Face à la crise, l’industrie automobile renforce la résilience de ses chaînes d’approvisionnement
Sachin Kamble, professeur de supply chain et membre de la chaire d’Anticipation, d’innovation et de transformation à l’EDHEC Business School, avec cinq autres professeurs d’écoles de commerce réputées, traite dans un article initialement publié sur The Conversation de recherches pour acquérir des connaissances approfondies et mesurer l’impact actuel de la pandémie sur les chaînes d’approvisionnement du secteur automobile.
La propagation rapide et plus étendue de la Covid-19 a créé d’immenses incertitudes dans la demande et a perturbé les chaînes d’approvisionnement mondiales. Plus de 1,1 million d’emplois directs dans le secteur automobile de l’Union européenne ont été impactés depuis le début de la crise sanitaire, selon l’ACEA (Association des constructeurs européens d’automobiles).
La pandémie qui fait rage a en effet mis à mal les aspirations des grandes entreprises automobiles et remet en question les modèles d’approvisionnement actuels pour une résilience des chaînes d’approvisionnement (supply chain resilience en anglais).
Sachin Kamble, professeur de supply chain et membre de la chaire d’Anticipation, d’innovation et de transformation à l’EDHEC Business School, avec cinq autres professeurs d’écoles de commerce réputées, a mené des recherches pour acquérir des connaissances approfondies et mesurer l’impact actuel de la pandémie sur les chaînes d’approvisionnement du secteur automobile.
L’étude s’appuie sur des entretiens qualitatifs auprès de 88 dirigeants du secteur automobile et résume l’ensemble des différentes stratégies d’adaptation employées par ces entreprises et les leçons qu’elles en tirent pour construire des chaînes d’approvisionnement plus résilientes à court et long termes.
Les solutions à court terme
À court terme, la première stratégie consiste à atténuer les risques opérationnels en relocalisant les sources d’approvisionnement et en utilisant des technologies industrielles avancées 4.0.
La logistique d’approvisionnement et la fabrication doivent être relocalisées dans la même région pour répondre à la demande locale et améliorer l’intégration à tous les niveaux de la chaîne d’approvisionnement. Ainsi, le risque de perturbation pourrait être contenu dans la région, comme il n’y aura pas de menace de débordement du risque d’une région à l’autre.
Un interviewé révèle en effet que :
« L’une de nos principales faiblesses durant l’épidémie fut le manque de visibilité en temps réel sur l’ensemble de notre chaîne d’approvisionnement. Nous sommes en train de perdre une grande opportunité de soutenir des décisions commerciales cruciales… ».
La seconde stratégie à court terme vise à développer de nouvelles compétences en matière d’analyse des big data et d’utilisation de systèmes d’information en temps réel.
Ces compétences fourniront des informations en temps réel sur différents niveaux d’activité de la chaîne d’approvisionnement afin de surmonter tous les défis complexes et incertains posés par la Covid-19. L’analyse des big data peut également améliorer les capacités en matière de prévision de la chaîne d’approvisionnement, comme le montre le soutien impressionnant apporté à plusieurs entreprises en améliorant le traitement de l’information et en simplifiant le processus de sélection des marchés publics.
Un dirigeant interrogé lors de l’étude le souligne :
« L’analyse des données que nous avons effectuée nous a permis de constater qu’il serait préférable de maintenir les usines en activité et de constituer des stocks, en absorbant les coûts fixes et en se préparant pour l’après-Covid-19 ».
Enfin, les entreprises de la filière recherchent une meilleure coopération entre les acteurs de la chaîne d’approvisionnement, dans le but de mieux se préparer aux futures perturbations et contribuer à accélérer l’utilisation des technologies numériques.
La plupart des répondants ont en effet souligné l’importance de travailler ensemble ainsi que de partager des objectifs et des informations en commun afin de développer des stratégies solides et coordonnées, favorisant une reprise plus rapide. Il est très important de se concentrer sur les performances humanitaires et sociales tout au long de la chaîne d’approvisionnement afin d’atténuer le risque de perturbation à tous les niveaux.
Un interviewé en témoigne :
« Je pense qu’avant une perturbation, nous devrions avoir établi des relations solides avec les principaux fournisseurs à tous les niveaux de la chaîne d’approvisionnement… nous devons collaborer avec tout le monde et partager des objectifs communs ».
Des réponses nécessaires à plus long terme
Les témoignages de l’étude conseillent également aux entreprises du secteur automobile d’élaborer des stratégies de réponse proactives et/ou réactives à long terme afin d’accélérer la reprise post-Covid.
Pour gérer les perturbations immédiates de façon réactive, il s’agit d’abord d’assurer la sécurité de l’approvisionnement et du système de transport. Les personnes interrogées ont ainsi souligné l’urgente nécessité pour les gouvernements et les entreprises de coordonner efficacement le développement d’un corridor de transport à long terme avec les pays voisins qui ne seront pas touchés par de telles pandémies à l’avenir.
Il ressort également de nos entretiens qu’une utilisation plus efficace des technologies émergentes apparaît essentielle. Il s’agit là de garantir la capacité à utiliser les technologies numériques pour permettre une reprise plus rapide après la perturbation et réduire l’effet d’entraînement de la chaîne d’approvisionnement.
Toujours à plus long terme, il se dégage de nos entretiens que les entreprises ont intérêt à adopter certaines stratégies proactives pour prévenir de futures situations de perturbation.
Parmi celles-ci figure d’abord la promotion de la transformation numérique. Les entreprises manufacturières ou de services devraient ainsi pouvoir développer des capacités de résilience pour se préparer au mieux à de futures perturbations au sein de leurs chaînes d’approvisionnement.
Il s’agit ensuite d’intégrer la gestion des risques d’une manière agile. En effet, l’épidémie de Covid-19 a mis en évidence la nécessité d’impliquer toutes les parties prenantes de la chaîne d’approvisionnement dans la création d’une approche intégrée de la gestion des risques afin d’éviter que des perturbations et des chocs ne frappent leurs fournisseurs « invisibles » en amont de la ligne de production des fabricants automobiles.
Enfin, il est devenu plus que jamais nécessaire de développer la responsabilité sociale des entreprises (RSE). L’adoption d’approches plus globales, qui fusionnent à la fois la résilience de la chaîne d’approvisionnement et les pratiques de RSE, permettrait en effet de mieux protéger l’emploi et les employés sur leur lieu de travail. En particulier, les acteurs de la chaîne d’approvisionnement du secteur automobile devraient tirer les leçons de l’impact social désastreux de la pandémie actuelle qui a perturbé des millions de vies dans le monde entier, causant d’énormes pertes humaines et économiques.
L’étude que nous avons menée donne également un aperçu de l’industrie aérienne. Si vous êtes intéressé, n’hésitez pas à lire le rapport de recherche en intégralité (en anglais).
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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