À la rencontre de Tristan-Pierre Maury, un directeur engagé et un esprit libre à la croisée des savoirs
Professeur d’économie à l’EDHEC depuis plus de quinze ans, Tristan-Pierre Maury se distingue par un parcours intellectuel riche et atypique. Naviguant entre mathématiques, philosophie, économie et sociologie, il s’est imposé comme une figure clé du dialogue entre disciplines pour penser les grands enjeux de société. Enseignant passionné, chercheur engagé et - depuis 2023 - directeur de la Grande École et des Masters of Science, il poursuit une ambition constante : former des esprits critiques, ouverts, capables d'agir sur le monde avec lucidité.
Dans ses souvenirs d’enfance, Tristan-Pierre se voyait déjà dans une salle de classe. Fils d’un professeur de biologie et d’une professeure de droit, il grandit dans un environnement où la transmission du savoir est une évidence. “J’étais naturellement attiré par le milieu académique”, confie-t-il. “Très tôt, je voulais être au cœur de la fabrique de la connaissance, comme chercheur ou professeur.”
Si l’entrée dans le monde universitaire va être une vraie confirmation que ce mélange d’enseignement et de recherche est précisément l’équation qui lui correspond, ce n’est qu’après avoir longuement hésité avec une carrière dans le cinéma : “J’ai passé mes années lycée à réaliser court métrage sur court métrage”, évoque-t-il. “J’avais ce besoin d’inventer, de créer, mais aussi d’explorer l’humain, avec une passion pour le documentaire à dimension sociale. Trente ans plus tard, je me pose encore parfois la question de ce qu’aurait pu être cette vie si je l’avais choisie.”
Son parcours académique débute à l’Université Paris-Dauphine avec des études de mathématiques, qu’il complète rapidement par une formation en philosophie. Il mène les deux cursus jusqu’à la Maîtrise. Cette double exigence – rigueur logique et pensée critique – forge sa manière d’aborder les sciences sociales.
Il enchaîne avec un DEA en économie, puis un doctorat à l'Université Paris-Nanterre. Trait d’union entre les sciences qui le passionnent, il soutient en 2001 sa thèse Implications quantitatives de la croissance endogène pour la modélisation des fluctuations et l'évaluation des politiques économiques (1) dans laquelle il s’interroge sur les modèles de croissance en tant que phénomènes durables ou conjoncturels.
Mais l’expérience du doctorat lui laisse une impression mitigée : “J’ai très vite touché du doigt certaines limites du monde universitaire, notamment sur le financement de la recherche en France.” Il amorce alors une transition professionnelle, tout en gardant un pied dans l’enseignement. Après un passage à l’Université Paris-Nanterre (ou Paris X) comme Assistant Professor, puis à la Banque de France comme économiste, Tristan-Pierre réalise que son épanouissement passe par la salle de classe. “C’était une expérience riche, mais je sentais que ma place était ailleurs.”
Il rejoint l’ESSEC en 2004, puis l’EDHEC Business School en 2008, où il enseigne depuis l’économie sous toutes ses formes, du cours introductif pour les Pré-Master à la data pour les MBA. “Dès mon arrivée, j’ai senti que c’était l’environnement idéal. Travailler avec des étudiants brillants, dans une dynamique vivante et exigeante, nourrit ma passion de transmettre. Ce contact quotidien est non seulement important pour comprendre leurs attentes, mais aussi extrêmement valorisant quand on arrive à contribuer modestement à leur parcours et leur réussite.” Il insiste notamment sur le caractère profondément interactif de son enseignement : “Un bon cours, c’est un moment de co-construction. Il y a toujours un instant inattendu où la discussion bifurque, où une idée nouvelle émerge. Ce sont des moments précieux de création collective dont je ne pourrais me passer.”
À l’EDHEC, sa recherche prend une nouvelle orientation. Mathématicien devenu économiste, Tristan-Pierre explore désormais les questions de ségrégation, d’inégalités et de mixité sociale à la croisée de l’économie, de la démographie et de l’anthropologie. “Ce champ croisé me permet de dépasser les cloisonnements disciplinaires, pour mieux comprendre les tensions qui traversent notre société.”
Ses travaux trouvent écho aussi bien dans des revues académiques de référence - comme dans Demography avec un article publié en 2022 sur les impacts du logement social sur la ségrégation par le revenu (2), dans Économie et Statistiques, de l’INSEE, pour laquelle il co-signe un papier sur la mixité sociale et les politiques d’éducation prioritaire en 2021 (3) ou encore dans Regional Studies où il a publié en 2024 un article sur la décomposition géographique (urbaine) des inégalités de revenus en France (4) - que dans les politiques publiques. Il collabore régulièrement avec des ministères, présente ses conclusions devant la Cour des comptes ou l’Inspection Générale des Finances, et intervient dans la presse pour vulgariser ses analyses. “C’est une grande satisfaction de voir mes recherches contribuer, à leur échelle, à éclairer le débat et les décisions publiques.”
En 2020, il prend la tête du double diplôme Management des politiques publiques, proposé à l’EDHEC avec Sciences Po Lille, avant d’être nommé en 2023 directeur de la Grande École et des Masters of Science. Une évolution naturelle pour lui, dans la continuité de son engagement pédagogique : “Qu’il s’agisse d’un cours ou d’un programme, mon rôle reste le même : proposer des expériences d’apprentissage stimulantes, exigeantes, ouvertes sur le monde.”
Il voit dans cette responsabilité une opportunité de faire résonner son propre parcours avec celui des étudiants. “Leurs aspirations changent à mesure que le marché du travail évolue : ils veulent des formations hybrides, des approches transversales. C’est à nous de les accompagner vers les carrières de demain.” Surtout, cette fonction de direction s’exerce au sein d’une équipe soudée : “J’ai la chance de travailler avec une quarantaine de personnes formidables. Une énergie collective qui me porte chaque jour.”
Tristan-Pierre Maury incarne une figure d’intellectuel libre, ancré dans la réalité. À la fois pédagogue, chercheur et décideur, il tisse des ponts entre savoirs académiques et action concrète. S’il a renoncé au cinéma (pour le moment), c’est pour mieux raconter le réel à travers ses multiples dimensions. Et chaque matin, il continue de monter sur scène — celle de la classe, de la recherche ou du management — avec la même envie : éclairer, partager, transformer.
Dates clés
Depuis 2023 : Directeur de la Grande École et des Masters of Science, EDHEC Business School
Depuis 2020 : Directeur du double programme Management des politiques publiques (avec Sciences Po Lille), EDHEC Business School
Depuis 2008 : Professeur d’économie, EDHEC Business School
2004-2008 : Chercheur, ESSEC (Paris)
2003-2004 : Économiste, Banque de France (Paris)
2001-2003 : Assistant professor, Paris X (Nanterre)
2001 : Doctorat en économie (Nanterre)
1998 : DEA (Master recherche) en économie, Paris X (Nanterre)
1997 : Maîtrises de Mathématiques et Licence de Philosophie, Paris IV (Sorbonne) et Paris IX (Dauphine)
Pour en savoir plus sur Tristan-Pierre Maury
- Voir sa page individuelle sur edhec.edu
- Accéder à son profil Google Scholar
Références
(1) Implications quantitatives de la croissance endogène pour la modélisation des fluctuations et l'évaluation des politiques économiques (2001) Thèse de doctorat : Sciences économiques - Paris 10 - https://www.sudoc.abes.fr/cbs/DB=2.1//SRCH?IKT=12&TRM=071356819
(2) Kevin Beaubrun-DiantTristan-Pierre Maury; On the Impact of Public Housing on Income Segregation in France. Demography 1 April 2022; 59 (2): 685–706. doi: https://doi.org/10.1215/00703370-9807596
(3) Courtioux, P. & Maury, T.‑P. (2021). Social Diversity: A Review of Twelve Years of Targeting Priority Education Policies. Economie et Statistique / Economics and Statistics, 528-529, 9–28 (First published online: July 2021). doi: 10.24187/ecostat.2021.528d.2059
(4) Beaubrun-Diant, K., & Maury, T. P. (2023). Income segregation in France: a geographical decomposition across and within urban areas. Regional Studies, 58(3), 442–454 - https://doi.org/10.1080/00343404.2023.2237531