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Travail hybride : comment mieux comprendre et gérer les nouvelles « tensions paradoxales »

Olga Kokshagina , Associate Professor
Sabrina Schneider , Management Center Innsbruck

Dans cet article, initialement publié sur The Conversation France, Olga Kokshagina, Professeure associée à l'EDHEC et Sabrina Schneider, Professeure au MCI Innsbruck, examinent comment les organisations naviguent dans les complexités de l’utilisation de la technologie numérique et adaptent leurs pratiques de travail en conséquence.

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19 Mar 2024
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La transition vers le retour en présentiel au bureau a focalisé l’attention durant ces premières semaines de 2024, de nombreuses organisations mettant en œuvre différentes stratégies pour encourager leurs employés à revenir. Par exemple, Goldman Sachs impose désormais une présence au bureau cinq jours par semaine, tandis que Google intègre la présence au bureau dans les évaluations de performance. De nombreuses entreprises ont adopté des politiques de travail hybride, exigeant du personnel qu’il soit au bureau au moins trois jours par semaine. Zoom, par exemple, a imposé à ses employés de revenir travailler au moins deux fois par semaine, invoquant le manque de confiance entre des personnes qui ne se connaitraient pas suffisamment ou le manque de créativité dans les environnements majoritairement en ligne.

 

Les employeurs utilisent diverses tactiques pour motiver leurs employés, qu’il s’agisse d’incitations financières comme les primes de retour au bureau offertes par des entreprises telles que Perkbox ou de l’effet « Fear of missing out » (FOMO), comme l’a tenté Bolt en partageant des photos du bureau et des fêtes sur Slack.

 

Ces efforts et ces nouvelles politiques interviennent alors que les taux d’occupation des bureaux sont restés relativement stables au cours des dernières années. Ainsi, selon l’enquête internationale sur les conditions de travail (G-SWA), en 2023, deux-tiers des employés à temps plein ont travaillé cinq jours par semaine sur place.

 

Les travaux existants donnent des résultats contradictoires quant à l’efficacité du travail à distance, certaines études basées sur des mesures standard de l’efficacité indiquant une baisse de la productivité, tandis que d’autres font état d’une satisfaction professionnelle et d’une efficacité accrues, avec moins de trajets et plus de temps consacré aux possibilités de soins. En France, les estimations de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) soulignent qu’une augmentation de l’utilisation du télétravail pourrait se traduire par une augmentation de la productivité d’environ 10 %.

 

Autonomie et/ou contrôle ?

Il est donc essentiel de comprendre ces contradictions pour déterminer si le retour au bureau est la solution optimale, si l’on conserve l’option du travail à distance ou si les pratiques de travail hybrides offrent plus d’avantages.

 

Notre recherche, menée avec des cadres de diverses organisations en Europe avant et après la crise du Covid-19, examine comment les organisations naviguent dans les complexités de l’utilisation de la technologie numérique et adaptent leurs pratiques de travail en conséquence. Un exemple est le paradoxe de l’autonomie, qui a été mis en lumière en 2013 mais qui a gagné en notoriété avec la hausse du travail hybride.

Ce paradoxe consiste à savoir s’il faut accorder de l’autonomie aux employés ou utiliser le contrôle pour guider leurs performances. L’une des options consiste à introduire des niveaux élevés d’autonomie, où les cadres donnent aux employés les moyens d’autogérer leurs résultats. Par exemple, un prestataire de soins infirmiers à domicile aux Pays-Bas, Buutzorg, a créé un modèle basé sur l’autogestion par la confiance et l’autonomie, en s’appuyant sur son propre système informatique qui lui permet de partager des connaissances, de comparer ses performances et de créer un alignement de manière transparente.

 

À l’inverse, les employés peuvent être plus performants dans un environnement où les responsables appliquent un management plus strict. Comme l’a souligné l’un des managers interrogés dans le cadre de notre étude : « Il s’agit également de la façon dont une norme s’établit ou change. Dans les premières années de la numérisation, tout le monde s’attendait à ce que vous réagissiez rapidement. Je me souviens que j’étais déçu de ne pas pouvoir joindre quelqu’un un dimanche après-midi. Cela a évolué ».

 

Nous avons identifié plusieurs autres tensions paradoxales telles que la surcharge d’informations versus l’accessibilité, la possibilité de se connecter aux autres grâce au travail numérique versus le sentiment croissant de solitude. Toutes ces tensions sont plus prononcées dans les environnements de travail hybrides.

 

Adopter des approches plus fluides

Avec la généralisation en cours de cette forme de travail, l’occurrence des tensions paradoxales augmentera ainsi que le nombre d’individus confrontés à ces tensions. En parallèle, les paradoxes deviendront également plus complexes et imbriqués. Les mécanismes d’adaptation doivent donc passer de règles prescriptives à des conseils et une orientation continus qui permettent aux individus de s’interroger sur le sens de leur travail et d’être prêts à faire évoluer régulièrement leurs pratiques professionnelles.

 

Par exemple, le 1er juin 2022, BlaBlaCar, le premier réseau mondial de voyage communautaire, a dévoilé son nouveau siège parisien (le « Village » BlaBlaCar) et sa politique de travail à distance. Plus d’un quart des employés de l’entreprise ont décidé de travailler entièrement à distance (« BlaBlaNomads ») – avec un budget dédié pour organiser leur propre espace de bureau et se rendre au siège une fois par mois. Les autres employés bénéficient d’une solution hybride, passant un à cinq jours par semaine dans l’espace de bureau, conçu pour devenir « un lieu de vie et d’échange, un élément clé de la cohésion sociale », selon Muriel Havas, responsable des installations chez BlaBlaCar). Cet exemple illustre la manière dont les employés ont la possibilité de réviser et d’ajuster leurs pratiques de travail.

 

La résolution de ces paradoxes exige une approche équilibrée. Au niveau individuel, les employés peuvent affiner leurs habitudes de travail, par exemple en planifiant leurs pauses et en gérant leur connectivité en ligne. Les organisations, quant à elles, doivent développer des cadres flexibles qui permettent au personnel de gérer ces défis de manière créative. Pour cela, il faut passer de politiques et de normes rigides à des approches plus fluides et plus souples qui permettent aux employés de gérer les paradoxes de manière innovante.

 

Dépasser le débat du retour au bureau

Étant donné la variabilité des réponses individuelles aux tensions paradoxales, des mécanismes d’adaptation efficaces impliquent des systèmes de soutien personnalisés adaptés aux besoins individuels, y compris des programmes de mentorat et des politiques de travail flexibles. Les managers doivent évaluer et améliorer la préparation des membres de leur équipe à s’engager dans les technologies numériques. Par exemple, la société française d’informatique Atos a aidé ses employés à développer une « mentalité » adaptée aux nouveaux outils par le biais d’un programme de perfectionnement volontaire – 70 000 personnes l’ont suivi dans un premier temps.

 

Nos recherches montrent que nous devons aller au-delà du débat sur le retour ou non au travail et nous concentrer sur la conception généralisée de lieux de travail où il existerait une adéquation entre le niveau d’action d’une personne pour faire face aux tensions paradoxales et la volonté de l’individu de gérer ces tensions. Les managers doivent évaluer et renforcer l’état d’esprit « paradoxal » des membres de leur équipe dans le domaine des technologies numériques et leur capacité à les maîtriser. Cela implique non seulement de fournir les outils et les technologies nécessaires, mais aussi de veiller à ce que les employés soient préparés et soutenus pour gérer les complexités et les contradictions que ces outils peuvent entraîner.

 

Le travail hybride est là pour durer, entraînant avec lui de nombreux avantages tels que des gains de productivité pour les organisations, de nombreuses possibilités d’offres numérisées et une autonomie et une flexibilité accrues pour les employés grâce à un meilleur accès à l’information et à l’échange de connaissances. Si les modèles de travail hybrides offrent de nombreux avantages, leur succès dépend cependant du soutien apporté par l’organisation à ses employés, les équipant des outils et compétences nécessaires pour naviguer efficacement dans les complexités des espaces de travail numériques.

 

 

Cet article d'Olga Kokshagina, Professeure associée à l'EDHEC et Sabrina Schneider, Professeure au MCI Management Center Innsbruck, a été republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

 

Photo de Canva Studio

The Conversation

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