A la rencontre d'Arne de Keyser, professeur de marketing et concepteur de cadres d'analyse visant à améliorer l'expérience client
En Flandre (Belgique), il existe un dicton qui décrit le fait d'être profondément attaché à son terroir et de s'en tenir à ce que l'on connaît déjà : « onder de kerktoren blijven », littéralement « rester sous le clocher de l'église ». Si Arne De Keyser (Belge d'origine) reconnaît son attachement à la région flamande, sa curiosité pour comprendre les phénomènes de consommation quotidiens le pousse à aller bien au-delà. « Face à de nouveaux produits, services ou pratiques de consommation, je me demande instinctivement pourquoi ils prennent cette forme », explique-t-il, se demandant souvent s'ils sont le signe d'une nouveauté passagère ou d'un changement plus durable. Cette curiosité analytique — observer, questionner et interpréter les phénomènes de consommation — constitue le fondement de ses recherches...
Cela peut sembler logique aujourd'hui, mais Arne n'avait pas prévu de faire une carrière universitaire. Premier membre de sa famille à entrer à l'université, il choisit l'économie appliquée pour son amplitude et découvre la recherche en cours de route.
« Quand je suis entré à l'université, je ne savais pas du tout à quoi m'attendre, et je n'avais certainement aucune idée des recherches qui s'y menaient », dit-il en souriant. Une entente solide avec son directeur de mémoire de master le pousse alors à poursuivre un PhD à l'université de Gand, où il a présenté sa thèse intitulée « Understanding and Managing the Customer Experience » en 2015 (1).
Il rejoint l'EDHEC Business School la même année et, en 2023, devient Full professor de marketing. Il cite la « liberté de recherche » comme critère essentiel dans son quotidien et trouv à l'EDHEC ce qu'il espérait : la possibilité d'explorer très largement en ayant une ambition claire en matière de recherche.
« Avoir le temps et la liberté d'étudier les phénomènes de consommation est un immense privilège », note-t-il, « et je ne le considère pas comme acquis ». Pour lui, le monde universitaire est un espace où la découverte reste centrale : un lieu où approfondir notre compréhension de phénomènes complexes, communiquer clairement ses connaissances, travailler en équipe pour faire avancer un domaine de recherche et encadrer les nouvelles générations qui le rejoignent.
Très tôt, il a adopté un filtre simple à trois règles pour la sélection de ses projets : le travail doit être pertinent pour les managers, il doit avoir un potentiel d'impact à long terme et, surtout, les coauteurs doivent être compétents et agréables à côtoyer. Les projets qui remplissent ces trois conditions ont beaucoup plus de chances d'être sur le haut de la pile...
Demandez-lui quelle est la contribution du monde universitaire en matière de marketing, et sa réponse est plutôt inspirante. « Fondamentalement, c'est un espace qui vous permet de prendre du recul, de réfléchir et de voir les schémas plus larges qui se cachent derrière ce qui se passe dans la société », explique-t-il. Selon lui, le travail consiste à séparer le bruit de la structure, le bon grain de l'ivraie, afin de « dissocier les changements réels et significatifs de la (simple) nouveauté ».
Ce principe sous-tend son travail sur l'expérience client, les technologies de service de première ligne et, plus récemment, les services circulaires. Dans tous ces domaines, les définitions étaient (ou sont encore) floues, les enjeux réels, et des concepts durables peuvent aider les organisations à agir ou à donner un sens à ce qui les entoure.
L'un de ses principaux articles de recherche (2), qui a été adopté par une agence de marketing américaine pour guider ses pratiques, portait sur le développement d'un système linguistique permettant de discuter de l'expérience client.
Les technologies de pointe constituent un autre axe de son travail. Dans ce domaine, il refuse de courir après les dernières nouveautés pour le simple plaisir de la nouveauté. « Avec les nouvelles technologies, j'essaie de prendre du recul et de me demander : est-ce que quelque chose change fondamentalement ? », explique-t-il. La vague des assistants vocaux en est une illustration parfaite. Il a délibérément ignoré le premier engouement il y a quelques années (« ça ne fonctionnait pas vraiment à l'époque »), mais est récemment revenu sur le sujet, maintenant que la technologie arrive à maturité et qu'il existe un réel potentiel pour que l'IA vocal ait un impact. Là encore, il s'agissait avant tout de clarifier ce qu'implique réellement cette technologie. Cela signifiait revenir aux fondamentaux de la voix en général et la traiter comme un objet doté de propriétés verbales (diction, syntaxe, sémantique) et paraverbales (ton, volume, prononciation, etc.) (3). « Ce n'est qu'à partir de bases conceptuelles aussi claires que l'on peut commencer un travail empirique vraiment efficace », précise-t-il.
« De la même manière, nous avons travaillé sur un projet visant à intégrer les perspectives générales sur l'engagement en faveur de l'économie circulaire », explique-t-il. « Il existait de nombreuses recherches très intéressantes et pertinentes, mais elles étaient toutes très vaguement reliées entre elles. Nous avons travaillé à les rassembler dans un cadre global d'engagement en faveur de l'économie circulaire (4). Mes coauteurs de l'université de Gand appliquent désormais ce cadre dans le contexte du Green Deal "Renting and Sharing", soutenu par le gouvernement flamand et impliquant plus de 100 organisations qui peuvent bénéficier de nos conclusions et s'en inspirer. » Ce travail a également été repris par l'European Business Review (5).
Un nouvel exemple de son approche : comprendre d'abord les fondements conceptuels, puis réfléchir à la manière d'avancer de manière empirique. « Les cadres conceptuels constituent une première étape. Le travail empirique suit ensuite », résume-t-il.
Dans l'un de ses derniers articles empiriques consacrés à l'expérience client, il s'est intéressé à la manière dont la présentation de notes quantitatives influence les jugements sur des plateformes telles qu'Uber et Amazon (6). « Cet article a également été repris par la Harvard Business Review, ce qui témoigne de la pertinence de nos travaux. » (7)
Il explique que les idées surgissent généralement dans les rencontres quotidiennes, en tant que consommateur observant d'autres consommateurs et vivant ses propres expériences de consommation. La visite d'un magasin qui se transforme en une hypothèse. L'expérience de service qui soulève une question. L'interaction en première ligne qui surprend positivement ou négativement. « Il y a tellement de questions intéressantes qui circulent », dit-il. L'important est de repérer les bonnes, d'esquisser une structure et de décider quand une question mérite d'être étudiée. C'est là que le filtre des trois règles aident ses travaux universitaires : construire des cadres durables que d'autres peuvent utiliser et développer.
Son chapitre EDHEC, qui en est maintenant à sa onzième année, est davantage une histoire collective qu'une aventure solitaire. À son arrivée en 2015, le département marketing était relativement petit, mais s'orientait de plus en plus vers la recherche. Il souligne le rôle de Michael Antioco, alors directeur du département marketing, aujourd'hui Doyen du corps professoral et de la recherche, dont la vision a donné une orientation et une marge de manœuvre pour se développer.
Encore façonné et guidé par son actuelle directrice de département, Marie-Cécile Cervellon, Arne décrit un département qui a « beaucoup grandi », affiné son orientation en matière de recherche et vu ses résultats augmenter. Un environnement « agréable à vivre et où j'espère continuer à grandir et à apprendre aux côtés de mes collègues ».
Sa vision de l'enseignement supérieur ainsi que son rôle d'éducateur reposent principalement sur une approche pragmatique fondée sur l'utilité et l'énergie. « L'éducation consiste à former une personne, à lui apprendre à faire face au monde, à s'adapter, à apprendre, à acquérir de nouvelles compétences et connaissances », explique-t-il. L'objectif est de développer la résilience et le jugement afin que les nouveaux défis qui se présentent sur le chemin de chacun soient plus faciles à relever.
Pour lui, cela signifie rapprocher le monde de la recherche de celui de la salle de classe : définir clairement les problèmes, demander aux étudiants de tester leurs idées dans des situations réelles et s'assurer qu'ils sont capables de distinguer une mode éphémère d'un changement structurel. Il est franc au sujet de l'équilibre entre la recherche et l'enseignement : essayer de se donner à 100 % dans les deux domaines peut être à la fois stimulant et épuisant, mais il y a un réel plaisir à le faire : le travail gratifiant qui consiste à transposer un concept de la théorie à la pratique et à voir les étudiants l'assimiler.
« Voir quelqu'un progresser dans sa compréhension d'un sujet, recevoir quelques années plus tard un message d'un étudiant qui vous explique à quel point ce qu'il a appris lui est utile dans son travail, et entendre que vous avez aidé quelqu'un à changer les choses... c'est vraiment la partie la plus satisfaisante et la plus gratifiante de ce métier. Et c'est ce qui me donne l'énergie de continuer jour après jour. »
Dates clés
Juillet 2025: Récompensé par le prix Emerging Scholar Award décerné par l'American Marketing Association (SERVSIG)
Depuis 2023: Professeur de Marketing, EDHEC Business School
2020-2023: Professeur associé de Marketing, EDHEC Business School
2015-2020: Assistant Professor de Marketing, EDHEC Business School
2010-2015: PhD, Applied Economics (Marketing), Ghent University, Belgium
Pour en savoir plus sur Arne De Keyser
- Se rendre sur sa page personnelle (edhec.edu)
- Voir son profile Google Scholar
- Découvrir sa page Linkedin
Références
(1) Understanding and managing the customer experience (2015), Arne De Keyser (UGent) - https://biblio.ugent.be/publication/6901558
(2) De Keyser, A. (2020). “Moving the Customer Experience Field Forward: Introducing the Touchpoints, Context, Qualities (TCQ) Framework,” Journal of Service Research, 23(4), 433-455 - https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1094670520928390
(3) Henkens, B., Schultz, C. D., De Keyser, A., and Mahr, D. (2025). “The Sound of Progress: AI Voice Agents in Service,” Journal of Service Management, forthcoming - https://www.emerald.com/josm/article/doi/10.1108/JOSM-06-2025-0269/1279036/The-sound-of-progress-AI-voice-agents-in-service
(4) Verleye, K., De Keyser, A., Raassens, N., Alblas, A. A., Lit, F. C., and Huijben, J. C. C. M. (2024). Pushing Forward the Transition to a Circular Economy by Adopting an Actor Engagement Lens, Journal of Service Research, 27(1), 69-88 - https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/10946705231175937
Transition vers une économie circulaire : comment impliquer un maximum d'acteurs ? (2023) EDHEC Vox, Arne De Keyser - https://www.edhec.edu/fr/recherche-et-faculte/edhec-vox/transition-vers-une-economie-circulaire-comment-impliquer-maximum-d-acteurs
(5) De Keyser, A., Verleye, K., Raassens, N., and Alblas, A. A. (2024). « Engaging Stakeholders for Circular Economy Success," The European Business Review - https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-031-31937-2_3 & https://www.europeanbusinessreview.com/engaging-stakeholders-for-circular-economy-success/
(6) Lembregts, C., Schepers, J. L., and De Keyser, A. (2024). “Is it as Bad as it Looks? Judgements of Quantitative Scores Depend on their Presentation Format,” Journal of Marketing Research, 61(5), 937–954 - https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/00222437231193343
Naviguer dans le paysage numérique : le pouvoir et les limites des avis en ligne (2023) EDHEC Vox, Arne De Keyser, Ivan Gordeliy, Martin Wetzels - https://www.edhec.edu/fr/recherche-et-faculte/edhec-vox/naviguer-paysage-numerique-pouvoir-limites-avis-en-ligne-de-keyser-gordeliy-wetzels
(7) De Keyser, A., Lembregts, C., and Schepers J. L. (2024). "How Rating Systems Shape User Behavior in the Gig Economy," Harvard Business Review. (https://hbr.org/2024/04/research-how-ratings-systems-shape-user-behavior-in-the-gig-economy)