est vraiment quelque chose. C'est une expérience que j'adore et j'apprends tout le temps. À chaque fois que je rencontre un jeune, c'est une nouvelle expérience. Derrière, j'ai un sentiment d'accomplissement quand mon jeune a trouvé un job qui est juste incroyable.
Isabelle
Le mentor qui vous a vraiment marquée, peut être, si vous ne pouvez le citer qu'un seul, il y en a peut être eu plusieurs?
Karima
J'en ai eu plusieurs. Je peux vous en citer deux. J'ai déjà Nicole Fiorentino qui est la Head of Talent chez Crédit Agricole, qui, elle, a vraiment eu un... Elle a changé ma vie, je le dis tout le temps, parce que ça a été quelqu'un qui a eu vraiment un impact fort dans mon démarrage de carrière, qui fait que j'ai évolué très rapidement. Et puis, je dirais une autre personne, c'est un autre mentor qui était mon directeur général chez Papyrus, dans ma précédente expérience, qui m'a fait évoluer et je suis passée à mon premier poste de DRH à 28 ans grâce à lui.
Isabelle
C'est vrai qu'on ne se lasse pas d'entendre les expériences de mentors et de mentorés. Vous parlez du monde de l'entreprise. Je sais que chez Accenture, je crois qu'ils ont essayé d'instituer, justement, que chaque personne du COMEX soit mentor. Ça fait partie des choses aussi qui progressent dans l'idée aussi qu'il faudrait reconnaître tous ces acquis, tous ces atouts du mentorat. Hager, la parole est à vous. On l'a dit, vous êtes experte en management et en leadership. Comment est ce que vous faites passer cette idée que le mentorat est une bonne chose pour tout le monde, ça nous rend meilleur, dit souvent Antoine Cyr, qui lui aussi a vu grandir. On pourrait faire des portraits aussi de mentorés. Je me rappelle quand Antoine Cyr me racontait comment il a mentoré, comment il a mentoré. Frédéric Mathis, qui aujourd'hui dirige une très grosse association, qui forme aussi, il a créé une école pour ceux qui n'aiment pas l'école, avec les métiers de la transition écologique. Mais vous, comment est ce que vous faites pour enseigner tout cela ? Est ce que ça s'enseigne, le mentorat ?
Hager
Le mentorat en lui même, justement, on ne l'enseigne pas parce que sinon, on devient plutôt expert en coaching. Justement, cette position du mentorat qui relève du volontariat et qui laisse une part de soi, d'improvisation aussi, de pouvoir s'adapter à l'autre, c'est important. En revanche, ce qu'on enseigne, justement, c'est cette importance, ce qu'on a dit tout à l'heure, des quatre C, on y fait très attention aujourd'hui en tant qu'enseignant, en tant qu' école, université, et aussi cette importance de s'ouvrir à l'autre et de développer des relations avec les autres. Parce que le mentorat, ce que ça cultive, ce sont des compétences avant tout interpersonnelles qui viennent s'occuper de ce côté psychologique que vous avez évoqué, Karima. Et en fait, il y a bien sûr toutes les compétences vocationnelles en termes de carrière qui sont aussi importantes. Et il y a un lien aujourd'hui, nous, on est vraiment les porte paroles de ce lien avec la chaire que je dirige, c'est de dire vraiment, il y a un lien qui est évident avec la diversité que nous sommes plusieurs à voir, mais ce n'est pas documenté de manière importante et ça ne saute pas à l'esprit.
Vous avez déjà donné un exemple. Le premier pilier, c'est que le mentorat, c'est un tremplin qui permet à des personnes qui n'auraient pas eu accès à certains postes parce que déjà, en s'auto censurant, par exemple, ou aussi parce que devant elles, elles n'avaient pas les personnes qui pouvaient les accueillir. Il y a aussi un autre point de vue et celui là, c'est celui du mentor. Il y a des compétences et c'est ça aussi notre discours, c'est de dire les compétences acquises ne sont pas uniquement à sens unique vers la personne mentorée, mais aussi vers le mentoré. Ce côté, on ne l'a pas aussi assez dit, assez reconnu jusqu'à aujourd'hui. Un des aspects, c'est la diversité. Comment ? Parce que tout simplement, le mentorat, c'est une occasion de mettre des personnes ensemble à travailler dans une relation en plus désintéressée qui leur permet de découvrir des contextes différents, de sortir de l'entre soi, quel qu'il soit, et de ce point de vue, avoir l'occasion de changer ses perceptions, de changer ses préjugés, de casser des stéréotypes beaucoup plus efficacement que si on avait fait 30 heures, 40 heures de formation sur la diversité et l'inclusion.
Isabelle
Sortir de l'entre soi, très important, surtout en France. Une question pour tous les trois. Je l'ai posée tout à l'heure rapidement, mais est ce qu'il y a des bonnes pratiques de l'étranger dont on pourrait s'inspirer ? Que ce soit pour l'entreprise, l'université ou pour tout autre décideur ?
Jean-Marc
J'ai la chance d'avoir pris la direction générale il y a deux jours d'une grosse association qui travaille sur les établissements français à l'étranger, qui s'appelle la Mission Laïque Française et qui gère 110 établissements dans le monde. On voit bien que cette question autour des compétences est aussi un élément absolument très important par rapport au monde dans lequel, à l'international, vous êtes amené à évoluer. Et donc ça devient aussi ce qu'on pourrait appeler un élément différenciant. Je pense qu'on a une approche assez européenne. Et si on prend la question des référentiels européens autour des compétences, on a su développer un certain nombre de spécificités qui sont liées aussi à nos approches culturelles.
Isabelle
Oui, bien sûr.
Jean-Marc
Parce qu'on ne peut pas non plus déconnecter complètement de la dimension culturelle. L'enjeu, c'est vraiment aussi de se dire on a des singularités qu'on peut être amené à les confronter. On peut regarder ce qui peut se passer ailleurs. Vous pouvez vous citer le Québec, on peut citer un certain nombre d'autres pays qui ont été amenés à être en pointe.
Isabelle
Est ce qu'il y a des mesures peut être très concrètement qu'on pourrait adopter, peut être un exemple à l'étranger, que ce soit effectivement dans la reconnaissance des compétences, dans l'entreprise ou à l'université ? Est ce qu'il y a des choses que vous avez pu voir à l'étranger où on pourrait vraiment se dire « Il faudrait vraiment calquer cela sur le système français ? » Il y a des choses peut être ?
Jean-Marc
La question, ça repose aussi beaucoup quand on est sur le système éducatif. J'aborderai la question du système éducatif, je laisserais les autres intervenant sur la dimension entreprise. C'est la question de dépasser la dimension de la disciplinarité et de renforcer l'interdisciplinarité. C'est à dire que dans les autres pays et surtout dans le monde anglo saxon, nous sommes dans des approches très interdisciplinaires. La réforme du Bac, telle qu'elle a été faite justement autour des enseignements de spécialité, doit nous permettre de renforcer cet enjeu autour de l'interdisciplinarité et demain, nous permettre là aussi de renforcer à travers la discipline cette dimension aussi de penser différemment et donc de venir renforcer aussi des compétences. C'est vraiment cette interaction là et je pense que tous les modèles tels qu'ils peuvent exister ailleurs ont de ça en ça, cette capacité à s'ouvrir peut être un peu différemment. Je pense que notre modèle doit s'ouvrir aussi sur le monde beaucoup plus qu'il ne l'a fait jusqu'à maintenant. C'est un enjeu très fort pour le système éducatif français.
Isabelle
Sacré enjeu pour le XXIᵉ siècle. Les questions de ceux qui nous regardent, il y en a deux. Nathalie, quid des compétences développées par les mentorés. Vous êtes bien placée, Karima, peut être pour répondre à cette question. La question de Marie, comment mesurer l'acquis ? Je ne sais pas lequel des deux pourra répondre, mais est ce qu'il y a des mesures de l'acquis des compétences dans ce qui peuvent être développées par un mentor dans le cadre d'un mentorat ? Les compétences développées par les mentorés, peut être, vous.
Voulez les relister.
Ou en parler ?
Karima
Les compétences pour un mentoré, c'est ça ? Globalement...
Isabelle
On l'a un peu dit, l'ouverture d'esprit, ça ouvre une fenêtre.
Karima
La communication, le fait d'écouter les feedbacks, de partager les feedbacks...
Isabelle
Et la mesure ? Est ce que sur la question de la mesure des acquis, est ce que là, vous pensez qu'on peut progresser encore ? Il y a des chercheurs peut être qui travaillent là dessus ?
Hager
Oui, il y a des chercheurs qui travaillent dessus. C'est vrai, beaucoup aux États Unis, parce que le mentorat s'est beaucoup développé au départ dans des pays d'Amérique du Nord. C'est là qu'il y a eu beaucoup de recherches. Aujourd'hui, comme le mentorat se développe en Europe et en France, on voit de la recherche qui se développe, en tout cas, nous, on s'y met, il y a des ce qu'on appelle des échelles de mesure qui sont reconnues, c'est à dire un ensemble des questions qui valide des compétences, qui valident aussi des perceptions et qui sont utilisées. Nous, par exemple, dans le programme qu'on est en train de mener avec plusieurs associations du collectif Mentorat, c'est un programme qui démarre. Un des objectifs, c'est celui là, c'est à dire c'est d'arriver à administrer des questionnaires au début d'une relation mentorale, au mentor et à la personne mentorée et à la fin de la relation mentorale et de voir justement sur certaines compétences, sur certains sujets, parce qu'on parle de compétences, mais aussi l'estime de soi, la confiance en soi, la façon avec laquelle on voit le monde, avec laquelle on valorise au poids la diversité, l'empathie, etc. Ces mesures, qui sont aussi scientifiquement reconnues, on les met dans ce questionnaire et notre espoir, c'est de voir justement sur le nombre de manière quantitative, quels sont les aspects qui vont se démarquer de manière très importante chez le mentor et chez le mentoré.
Isabelle
Merci beaucoup. Merci à vous trois. J'ai l'impression que vous vouliez apporter un petit mot de conclusion, mais on va passer à la dernière table ronde. Rapidement !
Jean-Marc
Par rapport à cette question de validation des acquis, je pense qu'il faut faire attention parce que quand on parle de validation des acquis, on passe tout de suite examen et tout ce qui va avec. Il ne faut pas revenir sur ce type de dispositif pour valider les acquis. C'est pour ça qu'il faut mieux parler aussi de certaines certifications, parce que la certification vous permet de construire un chemin et parce que vous allez avoir acquis certaines compétences ou en tout cas certains niveaux de compétences. Tout au long de votre carrière, vous allez continuer à certifier ces compétences et gagner en maturité par rapport au fait de pouvoir bien identifier ces compétences. C'est tout ce travail là aussi qu'on doit faire, c'est à dire un changement de mentalité sur ce que doit être la validation de ses acquis et construire de nouvelles choses.
Isabelle
Merci en tout cas d'avoir témoigné avec beaucoup d'humanité de votre plaisir, de votre joie. J'aime beaucoup ce mot, cette joie à être mentor et à être mentorée.
LES CONFÉRENCES ORGANISÉES PAR LA CHAIRE
A l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination des violences à l'égard des femmes 2024, la chaire Diversité & Inclusion de l'EDHEC a eu l'honneur de recevoir Pierre-Guillaume Prigent, docteur en sociologie et enseignant à l'Université de Bretagne Occidentale, et dont le travail porte sur les violences basées sur le genre, les violences conjugales et le contrôle coercitif.
Marine Koch : Bonsoir, bonsoir à toutes les personnes qui sont déplacées, qui sont présentes dans la salle. Bonsoir aussi aux personnes qui nous suivent en ligne, aux nombreuses personnes qui sont connectées pour cette conférence qui est organisée par la chaire Diversité Inclusion de l'EDHEC, la chaire diversité inclusion. Pour les personnes qui ne connaissent pas. Elle a pour mission de transmettre des connaissances, créer des outils, accompagner aussi les organisations et le tout pour en fait participer à une société plus juste et inclusive. Donc tout ça, ça va prendre la forme de recherches, d'études de terrain, ça peut prendre la forme aussi d'ateliers prévention comme les ateliers de prévention sur les VSS, donc les violences sexistes et sexuelles qui sont organisées à chaque rentrée scolaire. Et ça prend aussi la forme de conférences, comme ce qu'on fait ce soir. Du coup, cette conférence, elle s'inscrit dans le contexte de la Journée internationale pour l'élimination des violences faites aux femmes. Donc, c'est la journée du 25 novembre. On est un petit peu en avance et on a choisi du coup le thème des violences conjugales. Donc à la fois à travers cet événement qu'on organise ce soir, mais également à travers un autre évènement qui aura lieu jeudi, qui est lui proposé seulement pour les étudiants et les étudiantes de l'EDHEC. Donc vous avez là, vous allez avoir un QRcode qui va s'afficher, qui est juste ici. Merci beaucoup. Si jamais il y a des personnes dans la salle qui pourraient être intéressés pour assister à cet atelier là. Donc encore une fois, c'est pour les étudiants et étudiantes et c'est un atelier de sensibilisation sur les violences conjugales pour mieux comprendre en fait le phénomène qui va un peu aller pratique à la théorie que vous allez voir ce soir. Donc pourquoi cette thématique des violences conjugales ? Donc pour cette journée du 25 novembre, en fait, c'est un sujet dont on parle de plus en plus, notamment depuis le confinement avec la crise sanitaire de 2020, 2021 où on a beaucoup de personnes qui se sont retrouvées contraintes à être dans un foyer parfois violent. En fait. Mais malgré le fait qu'on en parle de plus en plus, malgré le fait que ce sujet est de plus en plus présent à la fois dans l'espace public comme dans l'espace médiatique. Mine de rien, c'est encore un sujet qui fait l'objet de nombreux stéréotypes et donc c'est pour cette raison qu'on propose un peu d'attaquer sur ces thématiques là. Et du coup, la thématique dont on va parler ce soir, c'est encore plus un angle mort puisqu'on va parler des violences post-séparation. Parce que oui, les violences ne s’arrêtent pas toujours, après la rupture. Et donc on a l'honneur d'accueillir ce soir donc Pierre-Guillaume Prigent pour nous parler de ce sujet. Donc Pierre Guillaume Prigent, est docteur en sociologie. Il est enseignant à l'Université de Bretagne Occidentale et aussi dans le diplôme inter-universitaire d'études sur le genre avec Rennes 2. Ses recherches portent sur les violences basées sur le genre et plus particulièrement les violences conjugales et le contrôle coercitif. Alors pas de panique, il va nous expliquer ce que c'est que le contrôle coercitif. Donc, dans sa thèse de doctorat intitulé Les stratégies des pères violents en contexte de séparation parentale, contrôle coercitif, complicité institutionnelle et résistance des femmes. Soutenue en 2021, il analyse les stratégies utilisées par les hommes violents et les réponses institutionnelles à partir d'entretiens avec des mères séparées, victimes de violence. Et donc, il va pouvoir nous parler de ses recherches ce soir. Alors avant d'écouter Monsieur Prigent, je vais, si vous voulez bien, donner rapidement la parole à Magalie Vigier, qui est déléguée aux droits des femmes et à l'égalité femmes hommes du Nord et qui était aussi une ancienne membre de la chaire Diversité inclusion et du coup qui a bien voulu, s'est proposée pour dire quelques mots sur l'état des violences conjugales en en France et dans le Nord. Donc je vous laisse accueillir Magalie Vigier. Merci.
Magalie Vigier : Bonjour à tous et toutes, Je suis vraiment ravie d'être là ce soir avec vous. Alors j'ai beaucoup d'éclairage dans les yeux, donc je ne vois pas forcément les profils des personnes qui sont présentes, mais c'est plutôt des jeunes. Ce n'est pas tant le corps professoral, donc c'est plutôt intéressant pour, pour moi et pour nous de pouvoir passer des messages auprès des plus jeunes sur le sujet des violences conjugales. Alors moi, en effet, je suis déléguée aux droits des femmes et à l'égalité femmes hommes auprès du préfet du Nord. Donc je porte l'action de l'État sur le département du Nord en matière de lutte contre les violences conjugales, entre autres choses. Et donc je tenais à introduire cette conférence pour la raison du sujet, en effet, mais aussi parce que j'ai eu le plaisir de travailler à l’EDHEC que deux ans à la chaire Diversité Inclusion que je remercie pour avoir créé, pour avoir invité vous invité ce soir sur le sujet des violences conjugales. Quelques petits chiffres pour introduire mais je ne vais pas être trop longue. Le ministère de l'Intérieur vient de réactualiser ses chiffres et nous informe que les violences conjugales concernent près de 300 mille personnes en France, essentiellement des femmes. Il nous informe surtout que seulement 25 % des victimes de violences conjugales sont recensées par les forces de l'ordre. Donc on a encore 75 % des victimes qui restent inconnues des forces de l'ordre et qui nous faut encore aller chercher pour pouvoir les prendre mieux en charge. Le Nord, c'est le deuxième département le plus touché par les faits de violences conjugales, le deuxième département métropolitain, juste après le Pas de Calais. Donc la région de France est particulièrement concernée par le sujet et c'est pour ça que l'Etat, avec tous ses partenaires associatifs, institutionnels, met en place différents projets, avec notamment les associations sur tous les territoires du Nord, notamment pour améliorer la prise en charge des victimes. Je n'en dirai pas beaucoup plus, juste qu'on a surtout augmenté les places d'hébergement d'urgence, car c'est vraiment un des points sur lesquels qui favorisent beaucoup le départ du domicile conjugal permettre aux femmes et aux enfants d'avoir un point de chute. Donc on a créé des places en France, on a créé des places dans le Nord et puis on travaille aussi beaucoup à la prise en charge des auteurs de violences conjugales, car c'est aussi un axe important. On le verra peut-être. Deux Prise en charge des victimes pour mieux prendre en charge les victimes et les enfants. Il nous faut nous intéresser aux auteurs de violences conjugales et c'est avec eux, avec les associations qui les encadrent, qu'on travaille beaucoup actuellement. Voilà, très rapidement, pour brosser un petit peu ce qu'on peut mettre en place sur le sujet dans le Nord. Je ne suis pas plus longue parce que c'est pas pour ça que vous êtes venus. La conférence qui arrive va parler justement des victimes, des enfants, de la parentalité et donc va nous permettre aussi de pouvoir avoir des éléments de compréhension de ces différents sujets et de comment on peut mieux prendre en charge les victimes grâce à l'analyse scientifique. En fait, des discours et des parcours de ces victimes. Merci.
Marine Koch : Merci beaucoup Magalie. Et du coup on va pouvoir accueillir Pierre-Guillaume, Prigent. Donc cette conférence, elle va durer, L'intervention va durer à peu près 1 h et qui sera suivie d'un temps de questions réponses, d'une demi heure pour les personnes qui sont présentes dans la salle. Vous pouvez bien sûr vous vous signifier. On vous passera le micro pour des questions et pour les personnes qui nous suivent en ligne. Vous avez reçu par mail un lien sur lequel vous pouvez poser des questions et du coup, nous on se chargera de les poser au moment du temps de questions réponses. Voilà, merci beaucoup pour votre écoute.
Pierre-Guillaume Prigent : Bien le bonjour, plutôt bonsoir à toutes et à tous. Donc merci beaucoup de m'accueillir pour que je puisse faire cette conférence ce soir. Donc je vais effectivement vous parler de ce qu'on appelle la violence conjugale et je vais essayer de porter un et plusieurs regards sociologiques. Je vais mobiliser des théories, des enquêtes que je n'ai pas forcément réalisées moi-même pour introduire le sujet, mais je vais surtout essayer de me concentrer sur les entretiens que j'ai réalisés avec des femmes qui ont eu des enfants et qui se sont séparés d'un conjoint violent et qui donc doivent vivre avec la violence qui continue après la séparation. Et donc, ce travail-là auprès de ces femmes, je le fais depuis un certain nombre d'années. En fait, ça fait maintenant plus de dix ans parce que, en 2013, j'avais déjà fait un mémoire de recherche en sociologie qui s'appelait Les mécanismes de la violence masculine contre les mères séparées et leurs enfants. Et comme ça a été dit tout à l'heure, de 2015 à 2021, j'ai réalisé une thèse. Donc je ne vais pas répéter le titre, mais que vous pouvez voir à droite juste la première, la première couverture, la première page de couverture et donc je vais commencer mon propos en définissant ce qu'on entend par violences conjugales. C'est la définition qu'en donne Patrizia Romito qui est professeure de psychologie sociale en Italie, à Trieste et c'était l'une de mes directrice de thèse. Et en fait, elle définit la violence conjugale comme étant un ensemble de comportements caractérisés par la volonté de domination et de contrôle d'un partenaire sur l'autre, qui peuvent inclure brutalité physique et sexuelle, abus psychologiques, menaces, contrôle grande jalousie, isolement de la femme et quand il y a des enfants, L'utilisation des enfants à ces fins, par exemple en les contraignant à espionner leur mère ou en menaçant la conjointe de lui enlever les enfants et même de les tuer en cas de séparation. Donc je reviens sur le début de la définition. On a d'abord l'idée que c'est un ensemble de comportements. La violence conjugale ne se caractérise pas par un seul fait. C'est un ensemble de comportements et un ensemble de comportements qui est lié à une volonté de domination d'un partenaire sur l'autre. Donc, pour qu'il y ait violence conjugale, il faut une répétition. Et cette volonté de domination là. Patrizia insiste sur la dangerosité du contexte de séparation. En fait, lorsqu'elle dit qu'il peut y avoir l'utilisation des enfants en menaçant la conjointe de les lui enlever ou bien de les tuer en cas de séparation, en fait, c'est quelque chose qui est relativement fréquent. On n'a pas de chiffres exacts sur cette forme de violence là, Mais dans les entretiens que j'ai fait, je dirais au moins la moitié des femmes m'indiquait qu'au moment de la séparation, leur conjoint avait formulé cette menace et cette menace-là. Et du coup, là, je rentre de manière assez brutale dans le vif du sujet, mais ce n'est pas un sujet qui est évident. Cette menace-là, elle est souvent formulée sous la forme si jamais tu pars, tu ne verras plus les enfants. Et cette ambiguïté-là, tu ne verras plus les enfants. Ça peut vouloir dire je vais prendre la garde des enfants ou bien je vais les tuer. Et donc il y a cette menace là et il y a cette ambiguïté sur la menace qui crée évidemment un impact psychologique fort sur la victime. Je précise que pendant longtemps, on a pensé qu'un mari violent pouvait être un bon père et je pense qu'aujourd'hui on est en train de remettre petit à petit en question cette idée-là. A la clôture du Grenelle des violences conjugales. Edouard Philippe, qui était Premier ministre à l'époque, avait justement commencé son discours en disant Un mari violent ne peut pas être un bon père. Et donc je me suis dit d'accord, il y a quelque chose de symbolique qui a été dit dans la clôture de cet événement, qui est quand même assez marquant. Et en fait, de fait, voilà, les politiques publiques s'en sont saisis pour contester cette idée là et les études scientifiques à ce sujet nous indiquait déjà que dans la moitié des cas environ, les pères violents avec leur conjointe sont aussi violents physiquement avec leurs enfants. Et je vais aussi faire une précision sur ce qu'on entend par violence conjugale et la distinguer du conflit conjugal. Comme je vous le disais à l'instant, la violence conjugale, c'est un ensemble de comportements caractérisés par la volonté de domination. Dans la violence conjugale, il y a quelque chose qui est univoque. C'est une personne qui domine et l'autre personne qui cède de manière quasi systématique, voire systématique. Alors qu'en fait, dans le conflit conjugal, il peut y avoir une dispute, dans un couple, il peut même y avoir des échanges d'insultes par exemple. Mais cette dispute là, dans le cadre d'un conflit, elle peut être une manière de réguler les inégalités qui sont en jeu dans le couple. Et donc ça peut justement entraîner de changement. Donc le conflit, il peut y avoir des disputes, c'est susceptible d'entraîner du changement, alors que la violence conjugale univoque, c'est toujours la même personne qui cède face à l'autre. Quand on. Quand on cherche à comprendre la violence conjugale, on doit s'attarder sur les mécanismes sociaux qui font qu'on l'occulte ou qu'on la minimise, qu'on la met de côté, qu’on n’en parle pas. Et j'allais dire que c'est un tabou. Alors je pense qu'aujourd'hui, on ne dirait plus que c'est un tabou parce qu'on en parle de plus en plus. Mais pour autant subsistent des mécanismes que Patrizia Romito justement a identifiés, des stratégies et des tactiques d'occultation de la violence masculine. Alors vous allez voir que ça ne concerne pas que la violence des hommes à l'envers, ça ne concerne pas que la violence des hommes à l'endroit des femmes, mais que ces tactiques d'occultation, ces stratégies d'occultation peuvent se retrouver dans d'autres formes de violence et donc elles définit ça comme étant des conceptions de la réalité qui se matérialisent par des comportements, des idéologies, des lois, des théories, des fonctionnements institutionnels qui nous conditionnent et donc toutes et tous. On est conditionnés par des réflexes. Parfois, c'est de l'ordre du réflexe, quasiment des théories qui vont faire que l'on va minimiser, occulter, mettre de côté la violence. Et justement, pour décrire ces mécanismes-là, Patrizia identifie deux stratégies principales le déni et la légitimation. Le déni, ça veut dire ça n'existe pas. On nie la réalité de ce qui se passe et la légitimation. On dit, on justifie, on minimise. C'est pas grave, c'est normal que ça se passe de cette manière, etc. Et elle identifie différentes tactiques et donc des tactiques. Ça permet de préciser, on va dire comment est ce que tout ça, tout ça se manifeste de manière assez précise. Et on a par exemple la déshumanisation des victimes, la déshumanisation des victimes. C'est un mécanisme qui fait qu'une fois que la victime est déshumanisée, en fait, l'auteur de violence, il se dit je n'ai plus face, je ne fais, je ne fais plus face à un être humain, je fais face à autre chose et donc je peux justifier la violence que j'exerce contre cette personne. Et la déshumanisation des victimes. Elle existe dans des formes de violence ordinaire. Elle existe dans la violence conjugale, mais comme vous le savez, elle existe dans des formes de violence de masse comme les génocides où justement les génocides sont justifiés par la déshumanisation des victimes, en tout cas du point de vue de ceux qui commettent les génocides. On a aussi le l'euphémisation de la violence, l'euphémisation de la violence, ça consiste à dire oui mais bon, c'est pas si grave, c'était juste une gifle. C'est une minimisation des faits. On a également la culpabilisation ou l'attaque envers les victimes, c'est à dire l'idée qui consiste à rendre responsable les victimes de la situation de violence. On a toutes et tous en tête cette idée là que lorsqu'une femme est agressée sexuellement ou violée, eh bien certaines personnes vont vouloir l'accuser d'avoir cherché cette agression ou alors vont la juger en fonction de sa tenue. Ils vont dire oui, mais c'est sa tenue qui a provoqué l'agression. Et donc là on est sur la culpabilisation des victimes. Quand on est dans cette démarche, on a également la psychologisation des individus, la psychologisation des individus. Ça veut dire que l'on nie le caractère social et politique des violences et que l'on attribue ces violences uniquement à des dimensions psychologiques. Et donc c'est des hommes qui violentent parce qu'il serait fou, parce qu'ils auraient des troubles et non pas en raison du rapport de domination sociale. Et d'ailleurs, l'une des manières de montrer assez nettement qu'il ne s'agit pas que de psychologie individuelle, c'est que quand on identifie les réponses sociales à la violence, les réactions des gens autour, que ce soit le public, que ce soit les institutions, eh bien on constate que ces institutions-là, on ne dirait pas qu'elles ont des troubles de la personnalité ou des troubles mentaux, ou alors des troubles psychiatriques. Et pourtant elles peuvent elles-mêmes reproduire des mécanismes de violence ou parfois d'occultation de la violence. J'y reviendrai avec des exemples précis par la suite. On a également la naturalisation des comportements. La naturalisation des comportements, ça consiste à dire que oui, mais c'est naturel, c'est comme ça que ça se passe. Typiquement, les hommes agressent sexuellement les femmes parce que c'est leurs hormones qui conduisent à faire ça. Donc je pense que ce discours-là est peut-être un peu tombé en désuétude. On se dit : « c'est pas possible d'entendre des choses pareilles encore aujourd'hui ». Pour autant, ça peut resurgir, ça peut être utilisé comme justification. Et quand on ne naturalise pas les comportements par les hormones, on peut naturaliser les comportements en disant c'est la nature des hommes, c'est la nature des femmes, La nature des hommes c'est d'être conquérant, de prendre le pouvoir, etc. Une autre tactique d'occultation, c'est distinguer les différentes formes de violence pour les opposer. Typiquement, c'est par exemple de séparer certaines formes de violence d'autres, et donc de dire oui mais bon, elle a juste été agressée sexuellement, c'était quand même pas un viol. Et je pense que la personne qui dirait ça, elle va même pas dire agressée sexuellement, il a juste touché. C'était pas vraiment un viol. Et donc là en fait, on va à la fois minimiser, mais on va aussi distinguer les différentes formes de violences pour dire il y en a certains qui seraient graves et d'autres qui ne seraient pas graves. Et donc on les, on les distingue, on les opposant. Si jamais vous souhaitez avoir une étude de cas passionnante sur les mécanismes d'occultation de la violence masculine, je vous invite à prendre connaissance du mémoire de Master deux de Gwenola Sueur qui est une collègue avec qui je travaille beaucoup sur ce sujet. En fait, elle a fait une analyse de la presse par l'intermédiaire de la théorie de l'occultation des violences Sur l'affaire Cestas, que je vais présenter très rapidement. Cette affaire, c'est une affaire en 1969 où un homme prend qui habite dans une ferme à côté. Donc assez, Il va prendre en otage ses trois enfants et il va demander de récupérer la garde et que madame vienne se faire tuer à la place des enfants. Et donc une de ses enfants va s'échapper de la ferme, deux enfants vont rester et finalement au bout de deux semaines dans le siège par la gendarmerie, il va pendant ce temps-là abattre un gendarme et à la fin du siège, il va tuer deux de ses enfants et se suicider. Et en fait, dans la presse, cet homme-là a été présenté comme non pas un homme violent qui a tué des gens, mais beaucoup de journalistes l'ont excusé, ont parfois même justifié son acte. Et donc c'est vraiment un exemple type de documentation de la violence dont on voit encore des formes qui persistent encore aujourd'hui sur la façon dont les meurtres d'enfants ou de femmes sont minimisés. Il y a aujourd'hui peu la présence de la notion de drame passionnel dans la presse. Aujourd'hui, on ne parle plus de féminicide, mais pendant un temps, on a employé le terme de drame passionnel et l'emploie de ce terme là et justement typique de l'occultation de cette violence. En ce qui concerne les chiffres, maintenant, si jamais on regarde des enquêtes de population, il y a différents types d'enquêtes qui permettent de mesurer les violences, mais celles qui en fait vont essayer de les chercher au cœur de là où elles sont. C'est en interrogeant directement les personnes elles-mêmes. Et donc, en démographie, on appelle ça, en sociologie, on appelle ça des enquêtes de population. Et donc l'enquête de population qui fait référence sur ce sujet-là, c'est l'enquête Virage. C'est une enquête qui s'appelle violence et rapports de genre, et elle a été réalisée en 2015 par l'INED et l'Institut national des études démographiques. Et en fait, elle fait suite. Elle reprend une partie du protocole de l’Enveff. C'est à la première enquête nationale sur les violences envers les femmes. J'ai oublié un petit mot dans le diaporama qui, elle, a été réalisée en 2000. Mais en fait de l'enquête Virage, elle n'interroge pas que sur la violence conjugale, elle interroge des hommes et des femmes sur différents types de violences, sur les violences psychologiques, physiques et sexuelles, également, sur les formes de contrôle, sur des violences de type administratives. Et elle interroge ces types de violences en tant qu'elles sont vécues dans différents espaces les espaces publics, au travail, dans le couple, dans la famille. Et elle interroge aussi sur des faits qui ont eu lieu au cours des douze derniers mois ou au cours de la vie. Ça donne une enquête, Le questionnaire pour y répondre C’est trois quarts d'heure à 1 h, c'est très très long, mais ça permet d'avoir des analyses qui sont extrêmement fines. Et donc là, je ne vais pas vous détailler l'ensemble des résultats parce que ça pourrait prendre une dizaine d'heures, je pense, à peu près. Donc, là, en deux minutes, je vais me concentrer sur ce que l'on nous dit de la violence conjugale. Elle nous donne des chiffres, mais elle nous donne aussi des éléments sur les mécanismes de la violence conjugale. Et donc elle nous précise que tout d'abord, il y a davantage de femmes que d'hommes qui déclarent des situations de violence par partenaire -6,3 % des femmes et 2,2 % des hommes - des violences par partenaire durant la vie conjugale avant les douze mois précédant l'enquête. Alors là, c'est la précision de l'enquête, avec la question des temporalités qui est toujours extrêmement importante à prendre en compte quand on interroge les gens sur des faits qui leur sont arrivés. Et donc là c'est, on va dire, au cours de la vie, sauf les douze, sauf les douze derniers mois. L'enquête permet aussi de mesurer les violences dans le contexte et après la séparation, et on constate que un tiers des femmes vont déclarer ce type de violences avant la rupture et un sixième après, ce qui n'est absolument pas négligeable. Et je précise juste que si le chiffre est aussi haut, c'est pour deux raisons. D'une part, parce que justement on sait que la séparation est un contexte à risque. Vous savez sans doute que les féminicides ont en majorité lieu dans un contexte de séparation conjugale, mais les autres formes de violence conjugale ont aussi souvent lieu dans ce contexte-là, d'une part, mais d'autre part, le contexte de la séparation, et notamment l’après-séparation, ce sont des moments où les femmes peuvent davantage déclarer les faits. Et donc c'est aussi pour ça que ces chiffres sont aussi hauts c'est pour l'augmentation de la dangerosité au niveau de la temporalité, de la séparation, mais aussi la possibilité pour les femmes de déclarer des violences. Et quand on compare la nature des violences qui sont déclarées par les hommes et par les femmes, on constate qu'il y a des natures de violence qui sont différentes. En fait, les hommes vont déclarer des atteintes psychologiques majoritairement qui vont traduire de la jalousie. Ils vont déclarer par exemple que leur conjoint regarde, leur téléphone sur leur accord et regarde leur email sans leur accord. Mais pour les femmes, elles vont déclarer un ensemble d'actes, ce qu'on appelle un continuum d'actes. C'est donc avec des types d'actes qui sont différents, des violences psychologiques, oui, mais aussi des violences physiques, des violences sexuelles. Elles vont également déclarer des conséquences plus graves. Vous me direz, les conséquences de la violence, c'est subjectif. Eh bien, en fait, l'enquête Virage a tout un protocole qui permet de mesurer les impacts de la violence sur deux dimensions. Effectivement, il y a une dimension qui est d'abord subjective. La dimension subjective, c'est de demander à la personne si jamais elle considère les faits comme étant graves et et si jamais elle pourrait désigner un comme étant le plus grave, et à quelle gravité le fait elle associe ? Ça peut être pas grave du tout, peu grave ou alors jusqu'à très grave. Là, on est sur le versant subjectif, mais l'enquête interroge aussi sur les conséquences de la violence. Et donc on demande à la personne si jamais eu des blessures, des impacts psychologiques, si jamais elle est allée voir un médecin, si jamais il avait un certificat médical avec arrêt de travail ou incapacité totale de travail qui est une expression pénale qui permet de quantifier la gravité des faits, de mesurer la gravité des faits, on interroge aussi si jamais la personne a été hospitalisée. Bref, tout un ensemble de questions précises et aussi des plaintes. Est-elle allée à la police ou la gendarmerie a-t-elle déposé une main courante ou une plainte ? Y a-t-il eu poursuites, condamnations ou pas ? Bref, un ensemble de questions qui permet de mesurer de manière certes imprécise. C'est très difficile de mesurer et d'objectiver ce qu'on appellerait les conséquences, parce que c'est une dimension à la fois toujours objective et subjective, mais qui permet de le faire quand même suffisamment, précisément, pour pouvoir faire cette distinction-là, de distinguer entre la gravité chez les hommes et chez les femmes. Est-ce que l'on constate aussi parmi les femmes, C'est qu'elles vont déclarer des faits qui sont davantage répétés. Ça, l'enquête virage, elle est très précise aussi. Elle ne va pas demander à la personne : « Avez-vous été giflée par votre conjoint au cours des douze derniers mois ? - Oui ou non ? », mais elle va demander « à quelle fréquence est-ce que c'est arrivé ? une fois ? Est-ce que c'est arrivé une fois par semaine, une fois tous les mois ? » et donc différentes temporalités. Donc ça nous permet d'identifier justement que la nature des violences subies par les hommes et par les femmes dans le cadre conjugal sont différenciées et que les femmes subissent un continuum de violences aux conséquences plus graves et davantage répétées, si plus diversifiées. Faisant référence justement à la notion de continuum. Si jamais vous souhaitez en savoir plus sur l'enquête Virage, je vous indique que le livre qui fait la présentation des résultats de l'enquête est disponible en accès libre sur le site OpenEdition Books et vous pouvez également consulter le site de l'enquête Virage qui contient des résumés des résultats de l'enquête. Alors je vais essayer maintenant de me concentrer sur les mécanismes dans la précision en fait, parce qu'on peut mesurer les phénomènes, on peut essayer de les comprendre de manière large. Les enquêtes quantitatives, c'est à ça qu'elles servent mesurer, comprendre les mécanismes de manière assez large. Mais lorsque l'on fait des entretiens, on peut essayer de mieux comprendre les phénomènes, on va chercher davantage dans le détail. Et donc là on a, pour comprendre la violence conjugale, différentes nominations, différents modèles qui ont été utilisés au fil du temps. Et il y en a deux que je trouve intéressants, qui vont permettre de considérer que la violence conjugale, ce n'est pas juste une succession d'accidents ou d'incidents isolés, mais qu'il y a un processus et que justement il y a une personne qui cherche à dominer l'autre. Dans le cadre de ce processus-là, il y a la notion de contrôle coercitif qui est apparue dans les politiques publiques assez récemment, qui n'est pas du tout une notion nouvelle. C'est une notion qui a émergé aux Etats-Unis, les premiers qui en ont fait une définition explicite et des études qui considèrent ce phénomène-là de manière précise, ce sont les Dobash et Dobash. En 1979, ça fait déjà presque 50 ans. Mais si jamais cette notion-là, en fait parler d'elle aujourd'hui, c'est parce qu'elle a été réarticulée par un sociologue américain qui est décédé il y a quelques mois, qui s'appelle Evan Stark. Et donc, en 2007, il écrit un ouvrage qui s'appelle « Coercitif Control, how men entrap women in private life », qu'on peut traduire par contrôle coercitif comment les hommes piègent, emprisonnent, mettent sous emprise les femmes dont la vie intime ou personnelle. Et donc c'est de cette manière-là qu'on utilise la notion de contrôle collectif. C'est pour décrire ce phénomène de mettre sous emprise, de piéger, d'emprisonner une personne dans la vie intime, et notamment, en l'occurrence dans le couple. Je précise que la notion de contrôle coercitif peut être utilisée pour comprendre d'autres phénomènes où il y a une domination plutôt dans une sphère intime, mais pas nécessairement. Par exemple, moi je travaille sur l'exploitation sexuelle dans la pornographie et je peux utiliser également le modèle de contrôle coercitif pour comprendre la dynamique de ce phénomène. Il n'est pas forcément le plus adapté pour cette situation là, mais il peut être utile. Et donc, quand on fait de la sociologie, on cherche toujours à identifier en fonction des matériaux que l'on a, des situations que l'on identifie, quel est le modèle le plus pertinent pour l'analyse. Et on cherche aussi à le faire évoluer. Et en fait, en France, il y a justement un modèle qui a coexisté avec celui du contrôle coercitif qui l’a même précédé et qui aujourd'hui est toujours extrêmement pertinent. C'est le modèle de la stratégie de l'agresseur. En fait, c'est le collectif féministe contre le viol qui l’a construit le collectif féministe contre le viol qui tient une ligne téléphonique qui s'appelle Viol femmes information. C'est le 0 800 05 95 95 et il est ouvert tous les jours de la semaine de 9 h à 19 h au moins. Alors peut-être que les horaires sont même plus larges depuis un certain temps, mais ce modèle-là de la stratégie de l'agresseur a été construit et en tout cas est explicité de manière très pédagogique par sa porte-parole, Marie-France Casalis, la porte-parole du collectif féministe contre le viol. Et donc je fais la référence en 2021 parce qu'elle a un chapitre dans un ouvrage où elle explicite un peu ce que c'est. Et selon ce modèle-là qui, de fait, est très proche de l'approche en termes de contrôle coercitif, l'agresseur a plusieurs priorités isoler la victime, dévaloriser la victime, retourner la culpabilité, la terroriser et enfin assurer son impunité. Dans le modèle du contrôle coercitif Evan Stark, lui, va en fait identifier différentes tactiques qui parlent de tactique. Alors on peut parler priorités, on va parler de tactique. Je trouve que le terme de tactique est intéressant parce qu'on voit la visée consciente dans cette construction là d'une stratégie. Et il y a quatre tactiques principales : Il y a l'isolement, le contrôle, l'intimidation et la violence. Et donc ces quatre tactiques là, vous pouvez vous en souvenir assez facilement en ayant ce moyen mnémotechnique qui est ICIV, avec chacune des lettres d’ICIV qui correspond à la première lettre de chacune des quatre tactiques. Donc ici, isolement, contrôle, intimidation, violence et l'objectif d’Evan Stark et l'objectif des personnes qui ont théorisé la notion de contrôle coercitif avant lui, c'était de considérer que la violence conjugale n'est finalement pas qu'affaire de violence. Qu'avant la violence, il y a quelque chose, notamment l'isolement et le contrôle. Je vais y revenir dans un instant. Ce que les théoriciens et les théoriciens du contrôle coercitif Appuient, enfin défendent. Et ce que je défends moi également, c'est que ce processus-là a lieu dans un contexte qui est inégalitaire. C'est à dire que pour pouvoir isoler une personne et contrôler une personne, il faut que vous puissiez profiter de vos privilèges sur la personne, et donc vous pouvez vous asseoir dessus pour pouvoir arriver à contrôler et à isoler cette personne. Il est également personnalisé. Personnalisé, Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que d'une part, il s'appuie sur les vulnérabilités de la victime et en fait chaque victime a ses vulnérabilités. Il peut y avoir justement un isolement préalable, il peut y avoir une situation de handicap, il peut y avoir une situation administrative au regard du droit au séjour qui n'est pas régulière, et il peut y avoir la jeunesse ou plutôt la vieillesse, et donc différents facteurs de vulnérabilité. Et il est également personnalisé dans le sens où il s'appuie sur à la fois l'histoire de la victime mais aussi l'histoire que l'agresseur, l'auteur de violences va tisser avec la victime et donc un agresseur lorsqu'il rencontre sa future victime. On peut dire ça comme ça, et ça, c'est ce qu'on voit assez souvent dans les entretiens. Il va commencer à l'interroger et en fait à identifier chez elle des vulnérabilités passées sur lesquelles il va pouvoir s'appuyer justement pour la contrôler, l'isoler. Et donc c'est en ce sens-là aussi qu'il est personnalisé. Et il est genré dans le sens où il est appuyé sur les normes inégalitaires de genre, mais également basées sur toutes les autres formes de domination les dominations de classes, les dominations racistes liées au handicap également à l'âge, etc. Et ça, en fait, je ne le dis pas comme ça. Je ne pourrais pas vous donner des exemples sur chacune des dimensions, mais dans les entretiens, on voit de manière assez nette que lorsque les femmes nous racontent ce qui se passe, elles vivent en tant que femmes, mais aussi en tant qu autre particularité qu'elles ont la violence qu'elles ont subies. Donc moi, ce que j'ai fait dans ma thèse, c'est donc des entretiens avec 20 mères séparées, victimes de violences conjugales et ces entretiens-là, en fait, qui, dont je vais dérouler rapidement la méthodologie, m'ont permis d'identifier un ensemble de tactiques. Et donc ce que j'ai fait, c'est que j'ai transcrit des entretiens, je les ai enregistrés, je les ai transcrits. Puis j'ai identifié certaines parties de l'entretien qui relevaient de ces différentes formes de tactique. Et donc je vais y revenir dans un instant, et je vais spécifier à quoi elles correspondent, comment est-ce qu'elles s'entremêlent, comment est-ce que se conjuguent les unes entre les autres. Et je vais vous donner ensuite des extraits d'entretiens qui les exemplifie. Mais avant ça, je vais spécifier ma méthodologie. Alors, quand on fait de la socio, on a toujours… La rigueur nous oblige à indiquer quelle est la façon dont on a récolté les données. Et donc on doit décrire notamment aussi le profil sociodémographique, comme on dit des personnes que l'on a enquêtées. Et donc moi j'ai enquêté, j'ai fait des entretiens avec des femmes qui avaient, qui étaient âgés de 25 à 75 ans. Donc, ça veut dire que j'ai interrogé des femmes qui ont vécu la violence conjugale dans un contexte socio historique qui était différent. Certaines m'ont dit : « Mais en fait, à mon époque, on n’en parlait pas et personne n'en parlait ». C'était celles qui étaient justement le plus âgée, alors que d'autres l'ont vécu dans un contexte dans lequel la violence conjugale est un peu plus parlée qu'avant et surtout un contexte dans lequel il y a des politiques publiques, des lois et des dispositifs qui sont mis en place pour aider et soutenir les femmes victimes de violences conjugales. Je précise que trois quarts d'entre elles sont de catégories socio professionnelles supérieures. Alors parfois je dis c'est un biais et des collègues me disent bah non, c'est un biais, c'est juste ton recrutement qui a produit ça. C'est pour rappeler d'une part que la violence conjugale ne touche pas que les femmes de milieux populaires, que ça touche tous les milieux. Je pense que les violences telles qu'elles sont décrites par les femmes de catégories socio professionnelles supérieures, elles le sont peut-être d'une manière différente que d'autres femmes. J'ai pu identifier que selon la profession de la personne, selon son rapport à la parole, selon sa manière d'interpréter ce qu'elle a vécu, elle peut parler des choses de manière différente. Ça, c'est quelque chose sur lequel je pourrais travailler pendant longtemps et sur lequel je devrai davantage travailler. Je ne vais pas m'attarder longuement là-dessus, mais il faut bien savoir que lorsque vous faites un entretien avec une personne son discours, en fait, il est aussi situé. Il est produit par la façon dont elle peut en parler, la façon dont elle maîtrise ou pas des concepts associés à ce qu'elle a vécu, et cet ensemble de choses qui est évidemment en lien avec les ressources qui sont à sa disposition pour comprendre ce qui lui est arrivé. Et ces ressources-là sont inégalitaires en fonction de l'origine sociale des personnes. Quelque chose sur lequel je comptais énormément, c'était le fait de ne pas employer le mot violence si jamais elles ne l'employaient pas elles même. Et donc, lorsque j'ai commencé à faire des entretiens, je cherchais autour de moi des femmes qui avaient vécu une séparation difficile ou une séparation conflictuelle. Alors mon objectif n'était pas de minimiser ce que de minimiser ce que j'avais vécu, mais en fait de prendre ces termes là pour pouvoir faire que des femmes qui n'emploient pas le terme de violence puissent me parler de ce qu'elles avaient vécu. Et de fait, je pense qu'il y avait ce contexte-là de moi qui m'intéresse à ça. Et donc elles qui viennent m'en parler, en fait, c'étaient des femmes qui s'avéraient toutes victimes de violences conjugales et pour qui c'était plus simple d'employer le terme de séparation difficile au moment de la rencontre avec moi. Et lorsque je fais l'entretien avec elles, je ne vais pas leur poser des questions précises. Je vais vraiment leur demander de raconter leur histoire. Alors, je pense que c'est une démarche qui est que je défends d'un point de vue éthique, c'est à dire que je pense que sur ces sujets là ou sur des sujets sensibles, il faut laisser les gens parler. En sociologie, on a tendance à vouloir laisser les gens parler, ça produit des récits qui sont riches et ça produit aussi qu’on n’impose pas en fait aux gens la manière d'appréhender les choses. Et on n’impose pas des questions qui pourraient être intrusives. J'ai tenté à un moment, pour l'un de mes premiers entretiens, la question : « Mais les violences physiques, c'était combien de fois que c'est arrivé ? ». Et là, la femme que j'avais en face de moi me disait qu'elle ne savait même pas. En fait, elle ne pouvait même pas me répondre parce que pour elle c'était souvent et donc c'était souvent. C'était pas le nombre en fait. Et je me dis que c'était pas intéressant de savoir que ce soit souvent ou pas souvent dans l'absolu, je pouvais le déterminer selon la manière dont elle me parlait. En fait, je pouvais identifier, évaluer la répétition des faits à partir de l'analyse de ce qu'elle m'avait dit a posteriori, plutôt que de lui poser la question de manière précise. Et donc j'ai effectivement fait des entretiens avec des femmes qui ont vécu des formes de violence différentes. En tout cas, le processus de violence conjugale, tel que je vais vous le décrire, était toujours le même, mais l'intensité en était différente. Certaines, on pourrait les catégoriser comme étant des femmes battues. Alors femmes battues, on ne le dit plus aujourd'hui. C'était en fait quelque chose qu'on employait avant les années 2000, avant l’enquête Enveff, aujourd'hui, on sait que les violences conjugales, c'est davantage avant tout de la violence psychologique et du contrôle, mais qu'il existe aussi des situations avec des violences physiques répétées qu'on peut potentiellement qualifier de femmes battues, même si le terme est assez inadéquat aussi sur la manière de se rapporter à ces femmes, ça peut renvoyer à quelque chose de négatif. Les femmes aussi ont un rapport extrêmement différencié aux institutions. Je précise que pour certaines d'entre elles, elles n'avaient jamais été à la police, elles n'avaient jamais porté plainte, elles n'avaient même pas saisi le juge aux affaires familiales, qui est le juge qui est chargé de prendre une décision relative à la résidence des enfants notamment, tandis que d'autres étaient en train de faire des recours à la Cour européenne des droits de l'homme. Donc, on voit des procédures qui sont extrêmement diversifiées. Et je rappelle aussi ce qui a déjà été dit tout à l'heure que le nombre de femmes qui déclarent les faits à la police est bas en fait justement, dans les dernières enquêtes et plutôt celles qui sont faites orientation au ministère de l'intérieur, on a des taux qui vont à peu près un quart des femmes qui vont jusqu'à aller porter plainte par rapport aux violences subies. Mais quand on est sur d'autres formes d'enquête avec des faits de violence où on n'interroge pas avant tout les violences physiques, mais où on a cherché à interroger sur davantage de faits de violence psychologique, on constate un taux de plaintes qui est plus bas aussi parce que les femmes ont tendance à porter plainte pour des faits dont elles pensent que les procédures pour aboutir en fait à cette idée là que ce sont les violences physiques qui sont d'abord les plus graves, ce qui n'est pas nécessairement vrai, et que c'est seulement quand on aura des bleus ou des marques qu'il pourrait y avoir des preuves et donc potentiellement une condamnation, et donc c'est aussi le fait de se concevoir comme étant victime de violences conjugales, peut être. Souvent ça peut passer à partir de, justement où il y a eu de la violence physique. Tous ces phénomènes-là ont justement entraîné un taux de plaintes qui est plus fort pour les femmes ayant vécu des violences physiques, alors que celles qui ont vécu la violence psychologique vont justement être moins nombreuses à porter plainte. Pour autant, la violence psychologique peut être aussi grave que les violences physiques. Je pense qu’attribuer une gravité a priori à des faits sans étudier leur contexte, ce n’est pas pertinent. Voilà pour la question de la gravité. Il faut identifier le contexte et l'entremêlement des violences pour mieux le saisir. Il y a un ouvrage que j'aime beaucoup, c'est un ouvrage dont je peux conseiller la lecture, mais attention, parce que c'est un ouvrage qui est extrêmement dur et qui est très explicite sur la manière dont la violence est décrite. C'est un ouvrage qui s'appelle « Je ne suis pas encore morte ». La traduction française a été publié récemment, mais l'ouvrage original a été publié en 2014. C'est un ouvrage de Lacy Johnson. C'est un ouvrage dans lequel elle dit et en fait, elle nous dit qu'elle veut qu'on parle de cet ouvrage de cette manière-là. Et donc moi, par éthique, je vais le faire de cette manière-là. Elle dit : « C'est cet ouvrage où je raconte, comment est-ce que je raconte la fois où j'ai été kidnappée et violée par l'homme avec qui j'ai vécu ». Donc, elle raconte en fait ce viol et ce kidnapping-là. Mais elle raconte aussi la cohabitation avec cet homme-là et donc la violence conjugale. Et c'est aussi pour ça que ce livre est intéressant, c'est qu'il nous fait rentrer sur une scène de violence extrême et nous raconte la quotidienneté de la violence. Et on se rend compte que ce n'est pas simplement ce moment-là du kidnapping qui est violent, mais que c'était tout ce qu'il précédait aussi. Et c'est une professeure de littérature, il me semble. Et en fait, on le voit parce que c'est extrêmement bien écrit sur la question du récit, ce qu'est parler la violence. C'est très très juste. La fin est vraiment hyper sublime, C'est très très très pertinent ce qu'elle dit, mais il y a, je ne vais pas vous la spoiler parce qu'il faut que vous la lisiez par vous-même, mais il y a cet extrait-là qui est tout aussi percutant. Elle nous dit : « Il y a l'histoire que j'ai et l'histoire qu'il a, et il y a une histoire que la police conserve dans la salle des pièces à conviction de la police. Il y a l'histoire que la journaliste raconte dans le journal. Il y a l'histoire que la femme policier a décrite dans son rapport. Son histoire n'est pas mon histoire. Il y a l'histoire qu'il a dû raconter à sa mère quand il lui a téléphoné et il y a des histoires qu'elle a dû se raconter à elle-même. Il y a l'histoire qui vous restera quand vous refermerez ce livre. C'est un infini réseau d'histoires. Cette histoire me dit qui je suis. Elle me donne un sens et j'ai tellement besoin d'avoir un sens. ». Donc c'est vraiment extraordinaire parce qu'en fait, elle nous explique que, à chaque fois qu'une femme qui a vécu de la violence conjugale va parler, elle va raconter une histoire différente. Et donc certains pourraient dire ah mais elle a changé d'idée, donc elle n'a pas vraiment vécu ce qu'elle a vécu. C'est pas ça, c'est qu'en fait elle adapte son discours en fonction de ce que les gens sont capables d'entendre, en fonction de ce que les gens sont prêts à entendre. Et quelle est la fonction de ces gens-là. Quand une femme a raconté à son médecin la violence conjugale, elle ne va pas le parler de la même manière que celle le dit à un policier ou alors à un ami proche. Et en fait, Lacy Johnson, elle nous dit que justement, ce réseau d'histoires et le fait qu'elle, elle s'empare elle-même de son récit, c'est ça qui lui donne un sens. Et donc je pense que la question de la parole est importante. Et donc c'est pour ça que le conseil que je donnerais en ce qui concerne la violence conjugale, c'est de laisser les victimes parler et de les écouter de manière longue et approfondie. Il faut prendre le temps de les écouter. Il faut prendre le temps avec elles de coproduire un récit. C'est comme ça que je le dis. Parce qu'un récit, ça ne se fait pas comme ça. Il faut des gens pour écouter, pour aider à comprendre, pour faire des répétitions, des retours en arrière. Et c'est ça qui va finalement permettre de donner un sens à l'histoire et éventuellement peut être de la mettre de côté ou pas. Et donc ces récits-là qui sont des récits qui produisent du sens et qui sont aussi en recherche de sens. Dans les entretiens que j'ai faits avec les femmes surgissent dans ces récits là des thèmes, des extraits, des bouts de textes qui sont relatifs à des tactiques que j'ai identifiées. Donc, lorsque les femmes nous racontent ce qu'elles ont vécu, elles nous racontent d'abord comment elles ont été privées de ressources privées de ressources financières, privées de communication et privées de transport. La privation de ressources financières, c'est par exemple le fait de ne pas être autorisée à travailler. Alors pour interdire à quelqu'un de travailler, vous pouvez lui interdire formellement la menacer. Si jamais elle souhaite le faire. Vous pouvez éventuellement la séquestrer et l'empêcher de sortir de chez elle. Alors évidemment, ne le faites pas. Mais je le dis en général comment est-ce que l'on fait pour faire cela ? Comment les agresseurs le font ? Mais on peut aussi tout simplement dire oui mais je sais que si jamais tu vas travailler, tu vas te faire draguer par d'autres mecs et donc c'est des formules plus subtiles qui vont produire un isolement progressif et donc qui vont la priver aussi de ressources financières, mais qui vont progressivement l'isoler de ressources sociales, d'amis, de potentiels proches qui justement pourraient la soutenir, l'aider à comprendre ce qui lui arrive, à sortir des situations de violence conjugale. Sur la communication, je vais prendre le même type d'exemple. Je ne vais pas forcément interdire à madame de prendre, d'avoir un téléphone, mais c'est lorsqu'elle est au téléphone avec quelqu'un, monsieur qui va dire : « t'es avec qui ? ». Et puis là, des accusations de jalousie : « tu veux me tromper, c'est ça ? Tu veux me quitter ? ». Et donc c'est de cette manière-là, en fait, que la femme qui reçoit cette agression-là, cette première forme d'agression là, va se dire « Si jamais je parle au téléphone avec d'autres gens, il va me menacer ou m'agresser. Et donc je dois arrêter de parler au téléphone avec d'autres gens. ». C'est comme ça que les hommes privent progressivement les femmes, en tout cas ceux qui exercent un contrôle coercitif de ressources financières et de liberté. En ce qui concerne les transports, ça peut être l'imposer, lui imposer un déménagement dans une zone auquel elle n'aura pas la liberté de déplacement à une zone qu'elle ne connaît pas, une zone où il y a peu de transports. Imaginons par exemple des zones dans lesquelles ça n'existe pas, dans lesquelles ils ne sont pas en place. Je pense aux territoires ruraux. Ma collègue Gwenola Sueur fait une thèse actuellement sur les parcours de victimes de violences conjugales dans les territoires ruraux et la question du transport est hyper importante dans ces territoires. Mais elle l’est aussi ailleurs. Et donc il peut y avoir aussi le fait que Monsieur ne veut pas que madame prenne la voiture. Et donc tout cela, c'est une privation progressive de ressources sur l'isolement. Et bien l'isolement. Comme je le disais, si jamais on vous interdit d'aller au travail, on vous interdit aussi d'avoir des collègues de travail avec qui vous pouvez avoir une vie et construire autre chose que ce que monsieur vous demande de construire avec lui. Et donc l'isolement social, familial ou amical. La forme extrême, c'est la séquestration. Mais c'est quand madame invite à la Maison des amis. Et puis une fois qu'ils sont partis, Monsieur dit : « Tu sais Bob, je le trouve pas très sympa, je préfèrerais que tu n'invites pas Bob ». Et puis c'est Camille, puis c'est Martin et puis c'est tous les amis pour lequel il y a toujours une bonne raison selon monsieur qui ne reviennent pas et donc l'isolement peut se faire de manière extrêmement progressive. Ce que Evan Stark fait ressortir dans son analyse du contrôle coercitif sur lequel il insiste beaucoup, c'est ce qu'il appelle la micro-régulation du quotidien. Et ça, c'est un élément qui est vraiment intéressant. Je pense qu'il ne faut pas se formaliser et uniquement porter son attention là-dessus parce qu'il faut voir ce qu'il y a autour aussi des formes de violence plus explicites, de contrôle plus explicite. Là on voit comment dans la micro-régulation, les normes de genre sont le socle du contrôle coercitif. Moi personnellement, je parle de contrôle patriarcal des activités quotidiennes de la victime pour bien indiquer qu'il s'agit d'un contrôle patriarcal des activités quotidiennes. C'est quoi ? C'est par exemple le monsieur qui va dicter à madame comment elle doit plier le linge, comment elle doit mettre des boîtes de conserve dans le placard. Dans un film qui s'appelle « Sleeping with the Enemy » avec Julia Roberts en français, il s'appelle « Les nuits avec mon ennemi ». En fait, c'est un film qui est peu connu, mais parfois des gens me disaient si je l'ai vu il y a longtemps, etc. En fait, on voit ces scènes là en fait, Julia Roberts est victime d'un conjoint contrôlant et coercitif, doit plier les serviettes de telle ou telle manière, doit ranger les boites de conserve de telle ou telle manière. Et en fait, tous ces éléments-là. Qui sont des manières de limiter la capacité d'agir de la victime. Moi, je sais jamais. On tient au terme d'emprise. J'aime bien préciser que c'est une emprise, oui, mais une emprise matérielle, c'est quelque chose de très concret. C'est quelque chose qui se base sur le quotidien, les activités quotidiennes de la victime, sur ses ressources, ce qu'elle a, ce qu'elle n'a pas. Et je précise que cette emprise matérielle, elle est facilitée si la personne est en situation de handicap, mais elle est facilitée aussi si jamais la personne a des vulnérabilités qui justement sont des situations où elle déjà a priori a moins de ressources et davantage isolée que d'autres. Imaginons par exemple une personne qui a été rejetée par sa famille, qui n'a plus de contacts avec sa famille. C'est plus facile de la mettre sous contrôle qu'une personne qui a toujours des contacts avec sa famille. Et ça, on le voit de manière très nette dans les entretiens. Parce que la famille peut être un soutien pour la sortie de la violence ou au contraire un obstacle à la sortie de la violence. Et donc tout cela pour le moment. Je vous ai pas parlé de coups de violence explicites entre guillemets. Je vous ai parlé du contrôle de l'isolement, de la privation de ressources. En fait, ce que la théorie du contrôle coercitif permet de démontrer, enfin de montrer, et je trouve que c'est intéressant de le dire comme ça, c'est que le contrôle va précéder la coercition. Parfois, on se dit on n'a pas vu la violence, on se dit pendant des années elle était comme ça avec son conjoint, mais on ne savait pas ce qui se passait. Eh bien, c'est parce que pendant toute une période, la victime peut être sous contrôle. En fait, elle respecte les règles que Monsieur a fixées avec plus ou moins de menaces, mais elle les respecte et donc elle vit comme une sorte d'automate, d'une certaine manière régulée par l'intervention de son conjoint. Et si jamais elle respecte les règles de Monsieur, eh bien dans ce cas-là, j'ai envie de dire de son point de vue à lui, dans sa perspective, il n'a pas besoin de la punir, de ne pas avoir respecté les règles. Évidemment, je parle du point de vue de l'agresseur. Donc il y a une sorte de mise en place de règles. Et là où le jeu est dupé, c'est que les règles ne font pas l'objet d'un contrat. Dans la violence conjugale, les règles entre les partenaires ne sont pas écrites. Monsieur a le loisir de changer les règles quand bon lui semble et donc un jour il va considérer que le steak est trop cuit et le lendemain le steak ne sera pas assez cuit. Et Madame, ne sachant plus quoi faire, va devoir marcher sur des œufs. C'est typiquement l'expression qu'on entend chez beaucoup de femmes victimes de violences conjugales. Et tant qu'elle va réussir ce numéro d'équilibriste, elle peut éviter d'être exposée à des formes de violences spécifiques, des violences explicites. Mais si jamais, selon Monsieur, elle ne respecte pas les règles, qu'elle résiste, qu'elle refuse le contrôle, si elle ne fait pas cela ou si elle fait cela, alors la coercition peut apparaître. La coercition, c'est une manière de remettre la victime dans le cadre dans lequel elle a osé sortir. Et là, je parle évidemment encore une fois du point de vue de l'agresseur et dans sa perspective à lui, ces différentes formes de coercition. Ça peut être les violences psychologiques par exemple, la dévalorisation, ça peut être la sur-responsabilisation, ou bien ça peut être la confusion. La dévalorisation, comme son nom l'indique, c'est de faire penser à la victime qu'elle n'a pas la valeur qu'elle a, au-delà de la dénigrer tout simplement, ça a un effet que la victime a moins conscience de ses propres capacités au bout d'un certain temps, et donc elle a moins la croyance en ses capacités de faire autre chose que ce que monsieur veut. Elle a moins la capacité de croire qu'elle est capable de sortir de la relation et elle a non seulement moins la croyance en la possibilité de sortir, mais rappelez-vous du contrôle. Elle a eu moins la possibilité de sortir parce que monsieur la privait de ressources, elle a isolé et donc finalement la dévalorisation, ça produit un effet psychologique qui va réduire encore davantage sa capacité d'agir davantage sur le plan psychique que sur le plan matériel. Et donc c'est pour ça que quand on parle de dévalorisation, de responsabilisation ou de confusion, là, on pourrait aussi nommer ce qu'on appelle l'emprise psychologique. Mais je spécifie, emprise psychologique, emprise matérielle, parce qu'on a parfois tendance à considérer que tout ça c'est dans la tête, alors que non, c'est pas que dans la tête, c'est une question de ressources, d'inégalités, de privation de liberté, de capacité d'agir aussi. Et ça, c'est vraiment important de le rappeler. La sur-responsabilisation, c'est le fait que l'agresseur va justement finir par sur-responsabiliser la victime, la rendre responsable de ce pourquoi elle n'est pas responsable. Par exemple, le steak est trop cuit. Alors qui a décidé que le steak devait être cuit de telle ou telle manière parce que ça a été décidé en commun de manière démocratique ? Ou bien est-ce que c'est monsieur qui a pensé à une règle et qui a imposé à Madame de suivre cette règle alors qu'elle n'avait même pas connaissance de cette règle ? Donc là, on voit bien encore une fois le jeu de dupe. Et donc Madame qui s'est trompée en cuisant mal le steak, eh bien elle est sur-responsabilisée de la situation à partir du moment où monsieur va l'accabler et va la rendre responsable de quelque chose pour lequel elle n'est pas responsable. La cuisson du steak est un exemple parmi d'autres et la confusion, c'est à la fois des tactiques que Monsieur met en place envers Madame, mais aussi l'état dans laquelle la victime peut se trouver. Il peut lui mentir, il peut la manipuler, il peut aller, dans les cas les plus extrêmes, aller jusqu'à déplacer des objets. Euh, il y a un film avec Ingrid Bergman qui s'appelle GasLight, qui est un film des années 40 où en fait c'est un monsieur qui veut récupérer une maison ou un trésor dans une maison et en fait, il va. Il fait croire à Ingrid Bergman qu'il y a des fantômes dans la maison en manipulant le niveau de gaz qui produit plus ou moins de lumière. Parce qu'à l'époque, c'était la lumière et les générer par l'intermédiaire de lampes à gaz. Et donc en fait, il met en place des artifices qui vont faire que la victime, elle se dit mais il y a un fantôme. Qu'est ce qui se passe ? aujourd'hui avec la domotique, les agresseurs peuvent s'en servir aussi pour activer à distance les volets, les ouvrir, les fermer. Ça, on a quelques extraits d'entretiens. J'ai pas fait d'entretiens spécifiquement avec des femmes qui ont vécu ça, mais dans d'autres enquêtes, on peut le voir et là ça crée un climat de confusion. Et du coup, la victime commence à perdre contact avec la réalité, dans le sens où elle ne sait plus ce qui se passe et elle a de moins en moins, elle a de plus en plus de mal à justement faire face à simplement la réalité. Alors il y a une sociologue qui s'appelle Catherine Kirkwood qui en 93 parle de distorsion de la réalité subjective. Donc c'est on va dire un synonyme de confusion. Donc tout ça, emprise psychologique. Il y a aussi des choses plus explicites l'intimidation qui peut prendre la forme de harcèlement ou d'humiliations. L'intimidation peut être aussi plus permanente, c'est à dire que ça peut être un climat, une angoisse de se dire : « qu'est-ce qu'il va faire quand il va rentrer, qu'est-ce qu'il va faire si jamais je ne fais pas les choses telles qu'il souhaiterait que je les fasse ? ». Le nombre d'entretiens où les femmes me disent : « J'avais peur quand j'entendais l'ascenseur. Je détestais le moment où il faisait rentrer la clé dans la serrure. ». Ça, c'est des justement des extraits d'entretiens qui attestent que l'intimidation, c'est pas seulement quand il y a de la menace explicite, du harcèlement, de l'humiliation, mais que ça peut devenir un climat un peu permanent qui du coup met la victime sous contrôle. Il y a aussi les violences physiques et sexuelles sur lesquelles je vais pas m'attarder mais qui sont une manière d'exercer de la coercition. Parler de stratégie et de tactique, comme je le disais au début, ça nous permet de contextualiser les actes. En fait, tous ces actes là que je vous ai décrit, ce n'est pas des incidents isolés. Quand on les met bout à bout, quand on cherche à les comprendre, on se dit mais là il y a une logique, c'est maintenir le pouvoir et le contrôle sur la victime pour l'avoir à disposition, pour s'en servir comme un objet, un objet sexuel, un objet qui fait à manger, etc. C'est de cette manière-là que le contrôle coercitif fonctionne, et c'est assez brutal. Mais c'est de cette manière-là que ça fonctionne. Quand on voit la logique et ça nous invite à devoir identifier quelles sont la fonction des actes, Pourquoi se fait-il cela ? Ça nous oblige aussi à identifier dans quel contexte il le fait, dans quel contexte inégalitaire, quelles sont les vulnérabilités sur lesquelles il s'appuie. Ça nous oblige à regarder les choses non pas comme des incidents, mais comme des comportements. Et les conséquences de ces comportements. Alors je vais maintenant passer à quelques extraits d'entretiens sur lesquels qui exemplifie et qui donne une dimension à ce que je viens de vous dire en ce qui concerne l’isolement et la dévalorisation. Irène, donc tous les prénoms ont bien entendu été modifiés, elle a 55 ans, elle habite en Bretagne et elle nous dit : « J'étais isolée parce que tous les amis que j'avais avant de le rencontrer, il supportait pas en fait que j'ai une autre vie avec ces gens-là. Du coup, il n'y avait plus que lui. Même après le divorce, je ne savais plus parler. Je me suis rendue compte que je ne savais plus parler, je ne pouvais plus parler. J'avais perdu l'usage des mots, je trouvais plus mes mots, Je ne sais plus. Enfin, c'est comme si j'étais restée dans une bulle pendant trop longtemps et que j'avais plus les moyens d'exprimer. » Donc dans cet extrait, je le trouve vraiment très très percutant parce que, en fait, elle perd les mots au moment où elle dit qu'elle perd les mots et la transcription le montre bien, mais ça montre l'effet de l'isolement cumulé à des formes de dévalorisation qu'elle nous a explicitées auparavant, en tout cas qu'elle m'a moi, et que j'essaie de vous transcrire de manière publique lorsque vous êtes isolé et dévalorisé, lorsque vous n'avez plus conscience de vos capacités, lorsqu'on a diminué vos capacités, vos capacités vous laissent aller jusqu'à perdre des capacités fondamentales comme celle de parler, comme celle par exemple de conduire. Plusieurs femmes m'ont dit ou nous ont dit quand on faisait des entretiens avec Gwenola Sueur : « Il me critiquait tellement ma conduite que, à un moment je ne pouvais plus conduire et j'ai dû repasser le permis. » Et donc des facultés d'agir sont attaquées par l'agresseur. En ce qui concerne sur-responsabilisation et confusion. Aline nous dit : « La violence venait surtout de sa part et donc ça aussi c'est important de le reconnaître ». C'est qu'elle reconnaît qu'elle également a pu exercer de la violence à son encontre. Et de fait, c'était des insultes lors des disputes, elle, elle l'insultait, « Même si lui, il considérait que c'était moi qui les ai violences parce que je n'étais pas à ma place, parce que ce que je faisais, c'était irresponsable et que c'était complètement taré ». Et donc là, en fait, elle dit que lorsqu’elle répond, en fait, eh bien il l'accable et dit c'est toi la violente, etc. Et elle a conscience qu'elle a une place, Donc elle a un petit cadre dans lequel elle doit rester. Et si jamais elle sort de ce cadre-là, elle est irresponsable, elle est tarée, elle est irresponsable parce que ça reste pas une bonne mère de famille en l'occurrence, c'est ce qu'elle m'a décrit quelques minutes avant. Et elle est tarée. Parce qu'en fait, c'est quoi être taré du point de vue de l'agresseur ? C'est quoi être folle Du point de vue de l'agresseur ? C'est justement ne pas respecter ces règles, c'est oser penser de manière différente que lui. Et donc, lorsqu’un homme dit « mon ex, elle est complètement folle » red flag, moi je dis le nombre de mecs qui ont plein d'ex folles ouh là là là, attention, il y a un truc derrière. Et de fait, je sais qu'on en parle de plus en plus de cette accusation-là de folie, mais c'est tellement facile d'accuser une femme d'être folle. Parce que si jamais vous regardez l'histoire de la façon dont les femmes ont été accusée d'être hystériques simplement parce qu'elles ont refusé certaines normes ou qu’elles désobéissaient à certaines conventions, eh bien finalement, toutes les femmes sont susceptibles d'être accusées d'être hystériques ou bien d'être folles. Et donc ça s'inscrit clairement dans les rapports de genre. Et puis dans une histoire de la misogynie institutionnalisée, l'intimidation, Aline n'a pas vécu de violences physiques et elle nous dit pour autant qu'elle attendait qu'on lui tape dessus. Elle se disait tout le temps : « dès que je disais quelque chose, qu'on allait me brutaliser parce que j'étais dans une violence psychologique ». Donc pour elle, violence psychologique, c'est plutôt de l'intimidation. Mais elle l'explique alors qu'elle n'a pas vécu de violences physiques, elle a peur d'être violentée physiquement et ça, c'est caractéristique de la violence conjugale aussi. C'est le climat d'intimidation qui crée la peur d'être violenté et la peur d'être violenté a un effet aussi profond que le fait d'être violenté physiquement. Et ça, il faut absolument le prendre en compte pour comprendre le mécanisme de la violence conjugale. Ça, c'est toujours Irène qui nous explique de manière prodigieuse. Alors à chaque fois je me dis mais il y a des livres qui expliquent les mécanismes de la violence conjugale. Mais écoutez les femmes qui l'ont vécu parce qu'elles nous expliquent les choses de manière bien plus dense, bien plus concrète et parfois de façon plus analytique que le meilleur des ouvrages qui a été écrit à ce sujet. Et là, pour le coup, elle nous dit les choses de manière extrêmement limpide : « Il fallait vraiment faire en sorte que ce soit lui qui puisse se dire Je suis un homme, j'ai mon libre arbitre, je peux décider de ce qui est bien ou pas bien et de ce que je vais faire ou pas. Fallait lui laisser cette possibilité là et je pense que sinon ça aurait été très violent. » Donc elle nous explique Monsieur qui décide qui a le contrôle et si l'amour s'oppose à lui, il est violent. Elle nous dit c'est quoi le contrôle ? C'est quoi la coercition ? Elle nous dit ce qu'est le contrôle coercitif. Et ça, c'est un extrait d'entretien tout à fait spontané de la part d'Irène. Quand on parle de contrôle coercitif, on on a tendance à associer cette notion. En tout cas, Evan Stark le fait de manière extrêmement nette pour préciser quelques secondes, parce que le temps, le temps, le temps court. Mais il a défendu des femmes en procès qui ont tué leur conjoint, par exemple, et donc des femmes dont on avait du mal à se dire qu'elles n'étaient pas violentes, qui étaient difficilement défendables, d'une certaine manière. Il a essayé d'expliciter quelles sont les raisons qui l'ont ou qui les ont poussé à tuer leur conjoint. Et souvent il en conclue qu'en fait c'est que justement, elles étaient tellement emprisonnées dans la relation avec le conjoint que le seul moyen pour elles d'en sortir, c'était justement de l'éliminer. Et lorsqu'on parle des violences conjugales, on a souvent tendance à oublier le comportement de la victime et on lorsqu'on parle de femmes sous emprise, c'est encore plus net. On a l'impression que les femmes qui sont qui subissent cela ne font rien. Et en fait, lorsque j'ai fait des entretiens, je me suis rendu compte mais en fait elles font un paquet de trucs au quotidien évidemment, mais elles font des choses par rapport à la violence, contre la violence. Et donc j'ai préféré parler de résistance. Je me suis dit c'est un terme qui est certes qui est valorisant, qui est positif, mais qui a un côté assez objectivant aussi sur le fait que résister c'est faire face à une pression et donc il y a une pression de la violence et donc on résiste et il y a différentes formes de résistance qui sont très nettes. Dans les entretiens, il y a le fait par exemple dans la résistance, dissimuler, les femmes, elles peuvent parfois céder, c'est à dire qu'elles se disent là, je pense qu'il va me frapper, il va faire un acte violent que je ne veux pas qu'il fasse. Et donc là, stratégiquement, je vais céder sur une partie de ses demandes ou sur ces demandes pour éviter de faire face à la violence, pour éviter d'avoir à faire face à cet acte de violence là. Donc c'est à dire qu'elles rationalisent aussi à ce moment-là. Alors certes, dans les contraintes dans lesquelles elles sont mises, mais elles rationalisent des stratégies elles-mêmes pour faire face à ça. Parfois elles peuvent négocier et là elles se disent ouh là là, si jamais je tente de négocier avec lui, il va falloir que je fasse attention. Mais elles, j'arrive à calculer les choses de façon à pouvoir négocier et parfois elles veulent tenir. Elles se disent je ne lâcherai pas. Mais comment dire à quelqu'un qui veut toujours avoir le dernier mot que je ne vais pas lâcher ? Eh bien, il faut présenter les choses de manière plus subtile. Donc finalement, les femmes victimes des violences conjugales deviennent expertes en négociation avec des hommes extrêmement violents. Alors j’allais dire terroriste, je ne préfère pas utiliser cette expression là parce que la représentation sociale du terroriste, associer le terrorisme à la violence conjugale, je pense que c'est trop simple. Le parallèle nous empêche de penser réellement ce qu'est la violence conjugale. Donc je vais mettre ça de côté, mais en tout cas, elles deviennent expertes en négociation avec des gens qui ne veulent pas négocier, qui veulent avoir le dernier mot. Et donc ça aussi, il faut le reconnaître. Et elles font en sorte de résister de façon à ce que ça n'apparaisse pas comme de la résistance ou une confrontation directe aux yeux de l'agresseur. Mais elles résistent aussi de manière active. Elles résistent en se confrontant verbalement, voire physiquement avec l'agresseur. Et l'une des manières de résister qui est la plus explicite, c'est la séparation. Se séparer, c'est résister à la violence conjugale et à l'agresseur, et parfois même à la société. On va le valoir dans quelques minutes et chercher du soutien, c'est aussi une manière de résister. Donc c'est très important de nommer ce qu'elles font pour ce que c'est. Moi je pense que le terme de résistance est un terme qui est tout à fait adapté. Je vais prendre quelques exemples. Là, on voit que la conséquence pour Irène de résister, c'est de la violence physique. « Le premier jour où j'ai repris le travail, je lui ai demandé s'il pouvait amener le petit à l'école parce que lui, il travaillait pas, ça le faisait chier. Je n'étais pas trop en forme, il fallait que j'amène le petit à l'école quand même. Il me dit qu'il avait pas envie d'y aller et à ce moment là, je l'ai touché sur la tête. Là, j'ai dit mais qu'est ce qu'il y a là dedans ? Et là, c'est parti, Cheval, coup de poing, Ça a été la première fois. » et donc elle lui demande de faire simplement quelque chose qu'un père devrait faire : emmener un enfant à l'école. Et là, il répond en lui donnant un coup et donc elle a tenté de résister. Et voilà la façon dont l'agresseur, la punie. Et là, on voit aussi que, en ce qui concerne la résistance, c'est aussi. Une expression. Je suis en train de réfléchir là-dessus. Pour le moment je parle de résistance imaginative, alors c'est un peu, c'est pas très beau comme terme, mais en fait c'est le processus qui font que les femmes, en fait, imaginent comment elles peuvent résister. Et donc elle se pose plein de questions et se disent mais comment je vais faire pour que ça se passe mieux, pour que ceci, pour que cela ? Et donc là, Irène nous explique « Je disais non aussi, tu vois, Je m'opposais même fermement et c'est ça qui déclenchait la violence. Si je n'avais pas dit non, forcément il n'y aurait pas eu de violence. Mais en fait c'est plus ça la question. Pourquoi je n'arrive pas à dire non de la bonne façon ? Parce que doit bien y avoir une bonne façon qui fait que c'est un non clair ferme et que la personne sente que ce n'est pas la peine d'essayer d'aller contre. C'est peut être ça. » Et donc elle nous dit qu'elle l'espère en même temps qu'elle imagine comment pouvoir trouver la bonne manière de dire non. Alors c'est un geste qui, de l'extérieur, pourrait paraître désespéré. On se dit elle essaie de trouver un moyen de dire non alors qu'elle ne peut pas le faire. Mais en même temps, elle fait preuve d'imagination. Elle essaie de trouver une stratégie pour répondre à ça et je pense que c'est ça aussi qu'il faut souligner. Les violences continuent évidemment après la séparation et elle continue sous la même forme. En fait, que les violences avant la séparation, il peut y avoir du harcèlement. Noémie, nous dit « Il avait cette niaque de me harceler, enfin entre guillemets, de m'appeler pour plein de choses, pour qu'on parle, pour que Bidule. » Et pendant les remises également de l'enfant, lorsque il y a une résidence partagée. Alors lorsque les résidences alternées ou lorsqu'il y a un hébergement chez un parent principal, les parents doivent se remettre l'enfant et ce sont des scènes dans lesquelles il peut y avoir justement de la violence. Donc Noémie nous dit « Je pense pas qu'il avait envie de changer ou enfin du moins de communiquer comme ce que veut dire le mot communiquer, échanger des points de vue, parler calmement tout ça. Il voulait déverser son sac de haine. C'était vraiment le moment. Les remises où il jetait tout. » et là, en ce qui concerne la question de la prise en charge des enfants de la parentalité, Noémie, elle, nous explique qu'elle tente de négocier mais qu'elle n'y arrive pas. « J'essayais de discuter, il pouvait y avoir des désaccords et à ce moment-là, je lui disais tu te casses de chez moi, je te confie pas mon fils.» Donc il fait du chantage. Il garde l'enfant si elle exprime un désaccord. « J'étais vraiment une marionnette, c'était un peu comme il voulait, j'étais son pantin. » Et là, pour le coup, encore une fois, on voit la dynamique de contrôle qui est explicite. Mais Noémie, elle met en place des manières de faire face. Et justement, quand je fais des entretiens avec elle, je la vois plusieurs fois, on refait des entretiens et puis elle me raconte comment elle fait en fait et elle me dit qu'elle trouve des parades pour gérer tout ça. Elle se dit ça va durer encore, ça va être long et va falloir que je fasse en sorte que ce soit moins compliqué. Donc c'est de l'ordre de la gestion, « S’il appelle, Je le laisse parler à mon répondeur. Ensuite j'écoute, j'écoute forcément de toute façon, et ensuite je réponds par texto. Après trois ou quatre mois, je me suis rendu compte que de toute façon, l'oralité, ça ne sert à rien. » Et donc elle met à distance sa voix. Mais pour autant elle lui répond parce que le piège Et je vais venir dans un instant et après il faut que j'accélère puisque mon temps est quasiment. Je prends juste cinq minutes supplémentaires. Super ! Et bien en fait, son son, elle sait que l'oralité, comme nous le dit, ne sert à rien. Et donc elle va essayer de limiter ça en envoyant des textos. Et pourquoi est-ce qu'elle envoie des textos ? Parce que on a l'autorité parentale conjointe qui l'oblige d'une certaine manière sur une partie des éléments, mais pas tous à parler avec le conjoint des enfants. Je vais revenir dans un instant. Lors des remises, elle nous explique comment est-ce que justement elle met en place aussi des stratégies et en fait elle essaie de faire en sorte que ça aille vite. Alors elle est aussi accompagnée par des amis et moi, de fait, j'ai pu l'accompagner aussi lors d'une des remises et donc j'ai pu constater par moi-même le comportement du conjoint qui correspondait absolument à ce qu'elle m'avait décrit dans les entretiens, intimidation, etc. « Il fallait que je réceptionne sans trop que ça m'intéresse, que ça m'atteigne. Maintenant que j'amène mon fils, je le fais très rapidement. Je lui ai dit dans la voiture avant je le prépare tout ça, je suis, je l'amène physiquement et je le pose, je lui fais un bisou et je m'en vais. » Et donc elle s'adapte. Elle va plus vite. Pourquoi est-ce que c'est un problème pour ces femmes-là ? La violence après la séparation, la violence après la séparation, elle peut exister même quand il n'y a pas d'enfant. Mais quand il y a des enfants, il y a ce qu'on appelle l'autorité parentale conjointe et en fait de l'autorité parentale conjointe. C'est un cadre juridique qui oblige les parents qui ont des enfants en commun à discuter ensemble des choses qui concernent l'enfant. Il y a des articles dans le code civil qui indiquent précisément quelles sont ces règles-là. Et donc le 373-2 deux nous précise que chacun des pères et mères doit maintenir des relations personnelles avec l'enfant et respecter les liens de celui-ci avec l'autre parent. Quand vous devez respecter les liens entre votre enfant et un conjoint violent, les choses deviennent complexes. On pourrait aussi inverser la formule et de dire mais un homme violent ne respecte pas les liens de la mère avec les enfants, justement en instrumentalisant l'enfant. Donc c'est là aussi que la loi peut être interprétée dans deux sens différents. Mais très concrètement, comment ça se manifeste l'agresseur ? En fait, il peut légitimer le harcèlement et la violence en disant « ah mais je t'appelle pour les enfants, je vais te parler des enfants.» Et donc Madame décroche et Monsieur commence à l’insulter ou alors ne lui parle juste pas des enfants. Donc c'est un prétexte pour entrer en contact avec elle. Et la violence, comme je l'indiquais, elle peut avoir lieu par téléphone, par mail, par les réseaux sociaux, mais aussi par l'intermédiaire des remises des enfants. l'Autorité parentale conjointe, c'est quelque chose qui va lui permettre aussi de contrôler le quotidien et les choix éducatifs de la mère. Si jamais elle veut que le fils fasse du foot et que Monsieur veut que le fils fasse du basket, eh bien il peut bloquer. Il peut dire à Madame : « non, je refuse catégoriquement que tu inscrives l'enfant au basket ». Alors on pourrait se dire : « oh, c'est puéril, c'est pas très grave ». Derrière, il peut y avoir un enjeu pour l'agresseur. Si jamais madame est entourée dans une activité. Par exemple, son fils fait du foot, elle connaît des gens au club de foot. Eh bien monsieur va préférer qu'elle n'aille pas au club de foot parce que le club de foot, il y a des amis à madame. Donc on va dire « mon fils ne fera pas de foot, il fera plutôt du basket » là où les amis de monsieur sont. Donc c'est pas juste une question de puérilité, de oui, d'activité d'enfant. Il faut analyser le contexte, à quoi ça permet, ça permet à quoi ? Enfin ça permet, Ça donne quoi à l'agresseur de contrôler ça ? Déjà de contrôler Madame, et aussi peut être d'avoir davantage de ressources ou aussi de priver de continuer à priver de ressource madame. Donc, au-delà de la loi, il y a une norme de co-parentalité. Là aussi, je pourrais en parler pendant des heures. Les sociologues ont écrit énormément à ce sujet, mais la façon dont la coparentalité se manifeste, ce n'est pas à proprement parler une égalité parentale réelle, où il y a une répartition de la prise en charge des enfants totalement égalitaire entre les hommes et les femmes. Ça, ce n'est pas vrai. Et justement, ce n'est pas encore le cas. Et des collègues comme Emilie Biland, qui est sociologue indiquent que la coparentalité, dans les faits, c'est plutôt l'idée selon laquelle les mères ont le devoir de faire une place au père, tandis que le père ont le droit de prendre en charge leur enfant, mais sans en avoir l'obligation. Et en fait concrètement, le droit d'avoir des enfants, mais sans en avoir l'obligation. C'est quelque chose qui permet le contrôle de madame après la séparation. Si jamais madame refuse le contact que monsieur aurait avec les enfants, si jamais elle refuse, qu'elle le souhaite, obtenir la garde exclusive, eh bien elle a le risque d'être qualifiée de aliénante. Et ça, c'est quelque chose sur lequel je vais passer rapidement. Mais c'est une notion qui est aujourd'hui vivement critiquée parce que la rapporteure spéciale des Nations Unies, Reem Alsalem, en demande le fait de ne plus utiliser cette notion, ni toutes les notions qui y sont rapportées, et d'interdire les expertises fondées sur la notion et même d'interdire l'exercice des experts qui font l'usage de cette notion. Donc l'ONU prend les choses très au sérieux. On a aussi devant le Parlement européen, on a aussi tout un tas, tout un tas d'institutions, le GREVIO. Je ne vais pas rentrer dans les détails de ce qu'est le GREVIO, mais c'est au niveau du Conseil de l'Europe et en fait l'aliénation parentale. Pendant longtemps, elle a infusé dans les tribunaux et en fait, c'était l'idée, la manière de décrire les situations dans lesquelles un enfant rejette un parent de façon injustifiée. Et en fait, on a constaté dans notre étude avec Gwenola Sueur, auprès d'entretiens, dans des entretiens avec des femmes, qui est accusée d'aliénation parentale, qu'en fait le contexte, c'était la violence conjugale. En fait, elle était accusée d'être aliénante alors qu'elle était victime de violences conjugales, que du coup, le fait d'éloigner ou d'essayer d'éloigner ou de protéger l'enfant du père violent était justifié. Mais pour autant, on considérait qu'elles étaient aliénantes parce qu'en fait on préférait objectiver ça. On préférait constater le fait que madame tentait d'éloigner le père des enfants plutôt que de reconnaître le contexte de violence conjugale qui expliquait les mesures de protection que madame essayait, désespérément de mettre en place. Et donc, en fait, cette théorie-là d'aliénation parentale a mis au-dessus de la hiérarchie la question du maintien du lien du père avec l'enfant. Quoi qu'il en coûte, quoi qu'il arrive. Et elle a complètement occulté la prise en compte de la violence conjugale dans lequel il doit y avoir une cessation ou une diminution du lien. Parce que c'est justement ce lien-là qui permet la perpétuation de la violence. C'est parce que la violence conjugale touche aussi directement les enfants. Et donc cette notion-là, comme je le disais, est très contestée. Elle est infondée scientifiquement. On a constaté qu'aujourd'hui les accusations d'aliénation parentale peuvent être implicites. Elles ne sont pas nommées. Ce n'est pas forcément toujours nommé aliénation parentale, mais on peut parler de mères fusionnelles. On peut dire Madame tente d'empêcher le lien du père avec les enfants et il peut arriver que des femmes qui dénoncent de la violence, y compris de la violence sur leur enfant, finissent par perdre la garde de leurs enfants parce qu'elles sont accusées d'être aliénantes. Et donc, très concrètement, c'est une étiquette qui nous empêche de penser, qui nous empêche d'identifier la violence et qui culpabilise la mère et cette mère qui est accusée d'être aliénante, elle est disqualifiée alors qu'en fait elle cherche à limiter les contacts parce qu'elle sait, qu'elle est dans une logique de protection. Et donc, pour conclure, on a en fait ce modèle là, qui est un modèle des trois planètes, qui est en fait une manière de conceptualiser et d'essayer de comprendre pourquoi est-ce que les choses, j'allais dire, ne tournent pas rond. Pourquoi est-ce qu'on oblige des femmes et des enfants à avoir contact avec des personnes qui les agressent ? Pourquoi est-ce que la violence continue après la séparation ? Pourquoi est-ce qu'on considère que c'est juste des conflits de couple ? Pourquoi est-ce que les agresseurs peuvent continuer à utiliser les institutions pour harceler madame après la séparation, pour qu'on les oblige à avoir des contacts ? Eh bien, c'est parce qu'on a l'intérêt de l'enfant et la coparentalité qui sont confondus. En fait, il y a cette notion en droit de la famille où l'intérêt de l'enfant, le juge aux affaires familiales doit juger en fonction de cela. C'est cela et uniquement cela. J'ai envie de dire, sur lequel il doit juger. Et on a trop pendant trop longtemps. Et même si encore c'est aujourd'hui un peu remis en question, considéré que le meilleur intérêt de l'enfant, c'est d'avoir un lien avec ses deux parents quoi qu'il arrive. Et donc on a avec ce réflexe-là oublié que la violence conjugale était justement une situation qui devait faire exception au principe de coparentalité. Dans ce cadre-là, l'intérêt de l'enfant, c'est d'être protégé de la violence plus que d'être mis dans le cadre de la violence, encore une fois, avec son père. Et donc ce modèle des trois planètes, c'est un modèle selon lequel ces différentes dimensions là dont je viens de parler, sont séparées. En fait, on sépare la violence conjugale des affaires familiales et de la protection de l'enfance, la planète violence conjugale. On parle de crimes, alors on parle de crimes parce que dans les pays anglo saxons, on ne fait pas la distinction entre délits et crimes. Donc c’est crime, crimes de l'homme sur la femme et dans cette planète de la police et le tribunal peuvent intervenir pour protéger cette dernière. En protection de l'enfance, on parle de familles abusées, vous dysfonctionnelles et on considère souvent que c'est à la mère de protéger les enfants, sinon la garde peut lui être retirée. Et dans la planète, affaire familiale, on parle de responsabilité parentale ou de coparentalité. Et donc on demande le maintien des droits, du lien, le maintien des droits du père et du lien père enfant, même s'il est violent. Et donc ces planètes-là ont des logiques différentes, elles ne communiquent pas entre elles et elles produisent les situations que je viens de vous décrire avec les pôles vie qui se mettent en place, avec la prise en compte de ces différentes dimensions, le lien entre parentalité et violence conjugale qui est fait, on peut espérer une amélioration actuellement et dans les dans les années. Moi j'ai envie de dire dans les jours à venir, ce sera tellement bien. C'est sans doute quelque chose qui va prendre du temps, mais on peut peut être espérer une amélioration de ce point de vue-là. Si jamais vous souhaitez en savoir éventuellement plus que ma conférence vous a donné envie de lire des choses, il y a ces deux ouvrages. Il y a un ouvrage qui s'appelle Le meilleur intérêt de l'enfant victime de violences conjugales, paru aux Presses de l'Université du Québec en 2022. Ou Gwenola Sur et moi-même avons un chapitre sur justement la question des droits des pères, comment elle a infusé la justice aux affaires familiales en France et contribué à occulter la violence conjugale. Et un numéro de la revue Empan sur les violences conjugales et en 2025, aux Presses de l'Université du Québec, va paraître un ouvrage collectif sur le contrôle coercitif. Si jamais ça vous intéresse et si jamais vous souhaitez d'ores et déjà en savoir plus et que vous préférez de son. Il y a des interventions à moi et aussi à Gwenola Sueur qui sont disponibles sur YouTube. Et puis on a des publications en accès libre sur la plateforme HAL et des podcasts dans lesquels on a intervenu comme les couilles sur la table avec Victoire Tuaillon ou ce genre de choses comme support pour aller plus loin. Je vous remercie beaucoup.
Marine Koch : Merci beaucoup. Merci beaucoup du coup pour votre intervention qui était vraiment très très intéressante. Alors on a déjà plusieurs questions en ligne, mais peut être, et on peut commencer par une question de la salle, s'il y a des personnes dans la salle qui qui souhaitent intervenir, qui souhaitent poser une question. Pas spécialement, mais on peut commencer par les questions en ligne. Et puis peut être que ça motivera d’autres interrogations. Alors, on a une première question qui a été posée tout à l'heure, quand vous parliez de tout l'aspect juridique. Donc, y a une personne qui demande : « Au Brésil, il existe une loi spécifique qui protège uniquement les femmes, loi Maria de Penha, -Je pense que je prononce très mal- au delà de l'inscription du féminicide dans le code pénal. Cette loi a entraîné une série de changements dans la structure de la police et du système judiciaire. Le droit français est apparemment neutre en matière de genre dans le traitement des violences conjugales. A votre avis, est ce qu'il existe en France une résistance à l'appréhension genrée des violences conjugales par le droit et si oui, pourquoi ? »
Pierre-Guillaume Prigent : Alors c'est une très bonne question et je ne suis pas sûr d'être le plus compétent pour pouvoir y répondre. Mais je peux plutôt renvoyer aux réflexions qu'une collègue a. C'est Glòria Casas Vila. Elle est docteur en sociologie. Elle est maître de conférences, maîtresse de conférences à l'Université de Toulouse et elle a fait sa thèse où elle a fait des entretiens avec des femmes qui, en Espagne, ont été victimes de violences conjugales et sont passées par un processus de médiation. Et en fait, l'Espagne aussi est un pays dans lequel les violences sont des violences genrées qu'il y a justement cette question là du genre qui intervient dans l'appréhension des violences et je pense, que j'en discute parfois avec elle. Elle me dit en France, on y arrivera pas. C'est à dire qu'il y a une culture justement de la neutralité du droit qui nous empêcherait de concevoir une possibilité de genrer les choses. Après, sur la question de l'efficacité des lois au Brésil, je ne les connais pas, mais en ce qui concerne l'Espagne, on était justement Gloria, Gwenola et moi et d'autres collègues à une conférence à Oxford récemment. C'était une conférence organisée par la professeure de droit de l'Université d'Oxford, Shazia Choudhry, qui a sorti une étude très importante où elle a fait des entretiens, elle et ses collègues avec des femmes en pays d'Europe. Et en fait, lorsque sur la question des violences et en fait lorsque Gloria nous parlait de la situation en Espagne, on voyait par exemple que là-bas, le nombre d'ordonnances de protection était bien plus élevé qu'en France, que ça semble être mieux pris au sérieux, sans que ce soit évidemment parfait. Donc on peut supposer que l'approche genrée est effectivement une approche qui est plus efficace, mais qui est liée à la culture aussi du pays, à la présence de mouvements féministes aussi. Je pense qui ont apporté des choses à ce sujet-là et qui ont pu être entendues, et qu'en France il y a des raisons qui font que ce serait difficile à envisager. Voilà.
Marine Koch : Merci beaucoup. Oui, c'est vrai qu'en Espagne, il y a quand même pas mal de choses qui sont faites sur la lutte contre les VSS et les discriminations. Donc effectivement c'est pas surprenant. On a une autre… on a des questions dans la salle, comme ça on peut alterner peut-être un peu. Merci. Personne dans la salle : Euh bonjour ou bonsoir ? Pardon, J'avais une question. Pardon au contrôle donc sur les victimes. Est-ce que quelqu'un qui va imposer son contrôle le fera toute sa vie ? Donc est ce qu'on peut changer quelqu'un qui veut faire ça ? Et du coup, par rapport à cette. Par rapport à cette question-là, j'avais noté. Est-ce que dans les cas de contrôle, il faut partir direct ou essayer de remédier à ça ? Est-ce que c'est possible de changer quelqu'un de manipulateur ? Et surtout, quand des enfants sont impliqués dans cette histoire ?
Pierre-Guillaume Prigent : Alors c'est une question qui est complexe. Je vais essayer de prendre par la façon dont les politiques publiques tentent de faire face. Et justement la question de la prise en charge des auteurs qui, du coup, depuis quelques années, est davantage développée sur le territoire avec les centres de prise en charge des auteurs, les CPCA. Il y avait déjà d'autres associations qui le faisaient avant. Et en fait, là, en ce moment, je pense qu'il y a beaucoup justement d'associations, je pense à la fédération Citoyens Justice qui sont en interrogation sur comment faire mieux les choses. Là, actuellement, les articles scientifiques nous disent que les programmes de prise en charge des auteurs ont des effets faibles ou nuls, et donc c'est un peu décourageant. Mais si jamais on devait aller dans le sens de oui, les faire changer. Alors déjà, je pense que de manière définitive, je pourrais pas dire c'est foutu, ils changeront jamais. Ma question serait plutôt est ce qu'on peut les faire changer ? Et si oui, comment ? Eh bien il y a cette question-là de faire en sorte que le contexte social qui favorise le contrôle soit moins puissant. C'est à dire que là, la question du contrôle ne se résume pas aux frustrations d'un individu qui cherche juste à contrôler madame et qui le fait parce qu'il est déviant, parce qu'il a un problème dans la tête. C'est ça un contexte social qui le lui permet. Et donc il y a des représentations, il y a des normes inégalitaires qui font qu'on justifie le fait de contrôler Madame. Dans des communautés, toutes les communautés en fait dans des groupes. Si jamais on regarde par exemple dans le milieu du sport ou alors dans certains sports, il peut y avoir des manière d'appréhender la relation avec la conjointe où on pense que madame doit faire ceci ou cela. Il peut y avoir d'autres mondes sociaux. Je pense. En fait, ce n'est pas que, Comment dire ? C'est à dire que les hommes se retrouvent aussi dans des communautés, Les hommes qui font ça, qui contrôlent, qui sont violents, peuvent se retrouver dans des communautés qui peuvent légitimer ce qu'ils font, appuyer leur désir de continuer à faire ce qu'ils font, le tolérer, voire même les encourager à le faire. Et je pense que c'est ça qu'il faut diminuer en fait. C'est à dire qu'il y a un besoin d'un changement social pour que la société, justement, refuse de considérer que ce contrôle-là est juste. Et quand les auteurs de violences n'auront plus l'appui social, ils pourront plus continuer à contrôler. Alors je dis ça, c'est un peu théorique et facile, mais je pense qu'il n'y a pas juste une question psychologique de prise en charge individuelle des individus. C'est un changement social plus important qui est nécessaire. Et je pense que quand on se donnera les moyens de le faire, on pourra envisager le fait que oui, ça s'arrête très concrètement. Pour vous dire, lorsque je fais des entretiens avec des femmes, les hommes arrêtent d'être contrôlants et violents, Quand en fait les femmes sont vraiment soutenus et quand ils savent qu'ils n'arrivent plus à la contrôler et en fait c'est un ensemble de choses, c'est je pense qu'il faut les soutenir pour créer concrètement un rapport de force sans qu'on aille ou qu'on soit violent envers Monsieur. C'est juste de montrer une forme de soutien collectif, un soutien pérenne, puissant avec la victime qui fait que Monsieur, il va se rendre compte qu'en fait il ne peut plus continuer à faire ce qu'il fait, que ce n'est plus tolérable et que Madame aussi va se rendre compte que par exemple, elle a moins peur de monsieur au fil du temps. Si jamais elle est aidée, si jamais il y a des gens qui là qui l'accompagnent pendant les remises, eh bien il y a certaines stratégies qu'elle va mettre en œuvre qui sont relatives à la peur, qui vont progressivement diminuer. Donc, je pense que si vraiment on travaille avec elle dans une perspective psychologique, oui aussi, mais en la soutenant collectivement, bah ça limite la capacité de nuire de monsieur. Donc je pense que c'est ça aussi ce vers quoi il faut se tourner. Un homme contrôlant et violent de lui-même, cesser d'être contrôlant et violent dans la situation actuelle dans la société actuelle, c'est compliqué à envisager. Il y a peu de rédemption qui vienne de nulle part. Il y a des gens qui lui ont dit : « arrête ! » Et c'est comme ça qu'il a réfléchi. Je pense. Et est-ce qu'il est majoritairement constaté que cette violence est due à un contexte familial vécu par le mari précédemment, lors de son enfance ? Ou est ce qu'il est né de l'individu à lui-même ? Alors en fait, quand on regarde le profil d'hommes qui exercent de la violence conjugale, des fois, on se dit tiens, ils ont été victimes de violence pendant leur enfance. En fait, ce n'est pas nécessaire. On a souvent un biais on regarde des études qui sont faites auprès d'auteurs de violence qui, par exemple, ont été condamnés, qui donc ont exercé des violences d'une gravité telle qu'ils en ont été condamnés. Et parmi ces gens-là, on peut supposer qu'effectivement la violence familiale vécue dans l'enfance a provoqué un rapport à la violence de banalisation et un exercice fort de la violence. Je pense qu'il y a un lien qui peut empirer, qui peut accélérer, qui peut banaliser l'exercice de la violence. Mais pour autant, il y a plein d'hommes qui peuvent contrôler leur conjointe, la dévaloriser, l'isoler, la priver de ressources sans la frapper, sans l'humilier de manière extrêmement violente, mais qui, eux, n'auront pas nécessairement été victimes de violence dans l'enfance. Et si jamais on devait comparer la proportion d'hommes et de femmes qui ont été victimes de violence pendant l'enfance, eh bien il y a quand même quelque chose qu'il faut toujours constater, c'est que oui, même si jamais on reconnaît qu'il y a beaucoup d'hommes auteurs de violences conjugales condamnées qui ont été victimes pendant l'enfance, comment ça se fait, alors que les femmes sont davantage victimes de violences dans l'enfance qu'elles ne deviennent pas elles-mêmes autrices de violences conjugales ? Eh bien ça, c'est quelque chose qu'on appelle le patriarcat. Ou alors les inégalités hommes-femmes. Une société qui produit un rapport à la violence, qui légitime de la violence, qui permet à une catégorie d'individus de dire je peux le faire. Et une autre catégorie d'individus à qui on dit et si tu parles, tu risques d'être isolée et on t'écoutera pas. Je caricature un peu, mais voilà. La violence, elle se reproduit pas mécaniquement. Il y a des inégalités aussi là-dessus.
Marine Koch : Je vais peut-être poser une question en ligne parce qu'on a beaucoup de questions en ligne et comme ça on alterne un petit peu. On vous retient en salle, mais comme ça on alterne avec les questions en ligne où il y a une personne qui demande. Donc, par rapport à ce que vous disiez tout à l'heure, « Le problème de la plainte pour violences psychologiques et de contrôle n'est-il pas de pouvoir le prouver ? ».
Pierre-Guillaume Prigent : Oui. Alors en fait, je pense qu'il y a plusieurs choses là-dessus. C'est d'une part, il faut les prouver et une fois qu'on les a prouvé, il faut que les juges considèrent qu'ils ont une forme de gravité. Et donc en gros, ça veut dire que oui, on peut prouver des violences psychologiques. Typiquement les SMS, les mails, les appels téléphoniques, tout ça. Vous pouvez l'utiliser au pénal. Je rappelle que la preuve est libre au niveau du pénal et donc on peut l'obtenir de manière y compris déloyale. C'est à dire que des enregistrements produits à l'insu du conjoint peuvent être utilisés en justice pénale, au niveau civil, juge aux affaires familiales, c'est pas possible, sauf exception. Il y a des jurisprudences et des combats en ce moment qui sont menées d'ailleurs parce que ça peut être intéressant de pouvoir prouver de la violence conjugale avec des enregistrements devant le juge aux affaires familiales. Mais il faut effectivement déjà les prouver et ensuite il faut qu'il y ait une forme de gravité. Et donc au niveau pénal, désolé, de faire mon juriste qui n'en est pas un, mais vu que je bosse avec des avocats, je commence à être un peu calé sur des trucs quand même. Donc je prodigue un peu des conseils dans ce sens-là. Il y a la question de l’ITT en fait. On peut aller voir un médecin et donc il peut nous faire un certificat et nous donner des incapacités totale de travail qui sont comptés selon le nombre de jours. Et en fait de la difficulté pour les femmes qui sont davantage victimes de violences psychologiques, c'est que, je pense mon hypothèse serait que les médecins auraient moins tendance à mettre des ITT dans ces cas-là que dans les cas de violences physiques. Pourquoi ? Parce que le médecin peut constater la violence physique qui est parfois visible et d'ailleurs pas tout le temps. Toutes les violences physiques ne sont pas visibles, ne laisse pas de traces. Et du coup, c'est cette double difficulté là, à la fois des preuves de ça et puis il faut que le médecin, puis ensuite d'autres personnes reconnaissent la gravité de la violence psychologique. Juste un tout petit élément quand même par rapport aux ordonnances de protection. Alors les femmes victimes de violences conjugales et toute personne victime de violences conjugales peut demander une ordonnance de protection devant le juge aux affaires familiales. Ce sont des mesures qui vont permettre d'éviter que le conjoint se rapproche de madame, rentre en contact avec elle. Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais ce qu'une étude d'une collègue s'appelle Solenne Jouanneau qui a écrit un bouquin super qui s'appelle « Les femmes et les enfants . D'abord, un titre vraiment génial, donc c'est une enquête sur l'ordonnance de protection. Elle montre en fait que récemment, un quart des ordonnances de protection sont délivrées alors qu'il n'y a que des violences psychologiques. Et c'est quand même pas négligeable en fait. Donc je me dis il y a quand même une prise en compte des violences psychologiques. En tout cas, au moins dans le cadre de l'ordonnance de protection qui commence à arriver. Donc ça, c'est intéressant. Merci.
Personne dans la salle : Bonsoir. Alors je vous remercie pour votre conférence et moi j'étais intéressé à écouter davantage d'autres exemples du contrôle coercitive après la séparation où le père, vous avez dit l'exemple du basket ou du football si je me souviens bien, et j'aimerais entendre davantage D’autres exemples où la demande de père le plutôt liée à une certaine ex conjugalité, et qui n'était pas vraiment intéressé à la parentalité. Moi en tant que psychologue, la protection de l'enfance, ça m'intéresse bien d’écouter d'autres récits, d'autres exemples. Merci.
Pierre-Guillaume Prigent : Donc vous voulez dire quand il n'y a pas forcément d'enfant ?
Personne dans la salle : Exactement quand il y a des enfants. Mais les pères, ils essaient de se rapprocher de la mère ou peut être faire partie de la vie des enfants. Oui, mais pas activement intéressé en tant que père, mais en tant qu'ex conjoint. Oui, c'est plus clair ?
Pierre-Guillaume Prigent : Oui, oui, tout à fait. Oui. Alors en fait là, moi dans mes entretiens, effectivement, je m'intéressais à des femmes pour qui la question de la résidence des enfants a fait l'objet d'un conflit au niveau judiciaire avec une procédure devant le juge aux affaires familiales. Mais ce que j'ai pu constater aussi, c'est que certains hommes, et ça, ça va au delà de la question. Il y a des enfants, c'est qu'ils peuvent ne pas accepter la rupture et vouloir justement forcer la réconciliation avec Madame. Et donc ça, c'est ce que dit Patrizia Romito justement. Elle dit Il y a plusieurs raisons qui peuvent bloquer, qui expliquent la violence. La séparation, c'est notamment forcer la réconciliation et donc retenter que d'imposer à madame à nouveau la vie conjugale. Et donc Monsieur qui essaie d'aller chez elle, qui reste chez elle, qui veut rester chez elle. Il peut y avoir aussi des formes de chantage à la sexualité ou ce genre de choses-là, des manières d'imposer des choses. Si jamais tu ne fais pas ça ou que tu ne donnes pas ça, dans ce cas là, je vais raconter à tout le monde que tu as fait ceci ou cela. Et donc ça, c'est des formes qui peuvent exister et qui sont des formes de pression sur l’ex-conjointe, qui sont dans le cadre du contrôle coercitif, qui impliquent pas nécessairement immédiatement les enfants, mais qu'on peut retrouver dans ce contexte là. Effectivement. Est ce que c'est clair ? Merci. Merci beaucoup. C'est très intéressant.
Personne dans la salle : Deux points que j'aimerais aborder. Le premier que je trouve assez intéressant. Vous avez parlé beaucoup de tactique ou de stratégie, comme si l'agresseur avait établi une stratégie réfléchie, qu'elle y avait mis beaucoup de temps. Et donc je me pose la question de l'intentionnalité dans l'agression. Est-ce que l'agresseur est conscient de ce qu'il fait ? Est ce qu'il y a des moments de conscience après avoir effectué un acte violent ? Et donc après sur la récurrence, pourquoi est-ce que ça, disons que ça s'établit dans le temps ? Donc ce premier point et après peut être un second point aussi, c'est selon cette même ligne autour de nous comment est-ce qu'on peut réussir à identifier ce type de violence ? Mais peut être avant même qu’elles arrivent. Et identifier les types de personnes susceptibles d'engager dans ce type de violence.
Pierre-Guillaume Prigent : Ça, c'est la question à laquelle on n'aura finalement jamais de réponse. C'est la question de l'intention. On n’aura jamais la possibilité de prouver de manière définitive l'intention de quelqu'un. Alors, au niveau du pénal, c'est encore plus complexe. Donc moi je me situe pas forcément sur cette question-là. En fait, du point de vue sociologique, lorsqu'on parle de stratégie et tactique, on ne parle pas forcément d'une mise en œuvre d'un plan qui vise à dominer le monde extrêmement précis, avec des étapes très construites. Mais en gros, c'est la mise en place d'un processus où, en fait, on pense que, en mettant en place certains comportements, on va obtenir un résultat que l'on souhaite provoquer justement par ce comportement-là. Et donc typiquement, en fait, quand on apprend à vivre ensemble, nous les êtres humains, les hommes et les femmes, eh bien on apprend qu'il y a des manières d'obtenir de certaines personnes des choses. Et en fait, ça, on l'apprend tout au long de notre enfance et tout au long de notre vie. Et donc je pense que la question de la violence conjugale, elle se base aussi sur le fait que les hommes apprennent qu'ils peuvent dominer les femmes dans la vie quotidienne, qu'ils peuvent obtenir des femmes certaines choses que parfois on leur dira pas forcément que c'est grave, qu'à la cour d'école ils ont le droit de prendre toute la place et d'exclure les filles du terrain de foot. Et donc déjà, il y a une question de rapport à l'appropriation de l'espace qui se joue de manière assez rapide, que eux, ils doivent être forts, qu'elles, elles pleurent et qu'ils apprennent à dévaloriser, à mépriser les émotions des femmes, à ne pas les prendre en compte. Ça, il y a tout un tas d'études en psycho du développement, enfin pas forcément qu’en psycho du développement, mais sur le développement des enfants et plutôt des études en socio, sur des observations d'enfants qui constatent cela. Et donc je pense que la stratégie, ça se base plutôt là-dessus. Sur une conscience des interactions, des effets qu'on a sur les personnes, et on se dit bah en fait, si je fais ça, ça peut marcher. Et en fait si jamais quelqu'un qui est libre, si jamais je lui dis que tel ami c'est un gros con pour que je vois pas qu'elle le revoit, peut-être qu'elle le verra plus. Et en fait, les agresseurs ils font ça. En fait ils se disent c'est assez facile, on peut le faire parce qu'en fait on les laisse faire. Et du coup je pense que pour répondre à la deuxième partie de votre question, en fait, vous prenez toutes les tactiques que j'ai pu identifier : isolement, contrôle, intimidation, violence. Et puis vous constatez que cette personne à qui vous suspectez entre guillemets d'avoir ce type d'intention là a tendance à isoler la personne. Genre est ce que la victime ou celle qui pourrait le devenir commence à s'éloigner de vous, à trouver des excuses pour ne pas venir aux soirées ? Ou alors vous rencontrer ou travailler avec vous, parler avec vous, Est-ce que vous constatez, éventuellement une sorte de sentiment d'isolement chez elle, ou alors un éloignement même quand elle est avec vous. En fait, elle est plus distante. Est-ce que vous avez l'impression qu'elle a tendance à se dévaloriser davantage qu'avant ? Et en fait, vous pouvez prendre chacune des tactiques et puis constater si jamais il y a cet ensemble-là. Et il se peut que le conjoint soit un conjoint violent. Et je pense que les conjoints violents sont des conjoints qui cherchent à s'approprier les victimes. Et on peut le voir dans leur comportement, certains arrivent à le cacher en public, mais on peut arriver parfois justement à partir de ces différents détails là, avoir des indices sur ce qui est susceptible de passer. Mais il y a un truc aussi que je dois dire quand même, c'est toute la difficulté. On peut être expert de la violence et soi-même, ne pas avoir vu qu'il y avait des processus autour de nous qui relevaient de ça. Parce qu'il y a des agresseurs qui sont entre guillemets très forts. Alors c'est bête de le dire comme ça, mais qui arrivent à montrer en public une image parfaite qui arrivent à réguler l'image, de même à réguler aussi en même temps la victime. Et donc là, pour le coup, on peut avoir des histoires où des femmes, quinze ans, 20 ans après vont vous voir et vous dit mais pourquoi t'as pas vu qu'il m'avait fait ça ? Eh bien y a des moments où on se dit est ce qu'on pouvait le voir ? Et donc moi, j'aimerais qu'on se donne les moyens collectivement de le voir, qu'on apprenne à le détecter et qu'on soit moins tolérant envers les comportements de contrôle pour que ce soit mis sur la table. Mais en l'état actuel des choses, si jamais des gens l'ont pas vu il y a quinze ans, c'est pas forcément des horribles personnages qui n'ont rien vu. Je pense qu'il y avait un contexte invisibilisation aussi de la violence qu'il ne faut pas oublier.
Marine Koch : Merci beaucoup. Personne dans la salle : Bonsoir, lors de l'introduction, vous avez été assez neutre dans la présentation et au final en présentant l'échantillon très rapidement, c'est basé sur le récit des femmes que vous avez rencontrées et des entretiens uniquement auprès de femmes. Et donc ce que je me demandais, c'est est ce que c'était effectivement un choix posé au départ ou est ce que le mode de recrutement a fait que finalement les personnes qui se sont présentées à vous, c'était surtout des femmes ? Et du coup, est ce qu'il y en a qui travaillent aussi sur ce nombre ? Même si vous l'avez dit, ils sont moins nombreux, Mais ils existent aussi. Et du coup, est ce que c'est les mêmes formes de mécanismes qui se mettent à l'œuvre ? Est ce qu'on peut observer les mêmes mises à l'écart ou est-ce que ça s'exprime autrement ?
Pierre-Guillaume Prigent : Alors en fait, justement, en voyant les écarts, Enfin ma thèse a surgit du fait qu'on ne parlait pas des violences après la séparation en France ou très peu, il y avait quelques personnes, quelques associations qui en parlaient. On avait Patrizia Romito qui avait écrit cet article en 2011 sur les violences conjugales, parce que c'est ça qui m'a donné envie de travailler là-dessus. Et en fait, elle, elle disait c'est davantage les femmes, mais il y a des chiffres qui montrent que. Et donc moi, je me suis vraiment concentrée là-dessus pour mieux le comprendre. Et après, sur la question des hommes, justement, en fait, ils sont peu nombreux à déclarer des violences parce que. Et encore moins en fait proportionnellement par rapport aux femmes. Donc ça c'est intéressant. C'est probable qu'il y ait cette question-là de la résidence des enfants qui y soit liée. En fait, ils demandent moins la garde des enfants. Et donc la question des enfants est peut être moins 1 enjeu pour les hommes qui seraient victimes de violences conjugales après la séparation. C'est une hypothèse déjà une grosse hypothèse. Après, il faudrait expliciter des choses et des mécanismes, mais en fait il y a des travaux qui sont faits actuellement sur les violences conjugales envers les hommes et en fait, ce que ces travaux expliquent, et là je pense à des collègues britanniques, notamment Nicole Westmarland et Stephen Burrell. En fait, ils montrent que lorsque des hommes déclarent des violences conjugales, ce qui rend la violence conjugale à un degré particulièrement important, c'est qu'ils sont en fait vulnérables parce qu'ils sont soit en situation de handicap, soit en situation irrégulière du point de vue administratif, soit ont des troubles psychiques qui font qu'il y a une vulnérabilité où l'autre, l'autrice des violences peut s'en servir pour exercer du contrôle. Et donc, en fait, il est rare qu'on trouve des situations de violence contre des hommes qui soient très graves sans qu'il y ait un élément qui favorise leur vulnérabilité. Donc pour moi ça révèle l'importance du rapport de domination Hommes-femmes en fait, que pour qu'un homme puisse être dominé par une femme, il faut qu'il puisse l'être sous un autre contexte. Après voilà, je vous invite à attendre aussi parce qu'il y a une thèse en cours de quelqu'un dont j'ai oublié le nom, en France. Ça commence par un « A » son prénom et donc je suis complètement désolé vis à vis d'elle et vis à vis de vous parce que je retrouve son nom. Mais il y aura une thèse, je crois qu'elle devrait être soutenue dans pas longtemps. Fait des entretiens auprès d'hommes victimes de violences conjugales. Si jamais ça me revient, je vous le dirai plus tard.
Marine Koch : Peut-être une dernière question…Une question dans la salle et une dernière question en ligne, je suis désolée pour les personnes en ligne qui ont plein de questions, mais on a déjà bien débordé sur le temps. Personne dans la salle : J'avais une question dans le cas de figure où on a remarqué des tactiques, on remarque qu'une personne a l'air ou est sous emprise de son conjoint, mais c'est vraiment les prémices du contrôle etc. Et on a l'impression dans le cas de figure où on sait pas comment aider cette personne, même si vous avez abordé le soutien, être présent etc. Mais on voit que cette personne, on a l'impression qu'elle est en train de s'isoler de plus en plus. On n'arrive pas soit à lui faire prendre conscience. Peut-être qu'elle a conscience de ça, mais qu'elle a. Comme elle est sous emprise, elle, elle va pas vers nous. Elle s'éloigne de nous. Que comment on peut… ? Quelles sont les ressources en fait pour aider cette personne ?
Pierre-Guillaume Prigent : Alors j'ai retrouvé le nom de la personne, c'est Auréliane Couppey. Voilà Auréliane Couppey pour la thèse sur les hommes victimes de violence conjugale. Et donc je réponds à votre question. En fait, je trouve que Marie-France Cavallis du collectif féministe contre le viol. Donc quand elle fait le modèle de la stratégie de l'agresseur, elle dit ce que l'agresseur fait. Et ce que nous, on doit faire face à ça ? Et en fait, elle dit Bien, par exemple, il isole la victime, nous on l'entoure. Et donc si jamais vous avez une personne que vous connaissez autour de vous, qui commence à aimer des comportements qui seraient relatifs à une forme d'emprise qui se manifeste par une tentative de couper les liens avec vous, eh bien vous pouvez la rattraper. Vous pouvez justement essayer de lui dire Non, viens ! Et puis on peut parler, etc. Et je pense que lorsqu'une emprise se met en place, c'est un processus où déjà il faut que la personne, elle se rende compte de ce qui se passe, qui n'est pas évident. Et ensuite, si j'ai envie de dire, on s'en rend souvent compte trop tard, c'est à dire que le processus est mis en place et là on le comprend. Quand il y a quelque chose qui devient explicitement problématique. Mais avant que ça se passe, je pense qu'on peut déjà mettre en place des choses et identifier, faire l'inverse de ce que monsieur ferait. Donc l'entourer si jamais il la dévalorise, c'est la valoriser. C'est si jamais il la terrorise, eh bien nous, en fait, on cherche à la rassurer. Et d'ailleurs, si jamais il y a une personne qui vous dit : « moi j'ai peur de mon conjoint », alors vous vous dites ouais, c'est déjà ça, un signe qu'il y a quand même un souci. Mais étant donné que ça commence souvent par isolement et dévalorisation, déjà des signes d'isolement et de dévalorisation, je me dis on fait l'inverse. En fait, toute personne mérite qu'on lui fasse ça. C'est mon côté bisounours. Désolé mais en fait en vrai il y a ça aussi. Je pense que si jamais on va aller encore plus loin dans la dimension sociale de la violence, il y a ce truc là en fait. Il y a des personnes qui méritent d'être isolées, des personnes qui méritent d'être dévalorisées. Et en fait on pourrait dire bah non, en fait, toute personne a le droit d'être entourée, d'avoir des amis, d'être valorisée. Donc je me dis qu'il y a aussi cette prise en compte de l'humanité de chaque personne avec laquelle il faudrait renouer pour éviter qu'il y ait des situations de violence qui s'aggravent au fil du temps.
Magalie Vigier : Je me permets juste de compléter aussi pour les personnes qui entourent les personnes victimes de violences conjugales, on a des dispositifs d'accompagnement et de prise en charge qui sont les mêmes que pour les victimes elles-mêmes. Je pense notamment à deux associations qui sont constituées en fédération nationale et qui sont présentes partout sur le territoire national, qui accompagnent les victimes, mais qui peuvent aussi répondre aux questions de l'entourage. Et je pense que quand on est proche d'une victime de violences conjugales, on a en effet plein de questions sur comment faire au mieux pour l'accompagner dans sa temporalité, dans ce qu'elle vit au quotidien et on peut prendre des conseils auprès de ces associations qui sont aussi là pour répondre à l'entourage, aux familles, aux proches. Donc c'est ce sont les CIDFF, les centres d'information des droits des femmes et des familles dans le Nord notamment, On en a dans quasiment tous les territoires. Et puis on a la Fédération nationale Solidarité Femmes qui est aussi présente sur tous les territoires et qui porte notamment le numéro 3919 qui permet à toute victime et aussi à son entourage d'avoir des liens, des renseignements, des conseils. Donc voilà. Femmes où les Centres d'information des droits des femmes et des familles.
Marine Koch : Merci pour ces précisions. Et du coup, peut-être une dernière question en ligne. Y a certaines questions lignes qui ont déjà été répondu Il y a une personne en ligne qui demande si c'est possible de voir le replay, alors le replay sera à minima disponible sur le site de la chaire Diversité et Inclusion de l'EDHEC. Et du coup de dernière question, je suis désolée, on choisit un petit peu par rapport aux questions qui sont en ligne. Il y a une personne qui demande pourquoi nombre d'auteurs se suicident après avoir commis un féminicide.
Pierre-Guillaume Prigent : Hmmm. Je ne sais pas. Je. Alors je. En fait, je pense que quand une personne se suicide, c'est très difficile de déterminer la raison pour laquelle elle l'a fait de manière générale. Et là, j'ai envie de dire finalement. En tout cas, le contexte dans lequel les féministes ont lieu et les suicides après féminicide ont lieu, c'est justement l'idée que Monsieur se fait qu'il a perdu totalement le contrôle de Madame, que c'est foutu et que donc il a l'idée que si je ne peux pas t'avoir, personne ne pourra t'avoir Qui est l'une des phrases, marcher sur des œufs, ce type de phrase là, c'est typique de la violence conjugale. Donc le fait de tuer, certains parlent de crime d'appropriation. Sur la question des féminicides, je cite encore plein de collègues, mais il faut vraiment valoriser le travail des chercheuses et des chercheurs. Margot Giacinti, qui a fait une histoire des féminicides qui est absolument prodigieuse, qui a soutenu sa thèse et qui va, qui va bientôt publier un ouvrage tiré de sa thèse. Mais alors par contre spécifiquement pour la question du suicide, qu'est ce qui les pousse à se suicider ? Je pense que c'est dans la logique de se dire un achèvement, de se dire bon bah voilà, je l'ai éliminée. Moi je me dis aussi parce que c'était l'aboutissement de mon absence de contrôle si jamais je n'avais pu la contrôler, je ne peux plus rien faire. Quoi. Et donc c'est absolument terrible comme situation. Enfin je veux dire, on se dit et c'est qu'est ce qui. Qu'est ce qui leur passe dans la tête ? Moi, ça me dépasse. En fait, je comprends la logique sociale qui produit, qui produit ça, mais en fait on se dit mais c'est complètement con. Pourquoi est-ce que quelqu'un doit se dire je dois posséder quelqu'un jusqu'à la mort ? Ça n'a pas de sens. Voilà.
Marine Koch : Merci beaucoup pour votre intervention. Merci pour les questions. Il y a des personnes aussi en ligne qui vous remercient et on vous remercie beaucoup pour votre intervention. Merci beaucoup.
Dans le cadre de la Sustainability week, la Chaire Diversité & Inclusion, en collaboration avec Rise, l'association des étudiant.es LGBT de l'EDHEC, a eu l'honneur d'accueillir Pascal Gygax, directeur de l'équipe de Psycholinguistique et Psychologie Sociale Appliquée de l'Université de Fribourg.
La conférence portait sur le langage inclusif. La vidéo ci-contre reprend les principaux éléments abordés durant cette conférence.
Dans le cadre de leur rentrée à l'EDHEC, 700 élèves de Pré-Master ont suivi une conférence intitulée « Comment le droit peut et doit servir la lutte contre les violences sexistes ?». Cette conférence a été donnée par Valence Borgia, avocate aux barreaux de Paris et New York et co-fondatrice de la Fondation des femmes.
Pour la session de juin des conférences-débats de la Chaire Diversité & Inclusion, nous avons eu le plaisir de recevoir Nathalie Chusseau, économiste, professeure à l'Université de Lille et chercheure associée à la Chaire Transitions Démographiques, Transitions Économiques.
La réforme de notre système de retraite va entrer en application au premier septembre 2023. Cette réforme a été présentée comme "équilibrée, juste et nécessaire". Qu'en est-il réellement ? Qui seront les perdant.e.s de cette réforme ? Après avoir rappelé les principes d'un système par répartition, Nathalie Chusseau interroge les raisons de cette réforme, puis analyse les conséquences de cette dernière sur les parcours individuels.
À l'occasion du lancement de la saison 2023 de ses conférences ouvertes à toutes et tous, la Chaire Diversité et Inclusion a eu le plaisir d'accueillir Daria Sobocinska, sociologue de la sexualité à l'Université de Lille.
À partir d’une enquête sociologique sur la sexualité sans lendemain, cette conférence questionne les formes diverses et complexes que peut prendre le (non) consentement et la place qui lui est laissée dans les scénarii des rencontres sexuelles. À l’heure d’une progressive démocratisation des discours féministes autour des violences sexuelles et de la diffusion d’un idéal d’égalité, le consentement occupe une place importante dans les débats sur la sexualité.
Conférence - Les aventures sans lendemain à l’épreuve du consentement | EDHEC Business School
Hager Jemel-Fornetty
Bonsoir à toutes et à tous. Bienvenue. Merci d'être parmi nous ce soir pour cette conférence débat. Nous sommes ravis ce soir d'accueillir Daria Sobocinska, qui est doctorante à l'université de Lille 1, au Clersée plus exactement, le laboratoire et qui mène ses recherches sur la sexualité dite « sans lendemain ». Si je me souviens bien aussi, on parle de sexualité récréative et surtout et principalement dans sa recherche chez les jeunes hétéros sexuels. Dans vos travaux, Daria, si je comprends bien, vous avez croisé sociologie et sexualité, de la sexualité et sociologie du genre et vous avez été amené à enquêter sur la question des violences sexistes et sexuelles avec une approche qualitative alors que ce n'était pas au départ l'intention ni l'objet de la recherche. C'est très intéressant. Je pense que vous allez l'expliquer, comment vous êtes arrivé aux violences sexistes et sexuelles et à cette question principale qui nous intéresse beaucoup ce soir, de la question du consentement. Daria a accepté de partager ses travaux de recherche avec nous et nous la remercions. À l'EDHEC, nous avons depuis maintenant plus de deux ans décidé de travailler beaucoup plus sur la sensibilisation de nos étudiants, mais aussi, nous aussi, membres du personnel, toutes les personnes qui souhaitent avoir une meilleure culture, une meilleure formation, une sensibilisation sur la question des violences sexistes et sexuelles.
C'est un véritable fléau, nous le savons, et il y a la question aussi de comprendre, d'appréhender ce phénomène qui parfois peut empêcher qu'on tombe dans certains types de violences sexistes et sexuelles. Cette conférence fait partie aussi de ce cycle de sensibilisation. Merci encore de votre présence. N'hésitez pas à poser des questions. Sachez qu'il y a des personnes avec nous en salle, mais nous avons beaucoup plus de personnes qui nous suivent en ligne et donc je m'adresse à toutes celles et ceux qui sont connectés en ligne et je les remercie de leur intérêt. Je vous dis à toutes et à tous, que ce soit les personnes présentes en salle ou à distance, que vous pouvez poser vos questions tout au long de cette conférence en vous connectant sur le lien que vous voyez ici, sur cette slide. Il y a le QR code, mais aussi pour les personnes qui nous suivent via YouTube live, il y a le lien via lequel vous pouvez poser ces questions. N'hésitez pas à l'utiliser. Nous avons le moyen de voir ces questions et de pouvoir les poser à la fin de la conférence, puisque l'objectif, c'est qu'après que Daria nous présente ses travaux de recherche, qu'elle puisse aussi débattre avec toutes les personnes présentes virtuellement et ici dans cet amphi.
Daria, je vous laisse la parole et à tout de suite pour la session Questions/ Réponses.
Daria Sobocinska
Merci beaucoup pour cette présentation. Bonsoir à toutes et à tous. Je suis très contente d'être ici ce soir. Un grand merci d'être présent et présente, soit en présentiel, soit en virtuel. Et puis, bien sûr, un grand merci à la chaire Diversité et Inclusion de l'EDHEC, qui a organisé ce moment d'échange, mais ce ne sera pas le seul auquel je suis bien évidemment très heureuse de participer. Je suis très contente, bien sûr, de vous présenter mes travaux parce que c'est toujours une joie de pouvoir discuter un petit peu en dehors du cadre de l'université. Mais je suis d'autant plus contente d'être ici ce soir qu'on m'a demandé de venir discuter avec vous de la question du consentement lié aux violences sexuelles, qui est un sujet évidemment ô combien important. La commande qui m'a été faite aujourd'hui pour cette conférence, c'est donc de vous présenter mes travaux sur la sexualité dite « sans lendemain ». C'est une expression qui est extrêmement large. Je reviendrai dessus tout à l'heure, bien évidemment. Je vous en dirai quelques mots pour bien sûr vous présenter et coller à la commande pour vous présenter mes travaux, mais aussi et surtout pour que vous puissiez comprendre d'où est ce que je parle, parce que je ne suis pas une experte des violences sexuelles.
Je ne travaillais pas directement sur les violences sexuelles avant qu'elles s'imposent sur mon terrain. Donc, ça me semble important de vous faire un petit peu de points sur qui je suis et d'où je parle pour que vous puissiez aussi situer mes résultats. L'enjeu de cette conférence, c'est à la fois de vous parler de cette question de la sexualité sans lendemain, en la croisant avec la question du consentement, mais l'idée aussi, derrière ce cadre qui est, finalement, même si on sort un petit peu de l'université que je connais, ça reste un cadre qui est très académique. L'objectif, c'est quand même de vous proposer peut être des outils et notamment des outils sociologiques qui vous permettent, qui nous permettent collectivement de porter un regard critique sur la question du consentement. Et c'est un outil, je vous en parlerai tout à l'heure, qui fonctionne très bien en sociologie, mais qui, je crois, peut avoir un intérêt certain aussi dans notre intimité et dans notre sexualité. Donc voilà, j'ai un peu ce double objectif ce soir, un côté très académique et puis un côté peut être un peu plus intime et militant. Alors, avant d'entrer dans le vif du sujet, je vous propose de vous présenter rapidement ma recherche.
Je me saisis de ma petite télécommande et ça fonctionne très bien. Je n'ai pas l'habitude. Donc mon travail de thèse, je vous l'ai dit, il se penche sur ce qu'on peut appeler la sexualité sans lendemain. La sexualité sans lendemain, c'est une expression qui est extrêmement vague et que j'ai volontairement gardée très vague parce qu'elle permet de recouvrir tout un tas de situations de sexualité différentes. Pour vous donner un petit peu une définition très académique et un peu pompeuse, la sexualité sans lendemain, sur mon terrain, je l'entends comme toute forme de sexualité récréative entre deux partenaires ou plus. La sexualité récréative, c'est une sexualité qui n'a pas pour ambition soit la procréation, soit le support de la conjugalité, ce qui est un peu les deux caractéristiques de la sexualité ordinaire. Cette sexualité sans lendemain, elle est aussi caractérisée par un renouvellement relativement fréquent des partenaires sexuels, c'est à dire qu'on ne reste pas, c'est le concept du sans lendemain » très longtemps avec ses partenaires, même si parfois ça peut durer plusieurs nuits et ce n'est pas tout à fait seulement d'un soir. Et elle se caractérise aussi par un engagement émotionnel et un investissement temporel qui est présenté par mes enquêtés et j'insiste sur le « présenté » parce que c'est bien sûr un peu plus compliqué que ça, qui sont relativement faibles.
Néanmoins, dans toutes les relations qu'on a pu me raconter, le point commun, c'est bien sûr la mise à distance partielle de la figure conjugale, puisque c'est un petit peu le concept de la sexualité sans lendemain, c'est un petit peu l'inverse de la sexualité conjugale. Pour le dire de manière cette fois ci beaucoup moins pompeuse et beaucoup moins élégante, je travaille sur ce qu'on appelle les coups d'un soir ». Au moment où je démarre ma recherche, il y a quatre ans, si on prend le début de mon travail de thèse, en réalité, j'ai réalisé deux mémoires de master déjà sur cette question là. Donc, ça fait six ans que je travaille sur cette question. Au moment où je commence à m'intéresser à cette sexualité dite « sans lendemain », on en parle énormément et on en parle surtout énormément dans la presse. La presse est très, très friande des aventures sexuelles, de ce qu'elle va appeler notamment la génération Tinder. La génération Tinder, c'est le nouveau nom de la Gen Z ou des millennials. Je vous que je m'y perds un peu dans les lettres. Et donc ce serait cette génération qui, finalement, serait incapable de fonctionner sans son téléphone portable au bout du bras et qui serait incapable de trouver l'amour et la sexualité autrement que sur les applications de rencontres.
Donc, on a une masse d'articles de presse qui vont s'intéresser à cette sexualité. C'est des articles qui sont un peu tous plus sensationnalistes les uns que les autres, ce qui s'entend puisque c'est aussi le travail des journalistes que de proposer des choses intéressantes à lire. Mais la sociologie, elle, va mettre quand même un peu plus de temps à se pencher sur cette sexualité là. En fait, on n'a pas de travaux en France en sociologie qui va se pencher directement et exclusivement sur la question de la sexualité sans lendemain. Et la grande oubliée de la sociologie, c'est surtout la sexualité sans lendemain des hétérosexuels, parce qu'on a quand même pas mal de travaux sur la sexualité sans lendemain, notamment chez les hommes gays. Mais chez les hétéros, on en a très peu et surtout, on a très peu d'enquête sur la sexualité récréative des femmes hétérosexuelles. Comme si finalement, même si les sociologues sont censés déconstruire, critiquer, etc, on avait un peu admis le fait que ce n'était pas une sexualité d'hétéro et surtout que ce n'était pas une sexualité de femme. Or, force est de constater, sinon je ne serais pas là ce soir, qu'elle existe bien et qu'en fait, il y a plein de choses très intéressantes à en dire.
L'objectif de mon travail de thèse, ça va être de proposer un regard sociologique sur une sexualité qui est très commentée. Et donc, parmi les discours qu'on va retrouver le plus souvent, on retrouve des discours qui avancent que les « coups d'un soir » — c'est l'expression qui est largement utilisée par les médias — sont déjà caractéristiques de la jeunesse ou des jeunes avec un grand J. Mettez ce que vous voulez à l'intérieur, en fonction des types de presse vers lesquelles on se tourne, on est sur maximum 30 ans. Désolée pour ceux et celles qui sont plus âgés. Et finalement, on a des articles qui décrivent un peu la sexualité sans lendemain comme étant un passage obligé de la jeunesse, comme si tous les jeunes passaient par cette case là. C'est même dans certains articles de presse, un conseil. On vous dit qu' avant vos 30 ans, ça serait bien de manger un piment très fort, de partir en voyage toute seule. Et puis d'avoir un coup d'un soir, ça serait quand même pas mal. Mais bien sûr, avant 30 ans, parce qu'après, il s'agirait de retrouver la vie sérieuse. Et même si c'est de moins en moins le cas, parce que c'est quand même une thématique qui commence un peu à être à être vue et revue, on a même certains médias qui vont s'inquiéter de la disparition de l'amour et qui vont titrer « Tinder a t il tué l'amour ?»
« La fin de l'amour avec les applications de rencontre. » etc. Comme si finalement, Tinder et Consort, qui sont, je le rappelle, juste des applications de rencontre, avaient réussi à annihiler complètement le sentiment amoureux et la stabilité conjugale, ne laissant comme horizon que la sexualité sans lendemain. Ce qui nous indique déjà qu'il y a une forme de hiérarchie aussi dans les sexualités. L'un des objectifs de mon travail, ça va donc être de proposer l'idée que la sexualité sans lendemain, elle repose sur autre chose qu'une propension naturelle des jeunes à vouloir détruire l'amour et à vouloir détruire toute forme de conjugalité. Pour ce faire, je m'intéresse d'une part aux différents parcours qui permettent d'accéder à la sexualité sans lendemain, avec l'idée finalement qu'il ne suffit pas d'être jeune pour entrer dans cette sexualité, mais qu'on a bien tout un tas d'éléments biographiques et de conditions bien particulières qui favorisent l'accès aux “coups d'un soir” ou qui, au contraire, viennent les empêcher. Et puis, je m'intéresse aussi aux usages, aux pratiques et aux significations que peut prendre cette sexualité. En partant de l'hypothèse, hypothèse qui est aujourd'hui en bonne voie d'être très confirmée, puisque j'en arrive à la rédaction de ma thèse.
Donc, en partant de l'hypothèse que cette sexualité sans lendemain, ce n'est pas que une histoire de sexualité et c'est même peut être moins une histoire de sexualité qu'une histoire de tout un tas d'autres choses. Donc, en gros, l'idée générale de ma thèse, et ce n'est rien de très original ici pour une sociologue, c'est de montrer que la sexualité sans lendemain, c'est certainement un poil plus compliqué que ce qu'on veut bien en dire à droite, à gauche. En ce qui concerne ma méthodologie, je m'appuie sur des entretiens biographiques semi directifs rétrospectifs. Moins de IF dans ma phrase, ça nous donne une approche tout simplement en termes de récit de vie, c'est à dire que je vais demander à mes enquêtés, dans des entretiens qui sont relativement longs, de me retracer leur parcours sexuel. Je m'intéresse bien sûr aux récits de vie sexuel, puisque c'est le cœur de mon travail, mais ça me permet aussi de questionner la vie relationnelle de manière plus générale et parfois même la vie amoureuse, puisque mes enquêtés n'ont pas de problème à replacer cette sexualité là au cœur de la totalité de leur parcours. Ces entretiens, ils vont être menés en très grande majorité, on vous l'a dit en présentation, avec des hétérosexuels, hommes comme femmes, qui, pour beaucoup, sont diplômés de l'enseignement supérieur et qui sont plutôt jeunes puisque le gros de mes enquêtés ont entre 20 et 30 ans.
J'ai quelques profils qui sortent de cette idée là, mais ils sont assez rares. Donc, en gros, je travaille sur une grande partie des étudiants de l'EDHEC que je m'attendais à voir ce soir, mais qui visiblement ne sont pas là. Donc ma blague tombe un petit peu à l'eau, mais ce n'est pas grave. Ces entretiens, je vous raconte très rapidement mes quelques résultats avant d'en venir plus précisément à la fin de l'enseignement supérieur, à la question des violences sexuelles. Ces résultats, ils m'ont permis de montrer plusieurs choses. D'abord, je vous l'ai dit qu'on n'accède pas à la sexualité sans lendemain, par hasard, mais qu'il y a tout un tas de caractéristiques qui permettent ou qui vont empêcher l'accès à cette sexualité, qui nécessitent une rupture biographique dans les parcours, puisque collectivement, nous ne sommes pas socialisés à avoir ce genre de pratiques sexuelles. J'ai pu montrer aussi qu'il existe une multitude de raisons qui viennent motiver le maintien dans la sexualité sans lendemain et que le plaisir sexuel n'est pas un des arguments qui est avancé par mes enquêtés pour leur motivation à avoir une relation sans lendemain. C'est assez intéressant à mon sens. J'ai montré aussi que la sexualité sans lendemain, elle peut fonctionner comme un outil qui est extrêmement efficace de remise en question des normes sexuelles ordinaires, mais que cet outil est plus efficace pour certains que pour d'autres.
J'ai quand même certains de mes enquêtés qui me racontent que la sexualité sans lendemain, c'est quand même peu ou prou à peu près la même chose que ce qu'ils et elles avaient connu. Mais, et j'arrête d'accélérer et je rentre maintenant dans mon propos, ce qui a surtout attiré mon attention, c'est aussi que la sexualité sans lendemain, comme toutes les formes de sexualité d'ailleurs, je reviendrai tout à l'heure, elle repose sur ce qu'on appelle des scripts sexuels, c'est à dire des scénaris et que dans ces scénaris, la question du consentement, elle occupe une place qui est assez particulière et qui pose la question de la violence sexuelle de manière un petit peu détournée que ce dont on a l'habitude. Pour questionner la place du consentement dans la sexualité d'un soir, je vous propose de nous intéresser dans un premier temps aux origines des violences sexuelles. Je vous présenterai rapidement quelques éléments autour de la socialisation genrée à la sexualité, qui est la base des inégalités de genre et donc des violences sexuelles. Et puis, j'en viendrai dans une deuxième partie plus spécifiquement à la sexualité d'un soir. Et je vous montrerai comment cette sexualité, elle s'appuie effectivement sur des scripts sexuels et que ces scripts sexuels laissent très peu de place à l'expression du consentement.
J'en profiterai également pour aborder la place qu'occupent les applications de rencontres sur mon terrain et comment elles aussi, en tant que dispositifs techniques, participent à modeler l'expression du consentement de mes enquêtés. Alors, pour comprendre l'enjeu des violences sexuelles, il me semble important de vous dire quelques mots sur les origines de ces violences fondées sur le genre. Alors là, je m'écarte un petit peu de mes travaux spécifiquement et je vais citer beaucoup de mes collègues qui ont fait ce travail mieux que moi. Mais ça me semble important de revenir sur les bases pour ceux et celles qui ne seraient pas sociologues. Et c'est une question qui est très importante parce que même si c'est un discours qui est énormément, ces dernières années, remis en question, notamment par les militantes féministes et notamment par les chercheuses féministes, on a encore beaucoup de discours qui sous entendent que les violences sexuelles, c'est plutôt une affaire de personnes monstrueuses, de personnes malades, de personnes asociales, etc. Or, ce discours, il ne tient pas du tout la route. Et force est de constater que les violences, et les violences sexuelles plus spécifiquement, font en réalité partie de la vie ordinaire, que les victimes de violences sexuelles sont des personnes ordinaires, que les auteurs de violences sont des personnes ordinaires, dans le sens où ce ne sont pas des personnes atteintes de troubles ou quoi que ce soit, ce sont des gens sociaux comme les autres et c'est important de le rappeler.
Et surtout que finalement, les violences, elles s'expliquent socialement et on peut tirer leurs origines avec la sociologie et éviter de tomber dans des explications essentialisantes ou biologisantes. Les violences sexuelles dont les femmes sont majoritairement les victimes, elles découlent directement des inégalités de genre et ces inégalités de genre, elles découlent elles mêmes d'un processus de socialisation différencié. En sociologie, on va parler de socialisation pour désigner le processus par lequel on apprend et on incorpore, souvent de manière inconsciente d'ailleurs, des normes et des valeurs, des guides de comportement qui vont participer à orienter nos actions, nos points de vue, nos idées, notre vision du monde, etc. Cette socialisation, qui est une transmission de normes, de codes, de valeurs, elle passe par ce qu'on appelle des agents socialisateurs ou des agents de socialisation, à savoir nos parents, la famille, l'école, les différentes institutions par lesquelles on va passer, les groupes de pairs, etc. Pairs, P AIRS. Et si la sociologie a montré que la socialisation varie en fonction de nos origines sociales, en fonction des origines culturelles, en fonction de notre âge, etc, elle varie aussi en fonction de notre genre. Donc, on fait tous et toutes face à ce qu'on appelle une socialisation genrée.
Et c'est l'idée, maintenant, je crois, très connue, que défendait Simone de Beauvoir quand elle disait qu'on ne naît pas femme, on le devient. Ce qu'elle dit tout simplement, c'est que ce qui fait de nous des femmes ou ce qui fait de nous des hommes, c'est un apprentissage social de comportement dit masculin et de comportement dit féminin. Ce processus de socialisation, genrés ou pas, tous les processus de socialisation fonctionnent. Il démarrent dés la naissance et dans le cas du genre, on s'aperçoit même que ça démarre un peu avant la naissance. Les baby shower en sont un exemple particulièrement efficace. Ce processus d'apprentissage, il va se poursuivre tout au long de la vie et il va participer à la construction d'un monde social qui est binaire et qui va opposer le féminin et le masculin d'un côté. On va avoir une complémentarité entre une féminité dominée d'un côté et une masculinité dominante de l'autre. C'est sur ces bases que repose la société patriarcale. On pourrait faire une conférence entière sur cette question là, mais je ne suis ni experte de cette question et je ne suis d'ailleurs pas là ici pour ça aujourd'hui. Je vous donne simplement quelques exemples et quelques références, surtout pour rendre à César ce qui est à César et vous donner des références si jamais c'est quelque chose qui vous intéresse.
Mais de manière générale, ce que vont montrer les travaux en sociologie, c'est qu'on a tendance à socialiser les femmes à l'espace domestique et au cercle familial, tandis qu'on va plutôt encourager les hommes à s'ouvrir à des activités extérieures. Tout ça, vous allez le voir, a un impact concret et direct sur la question de la sexualité. On sait, par exemple, j'en viens donc à mes quelques quelques exemples, que dans les familles où il y a plusieurs enfants, ce sont encore les sœurs qui sont appelées à prendre soin de la maison en partageant les tâches ménagères avec les parents et surtout à prendre soin de la famille en participant à l'éducation de leurs frères et de leurs sœurs. Je vous ai mis toutes les références dans le diaporama. Plus tard, je n'insiste pas là dessus parce que je pense que c'est des chiffres qui sont connus et dont on entend beaucoup parler, mais plus tard dans le parcours, pas seulement dans l'enfance, on retrouve cette inégale répartition qui font que ce sont encore les femmes qui prennent en grande majorité le travail domestique, tandis que les hommes, eux, sont poussés vers l'extérieur. On a une opposition entre la housekeeper, la femme qui doit s'occuper de la maison et le breadwinner, celui qui doit ramener du pain sur la table.
Dans la même logique, on voit que ce sont les petites filles qui sont incitées, que ce sont plutôt les petites filles qui sont incitées à faire des activités d'intérieur, qui vont être considérées comme étant plus douces, plus calmes et qui vont souvent nécessiter d'être seules. La question de la sociabilité, elle est extrêmement importante dans les socialisations masculines et féminines. On va plutôt pousser les petites filles à faire de la peinture, de la musique, à travailler sur l'embellissement du corps, etc. Tandis que les garçons, eux, vont être poussés à faire des activités extérieures qui, cette fois ci, seront plus collectives. On pousse les garçons à faire groupe et qui sont souvent plus physiques, plus bruyantes et même parfois plus brutales. Je pense notamment aux sports collectifs ou aux différents jeux de rôle à l'extérieur. On voit qu'on ne valorise pas la même chose chez les petites filles et chez les petits garçons. Donc, ce que nous montrent ces travaux, et je pourrais vous en citer beaucoup d'autres, mais encore une fois, je ne suis pas là pour ça, c'est que les petites filles, et par extension les femmes, puisque je vous le rappelle, cette socialisation, elle court tout au long de la vie, elles sont plutôt socialisées à la douceur, à la sphère domestique, à la sphère familiale et plus généralement à ce qu'on va appeler le travail du “care”, c'est à dire le travail qui consiste à s'occuper, certes de soi, mais aussi et surtout à s'occuper des autres.
Les garçons, eux, vont plutôt être socialisés, à faire des activités physiques, à faire des démonstrations de force et de puissance. Et un garçon qui ne se plierait pas à ces activités là, à ces exigences là, il sera souvent rappelé à l'ordre en étant comparé à une fille de manière insultante. Cette socialisation différenciée entre intérieur et extérieur, douceur et puissance, elle se retrouve aussi dans la socialisation, au sentiment, sentiment amoureux, mais pas que, toute forme de sentiment. Et elle se retrouve aussi dans la socialisation à la sexualité, parce que la sexualité, comme toute activité sociale, repose sur de la socialisation. Les travaux de Kevin Diter montrent par exemple, que les petites filles et les petits garçons n'entretiennent pas du tout le même rapport aux sentiments amoureux et au fait d'avoir des amoureuses et des amoureux à l'école primaire. Lui, il a fait un terrain fascinant d'ailleurs dans des écoles primaires où il a accompagné des enfants plusieurs jours par semaine pendant plusieurs années pour discuter avec eux de ce que c'est que le sentiment amoureux et que le sentiment amical. Ce qu'il a remarqué, c'est que les petites filles, elles semblent beaucoup plus libres, voire même incitées à l'expression de leurs sentiments par leurs copines autour d'elles, mais aussi par les adultes.
Donc elles vont discuter et rire d'amour, de sentiments amoureux avec leurs copines, mais elles vont aussi parler d'amour, des amoureux, rarement des amoureuses d'ailleurs, avec les adultes qui vont les questionner là dessus et qui vont les encourager. Et je pense qu'on a tous et toutes entendu ou même dit cette petite phrase de « Alors, t'as un amoureux à l'école ? » etc. Ça, pour les filles, il n'y a aucun problème. Les garçons, eux, au contraire, ils vont éviter de parler de sentiments amoureux, ils vont éviter de dire qu'ils sont amoureux et ils vont même éviter de tomber amoureux d'une fille, parce que l'amour, dès l'école primaire, c'est considéré comme un truc de fille. Et un truc de fille, ce n'est pas super valorisé chez les garçons. Donc, ils ne parlent pas de ces sujets, ni entre eux, ni avec les adultes. Et quand ils le font, ils sont généralement rappelés à l'ordre par les copains qu'ils les en joignent à se comporter comme des garçons. Plus tard, à l'adolescence, on va retrouver cette idée, encore une fois, que l'amour, c'est un truc de filles et que les garçons, eux, ils sont plutôt du côté du physique et du côté de l'expérimentation.
Et donc, en travaillant sur l'entrée dans la sexualité active partagée des adolescents et des adolescentes, de manière moins pompeuse sur la première fois avec un grand P, mais ce n'est pas l'expression qu'on utilise en sociologie puisque c'est bien sûr beaucoup plus compliqué que ça. Mais donc, en travaillant sur cette première fois, Florence Maillochon, qui est sociologue aussi, a souligné que les adolescents sont beaucoup plus nombreuses que les adolescents, a déclaré que le sentiment amoureux, c'est quelque chose qui est très important dans leur entrée dans la sexualité. Donc elles vont être plus nombreuses à déclarer, chercher l'amour avant de chercher la sexualité. Elles vont être plus nombreuses aussi à vouloir attendre avant d'avoir un premier rapport sexuel. Bref, l'entrée dans la sexualité, ça semble être une étape symbolique plus importante pour les filles que pour les garçons qui, eux, y verraient plutôt une étape physique à franchir avant de passer à l'âge adulte. C'est une idée que confirmait aussi Michel Bozon, que je vous ai aussi mis à l'écran, Michel Bozon, sociologue de la sexualité, et qui va nous dire, et je le cite, que pour les femmes, l'entrée dans la sexualité est largement motivée par l'amour, la tendresse, l'envie de faire plaisir aux partenaires, tandis que les hommes déclarent plutôt que ce sont le désir et la curiosité ou le désir de franchir une étape.
Donc, on voit qu'avec cette socialisation différenciée et genrée, on ne crée pas les mêmes attentes chez les femmes et chez les hommes. Et en termes de sexualité, ça va produire des écarts dans les normes sexuelles. En ce qui concerne la socialisation à l'amour et à la sexualité, on voit que les femmes sont plutôt appelées à être du côté du couple, de l'amour, du sentiment, et que les hommes sont plutôt appelés à être sur le registre de l'expérience, de l'expérimentation physique. Et avec ces exemples, logiquement, si je n'ai pas trop bafouillé, vous voyez déjà où je veux en venir avec mon histoire de consentement et de violences sexuelles. Cette socialisation genrée à la sexualité, elle produit donc des attentes, des normes sexuelles qui varient en fonction du genre. Pour le dire de manière très rapide et très simple, il y aurait une sexualité dite féminine et une sexualité dite masculine. Alors bien sûr, je fais une parenthèse tout de suite sur mes propos, ce sont des expressions qui répondent à des représentations. Il est évident que les sociologues ne défendent pas l'idée qu'il y a naturellement une sexualité de femme et une naturelle ment une sexualité d'homme, bien au contraire, mais que notre apprentissage de la sexualité est tellement différencié qu'on ne crée pas les mêmes normes et les mêmes attentes qui va avoir des impacts concrets sur le parcours sexuel.
Dans nos représentations, les sexualités féminines et masculines vont être pensées sur des registres qui sont complètement différents, qui sont opposés et qui sont en fait dans un cadre hétéronormatif complémentaire. L'hétérosexualité repose sur un système de complémentarité. Les femmes devraient être petites, avec des cheveux longs et toutes faibles et délicates, tandis que les hommes devraient avoir les cheveux courts, être très grands et être super musclés. Je vais pendant cinq minutes me vautrer dans les caricatures. Vous m'excuserez, mais malheureusement, les caricatures, c'est le meilleur exemple qu'on a. Mais donc, il y a vraiment cette idée de complémentarité. Et donc, pas de scoop sous le soleil. Je vais aller droit dans les représentations que vous connaissez sûrement déjà et qui sont bien évidemment de plus en plus remises en question, mais qui y persistent quand même un petit peu. La sexualité des femmes, elle va être plutôt pensée et présentée comme une sexualité qui est douce, qui est délicate, qui serait tournée vers l'émotion, vers le sentiment amoureux et l'amour, et surtout qui serait tournée vers la conjugalité. La sexualité des femmes ne servirait qu'à soutenir la conjugalité. En gros, elle n'aurait pas de sexualité par elle même.
Elle n'aurait de la sexualité que pour servir le couple. À l'inverse, la sexualité des hommes, elle est souvent décrite et encore énormément aujourd'hui, et ça pose un problème, comme une sexualité qui est pulsionnelle. On est sur le vocabulaire de la pulsion. Cette sexualité la elle serait principalement tournée vers le plaisir physique et donc les hommes auraient un désir sexuel incontrôlable, en tout cas moins contrôlable que celui des femmes, pulsionnelle et surtout déconnectée de la conjugalité. Ces représentations, qui naissent de la socialisation différenciée, ont des impacts concrets sur la sur les parcours sexuels. On n'est pas que de l'ordre d'idées vagues qui flottent, Dieu sait où, dans le cloud, mais on est bien sur des représentations qui ont des impacts concrets, et ce, tout au long de la vie sexuelle. Je vais vous donner quelques exemples qui sont issus de l'enquête CSF. L'enquête CSF, c'est l'enquête contexte de la sexualité en France. C'est une grande enquête quantitative qui a été lancée par l'Institut national des études démographiques au début des années 2000. Le compte rendu a été publié en 2008 et c'est aujourd'hui des chiffres sur lesquels on s'appuie largement en sociologie. L'objectif de cette enquête, qui se faisait par administration de questionnaire par téléphone, c'est de proposer une description qui est assez riche des comportements sexuels des Français, tout en questionnant les rapports genrés à la sexualité.
Tous les chiffres qu'on voit passer autour de « Les Français ont X rapports par semaine », sont soit issus de micro trottoirs qui sont relativement peu fiables, soit de ce genre d'enquête qui sont proposées par les grands instituts nationaux. Ce que va montrer cette enquête, c'est que les femmes sont plus nombreuses que les hommes à déclarer, j'insiste sur la déclaration, elles sont plus nombreuses que les hommes à déclarer que la sexualité est associée aux sentiments amoureux. Elles sont 74% à déclarer n'être pas du tout ou pas tout à fait d'accord avec l'idée qu'on peut avoir des rapports sexuels sans avoir de sentiments amoureux. Autrement dit, elles sont 74% à déclarer que la sexualité sans lendemain ne leur conviendrait pas. Et on est à 51% chez les hommes. Donc on a quand même une proportion un petit peu différente. Et donc on voit que... Déjà, on voit que la question du sentiment amoureux ressemble relativement importante pour les deux genres. Mais on voit quand même que du côté des femmes, l'importance du sentiment amoureux semble plus forte dans le parcours sexuel. L'enquête montre également que le désir masculin est encore pensé en priorité.
On voit par exemple que 77% des femmes déclarent avoir déjà eu des rapports sexuels pour faire plaisir à leurs partenaires sans en avoir vraiment envie. Et cette expression du « sans en avoir vraiment envie », on y reviendra tout à l'heure parce qu'elle est extrêmement présente sur mon terrain, contre 53% des hommes, ce qui reste une proportion encore importante puisqu'on a un homme sur deux qui déclare déjà avoir cédé à des relations sexuelles, mais on est de l'ordre de 77% chez les femmes. Dans la même logique, les femmes sont aussi beaucoup plus nombreuses que les hommes à déclarer accepter des pratiques sexuelles dont elles ne veulent pas, notamment les sexualités orales ou la sexualité annale, par exemple, que les hommes qui le déclarent. Ce déséquilibre, dernier chiffre de cette enquête qui me semble extrêmement important, il s'explique notamment par le fait que la sexualité des hommes est pensée serait sur le registre du besoin, contrairement à la sexualité des femmes qui, elles, seraient plutôt cérébrales. Ça, c'est une expression qu'on entend beaucoup et un peu partout. Les femmes seraient beaucoup plus cérébrales dans la sexualité que les hommes. J'y mets toute l'ironie du monde à l'intérieur.
Je pense que vous commencez à percevoir mon opinion sur la question. Dans cette enquête CSF, on a quand même 73% des femmes et 59% des hommes qui déclarent être d'accord ou plutôt d'accord avec l'idée que, par nature, les hommes ont plus de besoins sexuels que les femmes. Et je m'aperçois que depuis tout à l'heure, je ne clique pas au bon endroit et personne ne me dit que les chiffres ne correspondent pas. Donc j'en viens à ces chiffres qui disent que les femmes sont plus nombreuses à déclarer les sentiments amoureux. Là, c'est ce sont les chiffres qui montrent que les femmes sont à 73% d'accord avec l'idée que, par nature, les hommes ont plus de besoins sexuels qu'elles. Et 59% des hommes sont d'accord avec cette idée. Cette essentialisation de la sexualité humaine, c'est à dire la mobilisation d'arguments qui sont biologisants ou naturalisants, sont à la base des violences sexuelles. Ces représentations d'une sexualité féminine qui serait sentimentale, conjugale et de l'autre côté, une sexualité masculine qui serait pulsionnelle, elle continue encore aujourd'hui, l'enquête a quelques années quand même, mais elle continue encore aujourd'hui à infuser nos discours sur la sexualité et à brouiller finalement notre perception des violences sexuelles.
Par exemple, on a encore beaucoup de mal en France aujourd'hui à reconnaître qu'il existe le viol conjugal, qu'un viol conjugal puisse se produire, donc le viol au sein d'un couple, alors qu'on a une loi depuis 1992 qui reconnaît l'existence du viol conjugal. C'est à la fois très tard parce que ça arrive tardivement, mais c'est à la fois il y a très longtemps puisqu'on s'aperçoit que malgré cette loi, les choses ne bougent pas énormément. Si les choses ne bougent pas énormément, c'est parce que la sexualité, elle est considérée dans nos représentations comme étant un pilier fondamental du couple. Un couple qui fonctionne. C'est un couple qui a des rapports sexuels réguliers et on a même certains discours qui nous donnent carrément un chiffre, c'est pratique, puisque la rumeur raconte que les couples fonctionnels auraient trois rapports sexuels par semaine, ce qui, sociologie sauvage, semble ne pas vraiment tenir la route. Mais voilà, j'ai peut être des amis qui sont dans des couples dysfonctionnels, je ne sais pas. C'est évidemment une blague. Je sens que la salle n'est pas avec moi ce soir, mais ce n'est pas grave. Tout ça pour dire que toutes ces représentations là, elles participent à dire « Vous devez avoir tel type de sexualité, sinon vous dysfonctionnez.»
Donc, on a cette idée qu'en fait, il ne peut pas y avoir de violences sexuelles dans le couple, puisqu'il y a un couple qui fonctionne, c'est un couple qui a du désir sexuel. En tout temps, en tout lieu, etc. Ces représentations là, qui nous empêchent de considérer qu'il puisse y avoir des violences sexuelles dans un couple, elles sont tellement puissantes qu'elles compte que parfois, les victimes elles mêmes de violences sexuelles au sein du couple ne s'en aperçoivent même pas. Donc elles ne se déclarent pas elles mêmes victimes. Elles ne s'aperçoivent pas qu'elles ont été contraintes à la sexualité. Et on retrouve cette expression « Je me suis forcée pour faire plaisir. Ça fait longtemps qu'on ne l'a pas fait. » Donc, il faut se plier au jeu de la sexualité, ce qui pose la question du consentement de manière, encore une fois, très particulière. Et ça, on pourrait se dire que les choses évoluent. D'ailleurs, elles évoluent et dans le bon sens grâce à tout un tas de travail de militantes et de chercheuses et chercheurs féministes. Mais sur mon terrain, je vous rappelle, j'enquête avec des femmes et des hommes qui ont entre 20 et 30 ans pour la plupart.
Je retrouve encore ce genre de discours là et j'ai des enquêtés qui, en me racontant leur parcours, vont s'apercevoir dix ans plus tard qu'elles ont été victimes de violences au sein de leur couple, parce que dans leurs représentations, il n'était pas possible qu'on puisse être victime de violences sexuelles. Ça s'explique encore une fois par nos représentations, puisque dans notre imaginaire, un viol, c'est une agression sexuelle dans une ruelle, tard le soir, par un inconnu. Or, on sait aujourd'hui que statistiquement, ces agressions sont relativement rares. Elles existent, mais elles sont relativement rares et qu'en réalité, la majorité des agressions sexuelles se font dans un cercle très proche et parfois même par le conjoint ou la conjointe, plus rarement, mais ça arrive. Je vous donne une autre enquête qui est sur la question des violences sexistes et sexuelles, une vraie référence ces dernières années, c'est l'enquête VIRAGE de l'Ined. Cette enquête la, qui est une enquête de victimation sur 30 000 personnes, avance l'idée qu'on aurait 3,26% des femmes qui se déclarent victimes de viol et 2,98 % qui déclarent avoir été victimes d'un membre de la famille, d'un conjoint ou d'un ex conjoint. On a l'écrasante majorité des victimes de viol qui le sont dans le cadre du cercle proche.
Du côté des hommes, on a 0,47% qui se déclarent victimes d'un viol et 0,27% qui se déclarent victimes d'un membre de la famille. Encore une fois, on est sur une grosse part de ces violences. Vous voyez bien comme nos représentations peuvent avoir un impact direct sur les violences sexistes et sexuelles ou en tout cas sur la manière dont on les perçoit et donc sur la manière dont on lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Dans la même logique, vous avez sur ce moment dû voir passer tout un tas d'affaires médiatiques dans lesquelles on va décrire en détail et allègrement le comportement de la victime de violences. Ces vêtements, en gros, la manière dont elle aurait aguiché son agresseur. Ce que ça nous dit, c'est qu'on part du principe que les hommes agresseurs sont incapables de retenir leurs pulsions sexuelles, pulsions qui, je le rappelle, ne relèvent que des représentations, puisque à ce jour, aucune explosion spontanée n'a été recensée. Et c'est aussi pourquoi on prend aussi peu au sérieux les hommes qui se déclarent victimes de violences sexuelles ou victimes de viols, puisque dans nos représentations, les hommes auraient toujours envie d'avoir un rapport sexuel.
Ce serait eux, de toute manière, qui domineraient la sexualité dans le cadre hétérosexuel, donc ils ne pourraient pas être victimes de violences. Or, le fait est qu'ils existent bien et qu'ils se déclarent, notamment à l'enquête VIRAGE, en moindre proportion, mais en tout cas, ils se déclarent aussi. C'est important, même si je pense que ça commence à être entendu, mais je pense... Répéter, ça ne sert jamais à rien. C'est important de préciser que les agressions sexuelles, elles ne répondent pas à une misère sexuelle, qu'elles ne répondent pas à l'impossibilité de se contenir, qu'elles ne répondent pas à un moment de faiblesse. Au contraire, les violences sexuelles sont le reflet de la domination et de la violence, et que cette domination et cette violence, elles s'appuient sur nos représentations et elles s'expriment tout simplement parce qu'elles peuvent s'exprimer. Parce qu'il est attendu que la sexualité des femmes se subordonne à celle des hommes, parce qu'il est attendu qu'un homme ait toujours un désir sexuel et que ce désir sexuel est de l'ordre de la pulsion, parce qu'il est attendu qu'un couple ait des rapports sexuels, alors la question du consentement peine encore à s'imposer dans de nombreuses relations.
Comme je vous l'ai expliqué en introduction, mes travaux portent plus spécifiquement sur la sexualité sans lendemain, principalement des jeunes hétérosexuels. Et au départ, effectivement, je ne m'intéressais pas du tout à la question des violences sexuelles. En tout cas, ça ne faisait pas partie de mes thèmes de recherche. Et en fait, c'est par l'absence de violences sexuelles que la question a fini par occuper une place très importante sur mon terrain. Puisque après avoir fait quelques entretiens avec mes enquêtés, je me suis aperçue qu'il y en avait très peu. Ce n'est pas moi qui m'en suis aperçue, je mens, c'est mon directeur de recherche à l'époque, qui m'a dit « C'est marrant parce que tu travailles sur la sexualité et en fait, tes enquêtés ne te disent jamais qu'ils ont été victimes de violences sexuelles au sein de la sexualité sans lendemain. » Et donc, en travaillant un peu ces entretiens, je m'aperçois qu'effectivement, j'ai une sur représentation de personnes victimes de violences dans mon terrain, puisque à l'heure actuelle, j'ai plus de 50% de mes enquêtés qui déclarent avoir été victimes de violences, ce qui est beaucoup plus que la population générale. Mais ça s'explique par des biais de recrutement.
Je rentrerai pas dans les détails, mais en tout cas, ça s'explique. Mais donc, il me racontait des violences plutôt dans l'enfance, plutôt au sein du couple, plutôt dans le cadre de la conjugalité et jamais autour de la question de la sexualité sans lendemain. Donc, très naïvement, on pourrait se dire « C'est génial, mes enquêtés ont réussi à trouver la parade contre les violences sexistes et sexuelles dans La sexualité sans lendemain. » ou même mieux, La sexualité sans lendemain rend impossible toute forme de violence. On aurait trouvé la solution. Et puis évidemment, vous vous en doutez, c'est un peu plus compliqué que ça. Et donc, je vous propose maintenant d'entrer dans le vif du sujet de cette communication, il était temps, et de nous questionner sur la place du consentement dans les Rencontres sans lendemains, avec un outil théorique qui m'a beaucoup servi, à savoir les scripts sexuels. Comme toutes les formes de sexualité, la sexualité sans lendemain, repose sur ce qu'on appelle des scripts sexuels. Petit encart théorique, je ne peux pas m'empêcher d'être prof, je suis désolée. La perspective des scripts sexuels, c'est un concept qui va être développé par William Simon et John Gagnon à la fin des années 1960 aux États Unis.
Et Simon et Gagnon, ils sont extrêmement importants en sociologie de la sexualité parce que ce sont eux qui sont parmi les premiers à avoir proposé l'idée que la sexualité humaine est un fait social comme un autre. Et donc ils vont défendre l'idée que la sexualité humaine, elle repose sur un apprentissage social et non pas sur des pulsions biologiques ou des pulsions psychiques, comme on pouvait le dire beaucoup plus à l'époque, mais encore aujourd'hui, encore. Pour Simon et Gagnon, cet apprentissage social, il va reposer sur des scripts sexuels, c'est à dire sur un ensemble de scénaris, de récits, au sens théâtral et cinématographique du terme vraiment, qui vont être acquis de manière plus ou moins consciente. Ces scripts vont venir encadrer nos actes sexuels et ils vont permettre à l'enchaînement d'actions qui aboutissent à une interaction sexuelle. Ces récits là, ils vont s'exprimer et ils vont tirer leurs sources de trois niveaux différents. On a d'abord le niveau culturel, c'est à dire les représentations communes qu'on peut avoir, les productions médiatiques et culturelles, les films, les séries, les romans, la musique, la pornographie et même, chose très intéressante que nous propose Gagnon, les productions académiques aussi.
Lui, il parle plutôt de la psychanalyse, mais on pourrait aussi se questionner sur la place de la sociologie dans nos propres scripts, même si, avouons le, la sociologie peine peut être un peu plus que la psychanalyse à s'imposer, mais bref. Le deuxième niveau, c'est le niveau intrapsychique. C'est le niveau individuel, les désirs, les fantasmes, les souvenirs propres à chacun et chacune. Et puis, le dernier niveau, c'est le niveau interpersonnel, c'est à dire cette fois ci, la confrontation et la rencontre de différents scripts dans les interactions. Je vous rassure, tous ces intrapsychiques, interpersonnels, etc, n'ont que peu d'impact. Je vous donne un exemple juste après. Ces différents niveaux de scripts, ils vont produire des scénarios, au sens vraiment cinématographique du terme, qui vont permettre à chacun et à chacune de comprendre ce qui se joue dans une interaction. Déjà, de savoir reconnaître une interaction sexuelle, sans forcément qu'on dise « Coucou, il y a une interaction sexuelle », et surtout de savoir y réagir, donc en gros, d'adapter son comportement à la situation. Autrement dit, c'est grâce à la diffusion de scripts partagés que l'on est en mesure de reconnaître une interaction sexuelle et qu'on est capable d'avoir un rapport sexuel avec un partenaire ou une partenaire.
Je vous donne un exemple pour que ce soit un peu plus clair et je lâche un peu les grandes théories. En rentrant chez vous après cette conférence, vous croisez un voisin, une voisine qui vous plaît plutôt bien, qui vient d'emménager dans l'appartement, plutôt sympa, plutôt attrayante, et vous entrez ensemble dans l'ascenseur. Tout à coup, panne générale dans le quartier, l'ascenseur se bloque et vous vous retrouvez dans une très forte promiscuité et dans le noir. Et je vois certains sourires en coin que vous voyez déjà où je veux en venir. Je suis contente, ça y est, je commence à voir la salle. À moins d'être claustrophobe et de faire une crise de panique, il y a de très fortes chances qu'une tension sexuelle émerge entre ces deux protagonistes. Ou bien, si une tension sexuelle n'émerge pas, il est fort probable qu'il y ait une gêne qui s'installe, gêne directement liée à cette potentielle émergence de désir sexuel. Pourquoi une boîte métallique qui se suspend en panne serait le lieu potentiel d'un désir sexuel ? Parce que dans nos scripts culturels, on va avoir des mises en scène qui vont nous envoyer le signal en nous disant « Le scénario de la panne, ça marche vachement bien pour avoir un rapport sexuel.»
Dans les films, dans les séries, dans la pornographie, on a plein d'exemples de ce type. Le coup de la panne, en voiture, en ascenseur comme vous voulez, le coup de la panne dans notre culture, c'est un appel à la sexualité. À l'inverse, si vous sortez de l'amphi et que vous croisez quelqu'un ou quelqu'une qui vient vous voir complètement nu en vous disant « J'aimerais un rapport sexuel avec toi. » Il y a très, très peu de chances que vous soyez excité par la situation. Pourquoi ? Parce que dans nos scripts culturels, ce genre de scénario, ça n'existe pas ou en tout cas, ça renvoie pas à « J'aimerais bien avoir un rapport sexuel. » Ça se renvoie plutôt à « OK, je cours très loin et très vite, est ce qui s'entend » On n'a pas de script sexuel qui vienne définir cette situation comme étant sexuelle. Je vous donne ces deux exemples qui sont très légers, mais qui, à mon sens, fonctionnent plutôt bien pour comprendre, pour vous montrer que ces scripts sexuels, ils participent à dresser un champ des possibles sexuels et ils vont indiquer un enchaînement d'actions et d'interactions qui vont être nécessaires à la réalisation d'un acte sexuel.
Si on m'invite au cinéma, que je me touche les cheveux, je rentre dans les caricatures, que je baille, que je pose ma main et que ma partenaire a mon partenaire n'enlève pas sa main de son épaule, alors ça veut potentiellement dire qu'il y a sexualité. Alors que je n'ai pas dit qu'il y en aura. Mais on se dit « OK, on est dans un date ». Si, par contre, je tends la main et que mon partenaire ou ma partenaire me mord la main, on est sur deux scripts qui fonctionnent pas ensemble. Donc il n'y aura pas de sexualité possible derrière ça. C'est ça que propose Simon et Gagnon avec cette perspective des scripts sexuels. À partir de mes entretiens et des rencontres avec mes enquêtés, je me suis aperçue, mais ce n'est pas étonnant puisque toutes les sexualités sont concernées, que les sexualités sans lendemains, les formes de relations sans lendemains, même si elles ne sont pas toutes identiques, elles reposent quand même sur un script qui va être plus ou moins retravaillé et personnalisé. La première étape de ce scénario, ça va être bien évidemment la rencontre du ou de la partenaire, sur une application de rencontre dans beaucoup de cas, mais j'en reparlerai tout à l'heure, ou bien dans des lieux physiques.
La plupart du temps, ces rencontres vont se faire dans un cadre qui est festif, dans un bar, dans une boîte de nuit, dans un lieu de vacances. J'ai très peu d'enquêtés qui me disent rencontrer, par exemple, leur partenaire sur le lendemain sur le lieu de travail, parce que le décor n'est pas bon. Le décor du travail, ce n'est pas propice à la sexualité sans lendemain. J'en ai quelques uns qui l'ont fait, mais c'est plutôt rare. Après un premier contact, on va engager la conversation, souvent autour d'un verre d'alcool. Et ça, c'est un élément qui est extrêmement récurrent dans les récits qui me sont faits, parce que l'alcool, c'est encore une fois, ça pose le cadre, ça pose le décor d'un moment de détente, d'un moment de désinhibition, etc. Et donc, pendant cette discussion là, on va faire attention à découvrir son ou sa partenaire, parce qu'il est assez rare, finalement, que l'idée de coucher avec un parfait inconnu ou une parfaite inconnue soit valorisée. Dans cette discussion, et c'est ça qui me semble assez intéressant et qui nous amène à la question du consentement, la sexualité est très, très rarement abordée de manière frontale. C'est même d'ailleurs plutôt mal vu de parler directement de sexualité et d'exprimer son désir sexuel, de dire à une partenaire ou un partenaire « Je veux avoir une relation sexuelle sans lendemain avec toi.»
Parce que ça renvoie à l'image péjorative d'une sexualité qui serait précipitée, dans laquelle le ou la partenaire, finalement, ne devient qu'un simple objet sexuel, ce qui, selon mes enquêtes qu'on était est assez peu flatteur et vers lequel ils ne veulent pas tendre, contrairement à ce qu'on peut lire beaucoup dans la presse. Au mieux, mes enquêtés vont dire qu'ils ne cherchent ou qu'elles ne cherchent rien de sérieux et on sera sur le maximum de détails donnés. Puisqu'il y a très peu de négociation autour de la relation, les partenaires sexuels vont s'appuyer sur un idéal de spontanéité pour arriver naturellement, et c'est vraiment l'expression qui revient très souvent dans les entretiens, ils veulent arriver naturellement à avoir un rapport sexuel. Cet idéal de spontanéité, qui est d'ailleurs un élément central de la sexualité contemporaine, notamment selon André Bégin, on aime bien jouer le jeu de la sexualité, du coup de foudre amoureux ou du coup de foudre sexuelle. La sociologie montre un petit peu le contraire, mais ce n'est pas grave, restons dans nos bulles de magie. Cet idéal de spontanéité, il va reposer sur l'absence de discussion franche autour de la sexualité. Autrement dit, les scripts qui vont entourer ces relations sexuelles, ils sont tellement efficaces, ils sont tellement puissants que sans que personne ne dise clairement qu'on va avoir un rapport sexuel et sans que personne ne dise clairement que cette sexualité, elle sera à son lendemain, les deux partenaires ou plus comprennent tout à fait qu'on est face à une relation sans lendemain.
Donc, chacun sait faire, chacun sait quoi dire, chacun sait comment agir sans qu'il y ait une négociation. Dans les scripts de « Sans lendemain », c'est principalement la temporalité qui va donner un indice sur la sexualité. En gros, plus on se rencontre tôt et rapidement, plus on a de chances d'avoir une relation sans lendemain, ce qui n'exclut pas les coups de foudre, je vous l'accorde. Mais parmi les éléments importants du script, on va en retrouver aussi les lieux. Je vous en parlais tout à l'heure, principalement des lieux festifs et des lieux publics. Le vocabulaire utilisé aussi, puisque j'ai des enquêtés qui vont rester très, très vagues en disant « Je ne cherche rien de sérieux. Je suis là pour m'amuser. On verra bien ce qu'il se passe, etc. » et ce qu'il se passe, généralement, c'est un rapport sans lendemain. Cette absence de discussion autour de ce qu'il est possible ou non de faire dans une relation sexuelle, elle pose la question du consentement et du désir sexuel de manière un petit peu particulière. Les entretiens que j'ai fait montrent que dans beaucoup de rencontres sans lendemain, le questionnement du ou de la partenaire n'est jamais questionné.
Et d'ailleurs, les personnes que j'ai interrogées ne questionnent pas non plus leur propre consentement. Donc, j'ai beaucoup d'inquiétés, surtout des femmes, qui vont me dire qu'elles ne sont pas vraiment sûres, c'est l'expression qui revient quasiment dans tous les entretiens, que leur partenaire leur plaisait, donc elles ne sont pas sûres de ça. Elles ne sont pas sûres qu'elles avaient vraiment envie d'avoir un rapport sexuel. Et les hommes que j'ai rencontrés, eux, n'abordent même pas la question de leurs propres consentements. Si ce n'est pas moi qui pose la question, ils ne pensent pas qu'ils puissent ne pas être consentants. Donc je suis obligée, moi, d'aller creuser cette question là, parce qu'elle n'émerge pas dans leur discours. Et on en revient à cette idée que de toute façon, les hommes sont toujours consentants, donc eux mêmes, en fait, s'empêchent de penser leur propre consentement, ce qui pose des questions également importantes. Donc ces rencontres sans lendemain, finalement, elles reposent sur une logique d'engrenage. Une fois que la rencontre, elle est planifiée, les retours en arrière, il semble presque impossible. Et même quand la discussion... Il n'y a pas eu de discussion autour de la sexualité. Donc, en fait, tout se passe comme si accepter de rencontrer un partenaire ou une partenaire, ça démarrait automatiquement un scénario dans le scénario qui doit aboutir forcément à une sexualité pénétrative.
Et donc, j'ai des enquêtés qui disent qu'ils ont finalement peu de marge de manœuvre dans cette sexualité là et que finalement, le meilleur moyen de sortir du scénario, c'est d'aller au bout du scénario, qu'on en ait envie ou pas. Je vous donne un exemple qui est issu d'un entretien, c'est celui de Bastien. Bien sûr, les prénoms ont été anonymisés. Bastien, il a 26 ans, c'est un ingénieur d'études en géographie. Il s'intéresse plutôt pas mal à la question de la sexualité. Il rencontre des partenaires sur des applications et il va me a raconté une soirée qui se passe vraiment pas bien pour lui. Il s'est senti très mal à l'aise. Sa partenaire ne lui plaît absolument pas. Dès le moment de leur rencontre, il trouve qu'elle n'est pas du tout à son goût. Et faussement naïve, super technique en entretien, jouer la naïve, ça marche toujours. Faussement naïve, je lui demande « Mais pourquoi tu n'as pas juste arrêté la relation ? Si elle ne te plaisait pas, tu prends tes affaires et tu t'en vas. » Et donc il me répond « Le fait de venir chez quelqu'un, sachant qu'on est là pour ça, en fait, quasiment, tu dois, et il incite sur le tu dois, à avoir un rapport sexuel avec la personne.
C'est ça qui est arrivé en fait. En fait, je suis coincée. C'est moins coûteux de te barrer après que de te barrer pendant. Et donc c'est seulement la fin du rapport pénétratif qui va marquer la fin du scénario et que Bastien sera en capacité de quitter cette relation. Cette situation, Bastien, il va me la raconter plusieurs fois. Ça s'est passé plusieurs fois pendant son parcours sexuel et il est loin d'être le seul parmi mes mes enquêtés ée, je vais y arriver, mes enquêtés femmes et hommes, ce sera plus simple. Il est loin d'être le seul à me raconter ce genre de choses. Finalement, une fois que la rencontre, elle est lancée, il y a assez peu d'alternatives à la sexualité pénétrative. Et ça conduit certains et certaines de mes enquêtés à avoir des rapports sexuels avec des partenaires qui ne leur plaisent pas du tout. Et j'utilise leur mot. Qu'il et elles n'avaient pas vraiment envie d'avoir des rapports sexuels. Et certaines de mes enquêtés, certains, certaines de mes enquêtés me disent même se forcer à avoir des rapports sexuels. Et ce qui est assez intéressant, c'est qu'ils et elles me disent qu'ils se forcent, mais pas qu'ils et elles sont forcés par des partenaires, ce qui vient encore plus brouiller la question des violences sexuelles du consentement, puisque le partenaire ou la partenaire n'est pas comprise, n'est pas vue comme la personne qui crée la violence, puisque c'est finalement le scénario en lui même, le script qui empêche les marges de manœuvre.
Je vous donne un dernier exemple, c'est celui de Camille. Camille, c'est une étudiante en sciences de l'information qui a 24 ans. Elle me résume son parcours en me disant « Je crois que ça m'est arrivé à plusieurs moments de pas en avoir spécialement envie envie, mais en mais de me forcer un peu, de me dire « De toute façon, tu es venue là pour ça. Tu savais très bien à quoi t'attendre. » Donc oui, je crois que c'était plus foutu pour foutu. Et donc c'est ça le rapport qu'elle entretient avec ses scripts, c'est foutu pour foutu. Une fois que je suis dedans, je vais au bout parce que c'est plus pénible de dire non, parce que c'est plus pénible de trouver un subterfuge pour partir que d'aller au bout. Autrement dit, elle a consenti à avoir un rapport sexuel parce qu'elle estimait être là pour ça et que son partenaire était là pour ça aussi. Et on retrouve cette obligation à la sexualité dont parlait Bastien tout à l'heure. Et cette obligation dans les scripts de la sexualité, elle occulte complètement la question du consentement, comme s'il n'y avait pas, pour le moment, de place pour l'expression du consentement et le questionnement du consentement de partenaires dans les scripts de La rencontre sans lendemain.
Parce qu'il faut jouer, finalement, le jeu de la rencontre spontanée, du coup de foudre sexuelle en quelque sorte, et que donc, parler de sexualité, ça viendrait faire un peu tache. J'ai tout un tas d'enquêtés qui me racontent, pour reprendre l'expression de Marianne Carbajal et de ses collègues, qu'ils ont consentis à la sexualité sans en avoir vraiment envie. Donc ça rajoute une couche de complexité encore sur la question du consentement. Avec cette perspective des scripts sexuels, on voit bien comme la question du consentement, celui des partenaires, mais aussi notre propre consentement, est très complexe et que la sexualité non consentie, elle peut prendre des formes qui sont diverses et des formes qui ne correspondent pas toujours, d'ailleurs rarement, à nos propres représentations de ce qu'on peut imaginer être une sexualité non consentie. Parfois, c'est beaucoup plus pernicieux que ce qu'on peut bien imaginer. Je vous propose, pour finir, de nous intéresser plus spécifiquement au rôle des applications de rencontres. Je vais aller assez vite parce que le temps file. Mon travail de recherche ne se réduit pas non plus aux rencontres tissées sur les applications de rencontre. Je ne suis pas une sociologue de Tinder, quoique je le sois devenu au fur et à mesure.
Mais leurs usages est tellement répandu sur mon terrain que j'ai été finalement obligée de me saisir de la question parce que j'ai beaucoup d'enquêtés qui se saisissent de ces outils là pour trouver des partenaires sans lendemain. Et donc, dans le cadre de ma thèse, je me suis plus particulièrement penchée sur deux applications qui sont super populaires dans mon échantillon, Tinder d'un côté et Fruit de l'autre. Pour les présenter très rapidement pour ceux et celles qui seraient tenus éloignés de ces merveilleux mondes que sont les applications de rencontre, Tinder, c'est une application de rencontre gratuite dont certaines fonctionnalités sont payantes, qui a été lancée en 2012 et qui s'est imposée comme la patronne des applications de rencontre. Elle a été téléchargée plus de 340 millions de fois à travers le monde et elle revendique 26 millions de matchs par jour et 30 millions depuis sa création. Pour ceux et celles qui ne savent pas ce que c'est qu'un match, c'est l'expression utilisée par la plateforme pour désigner le fait que deux profils d'utilisateurs se soient indiqués leur intérêt mutuel. Quant à Fruit, c'est la petite sœur française de Tinder. Elle a été créée en 2017.
C'est aussi une application gratuite. Et elle, elle se distingue de ses concurrentes en proposant à ses utilisateurs et utilisatrices de désigner par un fruit le type de relation qu'ils ou elle recherche sur la plateforme. Alors, attention, jeu de mots de qualité en perspective. La cerise, elle sert à trouver sa moitié. Le raisin, c'est pour un verre de vin sans se prendre la grappe. Donc, en gros, aller boire un verre. La pastèque pour des câlins récurrents sans pépin et la pêche pour une envie de pêcher avec toi, ce qui est l'équivalent du coup d'un soir sur cette application de rencontre. Et ce qui est intéressant, pour revenir à cette idée d'importance de la spontanéité, c'est qu'en fait, mes enquêtés, ils sont assez peu nombreux et nombreuses à utiliser cette pêche pour signifier qu'ils recherchent des partenaires sans lendemain, parce qu' à leur sens, ça reviendrait à être trop brutal, à trouver seulement des partenaires qui ne cherchent que du sexe. Et comme la sexualité sans lendemain, c'est que pas que du sexe, on va éviter de tomber sur cette catégorie qui est trop calculée et pas assez spontanée. Donc, ils vont avoir plutôt tendance à trouver, à sélectionner la catégorie raisin pour boire un verre, qui serait l'équivalent du « je ne cherche rien de sérieux ».
Donc, astuce, si vous cherchez des partenaires sans lendemain sur Fruit, il est plus efficace de mettre le raisin que de mettre la pêche, puisque mes enquêtés me disent que sur la pêche, on ne trouve que des chiens de la casse et des charreaux. Je ne rentre pas dans les définitions, mais ce ne sont pas des compliments. En ce qui concerne leur fonctionnement, les deux applications sont relativement similaires. Quand on ouvre l'application, on est donc directement sur le profil d'un autre utilisateur ou d'une autre utilisatrice et on bascule la photo vers la droite pour manifester son intérêt ou on bascule vers la gauche pour marquer son désintérêt. Et immédiatement, une fois que le choix est fait, le profil suivant apparaît, et ainsi de suite. Et on ne peut discuter avec des utilisateurs que s'il y a un match qui se produit. Quand on s'intéresse au fonctionnement de ces deux applications de rencontres, on s'aperçoit que ce n'est pas si étonnant que ça, finalement, qu'elles soient utilisées pour rencontrer des partenaires d'un soir, puisque finalement, elles proposent des interfaces et des outils qui se prêtent tout à fait à la sexualité sans lendemain. Ça, c'était un peu le défi de ma thèse, parce que beaucoup de mes enquêtés me disent « Mais c'est juste évident que les applis de rencontre, c'est fait pour ça.»
Mais sociologiquement, dire « C'est évident, ça ne tient pas la route. »donc j'ai été creuser un petit peu le fonctionnement et effectivement, il y a des choses qui viennent expliquer ça. D'abord, et vous le voyez, les deux applications, elles proposent des visuels et des fonctionnalités qui sont particulièrement colorées et ludiques à l'usage. C'est très amusant d'être sur Tinder et sur Fruits. Elles ont un code couleur qui est très coloré, très joyeux. L'utilisation est aussi très légère, puisqu'on navigue d'un seul coup de pouce entre les différents profils. Et en cas de match ou de smoothie sur Fruity, pour filer la métaphore fruitière, l'écran va s'illuminer, on va avoir des animations sonores, plein de couleurs qui popent partout, comme finalement pour féliciter les usagers et les usagères du succès de leur utilisation. Et plus ponctuellement aussi, par exemple, Fruits va proposer des petits jeux. Une fois de temps en temps, on a un écran qui pop et on a quatre petites cartes qui sont très pailletées, très colorées, qui bougent dans tous les sens en nous disant « Quelqu'un a liké ton profil ? Est ce que tu veux découvrir ton admirateur secret ? » Et en fait, on doit s'amuser à retrouver le profil en question dans les quatre cartes.
Je vous donne ces petits exemples qui n'ont l'air de rien, mais en fait, ce que ça nous indique, c'est que les applications de rencontres, elles sont vraiment pensées comme étant un lieu et un temps amusant. Et donc, on a un lien entre la recherche de partenaires et l'amusement. Autre élément aussi essentiel, c'est que Tinder et Fruits ont pour point commun de proposer un accès massif à des profils d'utilisateurs et d'utilisatrices. Et l'accès à des potentiels partenaires, c'est évidemment un élément essentiel de la sexualité sans lendemain. Parce que le match ou le smoothie, ça n'empêche pas de continuer à utiliser l'application. Ce n'est pas parce qu'on a matché, contrairement à certaines applications qui se veulent être des applications dites de qualité. Tinder et Fruits n'empêchent pas l'utilisation une fois qu'on a matché. Donc, on a des profils qui sont quasiment constamment renouvelés et sur lesquels on peut passer énormément de temps pour trouver des partenaires. Pour résumer... Je vais y arriver... Pour résumer, puisqu'elles mettent à disposition un nombre important de profils et qu'elles s'appuient sur un fonctionnement qui va transformer la recherche de partenaires en jeu, les applications de rencontres, elles sont pensées comme des outils qui fonctionnent très bien pour la sexualité sans lendemain.
Je ne l'ai pas évoqué jusqu'à présent, mais elle présente aussi l'avantage de pouvoir rencontrer des partenaires en dehors de son cercle d'amis, ce qui est, pour mes enquêtés en tout cas, un élément important de ces applications. Ces applications mettent ce qu'on qu'elle met en place ce qu'on appelle un script d'usage, c'est à dire un scénario d'utilisation, un guide d'utilisation qui va être particulièrement propice aux rencontres d'un soir. C'est quelque chose qu'observait déjà Marie Bergström dans ses travaux sur les sites de rencontres, donc dans les années 2000, 2010, elle a notamment travaillé, par exemple, sur Meetic, cette génération là. Et c'est quelque chose que moi, j'ai continué à creuser plus spécifiquement sur les applications de rencontres, là, il y a quelques mois. Et donc, ce scripte d'usage, il semble être particulièrement efficace puisque mes enquêtés sont quasiment tous et toutes d'accord pour me dire qu'effectivement, les applications de rencontre, c'est fait pour ça. C'est fait pour trouver des partenaires sans lendemain et que finalement, les autres types de relations qui s'y tissent, parce que je vous rassure, on peut trouver l'amour sur Tinder, c'est un peu l'histoire un peu mignonne qu'on raconte au milieu de cette flopée de partenaires sans lendemain.
« J'ai trouvé mon partenaire. » Ce qui marque bien que c'est un peu des histoires exceptionnelles qui sont là au milieu. Pour le dire plus simplement et pour reprendre leur mot, tout le monde est là pour ça. Or, et j'en viens à la question du consentement, puisque tout le monde est là pour ça, c'est à dire pour trouver des partenaires sexuels sans lendemain, alors les discussions finalement autour de la nature de la relation deviennent complètement facultatives. Et on en revient encore une fois à l'absence de négociation et de discussion dont je vous parlais tout à l'heure, puisque le fait d'accepter de rencontrer un ou une partenaire trouvé sur une application de rencontre, ce serait en fait dans les représentations, déjà un signe de consentement. Donc finalement, rencontrer quelqu'un ou quelqu'une sur une application de rencontre, ça peut déjà être le pied dans l'engrenage du script. Ça peut être déjà un script sexuel qui s'enclenche et qui ne se terminera que quand il y aura sexualité pénétrative. Et une fois que la rencontre physique est lancée, on retombe dans le script dont je vous parlais tout à l'heure. Et donc on en revient encore à des utilisateurs et utilisatrices d'applications qui ont des rapports sexuels sans en avoir vraiment envie et sans se questionner sur leurs désirs sexuels, puisqu'ils étaient là ou elles étaient là pour ça.
Donc, en somme, l'analyse de la sexualité sans lendemain, à partir de la perspective des scripts sexuels, elle permet de montrer qu'il existe des relations dans lesquelles les violences sexuelles semblent très difficiles à penser, parce qu'elles sont gommées par des scripts sexuels. Parce qu'elles vont reposer sur des scripts sexuels qui sont extrêmement puissants et extrêmement efficaces, on n'a pas l'espace pour questionner et pour exprimer un consentement ou surtout un non consentement et donc dire très clairement qu'il ne peut pas y avoir de sexualité. Ça montre que la question des violences et du consentement, elle est extrêmement complexe et qu' encore aujourd'hui, le consentement n'a pas systématiquement sa place dans la sexualité contemporaine. En tout cas, on ne lui laisse pas l'espace de s'exprimer. Si ma présentation, elle se concentrait principalement sur la sexualité des jeunes adultes hétérosexuels, parce que c'est ce que je connais grâce à mon enquête, elle a aussi pour ambition de montrer que la sexualité est sociale et que toutes les formes de sexualité sans exception reposent sur des scripts sexuels. Cette sexualité, on peut chercher à la comprendre, on peut chercher à la questionner avec des outils sociologiques. La perspective des scripts sexuels, à mon sens, c'est un outil extrêmement intéressant, extrêmement précieux qui peut nous inviter à penser de manière critique nos marges de manœuvre à échelle académique, certes, mais aussi à échelle individuelle, nos manœuvres en termes d'intimité et de sexualité.
J'espère que ma présentation ne vous sera pas seulement, s'en est une, mais une conférence académique, mais qu'elle permettra aussi d'ouvrir des questionnements à une échelle plus individuelle cette fois ci. Je vous remercie pour votre attention et je répondrai à vos questions avec grand plaisir.
Hager
Merci beaucoup, Daria, pour cette présentation et pour votre clarté. C'était vraiment très intéressant. Je me tourne vers la salle pour savoir s'il y a des questions. Vraiment, n'hésitez pas. Nous avons aussi quelques questions qui commencent à arriver sur le formulaire. Nous allons bien sûr aussi les poser. Je commence par les questions de la salle.
Public
Merci beaucoup pour cette présentation. C'était vraiment très intéressant. J'avais juste une question sur les scripts sexuels. Vous parliez du fait que c'était généralement dans les relations hétérosexuelles qu'on pouvait retrouver ces scripts sexuels. Vous finissez par dire que justement, aucune relation n'échappe à ces scripts là. Mais ma question, c'est plutôt est ce que les sexualités queers, justement, qui sortent un peu du script hétéronormatif dont on a l'habitude de voir et d'entendre parler, sortent quand même des scripts sexuels ? Merci et notamment les sexualités lesbiennes. Parce que vous avez parlé des sexualités homosexuelles masculines qui étaient quand même plus...
Hager
Vous pouvez garder le micro, si vous voulez rebondir.
Daria
Est ce que je réponds question par question ou est ce qu'on prend une salve ?
Hager
On peut faire question par question si vous le souhaitez.
Daria
Effectivement, aujourd'hui, je n'ai parlé que des scripts de l'hétérosexualité et l'un des résultats de mon travail, c'est aussi de montrer que la sexualité, c'est un lendemain aussi subversive, peut on la présenter ? La plupart du temps, en tout cas, chez mes enquêtés, on a une reproduction du script hétéronormé ordinaire. Néanmoins, toutes les sexualités, sans exception, reposent sur des scripts. Pour Simon et Gagnon, en tout cas, la sexualité ne peut avoir lieu que s'il y a des scripts. Maintenant, il n'y a pas un seul script. Il y a une multitude de scripts différents. Le script le plus courant, hétérosexuel, hétéronormé, centré autour de la pénétration, etc, et du plaisir masculin, c'est un peu le script dominant. Néanmoins, il y a tout un tas d'autres scripts, et d'ailleurs, beaucoup de gens sortent de cette sexualité là aussi. Mais oui, la sexualité queer, elle repose aussi sur des scripts, qui sont d'ailleurs moins aussi publicisés et qu'on connaît moins. En tout cas, moi, je les connais... Enfin, pas qu'on connaît moins, que je connais moins parce que je maîtrise moins ces travaux là. Mais oui, toutes les formes de sexualité reposent sur des scripts et il y a comme des contre scripts qui se créent, parfois spécifiquement pour lutter contre le script hétéronormatif.
Justement, il y a parfois un enjeu politique à justement sortir du script. C'est une expression qu'on entend souvent, sortir du script de l'hétérosexualité. En réalité, on sort d'un script pour en entrer dans un autre. Mais ce qui ne veut pas dire que l'autre script est aussi quelque chose de très répandu, etc. Simplement, toutes les sexualités reposent sur des scripts puisque si deux individus n'ont pas le même scénario, alors ça va bloquer au milieu. Mais oui, toutes les sexualités reposent sur des scripts et pas que l'hétérosexualité.
Public
Merci beaucoup.
Hager
Y a t il une autre question dans la salle ? Je vais peut être voir les questions qui se posent sur le formulaire. Il y a déjà une question de clarification, de redéfinir si possible le concept de script sexuel. Est ce que c'est possible de...
Daria
Le redéfinir ? Oui, tout à fait. La perspective des scripts sexuels, c'est donc une perspective qui propose l'idée que la sexualité en général, que toutes les formes de sexualité reposent sur l'apprentissage et l'incorporation de scénarios au sens vraiment théâtral du terme, où on définit un décor, on définit des rôles et on définit parfois même carrément des dialogues. C'est cet apprentissage de script qui peut venir... Tout ça en même temps d'ailleurs. On intègre des scripts culturels, c'est à dire tout ce qu'on nous a mis dans la tête à travers la presse, à travers le cinéma, à travers la musique, etc, de comment fonctionne la sexualité. Deux scripts, cette fois ci plus personnels, qui reposent sur les souvenirs sur les fantasmes qui travaillent ces scénarios sexuels. C'est la confrontation de ces deux scénarios, de deux scénarios ou de plus de scénarios s'il y a plus de deux partenaires, qui va permettre de créer de la sexualité. Parce qu'on va savoir comment... On va savoir déjà reconnaître une forme de sexualité, parce que ce n'est pas écrit sur notre front quand on a envie d'un rapport sexuel. Donc, on va savoir repérer les codes et les décors et les paroles, etc, les gestes qui manifestent de la sexualité.
C'est comme ça qu'on arrive à le repérer sans avoir besoin d'être extrêmement explicite dans les paroles. Et ce sont les scripts qui vont nous permettre de savoir réagir à cette sexualité là. Si on enclenche le script de l'ascenseur dont je vous parlais tout à l'heure, alors que je sais que si mon voisin ou ma voisine rigole en rougissant et se rapproche de moi, alors peut être qu'il peut y avoir de sexualité. Si elle me vomit dessus de panique parce qu'elle est claustrophobe, alors là, on n'est pas sur le bon script, donc on n'a pas de sexualité. Je ne sais pas si je suis beaucoup plus claire ou si je me suis enfoncée encore plus loin dans mes explications de script.
Hager
Je pense que c'est clair. S'il y a une autre question sur le script, on y reviendra, mais à mon avis, c'est clair. Alors, je redemande. Il y a une question dans la salle, je passe.
Public
Bonjour, merci beaucoup pour votre présentation. J'avais une question sur les violences sexuelles. Vous en avez parlé tout petit peu. C'est ce que c'était pas le propos de la présentation. Vos enquêtés vous disent que parfois, en tout cas, ils avaient senti qu'ils n'étaient pas consentants, qu'ils s'étaient forcés eux mêmes. Quel est leur regard sur la potentielle violence sexuelle qu'ils auraient subie ? Et est ce que, par ailleurs, ils ont été amenés à subir des viols tels que définis par la loi française pour éviter de dire vrais viols, au cours de leurs relations sans lendemain.
Daria
Merci pour cette question, ce qui était la base d'ailleurs de toute ma réflexion autour de la question du consentement. Et pour être honnête, au départ, ça sera un des chapitres de ma thèse et j'étais partie sur un chapitre sur les violences sexuelles et c'était tellement compliqué à définir d'un point de vue éthique et d'un point de vue sociologique aussi, que je me suis dit que la question du consentement, c'était peut être plus proche de mon terrain. Effectivement, j'ai très peu d'enquêté. Qui me disent être victime de violences sexuelles ou de viols dans le cas de la sexualité sans lendemain.
Et ce qui est assez intéressant, c'est que c'est les mêmes profils qui vont me dire très clairement« J'ai été victime de violences sexuelles à tel moment, à tel moment de mon parcours. » Donc on est sur des enquêtés qui savent reconnaître, en tout cas qui ne sont pas tenues loin de ça ou qui osent me parler de ce genre de choses. Dans la sexualité sans lendemain, effectivement, j'en ai la grosse majorité qui me disent qu'ils se sont forcés et pas qu'ils ont été forcés. Et c'est ça la difficulté théorique et académique, mais aussi en tant que femme féministe qui me tracasse et de comment est ce que je peux réussir à l'exprimer, c'est qu'en fait, tout ça n'est pas vécu comme une agression. Le vocabulaire qui m'est raconté, c'est « J'étais mal à l'aise. Je me suis sentie sale. » Ça, j'en ai beaucoup surtout chez les femmes qui me disent qu'elles sortent salies de ces relations là. Donc, les mots sont quand même assez forts. Elles se sentent vraiment dans une situation presque de détresse, mais qui pourtant n'analyse pas ça comme des violences. Parce qu'en fait, le partenaire n'a pas fait preuve de violence.
C'est et elle, elle l'analyse, il et elle l'analyse, parce qu'il y a aussi des hommes, comme s'être forcée soi même et ne pas être forcée par les autres. J'ai quelques cas de sexualité sans lendemain et je crois que c'est seulement dans les enquêtés homosexuelles que j'en ai eu, qui me déclarent être victime de violences sexuelles et plus précisément de viols sur la sexualité sans lendemain, où là, du coup, c'est très clair, mais où on rentre dans des scénarios qu'on imagine comme étant de la vraie violence, entre gros guillemets, bien sûr, comme un vrai viol, entre gros guillemets, encore une fois. Et donc ça met complètement fin à la sexualité sans lendemain. On n'y retourne plus parce qu'on associe ça à du danger. Mais pour le gros de mes enquêtés et notamment chez mes enquêtés hétérosexuelles, ce n'est pas vécu comme de la violence. J'ai même des profils qui travaillent dans la sexualité, qui travaillent notamment dans des associations féministes et qui, en fait, me racontent ces scénarios sans y percevoir de violence. Donc, il y a un sentiment de malaise, il y a un sentiment parfois de dégoût, mais il n'y a jamais de déclaration de la violence.
Et c'est pour ça qu'il me semble plus pertinent, en tout cas, c'est peut être un manque de courage de ma part aussi, mais plus pertinent de parler plutôt de la question de l'expression du consentement, plutôt de la question d'être victime de violences, parce que ces personnes là, elles ne considèrent pas qu'elles sont victimes. Moi, ça me pose la question de « Est ce que j'ai le droit de le dire à leur place ? » Est ce qu'il peut y avoir de violences par un cadre et non pas par un partenaire qui, certes, n'a pas questionné sur le consentement, mais qui n'a pas été questionné non plus et qui n'a pas reçu de contre indication. Je ne sais pas si je réponds à la question.
Hager
Il y a une autre question juste à côté.
Public
C'est pour rebondir un petit peu. Est ce que vous avez des enquêtés qui ont regretté ces relations sexuelles a posteriori, qui vous ont dit « Je n'ai pas subi de violences, je me suis forcée, mais je l'ai regretté. » Même si c'est quelque chose qu'elles se sont imposées elles mêmes, ces victimes, est ce qu'elles reconnaissent quand même que ce sont des victimes et qu'elles ont été dans une forme de viol et qu'elles ont subi ça ?
Daria
Effectivement, j'en ai quelques unes qui regrettent leur sexualité sans lendemain. Je vais le dire tout de suite, pour beaucoup de mes enquêtés, la sexualité sans lendemain, c'est quelque chose de très cool et de très sympathique. C'est pas noicir le tableau, mais effectivement, il y en a quand même plusieurs qui m'ont dit avoir regretté d'avoir des rapports sexuels sans lendemain, soit parce qu'effectivement, il y avait ce côté « Non, mais en fait, je me suis forcée, je me sentais pas bien » et directement après, elles ont participé à ça après la relation. Soit plutôt de manière rétrospective en disant « Mais en fait, à cette époque là, j'ai enchaîné les relations sexuelles sans lendemain et aujourd'hui, avec le recul, je m'aperçois que c'était pas quelque chose de cool.
Je m'aperçois que c'était pas quelque chose dont j'avais envie. » et j'ai notamment quelques enquêtés qui me racontent qu'elles ont eu recours à la sexualité sans lendemain parce qu'elles allaient mal et qu'elles avaient besoin de se faire encore plus de mal. Et ça, pendant longtemps, je n'ai pas trop su quoi faire avec parce que je me suis dit « Là, ça ne relève pas de la socio, ça relève de la psycho. C'est quoi cette histoire de « je vais mal donc je veux aller encore plus mal » ? Et donc effectivement, j'ai ces enquêtés là qui veulent se punir de choses qui n'ont rien à voir avec la sexualité d'ailleurs, qui utilisent la sexualité sans lendemain pour en fait orienter leur état. Et donc effectivement, il y en a quelques unes qui me racontent ça, mais qui jamais ne basculent dans le discours sur les violences sexuelles, c'est à dire qu'elles ont conscience. Elles me disent qu'elles se sont aperçues qu'elles se sont salies, qu'elles ne se sont pas respectées. Et ce n'est pas dans une idée de se dire « La sexualité sans lendemain, de manière générale, c'est sale. » ou « Les gens qui font ça, c'est sale.
C'est d'une manière beaucoup plus individuelle de dire « Moi, je l'ai fait pour les mauvaises raisons. Si c'était à refaire, je ne leur ferais pas comme ça en tout cas. Mais elle ne rentre pas dans le discours de se dire « OK, j'ai été victime de violences sexuelles parce que j'ai fait ça. » Il y a une barrière qui n'est pas franchie parce que je pense que ce n'est pas dans leurs représentations. Elles se sont salies, elles se sont fait du mal, elles sont victimes de quelque chose en tout cas, mais elles ne sont pas victimes de violences sexuelles. En tout cas, elles ne se disent pas victimes de violences sexuelles.
Public
Oui, du coup, en vous écoutant, je m'interroge sur quelque chose Est ce qu'il y a eu des travaux similaires sur des publics plus âgés ? Est ce que ces personnes qui se sont retrouvées, vous avez dû employer les mots coincés, qui se sont forcées, selon certains scripts, à avoir une relation pas forcément consentie auraient eu la même réaction si elles avaient eu 30 ans de plus ? Ce qu'on fait à 20 ans, ce n'est pas ce qu'on fait à 50 ans. Une affirmation de soi et un décodage de ses propres désirs plus avancés. Est ce qu'il y a eu des travaux là dessus ?
Daria
Je ne veux pas répondre de manière catégorique parce qu'on ne sait jamais. Je n'ai pas un œil laser, mais je ne crois pas. En France, il y a très peu, si vraiment pas du tout, de travaux sur la sexualité sans lendemain. À l'étranger, c'est beaucoup de la sexualité sans lendemain sur les campus, notamment les campus américains, les Américains sont friands de la sexualité sans lendemain, mais spécifiquement sur les étudiants. Je ne crois pas qu'il y a beaucoup de travaux, par contre, sur la sexualité plus adulte. On ne s'occupe pas que des jeunes, loin de là, mais je ne crois pas, en tout cas, je n'ai pas en tête de sociologue qui aurait travaillé précisément sur la sexualité sans lendemain des personnes plus âgées. Par contre, mais peut être. Par contre, élément de réponse peut être un peu vague, mais ce dont je m'aperçois aussi sur mon terrain, c'est que la sexualité sans lendemain, ça peut aussi être un outil d'apprentissage extrêmement efficace et extrêmement rapide, parce qu' on va multiplier les rencontres. Donc, en termes d'apprentissage de la drague, ça va très vite. En termes d'apprentissage de la sexualité, ça va très vite.
Même de comment on s'éclipse discrètement, ça va très vite. Mais apprentissage aussi de comment on gère sa propre féminité ou sa propre masculinité, quel rôle sexuel on veut jouer, quel rôle de partenaire on veut jouer, qu'est ce qui nous plaît ? Qu'est ce qui ne nous plaît pas. Et chez les femmes notamment, et pour le coup, c'est majoritairement les femmes qui me le disent, la sexualité sans lendemain, elle a cet avantage là que, puisque officiellement, bien sûr, c'est un poil plus compliqué que ça, mais on ne doit rien à son partenaire qu'on a en face, parce que de toute façon, on ne le reverra pas. Le deal, c'est que chacun s'amuse, on s'amuse ensemble, mais après, il n'y a pas d'engagement plus que ça. Et bien, en fait, on peut expérimenter, on peut essayer des choses, on peut découvrir sa propre sexualité, ses propres limites, etc. Je pense que c'est pour certaines en tout cas, et certains, un outil qui peut justement participer à gagner, comme vous disiez, de l'affirmation de soi et à savoir reconnaître ce qui ne va pas dans une relation, ce qui nous convient ou pas dans la sexualité.
Maintenant, cet outil, il n'est pas efficace pour tout le monde et on s'aperçoit qu' il y en a plus expérimentés que d'autres et il y en a qui n'arrivent pas à se saisir de cet outil. Non pas parce qu'il y aurait une manière de se saisir de l'outil, mais tout simplement parce qu'ils n'ont pas les dispositions qui permettent de le faire. Je ne crois pas qu'il y ait de travaux sur cette question là, mais effectivement, ce serait très intéressant. Et le but de ma thèse au départ, c'était ça, c'était d'interroger tout plein de gens et surtout des personnes qu'on ne pense pas pouvoir avoir des relations sans lendemain. Malheureusement, le financement public, sont ce qu'ils sont, j'ai dû réduire mon travail. Mais ce serait très intéressant parce qu'effectivement, il y a un apprentissage de la sexualité qui fait qu'on n'a pas la même sexualité à 18 ans que à 35, 40, 45 ans.
Hager
Merci beaucoup. Je crois qu'il y a des questions qui sont arrivées sur le formulaire. Je laisse Marion poser les questions.
Marion
Oui, il marche. Oui, il y a une question en ligne pour revenir sur le consentement, la personne explique que se forcer, finalement, elle se demande si ce n'est pas déjà aller à l'encontre de la caractéristique même du consentement qui est un choix éclairé et libre. En partant de ça, est ce que le fait de ne pas savoir ce que l'on veut, c'est déjà s'éloigner du consentement et du coup, de fait, dès qu'on n'est pas certain de savoir ce que l'on veut, toutes les relations qui suivent, elles signifient finalement qu'on n'est pas consentant.
Daria
Oui, tout à fait. Ce qu'effectivement, se forcer, c'est ne pas consentir. Là dessus, je pense que même mes enquêtés sont d'accord, même pour celles qui sont plus dans le flou et je pense qu'on sera tous et toutes d'accord. Le concept du consentement libre et éclairé, c'est un oui clair et net avec l'envie derrière. Néanmoins, je ne dirais pas que mes enquêtés ne savent pas ce qu'elles veulent. Je dirais plutôt qu'ils et elles se sont lancés dans un script et que le script est tellement efficace qu'en fait, c'est très coûteux d'en sortir. Très coûteux parce qu'il y a la crainte des insultes, il y a la crainte de la gêne, il y a la crainte, et ça, je le retrouve beaucoup, de blesser.
J'ai mes enquêtés hommes comme femmes, qui quand je leur demande « Mais pourquoi, du coup, tu as eu des rapports avec ce gars là ou cette meuf là alors qu'il ne te plaisaient pas ? », je n'allais pas lui dire qu'il était moche, ça ne se dit pas. Et c'est des choses aussi qui paraissent aussi légères que ça, qui en fait maintiennent dans le script, c'est la peur de blesser, la peur de créer de la violence aussi en face, violence verbale, mais aussi parfois violence physique. J'ai des enquêtés qui me disent quand même « On part chez des inconnus, on ne sait pas qui ils sont. Si je réagis mal, on ne sait pas ce qui peut m'arriver. » Et ça, elles sont très nombreuses à le dire. Il y a vraiment une vulnérabilité qui est intériorisée chez mes enquêtées. Donc, ce n'est pas tant qu'elles ne savent pas ce qu'elles veulent, c'est qu' une fois que le script est lancé, c'est trop coûteux de sortir et ça devient moins coûteux de consentir sans en avoir vraiment envie. Donc ça, je reprends l'expression que j'ai utilisée tout à l'heure de Marianne Carbajal, mais en réalité, oui, il n'y a pas de consentement.
Quand on n'en a pas vraiment envie, il n'y a pas de consentement, évidemment. Mais ce n'est pas tant une histoire de ne pas savoir ce qu'on veut, c'est une histoire de ne pas pouvoir faire autrement, je pense.
Public
J'avais une question sur les motivations qui sont évoquées par vos enquêtés. Pour rester dans les sexualités sans lendemain. Vous avez dit que le plaisir sexuel n'était pas une des motivations évoquées. Je me demandais quelles. étaient les autres motivations qui étaient évoquées par les enquêtés ?
Daria
Effectivement, quand mes enquêtés me racontent leurs relations sexuelles sans lendemain, ils sont nombreux et nombreuses à me dire que finalement, sexuellement, en termes physiques, ce n'est pas si réjouissant que ça. En tout cas, ça ne vaut peut être pas la fatigue. Parce que c'est vrai que quand mes enquêtés me racontent ce que c'est que d'avoir des relations sexuelles sans lendemain, notamment certains et certaines qui rencontrent plusieurs partenaires par mois ou plusieurs partenaires par semaine, c'est beaucoup de travail, c'est beaucoup de budget boisson, c'est beaucoup de dates, etc. Et ils me disent, si il n'y avait que la sexualité, ça ne vaudrait pas le coup. Et la chose qui revient en grande majorité, c'est le fait tout simplement de... J'ai oublié ce que je voulais dire, de s'exercer à la rencontre. Pas dans le sens « je ne sais pas séduire, donc je vais avoir des relations sans lendemain, comme ça, je vais être super efficace. » Mais plutôt d'expérimenter son rôle de partenaire. J'ai beaucoup d' enquêtés qui me disent que le meilleur dans la sexualité sans lendemain, ce n'est pas la sexualité, c'est tout ce qu'il y a avant.
Parce qu'il y a un vrai plaisir à plaire, il y a un vrai plaisir à séduire. Et puis cette idée de rencontrer toujours des gens qu'on ne connaît pas, de toujours s'adapter à ces gens là. Au final, on rentre quand même dans le même script, mais il y a une vraie volonté de plaire. Et en fait, il y a aussi un côté un petit peu... J'utilise le terme de narcissique parce que c'est ce que Michel Bozon explique quand il parle des usages de la sexualité. Il va nous parler d'un usage narcissique de la sexualité. Non pas que les gens s'adorent eux mêmes, mais plutôt que la sexualité, ça renvoie aussi à notre propre identité. Notre rôle sexuel, ça nous construit aussi en tant qu'individus. Et du coup, être un partenaire sexuel ou une partenaire sexuelle qui sait plaire, qui sait draguer, qui sait faire plaisir à l'autre, qui sait se donner dans la sexualité, ça, c'est quelque chose que je retrouve de plus en plus, et notamment chez les hommes qui font beaucoup d'efforts pour faire plaisir sexuellement à leurs partenaires. En fait, c'est une forme de valorisation de soi aussi. Et donc, on ne prend pas de plaisir sexuel, mais on mais par contre, on prend du plaisir sexuel à séduire.
Parmi les motivations, on a aussi ceux et celles qui cherchent un peu leur féminité ou leur masculinité, qui ne savent pas trop comment ça serait quoi la bonne manière d'être pour eux, qu'est ce qui convient à eux, qu'est ce qui est bien, bien, qu'est ce qui est efficace. Donc on va tester ce genre de choses. Et puis, de manière beaucoup plus terre à terre, parmi les motivations, j'en ai aussi certains qui souhaitent être en couple, mais qui n'y arrivent pas, tout simplement. Ça fait partie des motivations aussi.
Public
Merci.
Daria
Et peut être, pardon, chose que j'ai oublié, une des motivations aussi et qui rejoint les violences sexuelles aussi, c'est que la sexualité sans lendemain, elle est aussi parfois utilisée par mes enquêtés comme une manière de se reconstruire psychologiquement et physiquement après des épisodes de violences sexuelles. Quand les épisodes de violences sexuelles ont lieu, notamment dans le cadre conjugal, le couple est associé directement à un danger et donc, ces enquêtés là veulent retourner à la sexualité sans prendre le risque de se remettre en couple, sans s'enfermer dans un couple. Et donc elles vont aller vers la sexualité sans lendemain pour se reconstruire au fur et à mesure et pour finalement reprendre le dessus sur leur sexualité.
J'avais oublié celle là, pardon.
Public
Merci. J'avais une deuxième question par rapport à l'enquête dont vous avez parlé. La grande enquête. Sur la sexualité en début des années 2000.
Daria
C'est le contexte de la sexualité en France, oui.
Public
Et je me demandais si le fait que ça soit dans les années 2000, il n'y a pas des différences d'époque qui vont jouer parce qu'il y a eu #metoo depuis, il y a eu d'autres choses...
Daria
C'est effectivement une question qui se pose et il serait temps d'ailleurs de refaire une grande enquête. Et il me semble, si les rumeurs sont vraies, que l'Ined est en train de y réfléchir. Mais ça coûte beaucoup d'argent, bien sûr. Donc effectivement, la question se pose et elle se pose d'autant plus que l'enquête Contexte de la sexualité en France, ce n'est pas la première grande enquête. On a eu l'enquête Simon dans les années 70 et l'enquête « Analyse du comportement sexuel des Français dans les années 80 ». Et en comparant les trois enquêtes, ce que font les sociologues de l'enquête Contexte de la sexualité en France, CSF, donc les années 2000, c'est qu'on voit que là, il y a une évolution dans les déclarations qui vont vers de plus en plus d'égalité, qui vont vers de plus en plus de réciprocité. Et donc, on voit que les parcours sexuels des femmes et des hommes ont tendance à se rapprocher. Donc, effectivement, l'hypothèse qu'on pourrait faire si on suit tout simplement les courbes, c'est que de plus en plus, on est en train de... Par exemple, cette idée que les hommes ont naturellement une sexualité pulsionnelle et que les femmes n'ont naturellement pas de sexualité, c'est quelque chose dont on entend beaucoup parler aujourd'hui, qu'on remet beaucoup en question.
Le vocabulaire de la pulsion, c'est pareil. Beaucoup de féministes ont appelé à arrêter de penser comme ça parce que c'était extrêmement dangereux. Donc c'est vrai qu'on peut se poser la question d'« Est ce que les choses n'évoluent pas ? » Et je pense, en tout cas, j'espère qu'elles évoluent dans le bon sens. En tout cas, si on suit les courbes, logiquement, ça devrait aller dans ce sens là. Néanmoins, je ne pense pas que ce soit des chiffres qui sont non plus complètement à côté de la plaque, parce que sur mon terrain, ça reste un terrain qualitatif, donc je n'ai pas de grands chiffres à sortir, mais je vois que quand bien même j'ai des enquêtés qui sont jeunes, quand bien même j'ai des enquêtés qui aussi s'intéressent beaucoup à la sexualité, puisqu'on ne va pas se mentir, qui acceptent de faire quatre heures ou cinq heures d'entretien avec une sociologue qui vous questionne et qui vous charcute votre parcours sexuel ? C'est les gens qui sont intéressés politiquement par ces questions là. J'ai quand même un profil d'enquêté qui est a priori plutôt vers une déconstruction de la sexualité, etc. Et pourtant, je vois quand même dans les parcours qu'il y a un peu des persistances de ces idées là autour d'un besoin plus grand des hommes.
Même si on n'est pas sur le vocabulaire de la pulsion, on a quand même des femmes qui disent qu'elles veulent faire plaisir aux partenaires et qu'elles peuvent prendre un peu sur elles, etc. Donc oui, je pense que ça évolue. Logiquement, ça évolue si on suit les courbes, mais ce n'est pas non plus des chiffres qui sont complètement à côté de la plaque. En tout cas, il reste ce genre de représentation là aujourd'hui quand on regarde un peu les discours qu'on a autour de nous sur la sexualité. Néanmoins, il y a aussi des contre discours qui prennent de plus en plus de place pour rappeler à l'égalité, à la réprocité. A la réciprocités qui sont aussi très présentes sur mon terrain également.
Public
Merci.
Hager
Merci beaucoup pour toutes ces réponses. Je me demandais, par rapport à ce que vous expliquez, est ce que vous avez donné des réponses à toutes ces questions, sans préciser s'il y a des différences de genre dans les réactions et dans le vécu des personnes, sachant que vous avez bien expliqué au début qu'il y a un processus de socialisation qui amène aussi à des mythes par rapport à la sexualité d'un homme versus la sexualité d'une femme, les besoins, mais aussi les devoirs. Pourquoi on le fait et comment on doit le faire ? Ça m'aurait intéressé de savoir est ce que dans vos réponses que vous avez eues et vos observations, vous avez vraiment des différences par sexe dans comment on perçoit aussi son rôle dans ce script en tant que femme et en tant qu'homme ?
Daria
Oui, tout à fait. Les scripts et du coup, notamment dans le cadre hétérosexuel, ils définissent des rôles et les rôles sont genrés. De toute façon, le concept même de l'hétérosexualité, c'est la complémentarité des genres. Donc, on ne peut pas avoir le même comportement. Il faut qu'il y ait un dominant et une dominée. Il faut qu'il y ait un pénétrant, une pénétrée. Et puis, dans l'idéal, si on n'inverse pas les rôles, ça serait mieux quand même. En tout cas, dans l'hétérosexualité ordinaire, c'est ce qu'on voit. Et donc, effectivement, il y a cette idée là de ce qui est attendu d'un homme, de ce qui est attendu d'une femme. Ces idées là, elles sont quand même un petit peu bousculées chez mes enquêtés. Un exemple tout bête, mais dans le script de La rencontre sans lendemain, on va aller boire un verre. Dans le script ordinaire, puisqu'on a cette opposition entre les hommes qui ramènent le pain sur la table et les femmes qui sont plutôt du côté du domestique, etc, même si les choses sont de plus en plus remises en question, je vous l'accorde, c'est plutôt monsieur qui va payer un verre à madame parce que c'est comme ça qu'on fait traditionnellement.
Daria
Ça, chez mes enquêtés, ça ne va pas du tout. Déjà parce qu'on est en 2023, qui va encore se faire payer tous ses verres par un homme ? Ensuite, parce que déjà, on n'est pas en couple, donc il n'y a pas d'histoire d'argent, etc. Et ensuite, c'est mieux s'il n'y a pas d'histoire d'argent d'ailleurs, parce que s'il y a des histoires d'argent dans La rencontre sans lendemain, on bascule sur un autre script et un script qui fait peur, le script de la prostitution. Je ne développe pas plus que ça, sauf si ça vous intéresse plus tard dans la question. Mais oui, il y a effectivement des rôles genrés dans le script qui sont remis en question. Maintenant, là où par contre, il y a quelque chose qui perdure et qui s'accroche sur les représentations, c'est sur la question du consentement. Puisque, comme je l'ai très rapidement évoquées, les femmes me racontent plus facilement ou analysent plus facilement leurs relations à l'aune du consentement parce qu'elles ont l'habitude, parce que ce sont aussi des femmes qui sont pour certaines, féministes, pour d'autres qui s'intéressent beaucoup à la sexualité. Elles ont l'habitude de ce genre de discours.
Donc je pense qu'elles voient à peu près où je vais dans l'entretien. Par contre, du côté des hommes, la question du consentement liée aux représentations, elle n'est absolument pas posée. J'ai un seul enquêté homme hétérosexuel qui m'a dit avoir été victime de violences sexuelles. Un cadre un petit peu particulier de vengeance ou je ne sais pas trop quoi. Donc je ne sais pas encore comment le traiter. Et puis c'était un peu un peu flou. Et tous les autres m'ont dit avoir couché avec des femmes qui ne leur plaisaient pas, m'ont dit que... Et qui en plus disent voilà, il faut quand même pas blesser les gens. Il faut que je me mette à fond dans cette relation. Il y a quand même aussi la question de la performance. Il faut pas que je me tape la honte sur cette sexualité là. Mais alors pointer et leur pointer sous les yeux. Mais en fait, tu n'avais pas envie de cette relation. Si c'est pas moi qui pose la question du consentement et je l'ai fait, j'ai fini par le faire. J'évite de mettre des mots dans la bouche de mes enquêtés parce que ce n'est pas ce qu'on fait en sociologie.
On tournait autour du pot, on tournait autour du pot et j'ai des enquêtés où j'aurais dit « Tu me parles du consentement de ta partenaire, mais ton consentement à toi, est ce que tu questionnes ? » Ah mais non, je n'y avais pas pensé. Je n'y avais pas pensé du tout. Parce que cette sexualité masculine, dans ce script de la rencontre, ce sont les hommes qui dominent la situation, ce sont eux qui leadent, ce sont eux qui invitent et ce sont à eux de faire attention à leur partenaire qui est plus fragile, plus délicate, etc. Et donc, se poser la question de sa propre fragilité et de sa propre vulnérabilité, ça ne fait pas partie de leurs représentations. Je me suis peut être un peu partie un peu loin.
Hager
Non, c'est très intéressant. En fait, oui, c'est à dire que l'idée, ce qui est intéressant, c'est de voir que ces représentations amènent certainement les hommes aussi à être victimes de violences, mais non seulement ils sont victimes, mais ils s'en rendent compte moins que les femmes parce qu'ils ne sont pas censés pouvoir être victimes de violences.
Daria
Tout à fait. Ce qui explique en partie l'écart, en partie seulement, puisque ça ne peut pas tout expliquer, mais l'écart de déclaration dans l'enquête VIRAGE dont je parlais tout à l'heure, parce qu'il faut se rendre compte déjà qu'on est victime de violences, ce qui n'est pas évident jamais, ce qui n'est jamais évident, mais ce qui n'est pas évident non plus quand on est un homme et qu' on pense qu'on ne peut pas être violé. Et puis, plus tard dans le parcours, là, VIRAGE ne prend absolument pas en compte les suites pénales ou juridiques ou quoi que ce soit, mais déclarer aussi à quelqu'un être victime de violences quand on est un homme, ça fait flop, parce qu'on ne peut pas imaginer que ce genre de choses existent. Or, bien sûr qu'elles existent.
Hager
Y a t il une question dans la salle ou sur le formulaire en ligne ? Marion, je crois qu'il y a une question ?
Marion
En ligne, il y a deux questions. La première, c'est si on voit effectivement que l'enjeu se situe plus dans la socialisation des jeunes filles, des jeunes garçons et plus tard des adolescents et tout au long de la vie, pourquoi les formations de prévention contre les violences sexistes et sexuelles continuent à mettre l'accent plutôt sur l'aspect juridique ? Et comment on pourrait faire pour mettre plus en avant cet aspect de socialisation dans les formations ?
Daria
Financer beaucoup plus les sociologues ? Non, c'est une très bonne question et j'avoue que je m'y attendais de quelle est la solution. Malheureusement, si on en avait une, je pense qu'on aurait partagé avec grand plaisir. Effectivement, la … Mais je pense que c'est encore lié, une fois, à nos représentations. Déjà, soyons très clairs et très honnêtes, je pense que les sociologues ont moins de tribunes que d'autres types de professions et donc notre histoire de socialisation, ça intéresse peut être certaines personnes, mais ça n'intéresse peut être pas tout le monde non plus. Donc ça doit certainement jouer. C'est vrai qu'aujourd'hui, les formations qui déjà interviennent très très tard, on pourrait se poser la question de l'éducation, qu'est ce qui pose grand débat d'ailleurs, à la vie sexuelle et affective des enfants et de leur apprendre le consentement.
Il me semble que ça se fait de plus en plus, parfois aussi par des moyens qui sont tout à fait privés et individuels, avec, je crois, beaucoup de livres aussi qui sortent autour de ça. Un peu plus de réticence de la part des pouvoirs publics, peut être, à investir cette question là. Mais oui, je pense que c'est une histoire aussi de représentation, puisqu'on a cette représentation qu' un viol, c'est forcément brutal dans la rue et qu'on ne peut rien y faire. On ne peut rien y faire de fait, mais que ça nous tombe le soir et qu'en fait, il faudrait juste s'empêcher de sortir parce que juste, on est trop vulnérable. En fait, oui, si on a cette représentation là, alors il faut avoir des réponses. Une des réponses, ça pourrait être la question juridique. Maintenant, si on commence à expliquer que le consentement, c'est un peu flou, il faut inviter les gens à vraiment se questionner individuellement, etc, ça s'éloigne de cette image là et c'est peut être moins facile à traiter. Maintenant, la solution, c'est tout simplement faire des cours de socio très, très, très, très tôt, faire des cours sur le consentement très, très, très, très tôt.
Et tout de même, on voit qu'il y a quand même une évolution puisque mes enquêtés... Je pense que si j'avais fait cette enquête 30 ans plus tôt, la question des violences, elle aurait peut être même pas été évoquée parce que peut être que mes enquêtés m'auraient pas vraiment dit« Je crois que je suis pas très à l'aise avec cette histoire là. » Donc tout ça pour dire que j'ai brodé longtemps et vous voyez bien qu'en fait, je n'ai juste pas de solution à vous proposer. Mais si j'en avais une, bien évidemment, on l'aurait partagée depuis bien longtemps.
Marion
Merci. Il y a une seconde question. Est ce que tu as aussi des informations sur la place des aventures sans lendemain dans le cas des tromperies ? Est ce que tu as rencontré ce cas là parmi tes enquêtés ? Est ce que tu as des infos sur ça ?
Daria
Oui, j'en ai rencontré et assez peu. C'était encore une fois un questionnement qu'on m'a très vite posée en me disant « C'est marrant, il y en a très peu qui font ça dans le cadre de tromperie. » J'en ai très peu qui me le racontent. C'est souvent sur des profils plus âgés.
Je pense que dans les parcours des enquêtés les plus jeunes, la question de la conjugalité, elle se pose de manière un petit peu différente puisqu' on admet dans la jeunesse sexuelle, la jeunesse sexuelle, c'est cette période entre l'entrée dans la sexualité active et la mise en couple très stable avec une conjugalité très installée, peut être faire des enfants, s'installer ensemble, etc. Entre deux, il y a toute cette jeunesse sexuelle et dans la jeunesse sexuelle, on admet que les jeunes adultes, ils ont le droit de s'amuser, ils ont le droit de découvrir si à 22 ans, vous n'êtes pas mariés, ce n'est pas un grand drame. Je dis 22 au pif. La question de la conjugalité, elle se pose peut être de manière un peu moins solide. Si on a envie de coucher avec d'autres gens, on va juste arrêter de se voir ou bien se mettre en couple libre et coucher avec d'autres gens. Chez ces enquêtés là, qui sont les plus jeunes, ce qui est assez intéressant, c'est que la question de la conjugalité, elle est très précieuse. On va quitter son partenaire avant d'aller avoir des aventures sans lendemain ou alors on va le prévenir, on va négocier.
Parce qu'en fait, le couple, ça reste quand même quelque chose d'important et qu'on a du respect pour son ou sa conjointe. Et donc, c'est ça qui est assez intéressant dans cette sexualité sans lendemain, c'est qu'il y a un très, très grand respect de la conjugalité. Et comme il n'y a pas vraiment de contraintes à être absolument en couple, si ce n'est bien sûr les contraintes sentimentales, etc, mais je ne suis pas une sociologue de l'amour, donc je ne m'aventurerai pas sur ce terrain là. En fait, on peut tout simplement sortir de cette conjugalité. Pour les autres, ceux et celles qui... Enfin, ceux d'ailleurs qui m'ont raconté... Désolée. Ceux qui m'ont raconté que c'était dans le cadre d'un adultère, en fait, c'est vécu de manière extrêmement... En tout cas, c'est joué de manière extrêmement négative, puisque ce n'est pas quelque chose dont on va se vanter. Il me raconte qu'il aurait été mieux de faire autrement et qu'il se sentait coincé, que du coup, la sexualité, son lendemain, c'était l'occasion, après un couple très, très long, de découvrir de nouvelles choses, etc. Mais toujours avec cette idée que l'adultère, ce n'est pas quelque chose de valorisable et de valorisant.
On voit que peu importe le profil, le poids de la conjugalité, il reste encore extrêmement important. Et d'ailleurs, chez mes enquêtés, la sexualité sans lendemain, ça ne peut durer qu'un temps. Il faudra un jour retourner à la sexualité. Ils et elles sont toutes et tous d'accord pour me dire qu' on s'amuse quelques années et puis ensuite, on va aller du côté de la conjugalité. Parce que ce n'est pas un modèle qui bouscule assez fort la conjugalité pour qu'elle puisse être pensée comme étant facultative. Et j'ai même des enquêtés qui me disent « J'ai prévu d'être dans la sexualité sans lendemain, deux ans et/ou d'avoir 50 partenaires. » Une fois que j'ai fait ça, c'est bon, je retourne à la conjugalité parce qu'il ne faut pas déconner. J'en ai carrément quand des plannings de sexualité, notamment chez les plus âgés qui s'organisent visiblement un petit peu mieux.
Public
J'avais une question, plus d'ordre méthodologique. Je me demandais comment vous recrutiez vos participants et participantes ?
Daria
Au départ, j'ai recruté mes enquêtés par appel à témoignage. J'ai fait circuler tout un tas de petites affichettes pour trouver les premiers enquêtés, on va dire la première dizaine. Et puis après, ça s'est fait au bouche à oreille, c'est à dire que mes enquêtés... Voilà, on parlait de mon enquête à d'autres types enquêtés, ce qui m'a permis de m'éloigner un petit peu au fur et à mesure de mon cercle de départ, parce que c'est ça le risque en sociologie, c'est que voilà, une fois qu'il y a un filon qui fonctionne bien, on va piocher dedans, ce qui explique notamment pourquoi j'ai majoritairement des jeunes hétérosexuels aussi, c'est parce qu'ils se renvoient la balle les uns aux autres. Ça a fonctionné un temps et ça a fonctionné notamment beaucoup chez les femmes. J'ai enquêté beaucoup de profils qui étaient moi, tout simplement. Les jeunes adultes femmes aimaient beaucoup venir discuter avec moi, mais comme je travaillais sur l'hétérosexualité, je me suis dit que c'est quand même dommage de ne pas avoir d'homme. C'est pour ça que j'ai publié un article dessus. J'ai profité de l'expérience. Je me suis inscrite sur les applications de rencontres, notamment Fruits et Tinder, pour trouver des enquêtés qui sortaient un petit peu de mon cadre, mais qui, du coup, sont des enquêtés qui sont sur les applications de rencontres.
Et s'il vous prend l'idée de faire de la sociologie, je ne vous invite pas à cette technique parce que c'est quand même beaucoup de charge mentale. Mais voilà, d'abord des affichettes, ensuite l'effet boule de neige et puis des applications de rencontres.
Hager
Juste une petite précision sur les applications de rencontre, vous faisiez passer pour quelqu'un qui cherchait un partenaire ou vous étiez très sincère dès le début ?
Daria
Tout à fait. Très transparente. D'ailleurs, il se peut que vous croisiez un logo de l'Université de Lille sur Tinder et Fruits, c'est moi. Je n'ai pas demandé l'autorisation d'ailleurs, je suis désolée. Je précise que ce n'est moi, ce que c'est moi et pas le président de l'université. Non, mais il y a mon nom bien sûr, etc. Mais en fait, je voulais vraiment faire un profil qui était le plus désintéressant possible. C'était vraiment la stratégie. Donc j'ai mis simplement les choses où j'étais obligée de mettre mon appel à témoignage et il était extrêmement clair que je n'étais pas là pour avoir des rapports sexuels puisque j' appelais vraiment les gens à me contacter via mon adresse mail universitaire, etc. Ce qui a fonctionné. J'ai rencontré des gens qui étaient super, si vous passez sur YouTube, je vous salue, qui ont vraiment joué le jeu et qui étaient super intéressants et intéressés. Mais de fait, ça n'a pas suffi. Alors déjà, mon profil était féminin, chose intéressante, en deux ou trois heures, j'y avais déjà plus de 99 likes. Je n'ai pas su combien parce que je n'ai pas payé le truc premium. Le logo de l'Université de Lille est extrêmement populaire, puisque ça a très bien fonctionné.
Mais ça n'a pas empêché certains enquêtés de me faire quand même des propositions ou de ce genre de choses. C'est pour ça que je dis que ça demande quand même un petit peu d'organisation, parce qu'il faut gérer tout ça. Mais non, je ne me suis pas fait passer... C'est une question qu'on m'a souvent posée d'ailleurs, est ce que la meilleure manière de capter un script, ce n'est pas de soi même rentrer dans le script ? Et je pense que c'est une mauvaise stratégie. Déjà parce que je n'en ai pas envie et que ça devrait suffire comme argument, mais aussi parce que rentrer artificiellement dans un script, une fois que je suis dedans, qu'est ce que je fais ? Ça me semble pas fonctionner des masses. Donc non, c'était quelque chose de très professionnel.
Hager
Je vais rebondir sur quelque chose que vous avez dit tout à l'heure. Vous avez parlé justement de faire la part des choses dans les scripts, entre un script qui est en tout cas d'égal à égal ou je ne sais pas comment le dire, où il n'y a pas de transaction et un script où il y a un soupçon de prostitution. Qu'est ce que vous avez vu ou entendu sur ce sujet ?
Daria
Oui, la question de la prostitution, elle est apparue très, très tôt dans mon terrain, exclusivement chez les femmes, qui m'ont dit de manière plus ou moins claire, certaines de manière très claire, d'autres qui sont un peu passées par quatre chemins, que leur crainte, c'était d'être prise pour des prostituées. Il y a deux spectres. Il y a le spectre de la prostitution et le spectre de l'adultère qui planent autour de cette sexualité sans lendemain. Puisque c'est une sexualité qui est très éphémère, qui est présentée comme étant uniquement axée sur la sexualité. J'ai des enquêtés qui se disent « Ah ouais », alors elles ne le disent pas comme ça, bien sûr. Je ne fais pas des cours sur les scripts à tous mes enquêtés, mais qui se disent « Ah ouais, quand même, le script qu'on est en train de jouer, il se rapproche très, très fort du script de la prostitution. » Et donc, il faut absolument ne pas tomber à l'intérieur, ce qui suppose qu'il ne doit y avoir aucune transaction financière. Et quand je dis « aucune », c'est certaines qui ont même du mal à se faire payer un verre parce qu'elles ont l'impression, et j'ai une enquêtée qui m'a dit ça très clairement, qui m'a dit « Je ne veux pas qu'on me paye pour passer du temps avec moi.»
Donc on va refuser les transactions. Autre élément du script dont je vous parlais tout à l'heure, il y a aussi la question du décor. La quasi totalité de mes enquêtés ont des rapports sexuels chez eux, dans leur logement, à eux ou à elles ou chez leurs partenaires, parce que louer un lieu pour ça, ça nous fait tomber dans la prostitution ou alors ça nous fait tomber dans la question de l'adultère. Et je pose la question très naïvement de « juste, t'es dans le centre » parce que j'ai une enquêtée qui me dit « Oh là là, c'était horrible, mon enquêté, il habite au fin fond du Nord Pas de Calais, j'ai dû prendre sa voiture toute seule avec lui pour aller coucher chez lui parce qu'en fait, chez moi, il y avait mes parents. Du coup, c'était hyper compliqué. Et je lui ai dit naïvement « Pourquoi vous trouvez pas un coin dans le centre ville ? » « Non, quand même, on va pas payer pour coucher et je vais pas me faire payer pour coucher avec quelqu'un ». Et puis, il y a aussi la question de la temporalité. Ça, c'est un exemple que j'ai eu en master et du coup, je l'utilise pas dans ma thèse, mais je trouve que c'est le meilleur exemple sur le détournement des scripts.
J'ai une enquêtée très jeune, enfin, très jeune, beaucoup plus jeune que son partenaire. Elle a 18 ans et elle rencontre, elle me le décrit comme un quadragénaire de grandes banques ou je sais pas quoi, qui vient la chercher. Donc elle, elle est en étudiante, en jean. Ils se redonnent rendez vous dans un parking. Il vient la chercher, elle me dit, avec sa grosse BM noire et son costume. Il me fait monter dans sa voiture. Il loue une chambre d'hôtel entre midi et 2h00 et elle me dit « Mais entre midi et 2h00 ? » Cette expression, déjà, « Entre midi et 2h00 ? » Elle est vraiment choquée par cette expression. Ils ont un rapport sexuel qu'elle me décrira comme étant complètement nul. Ils la redéposent dans ce même parking souterrain et elle s'en va. Et là, ce qu'elle me dit, ce n'était pas une sexualité sans lendemain. J'avais l'impression soit d'être sa maîtresse, soit d'être une femme pour qui il payait pour avoir de la sexualité. Donc, il y a vraiment ce spectre qui flotte et il faut faire attention à ne pas attraper les codes de la prostitution, soit de l'adutère , pour ne pas être associée à ce genre de pratiques qui sont déconsidérées par mes enquêtés.
Hager
S'il n'y a pas une dernière question dans la salle, je vois qu'on est arrivés à l'heure prévue pour la fin de cette conférence et ce débat qui s'est passé très vite, très enrichissant. Je vous remercie, Daria, de votre présentation, de vos réponses et merci à toutes les personnes présentes dans cet amphi et en ligne d'avoir posé toutes ces questions et de leur intérêt pour ce thème. Merci à toutes et à tous et je vous souhaite une très bonne soirée.
Dans le cadre du Tremplin de la Diversité et de l'Inclusion, près de 700 élèves de Pré-Master ont suivi une conférence donnée par Julie Dachez, docteure et chercheuse en psychologie sociale. Cette conférence portait sur la manière dont les comportements des personnes autistes sont marginalisés mais aussi sur les clés pour intégrer au mieux ces individus dans le monde professionnel.
Dans le cadre de leur rentrée à l'EDHEC, 700 élèves de Pré-Master ont suivi une conférence intitulée « Aux origines des violences sexistes et sexuelles : comprendre les mécanismes de différenciation et de domination ». Cette conférence a été donnée par Ophélie Latil, directrice de Dames Oiseaux et fondatrice de Georgette Sand.
Le jeudi 26 août 2021, plus de 700 étudiants et étudiantes de pré-master (1ère année) ont assisté à la conférence intitulée « Les hommes, les femmes et le reste du monde : que nous apporte une vision politique des genres ? » donnée par Sam Bourcier, Maître de Conférence en sociologie et spécialiste des études de genre et les études queers.
Il s'agit d'offrir aux élèves un cadre de réflexion ainsi qu'un ancrage conceptuel - philosophique et sociologique - aux représentations de genre, des corps et des sexualités. L'objectif est d'aider les jeunes à mieux comprendre les mécanismes conduisant aux violences sexistes et sexuelles afin de les combattre plus efficacement.