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Comparer les notations ESG pour mieux décider

Abraham Lioui , Professor, Head of faculty - Data Science, Economics & Finance

Abraham Lioui, professeur à l'EDHEC et directeur du département "Economie, Finance et Science des données", présente - dans un article publié sur The Conversation - ses travaux sur les fonds intégrant des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance et les notations associées.

Temps de lecture :
16 nov 2022
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En 2020, aux États-Unis, plus de 15 000 milliards de dollars d’actifs étaient gérés par des fonds incorporant des critères environnementaux. Une augmentation de 50 % par rapport à 2018 ! Une tendance révélatrice de l’engouement toujours plus grand pour les investissements dits « responsables ».

Mais derrière cette intensification de l’attractivité des fonds intégrant les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) se cache un paradoxe. D’un côté, il existe une grande hétérogénéité des méthodes de notation qui se traduit par des différences extrêmes de classement des entreprises. Il donc est impossible de discriminer entre les entreprises sur la base de ces notations.

De l’autre, les fonds ne s’empêchent pas de proclamer qu’ils investissent dans des entreprises responsables et les investisseurs individuels et institutionnels semblent les croire. Pourtant, ces derniers se doivent de mesurer les implications en termes de performance financière de ces différences de notation. C’est tout l’objet d’une étude que nous avons récemment publiée dans le Journal of Banking & Finance.

ESG partout, cohérence nulle part ?

Pression sociale, éveil des consciences, intensification règlementaire, les critères ESG sont devenus en une dizaine d’années un baromètre prégnant de la performance des entreprises. Un signe ne trompe pas : le volume de littérature scientifique sur le sujet. Près de 5 000 papiers publiés depuis 2010 tentent d’analyser et d’approfondir nos connaissances sur cette tendance, et d’en tirer des enseignements sur la capacité du marché à intégrer ces évolutions.

Mais les opinions divergent quant au sens à donner aux réactions du marché : est-ce qu’être « ESG-friendly » fait baisser le coût du capital ? Le marché donne-t-il une prime aux entreprises responsables comme on distribue des bons points ? Les écarts de notation empêchent de dégager un consensus académique sur ces questions. Mais pas que ! Une source de confusion reste liée aux différentes méthodologies utilisées pour calculer le « greenium », nom donné à la potentielle prime aux entreprises qui œuvrent pour la préservation des ressources. C’est pourquoi nous avons voulu d’abord décortiquer les méthodologies dominantes avant d’en proposer une autre, plus pertinente, qui ne soit pas sujette aux limites que nous aurons élicitées.

Donne-moi tes notes, je te donne ta prime !

Pour calculer le greenium, deux méthodologies s’affrontent. D’abord on sépare les entreprises en deux blocs selon qu’elles sont « green » (bons élèves) ou « brown » (peut mieux faire). Le greenium est mesuré par l’écart de rendement entre les deux blocs. Mais comment mesurer le rendement de chaque bloc ? La première méthode, ad hoc, consiste à utiliser une pondération par la capitalisation boursière des entreprises. La deuxième, fondée économiquement, pondère les entreprises par leur notation ESG. Il est alors intuitif que les deux méthodes donneront rarement le même greenium pour un même classement !

La première méthode utilise la notation ESG pour séparer les entreprises en deux blocs mais la pondération est basée sur la capitalisation boursière. Deux entreprises ayant la même capitalisation boursière et appartenant au bloc des bons élèves auront le même poids indépendamment de leur notation. En particulier, ce sera vrai si elles ont la même notation ESG ou si celle de l’une est cinq fois supérieure à celle de l’autre.

La seconde méthode s’attache, elle, à pondérer les actions au sein d’un portefeuille par la notation ESG. Ceci permet de prendre en compte l’évolution de la notation dans le temps pour faire varier les pondérations. Mais elle ignore les autres caractéristiques de l’entreprise comme sa capitalisation boursière.

Ces deux méthodes, partant d’un postulat différent, délivrent des greeniums hétérogènes pour un même classement, sensibles à des facteurs annexes et dépendant de l’univers retenu par l’entreprise produisant le classement. Nous avons voulu proposer une synthèse.

Niveler pour comparer

Partant de la seconde méthodologie – dite cross-sectional (CS) – nous avons voulu, avec mon co-auteur Andrea Tarelli, proposer une approche fondée économiquement, qui prend en compte les changements dans le temps du greenium impliqués par les changements de notation et qui neutralise les autres caractéristiques des entreprises comme leur taille et profitabilité.

Pour chaque classement, nous sommes en mesure de construire un greenium issu d’un facteur ESG pur, c’est-à-dire qui neutralise les caractéristiques uniques de l’univers retenu pour la production du classement. Nous filtrons la prime greenium à chaque mois de notre jeu de données (qui couvre une vingtaine d’années), et non pas en moyenne comme cela est fait habituellement. De ce fait, la prime aux bons élèves ainsi construite n’est pas brouillée par d’autres caractéristiques et prend en compte les énormes changements des comportements des investisseurs ce qui la rend lisible et permet une comparaison équitable entre les différents classements.

En utilisant trois classements différents, nous montrons que les écarts ne sont pas anodins puisqu’ils s’étalent du simple au double. D’où l’importance pour les investisseurs de bien choisir leur classement.

La richesse de l’hétérogénéité

Notre méthode ne se propose pas de mettre d’accord les agences de notation ESG mais de proposer un outil d’aide à la décision aux investisseurs. Nous sommes convaincus que l’hétérogénéité des classements est une richesse : il serait peu pertinent de vouloir assigner une même valeur à un nombre limité de critères extrafinanciers ; cela réduirait considérablement le champ de l’ESG et la capacité des entreprises à engager leur propre transition et laisser libre cours à leur créativité.

Au contraire, proposer un spectre d’appréciation des critères ESG, c’est embrasser la diversité des solutions et des efforts mis en œuvre par les entreprises pour répondre aux défis environnementaux et sociétaux. Ce n’est donc pas à l’homogénéité des notations qu’il faut travailler, mais à leur lisibilité, pour être capable de les comparer entre elles et de faire des choix éclairés, et cette recherche apporte modestement une contribution en ce sens.

Cet article d'Abraham Lioui, professeur à l'EDHEC Business School, a été republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Photo by Ash from Modern Afflatus on Unsplash

The Conversation