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[Cas par cas #4] Karin Kollenz-Quétard: Dollar Shave Club – bousculer le secteur du rasage

Karin Kollenz-Quétard , Professor

Karin Kollenz-Quétard, Professeure à l'EDHEC et membre de la Chaire Foresight, Innovation, and Transformation présente une étude de cas (1) sur Dollar Shave Club (DSC), une marque qui a bousculé l'industrie du soin au cours de la dernière décennie. Cette étude a gagné le prestigieux Case Centre's Awards and Competitions en 2021 (2), un événement souvent considéré comme les "Oscars" de la communauté des cas pédagogiques. Elle est restée un best-seller depuis lors et vient justement d'être classée parmi les meilleures ventes de cas en 2023 (3).

Temps de lecture :
12 jan 2024
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À quoi ressemblait l'industrie mondiale du rasage avant l'arrivée de Dollar Shave Club (DSC) ?

Avant l'arrivée de Dollar Shave Club, le secteur mondial du rasage était dominé par des acteurs majeurs tels que Gillette et Schick, très présents dans le secteur de la vente au détail. Les clients achetaient généralement les rasoirs et les lames dans les magasins, influencés par la reconnaissance et la fidélité à la marque. Gillette, en particulier, a dominé le marché grâce à une stratégie consistant à vendre des rasoirs à bas prix tout en facturant des lames de rechange à un prix élevé.

L'industrie a investi massivement dans le marketing pour persuader les consommateurs que les nouvelles technologies de lames offraient des rasages de meilleure qualité. Les investissements considérables de Gillette dans la recherche et le développement, y compris la mise au point de rasoirs multilames comme le Fusion - qui comptait 75 brevets de conception et dont le prix était supérieur de 40 % à celui du modèle précédent, le Mach3 - s'inscrivaient dans cette stratégie visant à fidéliser les clients à leurs manches de rasoir uniques. Malgré ces investissements importants, l'industrie n'a connu que des innovations mineures, améliorant progressivement le même produit au fil du temps. En 2012, l'arrivée de DSC a considérablement modifié ce modèle commercial conventionnel.

 

Comment le "Dollar Shave Club" a-t-il perturbé le secteur du rasage et menacé Gillette ?

DSC est entré sur le marché en tant qu'agitateur voire perturbateur, en utilisant un modèle commercial Direct-to-Consumer (D2C) et en remettant en cause la domination centenaire de Gillette dans le secteur du rasage. Le modèle d'abonnement de DSC pour les rasoirs a capitalisé sur la frustration des consommateurs face à l'augmentation du coût des lames de rasoir, en offrant une solution plus rentable et plus centrée sur le consommateur.

La croissance de l'entreprise a également été stimulée par une marque forte et un marketing efficace qui a trouvé un écho auprès des consommateurs. Elle a créé une image de marque identifiable qui l'a différenciée des acteurs traditionnels. Les campagnes de marketing de DSC étaient inventives, engageantes et souvent humoristiques, ce qui a contribué à établir une présence significative en ligne et à conquérir des parts de marché. La stratégie de DSC était fortement axée sur le consommateur, se concentrant sur la commodité, le caractère abordable et le service à la clientèle, ce qui a séduit un large public et amélioré la fidélité des clients.

En défiant directement les géants du secteur, DSC s'est positionné comme la marque du consommateur "intelligent", ce qui a contribué à créer une communauté forte autour de la marque.

 

Qu'est-ce qui est ressorti de cette confrontation ?

La confrontation entre Gillette et Dollar Shave Club a entraîné des changements importants, Gillette étant confronté à une concurrence accrue et à la nécessité d'adapter sa stratégie en réponse au modèle d'entreprise disrupteur introduit par DSC.

Gillette a utilisé plusieurs options stratégiques face à la place prise par ce nouvel entrant : elle a défendu sa position sur le marché en intentant un procès pour violation de brevet. Dans le même temps, Gillette a renforcé la compétitivité de ses propres lames en réduisant considérablement leur prix. En outre, cette entreprise a commencé à expérimenter son propre modèle de vente directe au consommateur : d'abord sous la marque "Gillette Shave Club" via Amazon, puis via sa propre boutique en ligne sous les noms "Gillette on Demand" ou "Gillette Club". En outre, Gillette a commencé à se diversifier dans des marchés de niche, tels que le rasage assisté (Gillette Treo). Malgré ces mesures, sa part de marché est passée de plus de 70 % en 2010 à 54 % en 2016, après l'émergence de DSC et d'autres marques de rasage D2C.

 

Puis DSC a été racheté !

En effet, dans une démarche stratégique, Unilever a acquis DSC via une transaction d'environ 1 milliard de dollars. Cette acquisition s'inscrivait dans la stratégie d'Unilever visant à s'implanter sur le marché des produits de soins pour hommes et à contester la position dominante de Gillette, qui fait partie de Procter & Gamble, le principal rival d'Unilever. L'acquisition a également constitué une nouvelle menace pour Gillette, Unilever ayant l'intention d'utiliser la compétence de DSC en matière de vente directe aux consommateurs pour d'autres catégories de produits au sein du groupe Unilever.

Toutefois, cette initiative ne semble pas avoir été couronnée de succès. Comme le montre la vente de la marque DSC à une société de capital-investissement à la fin du mois d'octobre 2023, Unilever n'a pas été en mesure de capitaliser sur les ressources et les capacités spécifiques de DSC. Mais il s'agit là d'une autre histoire - qui pourrait conduire à un cas B...

 

Le cas DSC a été un best-seller pendant trois années consécutives (3). Qu'est-ce qui fait le succès de l'étude de cas "Dollar Shave Club" (1) selon vous ?

Ce cas est multi-facettes et amusant à enseigner, ce qui en fait l'un de mes préférés. Vous pouvez l'utiliser dans les cours d'innovation, mais aussi dans les cours de stratégie, de marketing ou d'entrepreneuriat. Le cas peut être discuté avec de nombreux publics, tels que les étudiants de niveau MBA/Master, mais aussi avec des cadres ou des étudiants de premier cycle. C'est également une étude qui suscite l'intérêt du public, car elle peut être racontée comme une déclinaison de "David contre Goliath" en trois actes : une situation de départ, une confrontation et une résolution.

Il peut servir de base de discussion pour des sessions de 45 minutes comme pour des sessions de 6 heures. Il permet de changer de sujet ou d'activité très rapidement, en utilisant des outils tels que des sondages, des quiz et des jeux de rôle. Comme nous l'avons utilisé en ligne pendant le COVID, nous avons inclus des conseils spécifiques pour l'enseigner dans des sessions en ligne dans notre note pédagogique.

Enfin, c'est un cas qui permet de beaucoup rire, notamment lorsque l'on regarde les publicités hilarantes de DSC. Après tout, il n'y a pas de meilleure façon d'apprendre qu'en s'amusant !

 

Références

(1) Dollar Shave Club: Disrupting the Shaving Industry - By Nader Tavassoli, Karin Kollenz-Quétard, Jamie Anderson (2018) London Business School case study CS-18-017

(2) Award winner 2021: Dollar Shave Club: Disrupting the Shaving Industry - www.thecasecentre.org

(3) Our 2023 bestselling cases - www.thecasecentre.org